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Les chasseurs de l’Akfadou. Kabylie 1955-1962

dimanche 13 novembre 2011, par Roger ENRIA

« Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts ».

Isaac Newton.

Pourquoi en 2011, une édition numérique du livre de Roger Enria « Les Chasseurs de l’Akfadou » ?

L’histoire des hommes est un perpétuel recommencement.

La marche des pays vers la démocratie est une route longue, bien souvent tachée par le sang des insurgés s’opposant à l’ordre établi. La France, depuis la Révolution française, en a fait la cruelle expérience.

Pour lire la suite de cet avant propos, consulter " Les messagers de l’Akfadou ". Rédigé par Claude, ce document est destiné aux anciens combattants algériens. cf http://miages-djebels.org/spip.php?...


Pour des raisons techniques, le livre est présenté au format pdf en deux parties .

Pour lire Les chasseurs de l’Akfadou Kabylie 1955-1962 cliquer sur les vignettes ci-dessous.

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Les chasseurs de l’Akfadou. Kabylie 1955-1962 par Roger Enria
1ère partie
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Les chasseurs de l’Akfadou. Kabylie 1955-1962 par Roger Enria
2ème partie

Extraits du livre les chasseurs de l’Akfadou Kabylie 1955-1962 de Roger Enria.

CHAPITRE 1- 1954 - LA TOUSSAINT SANGLANTE ET SES CONSEQUENSES

Choses et gens de Kabylie

Depuis le costume jusqu’à la manière de se congratuler, il n’est pas un fait ou un geste qui ne nous étonne chez nos voisins kabyles, le nouveau venu est tout à fait déconcerté. Puis avec les mois, sa curiosité faiblit et bientôt, rien ne le frappe plus, l’accoutumance est ici néfaste. Si nous savons être attentifs, ce contact très rapproché avec une civilisation si différente de la nôtre peut nous fournir l’occasion unique de confronter deux mondes aux antipodes l’un de l’autre.

Ainsi, pour nous, la valeur qui fonde les lois et les institutions s’appelle individu ou personne. Chez les Kabyles ou contraire, la cellule familiale, le clan, sont à la base de la vie sociale. Il n’existe pas dans la langue d’expressions traduisant "un par un" ou "quelques uns". Ce qui compte, c’est l’entité sociale : la famille, le clan, le village, la tribu.

Comme dans toute société primitive, il n’y a pas de loi édictant que le vol, le mensonge, l’assassinat ou les exactions sont répréhensibles. Ces actes sont neutres et ils ne prennent une connotation morale que dans la mesure où ils s’appliquent aux intérêts de la communauté : s’il est condamnable de voler un hôte qui a reçu l’hospitalité du village, il est normal de détrousser un voyageur. Comme ils le disent eux-mêmes, les jeunes gens deviennent facilement " des hommes de la nuit ", des voleurs qui restent impunis tant que leurs activités s’exercent au détriment des villages et des clans adverses. L’organisation du village s’appuie sur les anciens et les castes professionnelles qui se transmettent héréditairement leur savoir : l’art du fer restera l’apanage des forgerons et aucun autre enfant ne pourra apprendre ce métier.

La place de la femme découle tout naturellement de ces principes. On dira symboliquement que ne pouvant labourer, elle ne pourra pas être propriétaire foncier et n’aura pas le droit d’hériter de ses ascendants. Cependant, on lui reconnaît à vie le droit d’existence dans les maisons de ses frères. De même, au moment de son mariage, la jeune fille kabyle emporte en bijoux d’argent et en étoffes plus de richesses que n’en recevront ses frères en parcelles de terrain. Ainsi les femmes kabyles ont-elles " leur place, une place de choix, à laquelle elles ont la sagesse de se tenir ".

Il n’en demeure pas moins que le groupe humain le plus respecté est celui des chefs de famille, surtout lorsqu’ils ont de nombreux fils. Ce désir de laisser une descendance mâle nombreuse favorise la natalité et rend nécessaire l’émigration des jeunes gens et des hommes. Même aujourd’hui, la notoriété d’une famille se calcule, comme le veut un proverbe, d’après " le nombre de fusils qu’elle peut mettre aux fenêtres.".

Les premiers actes de terrorisme généralisé ont été déclenchés en Algérie au 1er novembre 1954. La simultanéité des actes faisait apparaître que l’on se trouvait en présence d’un mouvement concerté étendu à l’ensemble du territoire algérien, sans possibilité de pouvoir en fixer exactement l’ampleur. Au matin du 1er novembre, on croyait à une véritable insurrection en Grande Kabylie alors que l’action terroriste consistait en divers sabotages de lignes téléphoniques, d’ouvrages d’art, routiers et ferroviaires et de grosses entreprises privées, alors que des gendarmeries, établissements militaires et quelques fermes isolées étaient assaillis. Les terroristes n’ont pas obtenu les résultats escomptés, par contre ils ont dévoilé les grandes lignes de leur organisation permettant l’arrestation de nombreux hommes de main.


CHANTRE 2 1955 ORGUEILLEUSE KABYLIE. 1955

Economie Kabyle

L’économie kabyle est essentiellement agricole ; son étude présente un intérêt certain quant aux méthodes de production et aux traditions saisonnières des paysans kabyles. Pour labourer, le paysan utilise une charrue rustique dont le soc en bois n’est pas toujours ferré. Les sillons peu profonds ne font qu’érafler la terre selon un tracé sinueux qui contourne les obstacles, souches ou grosses pierres que personne ne songe à ôter. Au temps des semailles, le geste du kabyle est beaucoup plus étriqué que celui du semeur en Beauce ou en Savoie.

Au printemps, les champs et les forêts offrent au regard une éclosion multicolore qui fait oublier la longue période hivernale où les torrents de boue le disputent à la neige collante des djebels, les moissons sont maintenant terminées. Après le battage, la paille est montée en meules maintenues contre le vent par des cordelettes d’alpha tressées, le grain est séparé de la tige en foulant les épis aux pieds des femmes comme cela se pratique à Iffigha, mais surtout aux sabots des boeufs qui tournent inlassablement en rond pendant des heures tandis que les hommes remuent les gerbes à la fourche.

Puis voici les fenaisons, l’herbe est coupée à la faucille plus souvent qu’à la faux. C’est aussi le temps des récoltes, notamment celle des olives. Ici, les arbres ne sont pas taillés bas comme dans les oliveraies du Midi ; de surcroît, on ne pratique pas le gaulage, la cueillette s’effectue en grimpant dans les branches. Cette tâche est réservée aux femmes. Elles offrent alors le spectacle charmant de leurs robes aux couleurs vives tranchant sur l’argenture du feuillage. Ailleurs, c’est la récolte des figues, le Kabyle juge la maturation du fruit à la goutte de suc qui sourd du gros pore terminal. Travaillant une terre avare de ses dons, sans cesse laminée par les pluies torrentielles de l’hiver, le Kabyle ne parvient que rarement à l’autosuffisance. À cela plusieurs causes : des méthodes d’exploitation d’un autre temps, un mauvais entretien des surfaces agraires et surtout, un cadastre beaucoup trop parcellaire qui réduit le rendement des exploitations aux deux tiers de celles des Européens, lui-même inférieur aux taux métropolitains. Mais alors, comment se nourrissent les Kabyles ? À la vérité, très mal. Pénétrons dans le gourbi d’un paysan et tentons de recenser ses provisions. La première chose que l’on voit, ce sont les ikoufans, ces grandes jarres cylindriques ou à sections carrées, généralement calées sur la soupente qui sert d’étable. lls contiennent le blé et l’orge qui fourniront galettes et couscous. On trouve également la réserve d’huile et des figues séchées : une famille de six personnes en consomme environ deux à trois quintaux par an.

On a calculé que cette même famille vivant dans la région de Tizi-Ouzou, exploite en moyenne deux ou trois hectares de terre se reparaissant de la manière suivante : un hectare est réservé à l’olivier, un demi-hectare est consacré au figuier, le terrain restant est divisé en carrés de blé, de pommes de terre, de légumes secs et de légumes verts, le potager et la petite basse-cour de la maison sont la propriété de la femme. Celle-ci ne limite pas ses activités à ces travaux. Elle fabrique des poteries, fait de la vannerie, tisse des couvertures et certains vêtements comme les djellabas et les burnous.

Cela permet quelques économies surtout si la laine provient des bêtes de la ferme. Ces travaux correspondent à un revenu annuel de 50000 francs (1955), que les produits soient vendus ou utilisés pour la consommation interne de la famille.

Une bonne récolte d’olives rapporte entre deux et trois cents litres d’huile, tous les deux ans, lorsque l’olivier donne vingt-cinq kilos de fruits traités mécaniquement par la suite, le rendement d’un bon figuier est de l’ordre de quinze kilos par an, le demi-hectare qui leur est consacré rapportant entre trois cents et cinq cents kilos par récolte.

Mais, des revenus bruts constitués par le commerce de leur production, les Kabyles doivent soustraire les frais occasionnés par le broyage des olives, la transformation des céréales et l’entretien des animaux, les paysans sont également soumis à l’impôt : là une route qui mène aux mechtas, ici une fontaine dont l’eau est captée plus loin dans la montagne, parfois l’installation de l’électricité ou d’un poste téléphonique selon l’importance du village. En fait, les Kabyles vivotent au seuil de la pauvreté, bien souvent à la limite du dénuement. Toutefois, ils ne connaissent plus la famine ni la mendicité communes à beaucoup de pays musulmans.

L’accroissement de la natalité posera de sérieux problèmes dans l’avenir. Pour l’instant, deux procédés pour tenter d’élever le niveau de vie des Kabyles sont mis en oeuvre, l’un est l’apanage des dextérités sous toutes les latitudes : l’émigration ; l’autre ressort de l’action de l’état : l’aide agricole par l’intermédiaire du SAR (Secteur d’Amélioration Rurale).

Sitôt le bilan des actions engagées dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954 connues, Krim fait éclater les 4OO hommes qui tenaient le maquis de Ménerville à Yakouren et d’Azazga à la forêt des Beni-Mansour. Pour l’instant, malgré la destruction des dépôts de tabac et de liège d’Azazga, de Bordj-Menaïel, de Dra-El-Mizan ou de Camp du Maréchal, après l’échec des attaques de gendarmeries ou de casernes à Tighzirt et Azazga l’ALN est mort né et ses membres doivent se disperser dans les massifs inexpugnables du Tell…


CHAPITRE 3 - LES ALPINS EN KABYLIE. JUIN-DECEMBRE 1955.

Le douar Idjeur

Le douar Idjeur est né le 30 novembre 1956 et constitue une commune de l’arrondissement d’Azazga ; sa superficie est de 6736 hectares.

RENSEIGNEMENTS DEMOGRAPHIQUES

La commune se compose des villages de Aït-Aicha (942 hab.j - Bou-Aoun (592 hab.) - Tiffrit N’Ait Ou Malek (1900 hab.) - Mahagaa (1192 hab j - Igraïne (l 142 hab ). Soit un total de 4768 âmes, compte tenu de l’évacuation des bourgs d’Iril Bou Kiassa et d’Iguersafen.

Cette population compte 1634 hommes, 951 femmes et 2183 enfants des deux sexes, les hommes se répartissent de la manière suivante : 864 en France, 98 au maquis, 112 en Mitidja, 28 mobilisés, 114 recasés et 418 électeurs. Quant aux enfants, 522 d’entre eux ont de 1 à 5 ans, 911 de 5 à 15 ans et 75O de 15 à 21 ans.

La quasi-totalité des habitants de l’Idjeur est d’origine kabyle, les familles pauvres et de faible niveau social se regroupent dans des hameaux ou mechtas perchés à flanc de djebel et d’un accès difficile. Il existe quelques notables, mais 90% des Kabyles sont illettrés. Nous l’avons vu, environ un quart des hommes sont des électeurs régulièrement inscrits ; par contre, la totalité des femmes (951) est inscrite sur les listes électorales.

L’Idjeur est essentiellement agricole, toutes les familles en vivent ; les entreprises industrielles sont inconnues. Seuls subsistent un commerce d’intérêt local (5 petites épiceries-bazar-quincaillerie) et un artisanat adapté aux besoins de la communauté. En fait, les ressources proviennent surtout des travailleurs de métropole (environ 600 salaires) et des soldes des harkis ou moghaznis levés sur place (146 engagés).

L’HABITAT KABYILE

Les maisons des villages sont construites uniquement en pierres sèches et la charpente soutenant une couverture de tuiles fabriquées avec l’argile du djebel provient des forêts avoisinantes comme les bûches qui entretiendront le feu de l’âtre rudimentaire durant le rude hiver kabyle. Bien souvent on aperçoit ces mechtas au sommet dénudé d’un piton ou sur des crêtes balayées par le vent ; elles se fondent dans le paysage, écrasées par la grandeur sauvage de la montagne. Parfois, abandonnées lorsque la famille s’est éteinte ou a émigré en métropole, elles servent alors de refuge aux fellaghas. L’ensemble du territoire de la commune se situe à mille mètres d’altitude moyenne sur un terrain escarpé présentant de réelles difficultés topographiques.

LA MISE EN VALEUR DE L’IDJEUR

Juridiquement, le territoire de la commune est composé d’un domaine communal de 20 parcelles représentant 159 hectares dont 94 de forêts et de terrains privés exploités sur environ 400 hectares. Les 6000 autres hectares de la commune relèvent de la forêt, de la zone montagneuse impropre à la culture ou sont tout simplement à l’abandon.

N’ayant jamais profité des progrès de l’agriculture moderne, desservie par une terre pauvre et mal entretenue, la culture du blé, des olives ou des figues est d’un faible rendement. L’élevage déjà sujet à de grandes difficultés est de plus en plus déficient du fait des événements actuels : interdiction de faire paître les maigres troupeaux en dehors du périmètre de sécurité, difficultés de ravitaillement et de soins, renouvellement parcimonieux du cheptel, abattage des bêtes par les deux adversaires, vols du bétail par l’ALN...

L’INFRASTRUCTURE DU SECTEUR

Bien que sous-équipé, l’Idjeur comporte tout de même une infrastructure de première urgence. Chaque village comprend au minimum une fontaine, mais plusieurs copiages de sources, parfois lointaines, restent à réaliser. Le débit de ces fontaines publiques est très insuffisant et n’est pas garanti en période de sécheresse. Il n’existe aucune citerne, aucun château d’eau permettant de réguler l’approvisionnement en eau des communautés villageoises. Le plus gros des travaux hydrauliques est à venir.

L’Idjeur est relié au reste du monde par un réseau de pistes en si mauvais état qu’elles rebutent les meilleures volontés ; en hiver, transformées en torrents de boue, elles sont carrément impraticables et participent plus certainement à l’isolement du secteur qu’à ses communications.

Les routes sont à l’état de projets sans cesse renaissants au moment des élections. Une seule existe qui dessert la commune avec le pont du Marché entre Igraïne et Tiffrit. Hormis les groupes électrogènes de l’administration ou de l’armée, l’électricité est inconnue dans l’Idjeur. Il en va de même pour le téléphone.

Depuis le début de la rébellion, la scolarisation a régressé. Les écoles et les équipements scolaires ont été détruits et les enfants empêchés de se rendre à "l’école colonialiste". Les classes sont faites par des instituteurs militaires (SAS) dans des locaux privés ou appartenant à l’armée. Au plan santé, des infirmeries fonctionnent à la SAS d’Aït-Aïcha, à Mahagga et à Tiffrit N’Ait Ou Malek.

