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Le beau nom de France devrait-il rimer avec repentance ?

lundi 10 mars 2008, par Serge CATTET

Serge Cattet est agrégé d’Université et historien. Voici ses réflexions sur un sujet récurrent.


Depuis quelque temps, il souffle sur la France un vent de folie intellectuelle et morale. Subissant la pression d’un "monde bien pensant" à la remorque d’un conglomérat de minorités remuantes et médiatisées, la Nation Française est mise en demeure de reconsidérer son histoire et de se repentir de son passé. Rien de moins ! L’Histoire de notre Pays serait chargée de taches (pour ne pas dire de crimes) qu’il est urgent de rappeler pour enfin les dénoncer. Pour retrouver son honneur, il faudrait que la France reconnaisse ce passé méprisable et ait le courage d’entrer en repentance et de demander pardon à l’Humanité agressée et outragée.

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Mais quelles sont ces taches qui altèrent tant l’image de notre Histoire et que la Nation Française doit, enfin, avoir le courage de dénoncer ? Les médias, de toute nature, ne se sont pas privés de les montrer du doigt.

La France a un passé colonial ! Insupportable ! La France a participé à la traite des Noirs ! Intolérable ! La France a pratiqué l’esclavage ! Impardonnable !

Pour tous ces faits d’un passé lointain, la France est condamnable, il faut la condamner. Elle est condamnée ! L’alliance, si fréquente de nos jours, de l’imbécillité intellectuelle et de la démagogie politique est ici à son comble !

C’est vrai, et elle ne s’en est jamais cachée, la France a été, de longue date, une puissance coloniale. Du XVIe siècle au XIXe siècle, elle a conquis des terres un peu partout à travers le Monde, en Amérique, en Afrique, en Asie ; au XXe siècle, si sa frénésie de conquêtes s’atténue, elle n’en demeure pas moins la 2e puissance coloniale mondiale exerçant sa domination sur de nombreuses terres et de nombreux peuples. C’est vrai, et elle ne s’en est jamais cachée, la France a eu sa part dans la dramatique traite des Noirs avec, il ne faut pas négliger… ce détail, la complicité active et déterminante des tribus établies sur les littoraux africains. Elles razziaient à l’intérieur du continent, on achetait sur la côte, on vendait aux Amériques. C’est à ce trafic Europe-Afrique-Amériques que nos manuels d’histoire ont donné très tôt le nom de commerce triangulaire. C’est vrai, et elle ne s’en est jamais cachée, la France a eu, jusqu’au début du XIXe siècle, recours, elle aussi, à l’esclavage pour la mise en valeur de ses possessions des Antilles et de l’océan Indien. Il faudra attendre la Révolution de 1848 et la détermination de Victor SCHOELCHER pour qu’elle mette un terme à cette pratique.

Mais à l’égard de ces données historiques, qui n’ont jamais été occultées, il conviendrait avant tout jugement à l’emporte-pièce et toute condamnation sans appel, de se poser deux questions simples mais essentielles : la France a-t-elle été la seule puissance dans l’Histoire et dans le Monde à mettre en œuvre ces politiques si réprouvées et condamnées aujourd’hui ? On peut d’emblée répondre NON ! Nos grands voisins européens, la Grande-Bretagne ? L’Espagne, nous ont accompagnés en faisant mieux encore ! la France a-t-elle agi à l’encontre des lois morales de ces temps lointains de conquête, de traite et d’esclavage ?

On pourrait également se poser une dernière question simple : quelle est la signification réelle de cette dictature d’exigence de repentance, quelles en sont les arrière-pensées ?

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Il ne faut pas confondre les temps du présent et les temps de l’Histoire, le XXIe siècle et les siècles précédents.

Au XXIe siècle, notre siècle, les rapports humains, et c’est une bonne chose, sont régis par des impératifs nés pour un grand nombre dans la seconde moitié du XXe siècle, au lendemain d’une 2e Guerre Mondiale particulièrement ravageuse pour l’Humanité : la reconnaissance et l’obligation de respect des Droits fondamentaux de l’Homme, droit à l’égalité ; droit à la Liberté. L’énoncé et l’acceptation de ces principes nouveaux de morale internationale ne pouvaient que déboucher sur la condamnation du principe ancien de colonisation et de toute forme colonialisme, sur la condamnation sans réserve de l’esclavage et de tout commerce d’hommes, de femmes et d’enfants.

