On pourra toujours s’interroger sur
- l’opportunité de poursuivre dans la voie de l’Algérie française à laquelle certains rêvaient,
- sur le choix des interlocuteurs : les combattants de l’intérieur ou les hommes de l’appareil FLN. C’est l’affaire Si Salah.
- Ou sur le non-respect des termes du document signé à Evian.
S’il n’en a pas été ainsi, il y a des explications : la vie démocratique résulte d’une longue marche. La France depuis la Révolution a mis près de deux siecles pour y parvenir. En Algérie, à l’époque, le jeu démocratique ne concernait que les Européens. Les obstacles d’alors sont les fruits empoisonnés d’erreurs accumulées au cours de longues décennies par les différents régimes qui ont dirigé notre pays.
La chute du Second Empire après Sedan allait sonner le glas de la politique voulue par Napoléon III qui rêvait de mettre en place un royaume arabe.
Pendant cette période déjà, l’Algérie placée sous l’autorité militaire, devient peu à peu l’enjeu d’une rivalité entre militaires et le lobby algérois.
À la cour impériale, cette période est marquée par l’influence des St Simoniens et parmi eux, Ismaïl Urbain, qui s’était converti à l’Islam. À partir de 1860, Napoléon III, après avoir effectué un long voyage en Algérie, va se faire le chantre d’une "Nation arabe ".
Il va même oser affirmer : "Il faut cantonner les Européens et non les indigènes », ce qui ne fait qu’accroître la méfiance de la population européenne envers les bureaux arabes, symbole de sa politique.
Les désastres militaires des armées impériales causèrent l’effondrement de l’Empire et l’arrivée d’une république à l’écoute des lobbies d’Alger.
Très rapidement, la délégation de Tours, représentant le gouvernement en exil, publie plusieurs décrets inspirés par Adolphe Crémieux, un des rouages du lobby algérois, relatifs à l’Algérie. Ils sont datés du 24 octobre 1870 :
- Le premier, très important, modifiait le statut de l’Algérie. Il supprimait le gouverneur général de l’Algérie, et créait à Alger un gouverneur général civil des trois départements de l’Algérie et un commandant supérieur des forces armées des trois départements.
- Le deuxième décret modifiait l’organisation judiciaire.
- Le troisième, plus connu, dit "décret Crémieux", faisaient des Israélites des citoyens français.
La vraie rupture avec les indigènes date de cette époque, car l’armée était près de la population indigène et la comprenait. La prise de pouvoir par l’autorité civile sous l’influence du lobby était ce que redoutait le plus celui qui allait prendre la tête de la révolte, le Pachaga Mokrani. « Je me bats, disait Mokrani, contre les civils, non contre la France ni pour la guerre sainte. »
Finalement, Mokrani passe le pas et conduit la révolte non sans avoir écrit préalablement au général Augeraud et au Capitaine Olivier pour leur redire qu’il n’obéira pas aux civils. Allié au vieux cheikh El Haddad, le mouvement soulève 250 tribus (800 000 insurgés avec 200 000 combattants), près du tiers de la population algérienne. L’armée est appelée à la rescousse. La révolte ne se termine que le 20 janvier 1872 par l’arrestation de Bou-Mezrag. Entre temps Mokrani sera tué le 5 mai 1871. La répression est très sévère et suivie de mesures d’internements et de déportations en Nouvelle-Calédonie (on parle des « Kabyles du Pacifique »), mais aussi par d’importantes confiscations de terres.
L’ordre est restauré. Les tribus sont désarmées. La cause de l’aristocratie indigène est à jamais perdue. En 1872, après la saisie de leurs terres - 611000 hectares – au profit des colons, les membres de 33 tribus passent du statut de propriétaires terriens à celui de prolétaires. Karl Marx écrivait à propos de cette catégorie sociale : « Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont le monde à gagner. »
Quelques années plus tard allait être mis en place un système sournois mais efficace : le code de l’indigénat applicable aux Arabo-Berbères. L’Algérie sera de fait organisée en deux ordres :
• le premier ordre concerne les Européens et les juifs qui sont citoyens français et soumis aux lois de la République,
• le second ordre concerne les Berbères et les Arabes, c’est-à-dire les musulmans qui sont des sujets français. Ils sont soumis au droit coutumier local, au droit coranique et parallèlement aux mesures particulières de l’indigénat édictées par la France, comportant des sanctions particulières. Après l’insurrection de 1871 ces sanctions seront aggravées ; elles pourront aller du séquestre des biens au bannissement.
Cette situation ne pourra que créer un sentiment de frustration chez les élites musulmanes que nous avions formées et qui seront éloignées des postes à responsabilité dans l’administration ou de la représentation politique.
La responsabilité de cette politique absurde que voulait combattre Napoléon III en créant le royaume arabe incombe au lobby algérois déjà à l’œuvre en 1848, puis sous Napoléon III . Son rôle ira croissant sous la III° République.
Pour avoir une idée du réseau colonial qui avait de multiples formes voir l’article le "parti colonial" Réseaux politiques et milieux d’affaires : les cas d’Eugène Étienne et d’Auguste d’Arenberg par Julie d’ANDURAIN. http://etudescoloniales.canalblog.c...