Les relations postales sont du domaine exclusif de la SAS. La vie sociale de la communauté kabyle tourne exclusivement autour de la djemmâa et du café maure, à l’exclusion de l’administration française dont la fréquentation est interdite par le FLN. Dans ce contexte, la tâche de la SAS est des plus ingrates qu’il soit.

Annecy 12 juin 1955 - Quartier Galbert. Les "bouteillons" concernant un le départ prochain en Afrique du Nord prennent de la consistance et une agitation inusitée règne dans le quartier. Les chasseurs du 27ème BCA sont sur le pied de guerre. On répète inlassablement, de jour comme de nuit, un exercice d’embarquement sur voie ferrée avec utilisation d’un quai en bout démontable. Le 23 juin, la reconstitution possible du bataillon en unité de combat adaptée à la guerre moderne est évoquée au "grand rapport" de la 27ème division alpine de réserve à Grenoble…


CHAPITRE 4. UN HIVER AU PAYS. JANVIER-AVRIL 1956.

Maisons

Nulle part autant qu’en Kabylie les maisons sont mieux assorties aux montagnes avec lesquelles elles forment un ensemble naturel, les pierres ont la teinte ocrée ou sableuse de la terre d’où elles sont extraites et qui les porte comme une mère fait de son enfant. Après une taille sommaire comme le tracé des chemins qui mènent aux villages, elles sont empilées selon des alignements qui respectent les accidents, les aspérités, les inclinaisons.

Et les toitures ! Dira-t-on jamais assez le charme des toits à tuiles creuses faites à la main et dont les rosés nuancés enchantent l’oeil. Ils ont chacun leur personnalité ces toits pourtant semblables : tous à double pente, maintenus par des pierres contre les facéties du vent. Mais bombés ou affaissés sur leur surface, à bordures arquées ou infléchies, ils font penser à ces vieux chapeaux familiers qui font reconnaître à distance l’homme qui les porte sans qu’il soit nécessaire de distinguer son visage.

Presque tous ces villages sont construits comme les petites villes fortifiées de nos provinces méridionales ; ils sont bâtis sur des crêtes, sur des pitons. Un détail : les maisons tournent toujours leur mur de fond vers l’extérieur. Cela forme une manière de rempart. Les murs sont percés d’un ou deux fenestrons admirablement situés pour l’observation, voire pour y glisser le canon d’un fusil ! Si les villages sont si incommodément perchés, loin des sources, au bout de chemins malaisés, c’est pour une raison stratégique, car la Kabylie était à feu et à sang de façon régulière, avant 1870, tout comme les seigneuries du moyen-âge à l’époque où le roi de France n’était que le roi de Bourges.

Les villages dominent leur terroir sur lequel se serrent des parcelles jardinées par les femmes et des vergers plantés de figuiers, d’oliviers, piqués de frênes et parfois bordées de haies vives, de murettes sèches le plus souvent ou de légères clôtures de plantes épineuses. Il y a les fontaines en contrebas du croisement où se séparent le chemin d’accès à l’agglomération et la sente que, d’après l’usage ancien, doit suivre l’étranger au village pour ne point y pénétrer s’il n’a pas d’affaires à y traiter.

Fontaines fraîches, haltes délicieuses avant de reprendre la petite ascension qui fait goûter le plaisir d’arriver au milieu des enfants, en présence des femmes effarées par la vue subite d’un homme. Il y a aussi la djemâa, la mosquée, trait d’union entre l’individualisme des familles qui peuplent le village et les pauvres qui habitent des gourbis. Ce sont des maisons de pierre, mais dont le toit est de chaume ou de "diss" (buisson du maquis] mêlé à des herbes sauvages. Dans certains douars, on a recouvert de terre le diss et on peut se promener sur ces toitures comme sur des terrasses. C’est le cas dans les villages du Djurdjura. Mais ces toitures sont solides et les maisons qu’elles recouvrent présentent un bien meilleur confort que le gourbi véritable.

Le vrai gourbi, en effet, est à peine aussi confortable qu’une vraie tente. Il est fort probable que les premiers gourbis d’Afrique du Nord furent les abris provisoires édifiés aux abords des forêts. Ils étaient érigés autour des campements et recevaient le bétail. Et puis, les Berbères devenant sédentaires consolidèrent ces abris pour les habiter. Ils correspondent aujourd’hui (à peine) aux plus incommodes des chaumières rustiques.

La mechta est un mot arabe. Une mechta est une petite ferme isolée, formée par deux habitations rectangulaires, parallèles et de chaque côté d’une cour entièrement fermée. On y accède par un portail à deux vantaux, ou par une porte étroite percée dans l’un des murs qui, avec les habitations, entourent la cour. Les mechtas sont sans doute de création assez récente. Elles sont toujours en dehors de la zone des villages, installées auprès d’un point d’eau et sans considération relative à un quelconque souci de type stratégique. Elles résultent de la fixation des nomades sur les terrains communaux. En Kabylie, ce sont moins des Arabes nomades que "Ceux du Sud" qui peuplent les mechtas, notamment dans les douars voisins de Tizi-Ouzou.

La maison kabyle est simple. Dans tous les villages, chaque habitation a sa cour et cet ensemble est séparé de l’extérieur par un mur qui sauvegarde l’intimité de la vie familiale en arrêtant les regards indiscrets. Dans la cour un foyer entre un mur de la bâtisse principale et une murette. Il y a un toit c’est la cuisine d’été sous laquelle on ne se glisse qu’accroupi. Franchissant une ou deux marches puis une porte étroite, on accède à une grande pièce rectangulaire : c’est le corps du logis principal. Une acre odeur de fumée y règne. Les poutres sous le toit (il n’y a pas de plafond, mais sous les tuiles un entrelacs de roseaux) sont noircies, les murs blanchis à la chaux, sauf aux Kouries, à Taguemoun et Aït-lrgan où ils sont curieusement peints de motifs semblables à la décoration géométrique des poteries, sont devenus brunâtres. Il n’y a pas de cheminée et, dans la pénombre, on finit par découvrir un trou.

Creusé à même le sol, c’est le kanoun cylindrique et doublé de briques réfractaires. Il est parfois installé sur une surface dénivelée de quelques centimètres par rapport au reste de la pièce, l’éclairage est assuré par des lampes à essence oui depuis des années ont remplacé les mèches trempant dans le suif, les murs parfaitement lisses sont enduits, comme le sol, d’un mélange de boue très fine et de bouse de vache. Cet amalgame, en séchant, ne se fendille pas. Dans cette paroi le kabyle ménage des niches utilisées comme étagères. Dans la journée et à l’heure des repas, la famille séjourne auprès du tasendouqt.

Le tasendouqt, c’est le coffre, meuble offert à la jeune mariée. Parfois, à côté de lui, celle de la maison qui tisse installe son métier. Dans les maisons on trouve également une sorte de sous-sol ; les animaux y entrent de plain-pied par la cour. Mais du tasendouqt, on y parvient en descendant quelques marches ou une légère pente. Au dessus de l’addaïnin on place les provisions et les ikoufans où sont serrés les figues et le grain. Cette soupente est nommée tâaritch. Souvent elle sert de chambre à coucher ; tâaritch signifiant d’ailleurs approximativement : "chambrette-lit-clos". On y étend plusieurs épaisseurs de couvertures qui font un lit. L’épouse au moyen de chiffons enroulés dans une autre couverture fabrique un traversin. Comme on le voit, la literie est fort simple.

Dans la journée, tout ce matériel est pendu aux poutres. À côté du berceau, un cerceau sur lequel sont fixées des baguettes, l’armoire et le lit à sommier commencent à apparaître dans les maisons de ceux qui, en France, ont fait des économies…..


CHAPITRE 5. UN ETE KABYLE. MAI-SEPTEMBRE 1956.

Conte kabyle

La neige avait disparu des sommets des montagnes : dans les champs, des fleurs mauves apparaissaient, les nuits commençaient à être douces, sans la brume glaciale qui, tout l’hiver s’était accrochée aux flancs pelés des djebels.

Cette nuit-là, Touchent’ la chacal, longeait les murettes de pierre, cependant que la lune toute ronde émergeait au-dessus des rochers, faisant scintiller au fond de la gorge, tout en bas, l’oued Sahell encore gonflé des pluies printanières. Contournant prudemment une haie de cactus aux épines acérées qui borde et protège le village, Touchent’ vit venir vers elle Archoun, le chien kabyle. Et tous deux, trottinant, partirent plus bas vers les oliviers...

Il y eut les fleurs des champs, puis les hommes de la montagne récoltèrent les présents de la terre ; les fleurs jaunes des cactus disparurent aussi soudainement qu’elles étaient écloses. Les chaumes séchaient au soleil encore brûlant de l’été finissant ; couchée sous un rocher, Touchent’ prêtait son flanc à six petites boules de poils qui tétaient voracement le lait maternel. L’astre déclinait derrière les djebels, mais dans le couchant, la terre conservait encore la chaleur de la journée ; les six bébés se délièrent et surent marcher.

Un soir, Touchent les emmena au bord de l’oued vers un endroit où deux grosses pierres ornaient un bassin dans lequel il y avait encore de l’eau. Dans un bel ensemble, les six petites têtes se penchèrent ; mais derrière, Touchent’ regardait fixement : quatre petites bêtes lapaient l’eau comme des chiens, deux seulement buvaient comme de vrais chacals... Et lorsque la nuit obscurcit le ciel, deux petits chacals, seuls, remontèrent derrière Touchent’ les pentes de l’oued.

Cette histoire n’est pas seulement un conte destiné aux enfants kabyles turbulents ; c’est également ainsi que les chacals éliminent ceux qui ne sont pas de leur race.


CHAPITRE 6. LES CHEMINS DIFFICILES. OCTOBRE 1956 - JANVIER 1957.

La djemâa

Il est à remarquer en traversant les villages kabyles, une maison sans porte ni fenêtre. Elle est au centre du village, pas très loin de la mosquée, ou bien on la rencontre à l’entrée et on doit la traverser pour accéder à l’artère principale de ’agglomération. Parfois, elle ressemble à un préau ou à un marché couvert.

On y trouve invariablement une sorte de long banc de pierre ininterrompu qui court le long les murs. C’est la djemâa, la salle de réunion des hommes au village. Tous les hommes majeurs, c’est-à-dire âgés de plus de 18 ans, peuvent s’y rendre. Ils doivent aller y délibérer, c’est une obligation hebdomadaire. Son accès est interdit aux femmes.

Il y a un pur privilégié réservé à la réunion de la djemâa, généralement le vendredi, qui correspond à notre dimanche européen, après la prière à la mosquée, parfois même, les délibérations de la djemâa se font à la mosquée. C’est toujours la djemâa car ce mot s’applique à un lieu de réunion, et aux gens qui composent cette assemblée. On y discute de choses très diverses qui intéressent tout le village. C’est pourquoi, il est obligatoire de s’y rendre sous peine d’amende, à moins que la maladie ou un empêchement sérieux dûment constaté soient évoqués. L’assemblée est présidée par l’amine qui occupe toujours la même place. Les gens importants du village l’entourent ; ils ont eux aussi leur coin de banc habituel. Ces gens sont tout simplement l’usurier le plus sollicité, donc le plus riche, et le chef d’une grande karouba, dont la notoriété déborde le cadre de la tribu. Dans ce cas, à quoi sert la djemâa ?

Il n’y a jamais eu de nation kabyle avec un gouvernement central. Chaque village, surtout avant l’arrivée de la France dans le Maghreb, était une petite république autonome. La djemâa élisait son amine au suffrage universel et alors les hommes, sous sa présidence, discutaient de l’administration du village comme les : conseillers municipaux de nos communes métropolitaines. Par exemple : mesures contre l’encombrement des ruelles, propreté des fontaines surtout, etc... La djemâa autorise aussi ou interdit de bâtir en dehors du village ou près de la fontaine à cause de sa fréquentation par les femmes et cela élimine tout risque d’indiscrétion. Mais en des temps plus reculés, des décisions bien plus graves étaient également prises à la djemaa : c’était les déclarations de guerre aux villages voisins ou les décisions de justice. Étant donné que chaque village vivait en vase clos, il fallait bien que les amines organisent eux-mêmes les finances et la justice ; la djemâa aujourd’hui encore, a quelques compétences dans ces domaines. Elle veille en effet sur les intérêts du village dans son ensemble. Si le problème de la faim est envisagé, la djemâa fixe l’ouverture des récoltes, notamment celle des figues ; elle veille à la protection des arbres ; et même, dans certaines régions, le propriétaire qui ne plante pas au moins dix figuiers dans l’année est puni d’une forte amende. Les fenaisons commencent elles aussi le même jour pour tous. L’eau fait également l’objet d’une réglementation.

La traversée des champs, les potagers en particulier entraîne également des amendes fixées par la djemâa. Les potagers ne sont cultivés que par les femmes et si un homme s’intéressait aux laitues et aux oignons qui prospèrent autour de sa maison, il serait la risée du village. Le soin du potager est plus qu’une tâche réservée à la femme kabyle ; il est un attribut de sa féminité au même titre que ses vêtements. Le tabou qui entoure les femmes est étendu au potager. Il en est ainsi dans toutes les tribus et surtout dans les campagnes de tout ce qui relève des activités féminines. On considère également qu’une forte dose de superstition s’ajoute au facteur économique dans l’entretien des potagers kabyles.

La djemâa se penche également sur le cas des animaux domestiques au village et il faut prévoir les "timcheret", autrement dit l’occasion d’un partage de la viande entre tous les habitants du bourg et la protection de cette viande à partager ! Si un propriétaire surprend un de ces animaux en train de causer des dommages à ses biens, il ne peut le frapper ; et s’il est surpris à le faire, selon un "kanoun" (sorte d’article du droit coutumier) c’est lui qui est puni, car l’animal n’a pas conscience des perturbations qu’il occasionne. Ces règles ne sont pas écrites, mais la djemâa en est dépositaire depuis des temps immémoriaux et en assure la transmission orale. Parfois, les marabouts collationnent ces règles qu’ils conservent chez eux.

Il est donc important que tous les hommes participent à la vie du village par l’intermédiaire de la djemâa qui assure ainsi l’éducation civique des Kabyles. Après son rôle d’enseignant, la djemâa assure également celui du législateur selon les critères français. Elle apporte parfois des modifications au kanoun, des adoucissements inspirés par les marabouts et leur connaissance du Coran ou par des expériences vécues en Europe. Ainsi, par exemple, aux Iril-lmeula, pour la question de la rek’ba : la vengeance au lieu d’être exercée sur n’importe quel mâle de la karouba ennemie, ne doit tomber que sur l’auteur direct du meurtre.

La djemâa n’a plus de rôle prépondérant dans les questions de justice depuis que la loi française règne en Algérie. Autrefois, lorsque la djemâa devait arbitrer un conflit entre deux parties, on faisait appel à un taleb (lettré) maître des kanouns, généralement un marabout. La djemâa se chargeait en particulier des enquêtes et votait la décision, un peu comme nos jurés d’assise.

Ces séances de justice étaient souvent houleuses car le goût des Kabyles pour la chicaïa et les palabres est proverbial ! Mais l’amine est là pour faire respecter l’ordre. D’abord, il veille à ce que personne ne soit armé, sinon c’est une suspension de séance et une forte amende pour le contrevenant. Tout kabyle présent à la djemâa doit se plier à un certain nombre de règles : ne pas fumer par égard aux personnes âgées ; ne pas se lever, tenir des propos inconvenants ou déranger l’orateur. On reste d’ailleurs assis, même lorsque l’on parle, pendant toute la réunion ; on ne doit en aucun cas interrompre l’intervenant. Ceux qui se battent (cela peut arriver) grossissent à leurs dépens la caisse de la djemâa.