Aux XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles, ces règles n’avaient pas cours, loin de là, et par conséquent ne pouvaient pas être transgressées. La colonisation, la traite, l’esclavage n’étaient donc pas, comme on les considère de nos jours, des crimes contre l’Humanité. Au contraire ; de longue date, ils faisaient partie des pratiques de l’Humanité. Dans ces conditions, comment peut-on exiger de la Nation Française qu’elle accepte de faire repentance pour des politiques qui n’étaient alors ni condamnables, ni condamnées. Exiger une attitude de repentance pour des actes qui n’étaient alors ni fautes ni crimes apparaît comme parfaitement ridicule et irresponsable.

Comme il serait ridicule et irresponsable d’exiger un mea-culpa de tous les peuples qui, à un moment donné de leur Histoire, ont développé une politique d’expansion territoriale et de conquête coloniale, quel qu’en ait été le moteur !

Pensons aux cités de la Grèce Antique qui ont multiplié leurs établissements dans le Monde méditerranéen ; à Marseille, l’ancienne Phocée, pour ne donner qu’un exemple. Pensons aux Romains qui ont étendu leur domination de l’Atlantique au Moyen-Orient et des rives méridionales de la Méditerranée à celles de la mer du Nord. Pensons au monde Arabe musulman qui a eu sa part dans cette histoire des politiques de conquête et de colonisation ; sinon comment comprendre sa présence, avec celle de l’Islam, de l’Espagne et des Balkans à la lointaine Indonésie. Cette présence il ne la doit certainement pas au seul jeu des vertus des lumières du Coran. L’épée a eu son mot à dire, comme dans d’autres religions conquérantes ! Nous respectons l’Islam, mais il est impératif que l’Islam, lui aussi, regarde son Histoire, l’Histoire d’un grand mouvement religieux, spirituel mais, lui aussi, conduit par des Hommes animés de l’esprit de conquête !

Faut-il demander aux Grecs d’entrer en repentance ? Faut-il exiger des Italiens qu’ils fassent leur mea-culpa ? Faut-il pousser le monde arabe à battre lui aussi sa coulpe ? Et l’Algérie indépendante qui nous reproche si vivement de l’avoir conquise, colonisée, dépouillée culturellement, qui attend de nous une demande de pardon, n’est-elle pas devenue à son tour, puissance coloniale ? Son pouvoir politique s’étend sur une terre qui n’est algérienne que depuis que la France l’a rattachée en 1956 à ce qui était encore nos départements algériens : le Sahara. Jamais dans l’histoire, le Sahara n’avait appartenu à un quelconque pouvoir algérien antérieur à notre conquête du Maghreb. En toute bonne foi politique, en 1962, l’Algérie aurait dû, dans le même temps qu’elle accédait à l’indépendance, reconnaître l’indépendance des terres et des hommes du Sahara. Que ne l’a-t-elle fait ? Et là, détail qui a son importance, ce n’est plus du passé, c’est du … présent ! Comme est du présent le soutien que le gouvernement d’Alger accorde au Front Polisario en lutte pour l’indépendance de sa terre face au pouvoir marocain. Deux poids, deux mesures ! Mais il est vrai que le pétrole a des vertus sélectives et amnésiques !

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Mais revenons à notre Histoire et poussons l’analyse de l’exigence de repentance jusqu’à l’absurde (si ce n’est déjà fait !). Il y a, dans notre long et complexe passé national, bien d’autres épisodes ou moments sur lesquels il faudrait, en permanence, porter un regard douloureux et entretenir un sentiment de culpabilité. Le livre de l’Histoire de France n’est pas un livre d’images toutes saintes et édifiantes.

Au XIIIe siècle, la croisade de Simon de Montfort sème, au nom du Roi et de l’Église, la terreur dans le monde cathare. Le Languedoc en porte encore le souvenir. Au XVIe siècle, la France est ravagée par les guerres de religion au cours desquelles catholiques et protestants se sont étripés de la plus belle manière. Les sentiments nés alors et ravivés par la politique de Louis XIV ne sont pas encore totalement dissipés. Demandez aux Camisards des Cévennes ce qu’ils en pensent ! 1793, 1794, La Révolution, notre grande Révolution, envoie à l’échafaud des milliers d’innocents et les Vendéens ne sont pas prêts d’oublier les massacres dont ils ont fait l’objet. 1871, la Commune de Paris et les Versaillais n’hésitent pas à se fusiller, drame de l’intolérance idéologique, Droite contre Gauche : le Mur des Fédérés à Paris en porte encore témoignage. La 2e Guerre Mondiale n’a pas épargné à la France sont lot de pages noires oh combien douloureuses : les méfaits de Vichy et de sa politique de collaboration, de répression au service du totalitarisme nazi, la Libération et ses excès pas toujours excusables. Enfin, dernier drame de notre histoire contemporaine dont les plaies sont encore à vif, la Guerre d’Algérie qui a été marquée de bien des vicissitudes propres aux guerres civiles, aggravées de toutes les violences générées par les dogmes de la guerre révolutionnaire : la terreur au service de l’idéologie et de ses objectifs avec, comme toujours, son cortège de victimes innocentes !

