Comme son grand-père Emile, il y a près de 60 ans, Bernard est décédé le dimanche des Rameaux. La fête qui commémore les derniers jours du Christ avant sa passion. L’évocation en est faite par le témoignage de l’évangéliste du jour, St Luc. Dans son récit, celui-ci, relate les violences subies par Jésus dans un environnement qui lui est hostile. Les atrocités d’alors, bien que remontant à 2000 ans, ne sont pas si éloignées de celles pratiquées encore actuellement dans certaines parties du monde.
Après avoir été acclamé par la foule des petites gens, le Christ porteur d’un message nouveau d’amour entre les hommes, avait osé braver les intégristes religieux au cœur sec qui faisaient lapider les femmes adultères. Ces gardiens du temple tenaient leurs dogmes et leurs rites pour essentiel. Cela leur permettait de maintenir leur emprise sociale et de contrôler les esprits.
En diffusant une religion de l’amour des autres éclairée par Dieu, le Christ allait à contre-courant des prêches des ayatollahs de l’époque. Ce fut sa perte.
Après avoir manipulé la foule, le conseil des anciens, grands prêtres et scribes dont il avait dénoncé en permanence l’hypocrisie, le conduit devant Pilate, le représentant de l’autorité occupante romaine. Ce dernier, bien que convaincu de l’innocence de Jésus, le laisse condamner à mort. La mort du Christ en Croix scellera le fondement d’une religion nouvelle se réclamant des messages porteurs de l’Evangile.
Le corps de Bernard est aujourd’hui recouvert du drapeau bleu blanc rouge. C’est la marque de la reconnaissance de notre pays pour les combats menés au nom de la France par Bernard. Les conditions de ceux-ci méritent d’être évoquées. En effet, les messages de l’Evangile ne sont pas totalement absents de la campagne de Bernard en Algérie.
Pendant son séjour de l’autre côté de la Méditerranée, Bernard a été sous les ordres d’un capitaine, curé de son état, contraint d’abandonner sa paroisse pour répondre à l’ordre de rappel sous les drapeaux. Ce prêtre ne s’est pas dérobé à la décision du Gouvernement à qui l’Assemblée nationale avait accordé des pouvoirs spéciaux.
La tâche de ce capitaine de réserve relevait de la mission impossible : il devait commander des hommes qui ne voulaient pas faire la guerre. De surcroît, certains d’entre eux étaient anticléricaux.
Cet officier-prêtre fit son devoir et resta lui-même. La semaine, il était en opération avec ses hommes, le dimanche, s’il le pouvait, il troquait ses galons pour la chasuble et célébrait la messe. Bernard y assistait en compagnie de certains de ses camarades de batterie. Cet homme d’exception, à l’aura naturelle, qui demandait au Seigneur de protéger la vie de ses soldats, fut exaucé : lors du retour de la batterie en France, aucun artilleur ne manquait à l’appel.
Le destin hors commun de ce prêtre soldat à la stature humaine lumineuse, vivant l’Évangile sous l’uniforme pendant son engagement dans la tourmente algérienne, a sans nul doute influencé la personnalité et le parcours de Bernard.
Suivant l’exemple de son capitaine, Bernard ne se dérobera pas : il prendra des responsabilités pas toujours faciles à assumer.
Sur le plan professionnel, il exercera des fonctions d’encadrement tout en défendant sur le plan syndical une certaine conception de la dignité de l’homme au travail. Sur le plan local, dans ses fonctions d’élu, il cherchera à concilier l’intérêt général de la commune et les intérêts légitimes des st gervolains.
À notre tour dans un monde devenu difficile, où les repères s’évanouissent, où l’intégrisme sous bien des formes fait de nouveau son apparition, rappelons-nous la vie exemplaire de Bernard au service des autres et son modèle, ce prêtre-soldat. Celui-ci puisait sa force dans l’Évangile dont le message est universel : Dieu en prenant la nature humaine a fait des hommes une grande famille.
Une figure de St Gervais nous a quittés
Le mercredi 31 mars, l’église était comble pour dire un dernier à Dieu à Bernard GRANDJACQUES, une figure locale.
Natif de St Gervais, père de quatre enfants, ancien d’AFN, Bernard est décédé le 28 mars à l’hôpital de Sallanches. Il allait avoir 78 ans. Bernard avait fait carrière à la SERS, usine de Chedde et parallèlement, avait été conseiller municipal de 1971 à 1983, adjoint au maire en charge des travaux de 1983 à 1995.
- Bernard GRANDJACQUES en 2008.
Connu pour son franc-parler parfois direct, Bernard était apprécié pour le sérieux du suivi des dossiers dont il avait la charge. Déjà malade alors qu’il était encore en activité, depuis quelques années, il suivait deux fois par semaine un traitement par dialyse et avait été hospitalisé le 4 janvier.
Lors de la cérémonie d’au revoir, la lecture de la lettre de son petit fils Pierre Louis, a été un grand moment d’émotion pour l’assistance.
« Je t’écris cette lettre pour que tu puisses la lire à ton réveil. Lorsque l’on m’a appris que tu allais être opéré, je n’ai pas pris conscience de l’ampleur de l’opération. Mais lorsque Maman m’a annoncé, après être allée à ton chevet, que l’opération avait duré dix heures et que tu étais plongé dans un coma artificiel, j’ai enfin pris conscience de la gravité de la situation et cela m’a bouleversé.
Je sais qu’il t’arrive d’avoir mauvais caractère, mais pour moi, ce n’est qu’une façade pour cacher ta générosité. Tu as vécu bien des choses dans ta vie et je comprends qu’il t’arrive de ronchonner.