La djemâa n’est pas uniquement un lieu de réunions austères ; elle est aussi l’endroit du village où l’on est sûr, à certaines heures, par exemple au retour des champs alors que les femmes préparent le repas du soir, de retrouver des amis, des visages familiers. Ceux qui ont connu des pays étrangers aiment y raconter leurs souvenirs. Quelque chose comme nos "cafés du commerce", les thermes romains ou l’agora athénien. Typique d’une tradition millénaire sur le pourtour méditerranéen, c’est la djemâa ordinaire….


CHAPITRE 7. LES COMBATS DE LA PACIFICATION. MARS-AOUT 1957.

Allen (les yeux)

- Je vais te donner un conseil
- Toi qui n’as pas d’expérience,
- Après quoi, n’aie crainte :
- Ne te laisse pas tromper par la brillante apparence.

- Si quelqu’un te parle de loin :
- Ne le laisse pas se lier par serment
- Mais approche-toi et regarde-le dans les yeux
- Si ses intentions sont droites, si son coeur ignore le mal
- Cela se verra qu’il inspire confiance.

- Mais s’il est comme une rivière qui court
- En charriant des pierres
- Fais le sourd, traverse : le fond est solide.

- S’il est comme une mare silencieuse
- Et trouble
- Là, trompeuse et sans fond
- II ne faut pas s’y risquer.

- C’est ce que disait un homme
- Qui avait beaucoup vu :
- II avait l’expérience,
- Le livre qu’il consultait c’était son coeur.

BELAID

Ce petit poème naïf et touchant a été écrit par un jeune kabyle dans sa langue maternelle ; il l’a traduit lui-même en français pour son ami chasseur.


CHAPITRE 8. CEUX DE MAHAGGA. SEPTEMBRE-DECEMBRE 1957.

L’honneur arabo-berbère

Il est courant de voir, surtout dans les villages retirés, le musulman réagir violemment ou prendre un air outragé dès qu’il pense que l’on puisse, d’une manière d’une autre, porter atteinte à son honneur. Cependant, interrogé sur cet honneur, il trouve embarrassé pour le définir, invoquant des critères sociaux ou religieux. Au fond, ce qui lui reste n’est plus qu’une coutume et il méconnaît le plus souvent son origine. Il lui faut remonter très loin dans le passé pour en observer l’évolution et la gradation.

Pourtant, on ne saurait considérer ce phénomène comme étant général ; de grandes différences existent et principalement entre Kabyles avec lesquels nous sommes en contact, et Arabes. Si aujourd’hui on peut écrire "honneur arabo-berbère", n’est pas dû uniquement à la religion musulmane qui lui imprima, tout en l’atténuant un caractère plus mystique, l’honneur berbère puise ses origines dans la pureté du sang, le patriarcat el le culte des anciens. Ajoutons toutefois que ces trois notions sont en régression de nos jours (1957), mais que le patriarcat et la djemâa constituent toujours la base de la société kabyle.

Le culte des anciens, profondément ancré dans les esprits, appelle à la constitution du groupe, puis de la tribu avec ses corollaires : la propriété de la terre, sa défense et la vengeance par les armes pour toute profanation de ce concept. Nul arabe, il n’y a pas encore si longtemps, ne pouvait ignorer sa généalogie (le Marab) sans déchoir, les exploits et les vertus, la générosité, l’hospitalité, la charité de ses pères, tout cela contribuait largement à lui inculquer le plus grand respect pour ce culte et l’invitait à marcher sur ces traces. Il est aisé de comprendre que la moindre offense faite e à ce sujet appelait à la Rek’ba (vengeance), à la guérilla ou même à la guerre ouverte entre tribus, le meurtre pouvait être vengé par la disparition du meurtrier, parfois celle de son clan ; au-delà cela devenait l’affaire du groupe ou de la tribu, la " composition" était la seule limite à ces vengeances.

Elle consistait en une sorte de trêve, de réconciliation publique où le coupable arrivait enchaîné devant son adversaire qui lui enlevait alors ses fers ; on s’embrassait (souvent de mauvaise grâce) et l’on échangeait toute sorte de cadeaux en signe de réparation et d’oubli. De nos jours, ces coutumes n’ont pas résisté aux lois françaises ; rares sont les Arabes ou les Berbères qui se souviennent encore de leur généalogie ou qui s’occupent encore de laver l’affront fait à l’ascendance ou à la famille.

L’autre notion, celle de la pureté du sang découle de la première ; en effet, à partir d’un culte aussi rigide que celui des anciens, il n’était guère possible de "mélanger les sangs" entre clans ou groupes que séparaient de véritables guerres tribales. Il se créa ainsi un certain "honneur conjugal" et la moindre offense faite à celui-ci entraînait immédiatement la mort. Cette nouvelle interprétation du code familial donnait lieu également à des vengeances et à des guerres. À ce sujet, le milieu kabyle étant replié sur lui-même, il est très difficile de juger de l’impact français sur les moeurs actuelles. Mais il est indéniable que ce mythe au sang demeure puissant, très puissant même en Grande Kabylie, où les réticences de la coutume berbère, sont fort en retrait sur la loi coranique quant au libéralisme, à l’individualisme et aux droits de la femme.

Un exemple frappant nous est donné dans un village de notre quartier (Iffigha) où un officier SAS voulant faire profiter toute la population de la projection d’un film sur l’émancipation de la femme, n’eût comme spectateur que des hommes, ces derniers ayant interdit à leurs épouses et à leurs enfants d’assister à cette projection. Plus frappant encore est l’exemple de ces deux villages qui semblaient avoir conclu entre eux un "traité du sang " ; pour les jeunes gens, aucun mariage possible en dehors de l’enceinte de ces deux villages. Si aujourd’hui on considère généralement ces deux concepts comme dépassés, il n’en est pas moins vrai qu’ils éveillent encore dans les esprits des résonances assez puissantes pour présenter un obstacle sérieux à la substitution d’idéaux de la civilisation moderne et ce n’est que très lentement, en comptant surtout sur de nouvelles aspirations de la jeunesse, que l’on pourra les remiser dans les combles de l’humanité….


CHAPITRE 9. DEUX ANS D’UNE VIE. JANVIER-MARS 1958.

Légendes kabyles

Le SINGE

C’est son ingratitude qui l’a réduit à cet élat. Autrefois, il était homme. Il alla un jour garder des troupeaux aux champs avec sa soeur. Quand la faim les tenailla, voici qu’un plat de couscous leur descendit du ciel. Ils mangèrent tant qu’ils purent, puis mouillèrent vilainement le plat. Dieu, aussitôt en fit ce qu’ils sont maintenant. Le singe se rappelle encore de son nom de jadis. Appelez-le :

  • "Hé Messaoud !" il se retourne. On doit redouter au plus haut point la malédiction que pourrait lancer un marabout :
  • Nous te considérons désormais comme un singe. Dans la région de Michelet, Messaoud le singe porte un autre nom : Idoou.

Le SANGLIER

Le sanglier ne manque pas de force. Il rencontre un jour le lion, roi des animaux. Ils se dévisagent : ils se cherchent noise, depuis longtemps, entre eux la haine est au pire. Le lion parle :
- Viens donc en terrain découvert, qu’on se cogne un bon coup : je te promets que tu le t’en sortiras pas ! Le sanglier de rétorquer :

  • Viens donc en champ clos que nous nous fracassions ; je te ferai voir en quoi consiste la politesse !

Alors le lion :

  • Tu ne peux absolument rien sur moi ! Mais le sanglier : en quoi me surpasses-tu ?
  • C’est donc entre nous deux une affaire d’honneur ! Puisqu’il en est ainsi, ce que je vais produire mangera ce que tu vas donner.

Le sanglier se dépêche d’éternuer, mais le rat qu’il avait rejeté n’était pas encore à terre qu’il était attrapé au vol par le chat que le lion avait craché. L’affaire se termina à l’avantage du fils de la lionne et rien n’a changé jusqu’à maintenant. Quand le sanglier se met en route, il lui faut chercher sa pitance au jour le jour.

Moralité : les hommes sont comme les marcassins du sanglier ; s’ils ne fouillent pas la terre, ils ne mangent pas. Bien que les Kabyles chassent le sanglier, ils ne le mangent pas. Un morceau de la bête est impur ; on ne sait pas lequel. Alors pour ne pas commettre une coupable erreur, ils préfèrent s’abstenir et le considérer tout entier comme défendu.

LE CORBEAU

C’est un gros oiseau de couleur noire ; son bec seul est jaune-rouge. Il se nourrit de charognes et de graines. On le déteste à cause du parti pris qu’il montra le jour où Dieu lui confia les commissions à faire à son peuple. Il ignora ses consignes et des trois dons destinés aux hommes, il donna celui de l’intelligence aux Européens, celui de l’argent aux Juifs et, quant aux Kabyles, il leur réserva les poux, sauf votre respect !

LE CHACAL

À l’automne, il s’amuse à manger des figues. Un jour, Chacal, par la faim, réduit à la dernière extrémité, trouva un figuier dont les branches rompaient sous la charge des fruits. C’était tout ce qu’il fallait pour le consoler. Il mangea, mangea jusqu’à satiété, puis s’étendit pesamment à l’ombre de l’arbre. Il partit aussitôt pour le pays des rêves. Au bout d’un moment, une figue lui tomba sur le museau et le réveilla en sursaut. Le gaillard fit un bond, la figure en ciel d’orage.

  • Tu vas ramasser tes chiens oui ou non ? On ne peut même plus dormir en paix ! Si quelqu’un me touche encore, gare à toi ! Quelle ingratitude de la part de Chacal envers la terre nourricière qui lui fait la part si belle : fèves à chacal (le lupin), le raisin de chacal (concombre), tous produits qu’il dédaigne.

LE LIEVRE

II se vante d’avoir les pattes de devant aussi rapides que le vent et celle de derrière comme la foudre. Dans une montée qui compense le déséquilibre de ses membres, personne ne peut le rattraper. Il jura jadis aux chasseurs :

  • Par Dieu ! Personne ne se régalera de ma cuisse sans qu’il en cuise aux siennes !

PROVERBES KABYLES

Celui-ci illustre l’aspect religieux du fatalisme musulman :

  • Nous traînons des savates jusqu’à ce que Dieu nous donne des souliers. Et cet autre contient toute la malice kabyle :
  • On demande au bourricot qui est son père et savez-vous ce qu’il répond ? Que le mulet est son oncle….

Tous les chasseurs qui ont servi en Kabylie durant la guerre d’Algérie vous le diront : l’hiver c’est vraiment quelque chose ; et particulièrement dans le secteur du 27ème BCA. 1957/58 ne déroge pas à la règle. Le traditionnel redoux de janvier permet d’entreprendre les travaux de réfection des pistes dans tout le quartier avec la protection habituelle des chantiers. Et, comme d’habitude, l’ALN se manifeste par des embuscades de convoi sans conviction ou des harcèlements de principe. Des sabotages également : le 5 janvier, un commando tente de faire sauter le pont de l’oued Imerdan entre Iffigha et Azazga. Soit précipitation, soit mauvais calcul de charge, le pont résiste, mais est fendu sur toute sa longueur. Un autre jour, c’est le convoi routier Iffigha-Tizi-Ouzou qui est soumis à des tirs d’armes automatiques…


CHAPITRE 10. LES HARKAS DE L’IDJEUR. PRINTEMPS 1958.

Tiffrit N’Aït Ou Malk

Altitude 900 mètres. Accès par une piste empierrée qui aboutit à la fontaine et à l’école. Une grimpette à travers les rochers permet l’arrivée au poste, véritable repère entouré de pierres sèches dont l’entrée est contrôlée par une grille faite de rondins judicieusement assemblés, les chambres, le réfectoire et le foyer s’ouvrent sur le panorama sylvestre du massif de l’Akfadou.

Désormais, Tiffrit N’Aït Ou Malek possède son école qui héberge également des enfants du village frère : Bou-Aoun. Dépeindre la joie des habitants ? la propreté et allant avec lesquels filles et garçons de tous âges se précipitent à l’école de la République, le regain d’intérêt des villageois pour leurs cultures et leurs bêtes ? Difficile ; cela serait taxé de propagande mensongère par la nomenklatura progressiste qui crée opinion. Aujourd’hui, le village vit par ses enfants et par sa communauté agricole, mais pourquoi ce nom de Tiffrit N’Aït Ou Malek ?

L’origine du village est à la fois curieuse et troublante ; l’histoire se porte à la rencontre de la pierre. En des temps aussi reculés qu’indéterminés (vraisemblablement aux alentours es VII ou Vlllème siècles), un certain Ali épousa Lahla Fatma, fille du prophète Mahomet. Ils engendrèrent deux fils : l’un Nassen qui partit en Égypte et Hocine qui se rendit au Maroc. Hocine engendra Moulay Idriss Akbar (le Grand], lequel engendra Moulay Idriss Azrar (le Petit qui engendra lui-même Sidi-Malek. Ce dernier eut beaucoup de fils qu’il expédia en différents points de l’Algérie afin de porter les bonnes paroles du prophète. L’un d’eux, Sidi M’Hamed ben Malek fut envoyé à Tiffrit.

Il y vint chevauchant une jument blanche. Il fit son entrée au village par le Nord. Deux traces parfaitement visibles aujourd’hui encore, témoignent de son passage : dans le roc, la marque de son pied gauche apparaît et, à quelques mètres de là, on peut lire l’empreinte du sabot de sa jument. À son arrivée, la bourgade était la proie du vice et du stupre ; un véritable repaire de brigands avides de toutes les félicités obtenues sans efforts.

Au mois d’août, au moment du battage, alors qu’il cheminait, toujours sur sa jument, à travers la campagne environnante, il demanda aux paysans, tous gens deTiffrit, de l’orge afin de rassasier sa monture affamée, la méfiance aidant si puissamment ancrée au fond de leur âme les incita tous à refuser vigoureusement l’aumône de quelque nourriture à la pauvre bête. Puis ils se gaussèrent du saint homme et lui enjoignirent de leur administrer la preuve de son état ; s’il était vraiment marabout, envoyé du prophète comme il le prétendait, il devait pouvoir fouler pieds nus un buisson d’épineux qui se trouvait à proximité. Ce qu’il fit aisément lorsque le dernier paysan qu’il avait sollicité, un certain Aïdoun, lui eût donné tout l’orge nécessaire à sa jument malgré les vives protestations de la communauté.

Dès lors, Malek demanda dans ses prières que tous les habitants du village soient chassés "comme des pois chiches que l’on aurait posé sur une planche et que le vent aurait soufflé", exception faite, étant donné sa courageuse attitude, de la famille Aidour. Ses voeux furent exaucés ; une puissance divine força les villageois à l’exil.

À partir de ce moment, la réputation de Malek grandit rapidement. Il s’installa à l’emplacement de la mosquée actuelle et fonda une école de grande renommée où quantité d’étudiants et de futurs tolbas (pluriel de taleb : lettrés) vinrent se former. Sidi M’Hamed Ben Malek eut beaucoup d’enfants qu’il envoya, à l’exemple de ses aïeux, convertir les populations. Certains restèrent à Tiffrit et c’est ainsi que toute la population actuelle du village descend du marabout Malek. C’est une race qui a conservé sa noblesse initiale. À ce titre, si vous venez à Tiffrit N’Aït Ou Malek, gardez une certaine déférence envers cette population maraboutique et ne manquez surtout pas d’aller admirer la splendide fontaine du village qui jaillit à l’ombre de l’illustre mosquée. Peut-être aurez-vous la chance de rencontrer le taleb (unique représentant des quelques 600 étudiants qu’il y avait en permanence à Tiffrit avant les événements !. Séduit par votre curiosité, il n’est pas impossible qu’il vous invite à le suivre dans la superbe zaouïa où repose Sidi M’Hamed Ben Malek dont la châsse en bois est recouverte de nombreuses soieries au goût et aux couleurs de la Kabylie.