Faut-il à l’égard de tous ces faits d’un passé plus ou moins lointain exiger une attitude de repentance générale et perpétuelle ? Faut-il exiger de notre Nation présente d’être repentante de son passé alors qu’elle n’en est que le fruit et non l’acteur. Certainement pas. Mais il importe de préciser ce que signifie ce refus !

Refuser la repentance ne signifie nullement une volonté d’amnésie, ne signifie nullement encore le refus d’un retour sur le passé des hommes et des faits, ne signifie nullement enfin le rejet de leur analyse critique. Refuser la repentance c’est avant tout rejeter l’esprit de confusion entre les époques, les pratiques, les morales. Refuser la repentance c’est reconnaître affirmer que le passé ne peut, en aucun cas ; être, sans précautions intellectuelles, comparable et comparé au présent. Il ne conviendrait, en effet, à aucun esprit sensé et cultivé de considérer comme semblables, dans leurs façons de penser et de faire, toutes les sociétés quels qu’aient été leur âge et leur géographie. Cela reviendrait à affirmer, pour ces sociétés une impossibilité définitive d’évolution.

Mais il est également vrai et impératif que le passé, quel que soit son visage ne doit en aucun cas être occulté. L’honnêteté et l’objectivité intellectuelles en font une exigence fondamentale.

L’humanité présente, notre humanité doit avoir bien conscience des drames humains générés pendant des siècles, par la violence des conquêtes, par la pratique de traite, par l’usage de l’esclavage, par le recours à la guerre. Mais peut-on exiger de la Nation Française, au XXIe siècle, qu’elle passe, pour des faits dont elle ne porte aucune responsabilité, de l’état de conscience à l’état de repentance ? La réponse est Non ! La Nation Française n’a pas vocation à s’abîmer dans un misérabilisme stérile dénué de sens, d’intérêt, la Nation Française n’a pas vocation à accepter d’être considérée comme victime expiatoire, otage perpétuel de son passé. Ce passé, au contraire, elle l’assume, non pour s’abaisser, mais pour en permanence mieux se connaître et se comprendre.

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Enfin, il est une dernière raison qui pousse à ce refus déterminé de la repentance : c’est le danger de division de notre Histoire, lui-même porteur d’un autre danger de division, plus grave encore, le danger de division de la Nation.

Entrer dans le jeu de la repentance, c’est, en effet, accepter que l’Histoire de notre nation se communautarise. Il n’y aurait plus une Histoire de France mais des histoires de France et pire encore, l’histoire des uns contre l’histoire des autres. Dans le premier cas notre passé ne serait plus qu’un vaste supermarché encombré d’hommes et d’évènements où il suffirait de se servir selon les goûts, les humeurs, les appétits, les idéologies en cours. Dans le deuxième cas, le danger serait grand de la permanence d’affrontements qui ne pourraient que nuire à l’unité, à la solidarité de la Nation et aboutir à sa désagrégation. Là résident, on peut le penser et le redouter, les arrières-pensées de cette campagne qui pousse la Nation à s’engager dans les voies de la repentance.

Notre Histoire est Une et Indivisible, faite de pages nobles et de pages qui le sont moins, de pages glorieuses et de pages qui le sont moins, à l’image de l’histoire de toutes les sociétés. Elle est, par conséquent, à prendre comme telle, ou alors à laisser. Nul n’est obligé d’adopter la France, mais adopter la France, c’est adopter son Histoire et s’engager à ne pas chercher à la dépecer. Qui aime la France, aime et respecte son Histoire. Renoncer à cette exigence, c’est s’exclure de la Communauté qui est la Nôtre. Lucidité et courage à l’égard de la mémoire de notre Passé, Oui ! Contrition et flagellation, certainement Non !

* * *

Nous sommes des héritiers du passé, mais nous ne sommes pas comptables de son contenu. Nous ne sommes comptables que de nos actes qui marquent le Présent et engagent l’Avenir. Et l’Avenir, s’il repose sur la nécessaire Connaissance, ne s’établit pas dans l’abandon à la Repentance.

Serge CATTET

Président de la commission "Civisme et Mémoire" U.D.C - AF.N et Autres Conflits de Haute-Savoie


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