Tu es pour moi un formidable grand-père, j’aimerais arriver à avoir ton courage et ta détermination, car je ne t’ai jamais vu baisser les bras, et même lorsque la maladie t’a frappé tu n’as fait que redoubler d’efforts pour la surmonter. Tu es pour moi un modèle de volonté et de persévérance ».
Oui Bernard, tes proches, ceux qui t’ont côtoyé que ce soit au travail, à la mairie sont bien d’accord avec ton petit fils. À Dieu Bernard.
Chap.1 - Bernard et les rappelés artilleurs (1956) Extrait du livre page 57 , 58, 59.
« Après avoir effectué 18 mois de service militaire d’octobre 1952 à avril 1954, je viens de me marier et ma femme attend notre premier enfant. Alors que je travaille à l’usine de Chedde, je reçois ma convocation début mai 1956 : je dois rejoindre Montélimar. Comme mes camarades du coin dans la même situation, je ne me presse pas pour partir.
- Bernard en 1956
Finalement, après différentes relances par la gendarmerie, nous nous regroupons et partons en chemin de fer. À Grenoble où nous devons changer de train, nous nous joignons aux manifestants qui bloquent les voies. Finalement, les C.R.S. nous embarquent de force dans le train.
Après ces péripéties, je rejoins ma future unité à Montélimar où vont être constituées deux batteries d’artillerie composées de réservistes. Nous n’avons aucun professionnel de l’armée pour nous encadrer et la batterie dans laquelle je suis affecté est commandée par un capitaine, dans le civil, curé à Montbrison (petite ville près de Saint Etienne).
- Une partie de la batterie autour du capitaine qui célèbre la messe.
Après avoir embarqué à Marseille, nos deux batteries débarquent à Bône. Dans ce port, nous chargeons nos véhicules sur le train, et de là, par chemin de fer, nous gagnons Constantine. Nous y restons une journée avant de repartir, toujours en train, pour Bordj Bou Arréridj. Nous y séjournons quatre jours, le temps de faire une première opération. Ensuite nos deux batteries se séparent. La mienne gagne, toujours par le train, Sidi Moussa, petite bourgade agricole à 20 km au sud d’Alger.
Mes camarades artilleurs et moi sommes affectés dans un premier temps à la protection de la ferme d’un colon produisant des agrumes. Un peu plus tard, nous irons protéger la ferme d’un autre colon au Rocher Noir, petite bourgade en bord de mer, à 50 kilomètres à l’est d’Alger. Cette ville aujourd’hui Boumerdes, deviendra en 1962 le siège du Gouvernement provisoire. Ce colon veut bien de nous mais ne nous donne pas d’eau. Nous nous branchons directement sur la conduite de son château d’eau, ce qui nous vaut de partir, dès le lendemain, à une centaine de kilomètres de là dans le secteur de Bouira.
Nous rejoignons cette région, fin juillet 1956, de nuit, en convoi, en suivant la nationale 8 qui emprunte le Col des Deux Bassins. Nous nous installons dans différentes villes : Tablat, Bir-Rabalou à proximité de Aïn Bessem, pays où Ferhat Abbas avait, je crois, une pharmacie, Beni Slimane, Souk El Arba.
- preemier atterissage sur l’aérodrome tout neuf de Bir-Rabalou
Nous sommes voisins dans ce secteur du 9e R.I.C. constitué lui aussi de rappelés, originaires de la région parisienne. Cette unité qui est chargée alors de la protection de la voie ferrée et de la route Alger - Constantine, a établi le P.C. de son Bataillon à Beni Amrad, dans les gorges du même nom, au nord de Palestro. Une de leurs sections est tombée dans l’embuscade sanglante du 18 mai 1956, lors d’une mission de reconnaissance, à quelques kilomètres des gorges. Ce furent les premiers rappelés à tomber et ce drame fit grand bruit en France à cause des atrocités qui accompagnèrent leur mort.
Leur section composée de vingt et un « marsouins », dont quinze pères de famille, était commandée par le sous-lieutenant Artur et crapahutait dans un massif tourmenté. Elle cherchait à gagner le Col d’Ouled Djera et venait de faire halte dans le village du Douar Amal quand elle est tombée dans une embuscade montée par les hommes du commando F.L.N. Khodja. Lors de l’engagement, cinq militaires furent faits prisonniers et seize hommes dont le sous-lieutenant succombèrent. Leurs corps furent retrouvés affreusement mutilés. Une opération menée par le 1er R.E.P. et le 20e B.P.C. permit de neutraliser une partie de la bande rebelle qui s’était réfugiée dans des grottes et de libérer un des deux prisonniers détenus. Un autre prisonnier trouva la mort pendant l’engagement, trois autres furent portés disparus et ne furent jamais retrouvés.
- Scènes d’opérations.
Notre batterie participera à toutes les opérations du secteur ainsi qu’à une opération de deux jours dans les Gorges de la Chiffa entre Blida et Médea. Il nous est arrivé aussi de monter la garde pour protéger des puits de pétrole situés au nord-ouest de Sidi Aissa. Un mois avant mon retour en novembre 1956, comme il y avait pénurie de
- Bernard et ses camarades de batterie
main d’oeuvre dans les mines, les mineurs de fonds furent libérés par anticipation. À ce titre, dans une unité voisine, huit rappelés avaient pris place dans un convoi à destination d’Alger pour regagner la France. Le convoi tomba dans une embuscade qui fit une vingtaine de morts.
Les rappelés mariés dont je faisais partie, furent libérés un peu plus tôt que les célibataires. C’est ainsi que je suis rentré en France, fin décembre 1956, avant mes camarades, peu de temps avant la naissance de ma fille qui est née le 8 janvier 1957.
Aucun de mes camarades de batterie ne manquera à l’appel.