Au printemps 1958 les deux adversaires alternent revers et succès, tant au plan politique que militaire. À Tunis, les membres du CCE doivent .en convenir : le moral s’effrite dans les rangs du FLN. La Révolution qui avait connu une phase ascendante en 1957 après la répression de la bataille d’Alger et la politique controversée de pacification où le pire jetait des douars entiers dans les bras du FLN, malgré les écoles, le ravitaillement ou l’assistance médicale gratuits. Les déplacements de population, les représailles sur les villages, tout avait contribué à faire des camps d’hébergement autant de viviers où prospérait à nouveau l’OPA que les SAS ou les OR de secteurs étaient persuadés d’avoir détruite….


CHAPITRE 11. LES CHEMINS DU RENOUVEAU. JUIN - DECEMBRE 1958. .

Les cadeaux

"Tunt’icin" est l’expression kabyle qui désigne le genre de cadeaux offerts à occasion d’une fête de famille. Ce sont toujours des aliments cuits, du couscous le plus souvent. Quelquefois du fromage, mais obligatoirement fabriqué avec le premier 3/7 d’une vache qui vient de mettre bas. On offre cela également au retour d’un absent, à l’occasion du premier ’jeune des enfants de la famille et même quand un mariage a été conclu. Ces fêtes sont réservées à la famille et aux amis intimes, à des voisins avec lesquels l’entente est particulièrement bonne. Un proverbe kabyle dit : "les cadeaux sont un prêt, un jour ou l’autre ils reviennent."

Les aliments sont offerts dans les récipients ou sur des plats qu’il faut rendre. Mais, on ne renvoie jamais les plats des cadeaux vides. D’ordinaire, en remerciement de "Tunt’icin i’fal", on y place de la semoule de blé ou du blé en grain, jamais de l’orge. Il existe une exception : lorsqu’on célèbre une circoncision, " i’fal" est constitué de légumes secs, pois chiches ou lentilles. C’est un souhait traditionnel appelant sur la tête de l’enfant beauté et vigueur afin "qu’il fleurisse et produise des fruits splendides". Ces cadeaux-là sont habituels ; ils font partie le la bonne éducation kabyle inculquée dans les douars à toute personne bien née.

Quand une fête est importante, des invitations sont lancées. C’est le cas d’un mariage, d’une naissance ou de la circoncision, les personnes invitées ne manquent pas d’offrir "l’khir" : argent, oeufs, produits d’alimentation. Elles n’oublient pas de donner un peu plus qu’elles n’ont reçu précédemment de leurs hôtes dans des circonstances similaires. Cela se fait entre gens qui sont intimes. On dit qu’ils changent le "l’khir" de l’amitié. En somme, ce serait une marque de politesse. Mais cette formule engage le bénéficiaire ; elle sera payée de retour.

Et dans un mariage par exemple, le père de la mariée note le nom de tous ceux qui remplissent leurs obligations traditionnelles et la valeur du présent, car il faudra surenchérir à la prochaine occasion. Le fait de rendre la politesse par un cadeau d’égale valeur signifie que le donateur ou sa famille désire rompre les fréquentations tout en conservant des relations convenables entre familles. Parfois, cela n’est pas compris au sens modéré et peut déboucher sur un différend qui peut tourner à la vendetta selon la forme de l’injure. Dans le cas de la proche famille ou des amis vraiment intimes, la valeur du cadeau évolue à la hausse par rapport à "l’khir". Il s’agit alors de "lehna". Cela représente de l’huile en grande quantité, des oeufs, de la viande, de la semoule, toutes choses qu’un homme seul ne peut porter. Toutefois, "lehna" constitue une exception dans la vie familiale.

En Kabylie, on s’efforce de ne pas accepter une invitation à un repas ou à se rendre chez un parent les mains vides. Les Kabyles font des cadeaux "arzef". Ce sera un couscous, une corbeille de beignets, des crêpes. Le miel, médicament et friandise de choix est très apprécié. Ces offrandes sont de rigueur pour un enfant marié qui visite ses parents ; les parents agissent de même envers les enfants qui ont quitté la demeure familiale pour créer un nouveau foyer. Cela peut constituer un problème difficilement soluble pour une vieille femme, veuve et pauvre, qui veut visiter ses enfants et a le souci de sa réputation. Curieux pays !

Pauvres et fiers, ses habitants qui ignorent l’objet de luxe ou le bibelot pratiquent un système d’échanges fructueux et étonnamment nuancé. Mais c’est une sorte de troc dont la valeur économique est sans fard, ne dissimulant aucunement l’intention de réciprocité. On offre des produits de consommation, sachant bien la plupart du temps qu’ils seront rendus selon l’enseignement de ce proverbe : Tu n’es pas Dieu pour que je te donne gratuitement."

Je vous ai compris..." Sur le forum, la foule qui y avait pris ses habitudes, exultait. Au balcon du GG, De Gaulle donnait aux Algérois ce qu’ils voulaient bien entendre en ce 4 juin 1958. Plus tard, beaucoup ne se souviendront que d’un passage du discours : "Eh bien ! de tout cela je prends acte au nom de la France et je déclare qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs..." Par un saisissant raccourci scolastique, ces propos seront perçus comme une profession de foi envers l’Algérie française. Quoi de plus naturel en effet à partir d’une politique d’intégration affirmée de déduire que l’Algérie demeurerait française. La faute du général De Gaulle sera de n’avoir jamais dissipé l’équivoque, car, tout à sa joie, la foule n’a guère prêté attention à la suite : "Français à part entière, dans un seul et même collège, nous allons le montrer pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les dix millions de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin..." Quand le général De Gaulle revient en Algérie au début du mois de juillet, la situation s’est considérablement clarifiée. Chef du gouvernement, il a montré qu’il était le maître : l’armée est à la botte, les comités de salut public sont désamorcés et surtout, la politique du pays se fait à Paris. C’est à peu près ce qu’entendra le chef de corps du 27 ème BCA qui se rend sous escorte à Fort National avec une délégation de l’Idjeur, le 3 juillet pour rencontrer le général De Gaulle…


CHAPITRE 12. LES BIJOUX D’AKFADOU. JANVIER - MAI 1959.

Le mois du ramadan

Il y avait une bonne heure que le muezzin perché sur le minaret de la mosquée avait chanté l’appel à la prière du soir. La nuit tombait doucement. Petit à petit, les lumières vacillantes que l’on devinait dans les maisons nimbaient le village d’une clarté diffuse. Vu depuis le bordj des transmissions, Azazga prenait une nouvelle dimension, tout à la fois irréelle et majestueuse... La lumière jaillit soudain à chacun des angles du minaret : quatre étoiles blanches aux quatre vents de la terre musulmane, dominées par un feu rouge.

Cette illumination de la mosquée donne le signal. À cet instant, c’est le "fatour", c’est-à-dire l’instant d’un dîner léger. Le matin, avant le lever du soleil un repas plus solide appelé "cahour" a été pris. Nous sommes dans le mois du Ramadan ; l’apparition de la lune est activement guettée dans tout le monde musulman et pas seulement en Kabylie, car c’est le jeûne obligatoire qui donne tant d’importance à ce mois.

Le Prophète a choisi Ramadan pour le jeûne parce que c’est durant ce mois qu’il reçut la première des révélations d’où allait sortir le contenu du Coran, le Livre Saint des musulmans. Eux aussi comme les Juifs ou les Chrétiens ont un carême : le Prophète en a reçu commandement de Dieu. C’est écrit dans le Coran. Pour tous les musulmans, le jeûne du Ramadan constitue l’une des observances majeures de leur rituel religieux. Mahomet l’avait voulu sévère par réaction contre le jeûne tel que le pratiquaient les communautés juives et chrétiennes vivant à Médine et à La Mecque, les deux cités où vécut le Prophète.

Dans l’esprit de Mahomet d’ailleurs, et ceci est capital pour comprendre les Musulmans, la religion qu’il fondait, visait non seulement à transmettre les ordres donnés par Dieu et que contient le Coran, mais aussi à réformer les deux religions révélées déjà existantes : la chrétienne et la juive. La réfutation de l’obligation de jeûne pendant le Ramadan est une preuve d’infidélité à l’Islam. Aussi ce strict devoir religieux a-t-il la force d’une loi sociale. Durant tout ce mois, on ajoute au jeûne et aux prières habituelles, une prière particulière le soir. Quand il y a un imam, une réunion a lieu à la mosquée pour la réciter. En Égypte, le début du carême est annoncé par des coups de canon. Les mosquées et les maisons sont pavoisées du drapeau national. Sa fin est marquée par les festivités du Kouba-Baïram.

Dans les villes d’Algérie, il en va de même. L’aït-seghir qui clôt cette période est une très jolie fête pour les Arabes. À dire vrai, les Kabyles sont moins démonstratifs ; ils font l’aumône et procèdent à la distribution de quatre mesures de nourriture par famille pauvre. Puis ils marquent la journée par un bon repas en famille.

Les règles du carême sont sévères. Pour que le ’jeûne conserve toute sa valeur, il faut l’observer du lever du jour au coucher du soleil. Avant l’aube, il faut chaque jour formuler consciemment l’intention de s’y plier. Aucun aliment, aucun acte médical, aucun médicament ne doivent interrompre le jeûne : même la pose des ventouses par le barbier est interdite. Enfin, il faut éviter de céder à la tentation qu’inspirent les attraits des épouses. Le jeûne est prescrit en d’autres occasions que le Ramadan, mais jamais aussi longtemps. En règle générale, il est recommandé en expiation de toute faute. Il est prescrit au pèlerin de La Mecque le jour de l’Arafa. L’Arafa est une colline des environs de la ville sainte. Elle se trouve sur le chemin d’un sanctuaire où doivent se rendre les fidèles pour accomplir un pèlerinage complet. Sur cette colline, un imam fait un prêche et l’on récite des invocations. Tout le trajet doit se faire à pied sans un brin de nourriture.

NOTA BENE : Ne sont pas mentionnées dans ce récit qui relate les modalités du Ramadan, les festivités de "Leïla-el-Kodri", ce que l’on peut traduire par : "la nuit du festin". Ces festivités courent du soir du vingt-sixième jour de jeûne au matin du vingt-septième. Ce soir-là, tous se réunissent à la mosquée ou à la djemâa pour réciter la dernière prière spéciale du soir pendant le jeûne. À l’issue de cette dernière prière a lieu un repas communautaire. Chaque famille apporte sa contribution et les mets sont partagés entre tous. Cette tradition est typiquement berbère. Elle est inconnue des pays arabes.

Les sabots des chevaux martèlent les pavés des Champs Elysées. Quelque peu détachée, la batterie-fanfare sonne un air de cavalerie. Puis voici la grande escorte de la Garde républicaine qui entoure la Delahaye où ont pris place monsieur René Coty et le général De Gaulle. Nous sommes le 8 janvier 1959 : en même temps que l’investiture à la magistrature suprême de Charles De Gaulle, la foule qui a envahi les contre-allées salue l’avènement de la Vème République.

En moins de six mois, De Gaulle a balayé les séquelles du 13-Mai. Terminés les comités de Salut Public ; Salan doit quitter l’Algérie, c’est officiel en décembre. De nombreuses mutations hors-Algérie sont prononcées : l’armée rentre dans le rang. Les officiers reprennent le chemin des djebels et les civils récupèrent leurs pouvoirs. Le délégué général Paul Delouvrier, ci-devant haut-fonctionnaire à Luxembourg, devient le proconsul du Général à Alger. Mais sur le terrain, l’effet "13-Mai" est passé et le FLN a repris l’offensive. Partout... sauf en Kabylie où les intempéries réduisent les activités militaires au strict minimum. Les postes, Aït-Zellal en tête, essuient bien quelques coups de feu, un commando fait sauter le pont métallique de Cheurfa dans la nuit du 3 au 4 janvier ; mais rien de bien saignant ! Automatiquement la population est réquisitionnée pour aider le Génie à réparer l’ouvrage d’art. S’appuyant sur la réussite d’Iril-Tizi dont la section d’autodéfense ne cesse de se renforcer en nombre et en armement, les SAS accentuent leur action psychologique dans les sous-quartiers. La pluie redouble de violence et les convois renoncent à passer les oueds en furie. Il faut attendre les accalmies pour que les hélicos puissent ravitailler les postes….


CHAPITRE 13. TABOURT ET IGRAINE. JUIN - AOUT 1959.

Médecine kabyle

Aïssa a sept mois ; c’est un petit garçon potelé, bouffi même, qui a une rougeur sur la cuisse gauche. On va lui soigner ça à la mode kabyle, le bébé est dans son berceau et vient de finir sa sieste, violemment balancé par sa petite soeur Ouardia, à vous donner le mal de mer. Le berceau d’Aïssa est une panière accrochée par trois cordes à une poutre et voilée de châles en guise de moustiquaires. On y a accroché moult gris-gris et amulettes.

On sort Aïssa de sa balançoire. Il est emmailloté dans des linges qui lui tiennent lieu tout à la fois de couches et d’habits. Pour tenir le tout, des bandes molletières de couleur douteuse ! En un tour de moin, la Zina, sa grand-mère, dépouille le petit être et met à jour ses rondeurs dodues, ne lui laissant qu’une petite camisole sombre. Et voilà notre Aïssa prêt à être soigné. Sa grand-mère, aidée d’une vieille à la peau parcheminée place Aïssa au centre du couscoussier, assis sur son petit derrière rebondi. Il s’empresse de soulager un petit besoin bien naturel (je pense au couscous), et l’opération commence.

La Zina prend une coquille d’oeuf qu’elle barbouille d’une purée noirâtre préparée à l’avance dans un plat, purée tenant tout à la fois du caviar écrasé et de la bouse fraîche. Puis elle enduit consciencieusement Aïssa de cet amalgame. Elle commence par les pieds, remonte les jambes, passe aux mains, revient au ventre et au bas-ventre, s’attaque au thorax et termine en oignant la tête du malheureux enfant de cette fiente repoussante.

Aïssa subit ces manipulations sans s’émouvoir et a l’air de s’amuser follement. Pendant ce temps, l’autre vieille étale et barbouille une autre mixture sur les jambes, le ventre, le sexe, le front et les cheveux d’Aïssa qui commence à trouver que la plaisanterie a assez duré. Enfin, elle fait brûler au dessus de l’enfant, suspendues au rebord du couscoussier, des mèches de laine imbibées d’huile, parfaitement nauséabondes.

L’opération est terminée. On coiffe le bébé de sa plus belle chéchia après laquelle sont accrochées médailles et amulettes. Le voici normalement guéri, prêt à reprendre sa petite vie végétative et sale, en suçant ses doigts gourds d’un air satisfait. Et ces mêmes mains qui ont conjuré le sort et attiré la baraka en barbouillant Aïssa, s’affairent pour offrir le "teï" !