Qui est le lobby algérois qui fera le malheur de l’Algérie, de la population européenne d’Algérie, des musulmans qui avaient fait confiance à la France, d’une génération appelée à faire une guerre dont la cause la dépassait ?
Selon Bernard Droz qui fut maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris., rédacteur en chef de la revue Outre-mer dont les recherches portent principalement sur les décolonisations.
« Ce lobby colonial est composé d’hommes politiques, d’élus locaux, de représentants du grand colonat ou d’un certain capitalisme algérien, de représentants de la presse. Il existe de longue date et a de longues traditions d’interventions dans les coulisses des assemblées, des ministères et des bureaux où il dicte sa loi et les orientations conservatrices de la République à l’égard de l’Algérie.
Ce lobby était suffisamment puissant pour différer toute réforme et orienter à sa guise la politique algérienne du gouvernement. Ce lobby pendant la guerre d’Algérie sera à deux reprises, à l’origine de l’échec de tentatives sérieuses de négociation avec le FLN :
Une première fois le 6 février 1956, lorsque Guy Mollet, qui vient d’être nommé à la tête du nouveau Gouvernement, se rend à Alger, bien décidé à entamer des négociations avec les rebelles. Il est accueilli par une foule pied-noir qui le bombarde de tomates.
Cet accueil conduit Guy Mollet à prendre conscience sur le terrain des méthodes employées par les rebelles qui cherchent à créer une situation de non-retour (la valise ou le cercueil) même vis a vis de la population musulmanne suspectée à tort ou à raison de sympathie envers la France . C’est le massacres de masse comme celui d’Oued Amizour le 10 janvier 1956, (la nuit rouge de la Soummam) qui pourra expliquer une foiqs qu’il sera connu le vote des députés donnant les pleins pouvoirs pour lutter contre le terrorisme. Guy Mollet présente par la suite un rapport aux députés et décrit l’action des rebelles en ces termes : « [...] L’action des rebelles se développe principalement sur le plan politique où ils exploitent les thèmes élémentaires et à résonance profonde du nationalisme et de l’émancipation des peuples arabes [...] et psychologique à base de mesures brutales et voyantes : embuscades et massacres d’Européens isolés qui tendent à ruiner la croyance en la force française, exécutions quasi rituelles et sanctions barbares qui font peser sur la population musulmane une terreur qui la contraint à devenir souvent complice… »
Une deuxième fois en organisant les manifestations du 13 mai provoquées par le programme de Pflimlin, qui venait d’être pressenti comme président du Conseil : il voulait négocier avec le FLN via les bons offices de la Tunisie et du Maroc.
C’est dans ce climat explosif que le 13 mai 1958, à Alger, une manifestation patriotique de masse frôle l’émeute avant de se sublimer de façon inattendue en l’appel à un sauveur, le général de Gaulle, et en un mouvement de fraternisation entre les communautés d’origine algérienne et européenne.
Quelques jours plus tard, le 4 juin 1958, devant une foule immense composée de Musulmans et d’Européens réunis au forum, le général de Gaulle lance le fameux « Je vous ai compris…. », source de bien des ambiguïtés.
Mais ceux qui rêvent encore d’une Algérie qui bientôt ne sera plus, se souviennent-ils de la suite du discours ? « Eh bien ! De tout cela je prends acte au nom de la France ! et je déclare qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants. Il n’y a que des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas. Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité à tous ceux à qui on a la contestait. Cela signifie qu’il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une…. »
Quelle patrie fallait-il donner aux Algériens ? Dans un contexte révolutionnaire où s’affrontent les conservatismes, les idéologies, le vent de l’émancipation des peuples, le Général de Gaulle avait-il d’autres choix que celui de la négociation et de l’autodétermination ?
L’aveuglement et l’égoïsme du lobby et les certitudes politiques de certains officiers conduiront au putsch, à la création de l’OAS qui accompagnera le désespoir d’une population européenne prise en otage, au drame de la rue d’Isly….
C’est pendant cette période où le pouvoir doit faire face à la montée de la contestation dans les rangs de l’armée, qu’ont lieu les négociations avec le FLN. Deux mois avant le Putsch, le général de Gaulle définit le cadre de leur mission aux deux émissaires de l’Élysée chargés de prendre contact avec des représentants du FLN. : Georges Pompidou et Bruno de Leusse.
Bruno de Leusse décédé le 2 juillet 2009 , avait donné son témoignage sur les conditions qui ont entouré les négociation à Evian. Voir La Tourmente 1930-1964. La France en Afrique du Nord. (Aperçu du contenu) LES NÉGOCIATIONS D’EVIAN VUES PAR UN DE LEURS ACTEURS, Bruno de Leusse.
Bruno de Leusse négociateur à Evian a fait allusion à ce document dans l’interview donné à TF1 le 18/03/1982 à l’occasion des 20 ans du cessez-le-feu en Algérie et des accords d’Evian qui l’entérinaient. http://boutique.ina.fr/video/histoi...
Comme l’anniversaire du 19 mars soulève chaque année des souvenirs douloureux pour ceux qui ont été les victimes du chaos qui a caractérisé la mise en œuvre de ce document, il n’est pas inintéressant de lire l’interview récent donné à El Watan par Mohamed Harbi. Historien « Le pari des Accords d’Evian n’a pas été tenu ». http://www.elwatan.com/Le-pari-des-...