Avec l’été qui s’annonce, il semble que l’Algérie reparte du bon pied. Sur le terrain, "Courroie" et quelques autres opérations dans l’Oranie et l’Algérois ont servi d’utile répétition à ce que l’on appelle déjà le "plan Challe". Cette fois, "on va casser du fell" assure-t-on au Quartier-Rignot, PC de Challe et quartier général de la 5ème région aérienne. De son côté, Paul Delouvrier, le délégué général met en oeuvre le plan de Constantine et dans le bled, son équipe lance la politique des "milles villages", un terme qui semble tout droit sorti du "Petit Livre rouge" et qui n’est pas sans provoquer quelques cauchemars chez les bénéficiaires de "la politique de clémence de l’Oncle Hô". Néanmoins, pour leur construction, il a débloqué les crédits, et jamais les collectivités locales n’ont bénéficié d’une telle manne. Halte à la clochardisation des populations du bled ! Sous-préfets et SAS ont une mission bien définie : transformer en villages véritables les regroupements provoqués par la répression ou la terreur. Mais en Kabylie, pays de fortes traditions, l’argent suffira-t-il ?...


CHAPITRE 14. LA SIDI-BRAHIM A IFFIGHA . SEPTEMBRE-DECEMBRE 1959.

La baraka

La Baraka, correspond à peu près la sainteté des chrétiens. C’est un élément très important de la vie à travers l’Islam tout entier et pourtant, c’est plus une croyance traditionnelle qu’un dogme révélé au prophète et légué par le Coran.

Les gens que leurs fonctions ou leurs options personnelles Ion) vivre religieusement sont auréolés de Baraka. Même des Pères Blancs, pourtant infidèles à l’Islam, mais aimés et réputés par leur existence, ont une réputation de sainteté. Le plus souvent ce sont, en Kabylie, les marabouts célèbres et les dignitaires des mosquées qui sont considérés comme porteurs de la Baraka. El en baisant leurs vêtements, certains espèrent acquérir un peu de cette baraka. Dans la tradition chrétienne, l’imposition du corps, des objets ou des vêtements ne suffit pas. La sainteté ne peut être atteinte qu’à l’issue d’une vie en tous points exemplaire.

Il en va de même en Kabylie, du moins pour un musulman cultivé. Un homme comme Ibrahim Ibn Adham, l’un des grands saints iraniens, est un exemple d’ascèse et de charité ; et combien trouve-t-on d’awliya (pluriel de wali : saint). On distingue d’ailleurs les Zoubbah (ascètes), les Noussak (dévots], les Bakaoun (pénitents) et les Qourra (lecteurs du Coran).

Les uns et les autres sont susceptibles d’avoir la Baraka. Ce n’est pas toujours le résultat d’un style de vie : les fous non dangereux, surtout s’ils sont fils de marabout possèdent une puissante baraka. On dit que leur esprit est près de Dieu. Tout près d’Azazga, à Cheurfa, existe un mausolée très célèbre en Algérie. C’est le fils d’un marabout, simple d’esprit qui y repose. Et puis, il y a les animaux ou les objets qui sont imprégnés de baraka : la bête sacrifiée le jour de la fête du mouton par exemple, ou la pierre noire de la Kaabah à La Mecque, où tout bon musulman doit s’être rendu en pèlerinage avant de mourir.

La baraka, selon certaines croyances, peut également se transmettre par la fréquentation d’un saint ou à sa descendance. Elle est héréditaire dans les familles chérifiennes. Les chérifs sont les descendants très vénérés de Fatima, la fille du prophète. Exemple bien connu en Afrique du Nord : la dynastie des Alawiyin qui s’était établie à Tafilelt au temps de la conquête des Arabes. Il arrive même que la baraka soit attachée à une fonction. Elle prend alors une certaine importance politique. Au Maroc, le sultan est chef religieux et "vice-régent de Dieu sur la terre". Comme tel, quarante saints l’entourent et lui conservent une puissante baraka. Il y a des Marocains pour raconter que quand un sultan est renversé ou lorsque ses affaires sont mauvaises, c’est qu’il a perdu sa baraka ou qu’on lui a volé.

La baraka, plutôt que réalité d’un style de vie, ou refuge spirituel est aussi chez les musulmans, une sorte de pouvoir d’action ou de chance, accordée à un individu digne de s’en servir ou à un objet chargé de signification religieuse comme les recueils du Coran.

Cette croyance s’appuie sur le goût du merveilleux, la possibilité pour les saints d’un comportement semblable à des actes miraculeux : lévitation, aspect spectral qui leur permet de marcher sur les eaux, de traverser le feu ou des murs, ou de se rendre invisible, les saints d’ailleurs ne meurent pas vraiment : leur corps ne se décompose pas, il sommeille seulement. Ils peuvent intervenir pendant ce sommeil en accordant des grâces ou en réapparaissant autour de leur tombe sous la forme d’un serpent ou de tout autre animal. Aussi les invoque-t-on.

Il y a des patrons de corporation, les musulmans ont leur Saint-Eloi et leur patron des voleurs. Les reliques sont très recherchées, car très efficaces contre les djouns. La baraka chasse les djouns, elle les gêne ; sauf pendant la 27ème nuit du ramadan. Ce soir-là, les djouns musulmans sont en liberté dans les mosquées isolées dit-on.

On perd la baraka par le vol. Autrefois, jamais un chérif n’acceptait de dîner en compagnie, de peur qu’en partageant son pain, l’hôte éventuel accapare une partie de la précieuse baraka. Mais il y a un tas d’autres moyens de la perdre. On peut les diviser en trois groupes qui affectent presque également la vie du musulman, le premier est une conséquence des rapports historiques du Prophète avec les groupes non-arabes de la Mecque, et aussi des croisades. Il s’apparente aux idéologies racistes : on perd sa baraka par le contact des Juifs et des Chrétiens, les gens du gouvernement n’ont tout de même pas toujours cette intolérance puisque l’on compte de nombreux Juifs et Coptes dans les rangs de la médecine et de l’architecture arabes, au Caire et à Bagdad.

En fait, à nous tenir à la lettre véritable du Coran on y découvre une extrême tolérance à l’égard des autres religions. Dans le second groupe, on peut inclure un tas de comportements en rapport avec la vie quotidienne, cela est typiquement berbère, et d’ailleurs plus ou moins entaché de superstitions. On perd la baraka si on se livre au gaspillage des aliments que, connaissant le goût et les possibilités alimentaires des Berbères, on peut qualifier de précieux : pain, lait, viande de mouton, miel, le miel, le petit-lait, le blé, l’orge sont très porteurs de baraka ; cela se comprend, car ce sont des médicaments ou bien la base de la nourriture.

Dans les champs de certaines régions, le blé et l’orge sont conservés sur pied après la moisson. Leur baraka se transmettra de la sorte aux semailles suivantes, le dernier groupe concerne les rapports de la baraka et de la pureté corporelle, "l’ablution, a dit Mahomet, est la moitié de la foi et la clé de la prière".

C’est la raison pour laquelle on se déchausse avant de pénétrer dans une mosquée. C’est pour procéder à des ablutions rituelles que chaque mosquée comporte une ou plusieurs fontaines. Celles-ci se trouvent au centre d’une cour située à l’intérieur du sanctuaire dans les mosquées turques ou égyptiennes. En Kabylie, on en voit à l’extérieur vers la porte d’entrée, comme à Yakouren. Il faut être propre pour prier Allah, sinon la prière perd toute son efficience.

Mais c’est l’état de pureté sexuelle qui est fondamental dans la prière musulmane. Toute trace d’écoulement féminin ou masculin qui ne serait pas effacée, non seulement annule la prière, mais expose si l’on se présente souillé à la mosquée à une paralysie. Le seul fait de vivre à côté d’une épouse dans le temps qui suit un accouchement ou pendant les menstrues est un risque d’impureté. Cette sorte de répulsion n’est pas étrangère au mépris des musulmans, de l’arabe surtout, pour la femme.

C’est un important aspect de la vie musulmane et l’on est frappé par l’élévation de l’idée de baraka appliquée aux grands saints de l’Islam. Et cependant il existe un côté superstitieux dans cette notion, où les djouns apparaissent. Or ceci n’exclut pas un grand réalisme dans la façon dont les musulmans considèrent que la baraka influe sur les récoltes, la bonne politique et imprègne des objets non dépourvus de valeur marchande ou alimentaire.

L’idée de "chance" est évoquée irrésistiblement. La baraka inspire néanmoins des exercices d’ascétisme et donc une morale. Enfin, elle a une importance sociologique considérable puisqu’elle marque les relations de l’homme et de la femme et qu’elle introduit des conduites rituelles jusque dons l’exercice des travaux des champs.

Ce mélange de religieux et de gestes de la vie quotidienne, de merveilleux et de considérations prosaïques, ce ritualisme, c’est l’âme populaire de l’Islam qui ne sépare jamais la religion de la politique, des rapports sociaux, et, en Kabylie des vieilles croyances du paganisme….


CHAPITRE 15. LES ECOLIERS D’HAOURA. JANVIER-FEVRIER 1960.

Poteries kabyles

Suivons à la fontaine, le plus discrètement possible, car c’est chose défendue, cette ’jeune femme avec sa cruche. Comme celle-ci est vide, elle la porte à l’horizontale sur sa tête. Lorsqu’après avoir bien bavardé avec les autres femmes du village, son tour de puiser l’eau sera passé, elle reviendrait c’est alors un spectacle d’une grande beauté que ce corps féminin simplement couvert de couleurs, ondoyant au rythme des pas et supportant l’amphore pesante. Elle est appuyée sur les reins, tandis que bras levés, coudes à la hauteur des oreilles, la femme tient fermement les deux anses symétriques ; une autre fois, c’est une silhouette plus harmonieuse encore que vous admirez : la poterie gracieusement effilée et tenue droite sur la tête, assurée aune seule main, car l’autre retient un enfant ou porte un autre récipient. Femmes aux amphores, gracieuses visiteuses des fontaines, beauté de la Kabylie.

Cette amphore avec laquelle est puisée l’eau domestique vous est sans doute familière, les Kabyles la nomment "acemmuty". Elle est le plus souvent bien proportionnée et joliment décorée. Deux autres pièces la dépassent en grosseur : la "tassebulyt asagem" ornée de quatre anses, utilisée pour le transport de l’huile et la conservation d’une réserve d’eau ; et la "tasebalt", véritable jarre munie d’un couvercle, sorte d’Ikoufan en terre cuite, un peu réduit, destinée de même aux réserves. Certaines poteries, souvent très larges et plates, à bords peu élevés ou cylindriques, et à grande ouverture ont le fond peint en rouge. Ce sont des ustensiles pour aller sur le feu et pour faire cuire la galette. Il y a aussi le plat "aquedduh-t-tenitut" : un plat de terre cuite, énorme, rond, aux rebords épais et peu élevés munis de deux cônes grossiers pour la manipulation.

Il existe aussi des récipients pour la cuisson des légumes et beaucoup d’autres encore. D’autres poteries de proportions plus modestes viennent des Ouadhias, surtout, et aussi aes Aït-Azouz : des lampes, des pots arrondis et sans cols, des coupes, semblables à nos fruitiers, une petite calebasse décorée à l’intérieur et munie d’un anneau en terre, une assiette pour enfant. Dans la maison, toutes ces choses sont aussi utiles que décoratives.

Autre objet : une sphère munie d’un bec et montrant une ouverture ronde, surmontée d’une anse qui relie le bec du récipient et le bord opposé. C’est une saucière à couscous. On sert le couscous soit dans un grand plat d’olivier, soit dans une de ces coupes montées sur pied comparable à un fruitier, les légumes sont placés sur la semoule et le bouillon dons " l’abuseqqui". On y mélange un condiment piquant à base de piment. Montées sur un pied commun, des petites ampoules au nombre de trois ou de cinq font penser à un candélabre rustique. Le tout abondamment décoré, comme chacune des autres poteries : c’est la lampe de la fiancée. Le pur du mariage, celle qui accompagne la fiancée traverse le village avec cette lampe à huile allumée, car la jeune fille sera la lumière de la maison.

Il existe également des poteries qui ne sont destinées ni à l’eau, ni au feu, ni même à aucun usage domestique courant. Ce sont des vaisselles rituelles. Cette lampe de la fiancée en est un exemple. Il existe une petite cruche " aqbuc-t-tissit " réservée à l’eau qui servira aux ablutions de la jeune épousée.

Ce pot est encore utilisé par les sorcières dans les rites très particuliers, pour que telle fille encore ’jamais demandée en mariage le soit enfin. C’est un cruchon semblable, rempli d’eau que l’on dépose au cimetière sur la tombe des morts récemment inhumés. De cette manière l’âme du défunt qui, les premiers jours peut être tentée de retourner auprès des vivants, reste fixée auprès de la tombe, les usages et la forme de bon nombre d’objets sont à caractère religieux et nécessiteraient une étude approfondie.

Dans tout le secteur de l’Idjeur, les fêtes de Noël s’étaient déroulées normalement et avaient marqué un réel progrès de la pacification depuis les terribles opérations de l’été et de l’automne, où le FLN avait perdu sa substance. À l’heure des bilans, les témoignages sont éloquents. En pointe de la politique sociale qui va de pair avec la pacification : la scolarisation. Ceux que l’on appelait encore récemment " les hussards noirs de la République " : les instituteurs, à l’égal de l’armée se dévouent sans compter dans ces villages kabyles qui les ont adoptés….


CHAPITRE 16. COMMANDO DE CHASSE. MARS-AVRIL ! 1960.

L’Aïd-el-Kébir

Le marché d’Iffigha est installé non loin de deux puits jumeaux. Un chemin sablé que fréquentent les troupeaux auxquels se mêlent des caravanes de bourricots et de mulets aux flancs alourdis de chargements énormes. Petits chèches rouges sur un pauvre vêtement bleu, chiffons jaunes et noirs, hauts comme trois pommes et vif argent : ce sont les petits bergers et leurs soeurs. Si vous les regardez bien durant leur marche irrégulière coupée de va-et-vient, pareille à celle de leurs chèvres et des moutons, légère auprès du pas pesant des boeufs, vous les verrez peut-être baisser devant un agneau celles des branches inclinées au-dessus du chemin dont les pousses sont les plus tendres.

Ou bien, si l’on vient à longer un champ de figuiers, surprendrez-vous les enfants cueillant une figue pour la tendre au même jeune animal. Il vous semblera que cet agneau bénéficie d’un traitement de faveur. Et vous aurez raison ; il y a quelque temps déjà qu’il a été choisi et que chacun dans la famille le gâte comme on s’occupe chez nous d’un chien familier.
- Ce sera lui le bélier de la grande fête, a un jour décrété le chef de famille.

Les enfants jouent avec lui, lui choisissent la meilleure herbe. Quand le troupeau rentre des champs, on le porte dès qu’il montre un signe de fatigue. N’avez-vous pas vu cette image du berger revenant les épaules ou les bras chargés du charmant animal ? Les grandes personnes, elles lui préparent du son ou de la farine d’orge. Elles veillent sur sa croissance, mais avec un oeil différent que s’il fallait l’engraisser pour le vendre à bon prix. On l’aime plus encore que la paire de boeufs réservée aux labours. C’est le mouton que la famille va sacrifier en l’honneur de l’Aid-EI-Kébir.

L’A’id-El-Kébir est non seulement une grande fête, mais la plus grande du monde musulman, comme Pâques pour les chrétiens. Cette fête est une de celles qui rattachent l’Islam à la tradition biblique, cet Ancien testament dont s’inspirent les Juifs et tous les Chrétiens. Mahomet qui croyait comme les musulmans d’aujourd’hui au même Dieu que les chrétiens et les juifs fut frappé par le récit du sacrifice d’Abraham et le remplacement d’Isaac par un mouton, selon la volonté de Dieu. Or beaucoup d’Arabes étaient bergers. Il était donc facile de plaire à Dieu par l’offrande de cet animal si aisé à trouver dans les troupeaux d’Arabie. Et, disent les musulmans, une inspiration divine d’ailleurs inscrite dans le Coran vint confirmer cette vue du Prophète. Ainsi fut créée cette grande fête du sacrifice du mouton : l’Aid-EI-Kébir.

Les hommes se réunissent quelque part. Ce peut être à la mosquée. Mais c’est au cimetière que généralement le marabout les attend pour réciter la Fatiha, c’est-à-dire le premier verset de la première sourate du Coran qui est une prière semblable à la célébration d’un mariage. Puis ils sont exhortés à dominer leurs querelles pour se rapprocher les uns des autres. Cela s’accomplit vers dix heures du matin. Puis ils se séparent pour regagner leurs maisons ; chemin faisant, ils donnent un baiser de paix à tous ceux qu’ils rencontrent, les femmes font de même entre elles. Le sacrifice s’accomplit en famille.

Le mouton, joliment tondu a été lavé. Il est bien gras et tout blanc. C’est le père de famille qui l’égorge dans la cour de la maison ou, s’il est dans l’impossibilité de le faire lui-même, l’un de ses fils qu’il a expressément désignés. Le même geste que celui d’Abraham... Mais l’animal sacrifié ne disparaît pas dans les flammes d’un bûcher. Il est destiné à la consommation selon trois voies différentes.

D’abord on fait le "bouzelouf", qui ressemble à notre tête de veau. La tête et les pieds sont nettoyés à la flamme, puis bouillis et servis avec une sauce à l’huile. C’est délicieux, tous les Kabyles aiment cela. Au repas suivant, ils consomment les abats. En ce qui concerne les parties nobles de la bête, la viande est boucanée.

À cet effet, il faut une viande de belle qualité, ce qui est le cas du mouton sacrifié. Alors, on découpe des tranches qui sont mises à sécher en plein air, au soleil ; ou bien on les suspend au-dessus du kanoun. On fait également des salaisons. Cela permet ensuite de confectionner des couscous particulièrement appréciés avec du poulet. Tout le mouton n’est pas séché, les gigots sont offerts : ainsi, le sacrifice est partagé. Il n’est personne qui puisse se soustraire à cette tradition, et il est impossible de refuser ce cadeau quand il est offert. En effet, de très pauvres gens donnent ainsi un gigot. La misère ne les détourne pas du sacrifice du mouton de l’Aïd-EI-Kébir, ni du Baiser de paix, ni surtout de cette offrande à plus riche qu’eux. N’est-il pas dit :

  • Fais le bien au rocher, tu y gagneras !

Voici venu le temps des commandos. De plus en plus difficiles à débusquer, les petits groupes de l’ALN refusent systématiquement le combat et se terrent dans les plus hauts djebels. P.01 grenouille en permanence du côté d’Iril N’Aït Tziboua. Les chasseurs et les harkis qui composent le commando relèvent des traces ; parfois ils tombent sur une cache et récupèrent de l’armement, du ravitaillement, mais ce qu’ils cherchent : c’est le renseignement : documents saisis ou prisonniers récupérés lors d’une embuscade…


CHAPITRE 17. LES ENFANTS DU REBELLE. MAI-JUILLET 1960.

Les Marabouts.

L’Algérie est sans doute de tous les pays musulmans celui qui est le plus pauvre en minarets. Les mosquées des villages sont humbles et rarement dominées par cette architecture du haut de laquelle est lancé l’appel à la prière. Mais près de chaque village, un peu à l’écart, sur une butte ou tout contre la kouba - la mosquée -vous avez sans doute remarqué la coupole blanche coiffant une maçonnerie cubique font les ouvertures sont presque toujours ornées de céramiques de couleur : c’est le marabout. Retirez vos chaussures et entrez. Sous la coupole vous distinguez une tombe.

Elle est couverte d’étoffes multicolores et de drapeaux. Ce sont les ex-votos apportés lors des pèlerinages par des familles exaucées, des femmes désireuses d’avoir un fils. Tout à côté : un coffre-fort. Ce coffre contient la fortune de la dlemâa. Il est protégé des visites indiscrètes par le marabout enterré là. Un vol en ce lieu sacré où repose un saint homme serait une profanation.

Mais que signifie marabout ? La plus grande confusion règne à propos de ce terme. Un dictionnaire affirme que le marabout est un ascète musulman. Le terme de marabout désigne en réalité des personnages qui, en Kabylie, forment une sorte de caste sociale. On dit au sein de leur communauté, que les marabouts descendent des premiers Berbères convertis à l’Islam lors des invasions arabes. Ils acquièrent par cette qualité de croyant, une sorte de supériorité aux yeux des conquérants sur le reste de la population. Et cet avantage, cette distinction demeure.

L’esprit de clocher est inimaginable en Kabylie. Mais les propos maraboutiques (sic) surpassent tous les outres en ce domaine. Les marabouts ne se considèrent pas exactement comme des Kabyles. On le remarque dans les rapports commerciaux entre Kabyles et Berbères d’essence maraboutique, surtout si l’on se réfère au Kanoun de la tribu des Cheurfas :

Si un homme de la Zaouïa vend son bien à un Kabyle sans le mettre d’abord aux enchères à la djemâa, il paye une amende et la vente est nulle ou du moins les gens de la Zaouïa peuvent le racheter. Celui qui marie une fille dont il dispose à un Barbari (c’est à dire à un kabyle) ou qui répudie sa femme pour la faire épouser par un Kabyle paiera une très forte amende. C’est une punition pour conserver intact l’honneur de notre Zaouïa et empêcher que l’exemple ne soit suivi.

Le marabout de village est un personnage considérable. Dans des régions où l’on vit encore de traditions qui existaient avant même l’invasion arabe et dont l’Islam s’est accommodé, le caïd, l’Amin, le marabout sont bien davantage que le maire et le curé dans les plus conservateurs de ces villages. Un marabout instruit du Coran, c’est-à-dire "Alem", est comme tous les oulémas (pluriel de alem) appelé à remplir les fonctions sacerdotales du village habité par sa famille. Il est, entre Dieu et les hommes, la seule instance perceptible et il sait mieux que les autres ce qu’il faut connaître pour être fidèle. On lui attribue, les vieilles femmes surtout, un pouvoir de guérison.

Et, puisqu’il est savant, son avis dans les questions de procédure civile est indispensable. Mais il ne suffit pas que son savoir soit bien établi. Les parties en présence choisissent un marabout de bonne extraction, car il y a des degrés dans la réputation maraboutique et la baraka d’un saint ancêtre est un héritage important. Il faut qu’on le sache juste, inaccessible à la haine, incapable de participer à de sordides combinaisons de subornation... Et pour cette dernière raison, on le préfère riche. Lorsque cette dernière considération n’est pas satisfaisante, une très grande réputation de sainteté peut faire passer outre.

Enfin, ce que les Kabyles apprécient au plus haut degré de leurs marabouts de village, c’est très certainement l’esprit de conciliation. Il n’existe probablement que peu de communautés humaines qui, plus que "les fils de la montagne" aient le sens au compromis et de l’arrangement aussi développé. Nulle part ailleurs on trouve autant de chicaïas qu’en Kabylie, de procès, de jalousies, de revendications nourries par l’orgueil de la réputation du "nif". Et le compromis, s’il ne calme pas toutes les rivalités, empêche, à l’insu des infatigables procéduriers de ces régions, l’effondrement des ressources des innombrables parties qui s’affrontent.

Un marabout n’est pas forcément un homme instruit du Coran et chargé d’un sanctuaire. Il est d’abord membre d’une famille de marabouts elle-même rattachée à une tribu de marabouts. Il existe plusieurs tribus de marabouts, par exemple celle de Cheurfa-Guiril Guek’ken.

Elle est très réputée et le marabout fondateur de cette tribu et du village qui porte ce nom est fameux dans l’esprit des Kabyles. Il y a également le village des Aït-Sedka qui est très connu. Les marabouts forment caste et ne se marient qu’entre eux. Ils font généralement des études coraniques. Tous les marabouts, qu’ils exercent une fonction sacerdotale dans une kouba ou qu’ils continuent à vivre dans leur tribu, doivent connaître le Coran et pouvoir l’écrire en arabe. C’est une obligation, au même titre que les autres imposées par l’existence.

Ces études musulmanes sont poursuivies dans les zaouïas, sortes d’écoles libres coraniques de niveau primaire et moyen, si tant est que l’on puisse comparer cet enseignement à celui de nos écoles communales ou nos cours complémentaires. Autrefois, les premiers fidèles désireux de se cultiver dans la religion de Mahomet s’attachaient à une "ribat" (d’où vient le nom de marabout), c’est-à-dire une caserne, couvent où résidaient les soldats de la guerre sainte.

Depuis, les soldats ont disparu. En se démilitarisant, la ribat est devenue la zaouïa. Mais en Kabylie, pas plus que le terme de "medersa", la zaouïa n’est restée le synonyme d’enseignement élémentaire. C’est plutôt d’une façon générale, le village où est enseigné le Coran et où vivent les marabouts. Tiffrit N’Ait Ou Malek est une zaouïa, comme Cheurfa et d’autres encore.

Le sentiment d’appartenir à une tribu maraboutique est teinté de fierté. Il n’est donc pas étonnant que la qualité de marabout entraîne une profonde considération de la part des Kabyles. Quand vous vous approchez d’un marabout, pour le saluer, vous ne devez pas lui baiser la main, contrairement à ce qui est de règle avec les hommes plus âgés que vous pouvez croiser. Vous effleurez très rapidement le pouce de la main droite. Leur nom est précédé du mot "si", c’est à dire : "sidi", terme particulièrement courtois pour exprimer "monsieur". On les appelle aussi "cherif" ou "cneik". Ces deux mots qui sont arabes et non point kabyles sont presque synonymes et définissent une certaine noblesse.

En réalité, un cheik est un lettré qui, après la zaouïa, fréquente une medersa, aujourd’hui l’université coranique. Il est habilité à exercer des fonctions judiciaires et à enseigner. Un cherif est un descendant de Fatima, la fille du Prophète. En Kabylie, ces deux termes n’ont plus tout à fait leur signification véritable, le rôle du marabout lui réserve des places à part dans les cérémonies du village. A la Kouba, c’est lui l’imam, le premier fidèle qui dirige la prière, dès lors qu’il est seul à remplir une fonction sacerdotale dans le pays. Lors des enterrements, il est en tête du convoi funèbre. Dans les mariages, on lui donne les meilleures parts, on s’écarte un peu de lui, il serait inconvenant de le coudoyer. Enfin son épouse, la seule femme complètement voilée du village, ne peut être invitée.

Le marabout est incontestablement avec le caïd et l’amin du village, un personnage majestueux, le plus honoré de tous. Il bénéficie de clauses spéciales prévues par les kanouns pour la protection de ses biens. Les amendes sont généralement doublées. De façon générale, dès qu’on a touché à quoi que ce soit appartenant au marabout, le village considère l’affaire comme atteignant sa réputation et la prend à son compte. Toutefois, n’exagérons rien. Foncièrement égalitaire, très réalistes malgré l’attachement des femmes aux vieilles croyances superstitieuses, les Kabyles assurent le respect à leur marabout d’après ses qualités morales et intellectuelles ainsi que le précise le kanoun des Ibethrans : Les marabouts qui se conduiront bien et agiront en honnêtes gens auront droit

à notre considération, nous les honorerons. Mais ceux qui se conduiront mal seront traités comme des Kabyles. L’importance des marabouts de village devenus lettrés par la fréquentation d’une zaouïa et d’une medersa est considérable. Connaissant fort bien les Kabyles, profondément religieux, ils ont contribué à l’islamisation de ces Berbères farouchement attachés à leurs traditions. Bons ou mauvais Musulmans : les Kabyles s’affirment, se sentent musulmans. Par les marabouts, le dogme s’est assoupli considérablement, s’est adapté, apprivoisant progressivement les montagnards, réussissant là où tous les prosélytes précédents avaient échoué. Les marabouts furent, avant la conquête française, les seuls éléments d’ordre et de civilisation entre tribus et villages antagonistes. Aujourd’hui encore, leur influence reste considérable.

Jumelles" était démontée depuis longtemps, mais les commandos de chasse des unités de secteur ou des paras, parmi eux P.01 du 27ème BCA continuaient à grenouiller entre Akfadou et Djurdjura, traquant impitoyablement les rares groupes rebelles subsistant encore. Dans cette willaya 3, jadis l’une des plus importantes de la rébellion, là où les populations étaient entièrement soumises au FLN, tenues d’une main de fer par l’OPA, Mohand Ou El Hadj ne commandait plus qu’à une centaine de combattants dispersés dans la montagne. De surcroît, il avait à faire face à une tentative de dissidence. Quatre de ses lieutenants : Sadek Ferhari, Alloua, Mohamed Ben Yahia et Kadri Ahmed, ce dernier très influent dans les milieux religieux, ne reconnaissaient plus son autorité. Sur renseignements, le capitaine Léger, le responsable de la terrible "bleuite" qui avait sévi dans les willayas depuis la bataille d’Alger avait intercepté un petit groupe de djounouds qui ne s’étaient pas fait prier pour se rendre. Démoralisés, ceux-ci avaient donné des renseignements précieux. Aujourd’hui, Léger et son commando de l’Akfadou touchaient les dividendes de leur pugnacité. Dans le regard de certains parmi ceux qui étaient rassemblés autour de la vieille valise en carton bouilli luisait un éclair de cupidité : seize millions en billets, des pièces d’or et des bijoux kabyles en pleine forêt, loin de tout... voilà de quoi échauffer les esprits ! Oublié le trésor d’Amirouche ; le "petit" n’avait pas menti. Des deux côtés l’intoxication fait rage…


CHAPITRE 18. EMBUSCADE A TABOUDA. AOUT-DECEMBRE 1960.

Djemâa-Saharidj

Au pied de l’escarpement de Fiouan, le "Rocher aux corbeaux", Djemâa-Saharidj s’étale nonchalamment au milieu d’arbres fruitiers de toutes sortes que fertilisent de nombreuses sources. Ces sources auraient été naguère au nombre de 99. Si le chiffre est exagéré, il n’empêche qu’au plan hydrographique, ce coin de terre est béni entre tous en Afrique du Nord. Les Romains en avaient relevé la particularité et y avaient établi une ville, tout à la fois bastion aux marches de l’Empire et centre de colonisation.

Par la suite, Djemâa-Saharidj conserva toujours un cachet citadin ; on s’endimanchait pour venir au marché. Il se tenait sur une grande place au milieu de laquelle se trouve une fontaine avec un bassin dite Tala Mezzien. C’est de là que vient le nom Djemâa-Saharidj : "le marché du vendredi", donné à cet endroit, le marché a maintenant disparu, transporté au centre voisin de Mekla. Mais son souvenir est resté attaché à la grande place appelée le "Vieux-Marché". De nos jours, on y trouve encore des constructions romaines. Dans les vergers et les jardins, nombreux sont ceux qui mettent au jour des ustensiles de terre cuite, de grandes cruches par exemple. Aux endroits où abondent les ruines, avec un peu de chance, on peut ramasser des pièces de monnaie datant de l’antiquité.

L’eau qui s’y trouve en abondance serait un don des Romains. Ce sont eux qui l’auraient captée par des conduites souterraines depuis les sommets enneigés. C’est ainsi que l’on peut jeter de la paille à la source de Tirourda pour la voir réapparaître à la résurgence de Djemâa-Saharidj. C’est cette abondance d’eau qui permet aux habitants de la région des cultures maraîchères et des vergers florissants. Au plus fort de l’été, on trouve dans chaque rue du village une rigole où l’eau ruisselle.

Les anciens racontent qu’un jour, bien avant la conquête, l’eau vint à manquer, tes gens de Djemâa étaient sur le point de mourir de soif. Pour espérer un peu du précieux liquide, il fallait aller à l’oued lointain ; toutes les sources étaient taries. Le village commençait à se dépeupler et les Béni-Fraousen se réunirent pour aviser de cette situation pour le moins préoccupante. Un marocain venant à passer leur posa alors la question :
- Que me donnerez-vous si je vous rends votre eau ? Ils lui répondirent :
- Fixe toi-même le prix, tu l’auras. Rends-nous notre eau et nous te donnerons ce que tru demanderas.

Après que les anciens l’eurent informé de l’origine de l’eau, le marocain alla à Tizi N’Terga et leur montra l’endroit où l’eau se perdait. Ayant creusé, ils trouvèrent l’eau et découvrirent la conduite qui, du col de Tirourda, la mène à Djemâa-Saharidj. Le marocain refit le bâti à l’endroit où l’eau s’échappait et de nouveau, elle reparut au village en des sources plus nombreuses qu’avant. Les Béni-Fraousen témoignèrent une grande reconnaissance au marocain qui les avait sauvés de la mort.

Mais leur joie fut de courte durée et bien vite se transforma en préoccupation. Leur eau, en effet, venait de Tirourda et traversait comme le leur avait dit le marocain, le territoire des Ait-Yahia, leurs ennemis. Ils redoutèrent que, quelqu’un venant à le leur apprendre, ils ne leur coupassent l’eau, ce qui était absolument certain compte tenu de leurs différends. Et de nouveau, le village se viderait. Les chefs des Béni-Fraousen se réunirent donc et tinrent conseil à ce sujet. Prenant la parole, un ancien leur dit :
- Pour l’affaire oui nous occupe aujourd’hui, nul ne connaît l’origine de notre eau sinon nous-mêmes et le marocain qui nous l’a rendue. Il est le seul étranger à savoir. Pour de l’argent, il peut nous vendre à nos ennemis. Le ventre qui a mangé veut manger davantage, l’oeil qui a vu peut indiquer. Vous désirez notre salut et celui de nos enfants : il nous faut donc ne pas laisser le marocain quitter notre tribu sans lui avoir crevé les yeux. Les anciens se mirent d’accord sur cette manière de procéder : ils se saisirent du malheureux marocain et, lui ayant crevé les yeux, ils le chassèrent. Quelques générations plus tard, un étranger se présenta à Djemâa-Saharidj ; il venait du Djurdjura. On lui offrit l’hospitalité. Ayant terminé son repas, l’étranger dit à son hôte :
- Cette eau que vous buvez vient de ma région. Vous n’avez pas la pareille ici chez vous. Demain, je retournerai dans mon pays ; je mettrai du son dans la source et nous verrons s’il arrive jusqu’ici. Le lendemain, il repartit pour son village du Djurdjura. Arrivé chez lui, il prit un sac de son et se mit en devoir de le verser dans le torrent d’où venait l’eau. Retournant à Djemâa, il y trouva les gens attendant que le son arrivât au fil de l’eau. À peine notre homme était-il arrivé que le son, lui aussi, apparut dans le bouillonnement de la source.

  • Bravo ! lui dirent les gens, tu es très malin. Et maintenant, nous allons te dédommager de ta peine... Ils l’entraînèrent à l’intérieur d’une pièce plongée dans l’obscurité et lui coupèrent la tête.

Car, se disaient-ils, si nous n’agissons pas ainsi, viendra un jour où il pourra mettre dans notre source un produit qui nous fera tous périr. Depuis lors, ce problème est resté en l’état, de manière à ce que personne ne sache d’où provient l’eau de Djemâa-Saharidj. Mais cela, c’est de l’histoire ancienne...

Comme en France où campings et pensions de famille refusent du monde en Bretagne où sur la Côte d’Azur, la saison estivale bat son plein en Kabylie. On n’avait pas vu ça depuis l’été de 1954, avant " les événements ". À tour de rôle, les sections du 27ème BCA se succèdent et se rélèvent au centre de repos de Port-Gueydon, chacune y apportant une amélioration. Pour les chasseurs, c’est l’oubli du djebel, de l’embuscade vicieuse et les nuits sans sommeil passées au détour d’une piste. On bronze en toute quiétude ! Quant à ceux qui restent dans la montagne, en ce début du mois d’août, âne troupe artistique donne des représentations théâtrales dans les différents postes du secteur….


CHAPITRE 19. L’IMPOSSIBLE DILEMME . 1961.

La Timecheret.

La Timecheret est un sacrifice rituel de boeufs ou de moutons organisé par le village. Il s’ensuit un portage des quartiers de viande que préside l’amin. Le soir, cela se termine par une longue fête dans chaque foyer. Toute la viande est généralement mangée pendant ces agapes nocturnes.

La décision de pratiquer cette cérémonie est prise à la djemâa, suivant que l’on a un malheur à écarter ou un événement heureux à solliciter du ciel. Les deux vont d’ailleurs souvent de pair selon une dialectique particulière : ainsi écarter la sécheresse et demander la pluie. L’achat des bêtes est financé de deux façons. L’argent vient la plupart du temps de la caisse de la djemâa, alimentée par les multiples amendes infligées durant l’année.

Une partie de la viande provient aussi des bêtes confisquées. Lorsque la caisse n’est pas riche et que la nécessité de la Timecheret est impérieuse, on organise alors une collecte d’argent. Autrefois, c’était les riches qui, paraît-il, réunissaient les fonds indispensables. Maintenant, chacun doit obligatoirement apporter sa contribution financière. Les pauvres paient peu à peu après la fête.

Il n’existe qu’un cas de Timecheret aux frais d’un individu. C’est une disposition prise dans la tribu maraboutique de Cheurfa Guerl’ll Guek’En. Que dans cette tribu une dispute éclate à la djemâa et aussitôt un membre de l’assemblée s’interpose, proclamant l’Anaïa (la trêve) de la djemâa. Si la dispute recommence, alors celui qui a violé le premier l’anaïa achète à ses frais, deux boeufs pour le village. Mais hormis ce cas qui s’apparente plus à une amende, chez les Ait Khaliffa, on fait une timecheret d’argent lorsqu’un paysan dans la gêne doit abattre une bête malade.

Si cet homme décide que la viande de son bœuf sera partagée entre tous les habitants, ces derniers achètent à la fois l’animal malade mais comestible et ce qu’il faut en plus pour qu’il y ait assez de viande pour tous. Le déroulement de la fête se fait en plein air. Les enfants vont cueillir de pleines brassées de fougères qu’ils étalent et l’on pose la viande crue sur cette longue bande verte.

Les bêtes sont égorgées par les fellahs eux-mêmes quand il n’y a pas de boucher dans le village. Toutefois, avant de couper les pièces de viande, le marabout dit la Fatiha. C’est alors que les bêtes vidées et dépecées sont réparties entre les familles. Chaque Tamen (notable ou chef de karouba, c’est à dire chef de famille) est devant la portion de ruban de fougère réservée à chaque famille.. Les écorcheurs déposent sur cette surface la quantité de morceaux correspondant à l’importance de la famille.

Ce partage est en principe aussi rigoureux que possible. Comme chaque Tamen abandonne sa place très rapidement pour mieux surveiller les opérations avec méfiance, il faut de longs palabres pour aboutir à un résultat assez équitable. Le tableau offert par ce spectacle est assez extraordinaire. Les écorcheurs, du sang sur le visage, les bras enfoncés jusqu’aux coudes dans les carcasses des animaux sacrifiés, découpent les morceaux qui sont ensuite posés sur les fougères selon la répartition de l’amin. Aucun principe de boucherie ne guide l’équarrissage. On taille, on tire, on déchire ; l’acre odeur du sang répandu sur le sol se mêle à la poussière qui monte du chemin. Chiens et hommes rôdent autour des tas qui grossissent sur le lit de fougères. Et les mouches !

Le va-et-vient autour des étals se transforme rapidement en un long piétinement dans lequel on distingue l’énervement que provoquent l’odeur du sang et la joie supputée des ripailles nocturnes.

Deux grands connaisseurs de ce pays écrivaient que les Kabyles comme les Anglo-saxons se font remarquer par leur goût prononcé pour la viande. En tout état de cause, l’excitation gagne le village un pur de Timecheret. Rapidement, à l’impatience succède le mécontentement. L’un qui était peu disposé, par avarice, à participer à la collecte générale, décide en signe de protestation, de refuser sa part de viande. L’autre conteste le nombre de têtes déclarées par un chef de famille, voisin lors du partage, et l’accuse de resquiller quelques morceaux. Un troisième est pris au moment où, croyant passer inaperçu, il s’empare d’un morceau dans le dos d’un écorcheur.

Pauvre amin ! Il lui faudrait autant de bouches au service d’une multitude d’yeux et d’oreilles, qu’il y a de familles, pour répondre à toutes les récriminations. Les kanouns ayant heureusement accumulé la sagesse des temps sont là pour l’aider à maintenir l’ordre et les amendes tombent ! Mais le plus difficile à obtenir de la part des villageois, c’est que personne n’emporte sa part avant le signal donné par l’amin. La gourmandise fait parfois oublier la dignité ! ….


CHAPITRE 20. APPLIQUEZ GENTIANE. MAI-DECEMBRE 1961.

Fiançailles kabyles.

En Kabylie, comment se marie-t-on ? Comme en métropole, le mariage commence par une période préparatoire : les fiançailles variant parfois d’une tribu à l’autre. C’est une affaire qui se règle entre les familles. Les futurs époux n’interviennent en aucune manière. C’est à eux d’être assez intelligents pour s’entendre après les épousailles, les familles toutefois n’agissent pas à la légère et s’efforcent de trouver ou fils une fiancée parée de toutes les qualités, le choix provient toujours de la famille qui recherche à marier un garçon. Joute initiative prise pour une jeune fille serait un manquement aux usages.

C’est généralement la mère du garçon, sa grand-mère ou sa tante qui prennent l’initiative. Elle sonde le terrain auprès des parents d’une fillette ou d’une jeune fille remarquée tant par ses qualités que par la gentillesse de son minois et son aspect physique. On voit ainsi des parents faire des projets à long terme pour leurs enfants. Bien entendu, il peut se faire qu’ils soient sans lendemain. À la condition qu’aucun engagement officieux mais ferme n’ait été pris. Il faudrait alors que les parents du garçon consentent à dégager les parents de la fille de leurs anciens engagements.

Il y a aussi des marieuses professionnelles. Mais cela dépend des régions. De toute façon, la belle-fille future est choisie de préférence dans le milieu des connaissances : parents ou amis. Il est des régions où les cousins germains sont volontiers mariés entre eux. Les caractères sont mieux connus de la sorte, les frais des fêtes sont moins élevés et les questions d’intérêt plus facilement résolues. Et si leur plus proche environnement ne satisfait pas la famille du voisin, on cherche ailleurs.

Dans le village voisin par exemple, à condition qu’il soit de la même tribu, lorsque la mère du garçon n’est plus trop jeune, il lui est possible de se déplacer accompagnée d’une autre femme de la famille. Alors elles tâchent d’être reçues par les parents et les amis. Et là, elles se mettent en quête d’une bru. Elles la rencontreront peut-être à la fontaine portant une cruche d’eau. On fera une enquête serrée sur la famille, en cachant soigneusement le but poursuivi. Si la famille plaît, on fait alors la demande.

Le rôle des femmes est primordial et indispensable. Mais les engagements officiels sont pris par les pères. En attendant, les mères, celle de la fille surtout, car le grand problème est de caser la fille, et il faut donc conserver les sympathies à cet égard, se font des cadeaux. Notamment de bons petits plats qu’elles s’invitent à déguster. Quelque temps plus tard on célèbre la fatsiha, c’est-à-dire l’engagement solennel devant témoins de la réalité du mariage futur. Cet événement est suivi d’un certain nombre de gestes rituels. C’est à partir de la fatsiha que l’on peut parler de fiançailles.

Les fiançailles ne peuvent être rompues. Quand deux familles kabyles ont levé la main en récitant la fatsiha, le mariage doit suivre obligatoirement, les époux pourront divorcer plus tard, mais après le mariage annoncé par la fatsiha. À partir de là, la jeune fille appartient positivement à sa belle famille. Sauf accord préalable, elle doit vivre chez ses beaux-parents même si le mariage est reporté à plusieurs années de là.

La fatsiha se conclut sur un grand repas. La mère du jeune homme apporte chez sa bru un couffin contenant des beignets, du beurre, du sucre, de la semoule, de la viande achetée au marché la veille. Par commodité, les agapes ont presque toujours lieu au lendemain d’un marché. Hospitalière, la mère de la bru offre une collation, et l’on roule le couscous que ces dames et leurs amies dégustent avant l’arrivée des hommes. Tout est prêt lorsqu’arrive le père du jeune homme avec ses amis.

Celui-ci a fait venir les siens et le marabout du douar. Si l’assistance est nombreuse, les invités sont groupés par dix. Pour chaque groupe on a prévu une saucière à bouillon et un plat à couscous. On sert aussi la viande. Elle est cuite par paquets de dix morceaux puis égouttée. Au moment de servir, on place ces morceaux dans un couffin et, paraît-il, le maître de maison "donne à chacun selon sa chance", puisant au hasard clans le récipient.

Après cela on boit le café. Ensuite, on fixe les clauses du mariage devant les invités qui servent de témoins et participent d’ailleurs au débat. On discute de la valeur de la dot, de la date du mariage, de l’opportunité de l’entrée de la jeune fille chez ses beaux-parents. On se met d’accord pour décider si la jeune fille travaillera aux champs ou non. C’est le père du jeune nomme qui prend la parole le premier. On fait ensuite des cadeaux à la future épousée, généralement de l’argent ou une broche qui sera portée sur la poitrine. Cela restera sa propriété personnelle, confiée à la mère si la jeune fille est encore trop jeune.

Une semaine après cette cérémonie, les parents du jeune homme apportent chez les futurs beaux-parents de ce dernier de quoi composer un repas. On l’appelle le "plat de l’amitié". Un mois et demi plus tard, on célèbre "lana", c’est-à-dire la "fête des cadeaux". Elle n’a lieu que si le temps entre la fatsiha et les noces dure plus d’une année, soit que le futur mari est absent, soit que la jeunesse des conjoints rend le mariage impossible. C’est une fête strictement familiale ; hommes et femmes festoient en commun. Les femmes confectionnent des crêpes qu’elles offrent à leurs amies.

On est très gai ce jour-là et le repas est préparé en chantant. Parmi les cadeaux apportés, à côté des robes, des fichus, du savon, de l’huile, on trouve le henné. On l’applique sur les mains et les pieds de la fiancée et on lui teint également les cheveux. Ce travail est exécuté par une femme qui a eu de la chance dans sa vie. Elle oint d’abord un petit garçon afin que la fiancée, plus tard, après son mariage, ait un garçon comme premier enfant. À partir de "lana" la famille du futur mari est tenue d’offrir des cadeaux à l’occasion de chaque fête religieuse jusqu’au jour des noces. Ainsi se concluent les fiançailles kabyles : avant tout une affaire traitée entre deux familles.

L’armée est sortie brisée des événements d’avril….


CHAPITRE 21. BEAUCOUP SONT TOMBES... 1962.

Cérémonie du mariage

Un jour, nous vîmes un cortège bruyant d’hommes dont certains avaient la barbe blanche et moutonneuse à l’image de leurs burnous se diriger vers une maison devant laquelle un groupe de femmes aux vêtements bariolés poussait des youyou, la troupe des hommes entourait quelques montures. L’un des mulets, bâté comme les autres, transportait un mouton, une couverture, du blé et quelques ballots. Une vieille femme le tenait par la bride. Tout le monde était fort joyeux mais semblait très affairé : c’était la toute première des cérémonies du mariage, l’une des tantes du futur époux et le père de ce dernier allaient sans doute chez la jeune promise remettre à ses parents la somme convenue ; le mouton étant un présent qui a la valeur d’un rituel.

Dans l’après-midi, un second cortège apporte à la fiancée les cadeaux personnels : les bijoux, quelques vêtements et surtout le henné, le cortège comporte un personnage important : la "taquefat" ; une femme âgée qui veillera sur la jeune épousée pendant son transfert chez la belle-famille et sur le coffre, le matériel de literie et les autres objets que lui lèguent ses parents. Et c’est elle surtout qui, après son arrivée, appliquera le henné.

D’abord, après l’arrivée du premier cortège et avant celle du second, les pères règlent le prix du mariage devant des témoins et le marabout. Puis, à la suite d’un bon repas, il y a généralement un petit débat. Par exemple, si le prix fixé le pur de la fatiha est de 35000 francs et si le père du jeune homme offre 15000 francs de cadeaux par-dessus le marché, on s’accordera à un rabais de 5000 francs, le marabout récite ensuite quelques incantations. C’est alors que la taquefat arrive. On lui remet les 5000 francs de rabais.

Il se peut également qu’il n’y ait qu’un seul cortège remplissant les mêmes attributions. De plus, ce n’est pas une vieille femme quelconque qui transporte le henné, mais la tante au futur mari. Ou plus exactement une femme de la famille que son caractère difficile ferait qualifier de "vieille fille" dans notre société européenne. Cette fois-ci, on est sûr de lui faire plaisir car on lui accorde un honneur et on lui donne le profit d’une réception. Alors, elle met ses plus beaux atours et à son arrivée dépose des victuailles, des oeufs, le henné, du savon, un miroir. Enfin, on prélève 5000 francs sur la somme convenue.

Mais ils sont rendus au père du jeune homme : en guise "de porte-bonheur pour la bourse" dit-on, la pose du henné est une cérémonie importante : dans un tamis on a déposé des branches de genévriers, des orties, du blé et des œufs apportés par la femme venue en cortège. Cela aux dires des vieilles, symbolise la fécondité et doit attirer sur l’épouse cette qualité dont l’importance est considérable pour l’âme kabyle. Là-dessus, elle pose une assiette dans laquelle on délaie le henné devant une lampe allumée. La liqueur est alors étendue sur les pieds, les mains et dans les cheveux de la jeune fille.

Quand tout est sec, le surplus de la teinture est enlevé par frottement. Jamais par rinçage, car le bain complet qui a précédé cette cérémonie est le dernier lavage jusqu’à la consommation du mariage. Bien entendu, tout cela est effectué en présence des femmes de la famille. Pendant ce temps les hommes festoient entre eux dans une autre pièce.

Ces cérémonies ont lieu la veille du mariage. Dans d’autres régions, la pose du henné a lieu le jour de "aggay n’teslit", c’est à dire de l’entrée de la mariée dans la nouvelle maison. Cela pendant le repas à l’issue duquel les deux pères devant leurs invités honorent les clauses financières du mariage. Après la remise du "porte-bonheur pour la bourse", les pères, le marabout et les invités réclament la "robe de la licéité" apportée avec le henné. Sur ce vêtement de mariage, le marabout invoque les bienfaits d’Allah. En petite Kabylie, les jeunes épouses revêtent trois robes l’une sur l’autre. Cela se passe le matin de la noce. On enveloppe ensuite la fiancée dans un "agerwaw" rouge qui doit la dissimuler aux regards. Dehors, un cortège s’est formé gai et bruyant.

Dans certains villages, la famille et les invités forment une chaîne à travers la maison de la jeune fille. On se passe de mains en mains le coffre, la literie, les couvertures, le trousseau accumulés par la mère pour sa fille pendant des mois. Pendant ce temps, une femme qui a eu de la chance dans sa vie, passe à la mariée la robe de la licéité, un foulard maintenu sur la tête par une ceinture que la jeune femme portera plus tard autour des reins et un voile qui l’enveloppe complètement comme l’agerwow. On lui remet ensuite un petit couteau qu’elle suspend à son cou et 50 francs qu’elle glisse dans son soulier.

Pour d’autres, quand la mariée est bien couverte, ses parents la hissent sur sa monture. On les voit qui pleurent, la mère surtout qui mêle à ses larmes toutes sortes de recommandations. On lui recommande en particulier de ne pas prononcer une seule parole, de ne pas se retourner en route. Ce seraient les mauvais présages d’un mariage bientôt rompu. Une tante du mari porte une lampe afin que sa nièce par alliance soit "une lumière pour sa maison". Ou bien, elle se hisse derrière la jeune fille pour tenir les rênes.

L’arrivée chez l’époux n’est pas une cérémonie particulière. Dans certaines tribus la taquefat apporte un tamis chargé de blé, de figues sèches, de dattes ou de noix. De sa mule, la jeune épouse doit les jeter derrière elle sans se retourner. Et les gens ramassent ce qui tombe afin de le déposer sur leurs aires à battre le blé, dans les jarres à grains. Les fiancées possèdent en effet une baraka puissante et chacun essaie de l’attirer un peu sur ses récoltes à travers les victuailles touchées par la jeune épouse.

À certains endroits, avant de quitter le toit paternel la jeune fiancée doit par trois fois boire de l’eau dans les mains de son père pendant que les paroles d’adieu sont chantées sur un air traditionnel qui est employé aussi à l’occasion de la circoncision, mais avec d’autres mots. À l’arrivée chez sa belle-mère, la jeune épousée remplit de nouveau à trois reprises ses mains d’eau et la jette derrière elle. Celui qui va être son beau-frère, la prend dans ses bras et la transporte ensuite sur une natte sous laquelle les femmes ont placé quelques fèves, quelques grains de blé, symbole de fécondité. Sa belle-mère lui tend un oeuf, la jeune épouse le lance sur le linteau de la porte et sa belle-mère rattrape au vol ce qui coule et en enduit le mur au dessus de sa bru. Ce sont des rituels de fécondité. Ailleurs, après le tamis, la taqueht tend deux oeufs à la jeune mariée qui les casse non pas sur le linteau de la porte, mais sur la tête de la mule.

Le lendemain de son transfert dans sa nouvelle famille, la jeune femme met sa plus belle robe, les femmes du village viennent toutes l’admirer, appréciant ses bijoux et tout son trousseau exposé pour la circonstance. Elle les retrouvera sept purs plus tard à la fontaine, où elle ’jettera les grains dissimulés sous sa natte lors de son entrée dans le foyer de son époux, avant de puiser de l’eau avec une amphore toute neuve. Des femmes murmureront à son intention ce que l’on a chanté déjà dans ces deux familles :

  • Dieu la fasse devenir le bras droit de ses beaux-parents Qu’il lui donne de prendre racine par des garçons Et qu’elle soit une lumière dans sa maison.

1962 allait déboucher sur un autre mariage : celui de l’Algérie avec le FLN. Dans le bruit et la fureur de la déraison, un pays nouveau naîtra, obligeant un million d’Européens à une diaspora sans espoir. Au mois de janvier, même si la solution algérienne prend de plus en plus de consistance, le FLN n’en fait pas moins le forcing : harcèlements répétés des postes des Illoula Ou Mallou, sabotages entre Azazga et Iffigha, accrochages près d’Aït-Issad ou au village d’El Ma Bou Hamman. Alors que l’OPA investit petit à petit et presque sans se cacher les derniers bastions ralliés à la France, l’ALN occupe le terrain. Toujours la même méthode : le coup de main puis le décrochage ; toujours le souci de refuser le combat. À Boumedienne qui parle de solution militaire à la suite de la rupture des négociations d’Evian, Krim rétorque ironique :

  • Contre qui veux-tu te battre frère Boumedienne ? Peut-être contre l’armée française ?...

En mai, plus de 100000 Européens quittent leur terre ancestrale pour une diaspora définitive. Le slogan " la valise ou le cercueil " prend toute sa valeur. Puis au mois de juin, l’exode prend des proportions que les plus pessimistes des membres du Gouvernement n’avaient jamais prévues. Il n’est plus question de déménagement. On essaie de sauver les valeurs, on dissimule l’argent, et pour le reste, ma foi, on le détruit sauvagement, totalement ; pas question de laisser quoi que ce soit aux Arabes. Les magasins et les appartements sont démolis. Puis c’est la ruée vers les ports et les aéroports : partir, ils sont 800000 à partir n’importe où ! En Israël, en Argentine et même en France où Marseille, décidément fâchée avec les colonies qui avaient fait sa richesse leur fait le même accueil méprisable qu’elle prodiguait aux blessés d’Extrême-Orient. Pour les commandants d’unités, un autre drame se joue : comment expliquer aux populations que la France s’en va, que la pacification, c’est fini. Comment regarder en face ce vétéran de Monte-Cassino, cet ancien de Verdun, toutes décorations pendantes, souvent la médaille militaire, parfois la "rouge", quand ils vous demandent avec la plus parfaite dignité :

  • Et la parole de la France ?

Que leur répondre alors qu’ils vous tournent le dos dans un geste qui semble traduire le plus profond mépris et se dirigent tout droit vers la mort horrible qui les attend ? Il arrive que certains demandent la protection de la France. Leurs familles sont alors regroupées à Tefeschoun en attendant de passer en métropole.

Le commandant Saulnier en reparle encore aujourd’hui avec émotion : "la libération des harkis non seulement du 27, mais du secteur d’Azazga, fut une pénible mission. Toutefois rares furent ceux qui s’engagèrent. Le bataillon fit largement pression sur l’un d’eux, mais en vain et, après trois journées passées au PC, il décida fermement de rejoindre son village. Ce comportement peut aujourd’hui et compte tenu de ce qui se passa ultérieurement, paraître surprenant. Mais hormis qu’il est toujours difficile de renoncer à sa terre natale, la réconciliation proclamée par le FLN et relayée par quelques rebelles existant encore sur place a certainement joué un rôle important.

Entre le cessez-le-feu du 19 mars et l’autodétermination du 1er juillet l’attitude du FLN put donner localement une certaine apparence de réalité à cette réconciliation, et cela même après le départ du 27 vers Palestre au début du mois de mai. Sitôt l’indépendance, il en fut autrement. Malheureusement le bataillon n’était plus là. Toutefois, le 6ème BCA, resté en place dans le secteur voisin, envoya des éléments nomadiser à diverses reprises sur les anciennes terres du 27. De fidèles amis et compagnons d’armes du bataillon purent ainsi trouver avec leur famille refuge auprès du 6ème BCA. Mais le pire ne put être évité pour certains d’entre eux. L’implantation en France de nos compatriotes musulmans fut parfois réussie, trop souvent manquée.

Certains ont, avec le temps, rejoint leur Kabylie natale. D’autres interviennent encore, trente ans après, auprès des anciens cadres du bataillon pour faire régler certaines situations administratives toujours pendantes.

Durant cette difficile transition, il fallut aussi s’occuper des populations. Loin de sa chère petite patrie du quartier d’Iffigha à laquelle il s’était tant attaché par des années d’efforts généreux, à une centaine de kilomètres à l’ouest de son ancien quartier dans lequel il aurait tant voulu demeurer durant la difficile transition, le 27 inspira vite confiance : de nombreux Kabyles vinrent spontanément se réfugier près de lui. Cette confiance vraisemblablement accordée en raison de l’allure, du comportement et de la réputation des chasseurs, fut un réconfort dans cette période difficile. La position du bataillon était de ne pas inciter la population à partir vers la France, vers l’exil, mais par contre de veiller à ce que ceux qui souhaitaient partir puissent trouver refuge auprès du 27 et être acheminés dans de bonnes conditions vers la métropole, terre d’accueil librement choisie.

La difficulté vint de l’armée algérienne qui essaya d’interdire l’accès à nos postes et l’acheminement vers Alger. Mais quelles que fussent les manoeuvres montées pour essayer de s’opposer de près ou de loin à l’accès de nuit aux postes du bataillon, une parade fut toujours trouvée, et chaque matin de nombreux réfugiés hommes, femmes, enfants devaient être hébergés, nourris, logés, examinés par le médecin, soigneusement identifiés et inscrits de sorte que, les connaissant bien, le 27 put ultérieurement réunir en France des familles dispersées parce que tous leurs membres n’avaient pas réussi à trouver refuge à la même date. Lorsque les places d’embarquement étaient distribuées, il fallait acheminer ces réfugiés vers le port d’Alger alors que des barrages sur les routes contrôlaient le trafic. Mais la libre circulation étant officiellement reconnue à l’armée française le bataillon fît respecter ses droits en escortant solidement ses convois sur Alger.

L’incident demeurait possible, c’est pourquoi le 2 août, 80 réfugiés furent enlevés par hélicoptère H34 et bananes accordés par le commandement. Ce sont au total 1438 Kabyles - malheureux record- qui trouvèrent auprès du bataillon l’accueil attentionné qui était dû".

Compte tenu des circonstances, c’est presque dans l’indifférence générale que se déroule le référendum d’auto détermination du 1er juillet. Dans le poste provisoire de la 1ère compagnie à la Ferme Bozon, un transistor grésillant donne les résultats : 5993754 "oui" pour l’indépendance - "16478" non.

On sent que De Gaulle est pressé de libérer la France de son dernier boulet colonial ; le 4 juillet 1962, le journal officiel porte à la connaissance de la Nation la déclaration d’indépendance de l’Algérie. Maurice Innocenti a vécu cette journée au contact des musulmans : "Juillet 1962. L’indépendance ; je revois et j’entends toujours ces files de gens innombrables avec leurs you-you qui duraient des heures et des heures, qui se répercutaient avec d’autres villages, qui résonnaient dans les campagnes. Ce fut très particulier et assez poignant.

Les derniers mois et semaines furent une succession de déménagements de postes, de nouveaux chefs et de nouveaux camarades. Ce fut long, très long, interminable ; ça n’en finissait plus, on ne savait que faire, je n’ai pas de souvenirs de ces moments-là, ni bons ni mauvais. Je revis vaguement quelques visages, quelques points d’appui, rien de comparable à notre vie de poste, de section opérationnelle, à cette ambiance formidable quand nous étions prêts à tout sacrifier pour un copain.

Ces moments sont toujours aussi présents : les embuscades, les OP, les innombrables nuits à la belle étoile, la chaleur, le froid, la peur, la joie ou le réconfort d’un ami. "

Les divisions territoriales sont dissoutes et le 27ème BCA fait partie d’un nouveau groupement. Mais la monotonie des activités engendre l’ennui dans les unités. Comme le dit si bien Maurice Innocenti, les chasseurs sont littéralement démobilisés. Certes, le sport tient une grande place dans la journée, ainsi que des activités typiquement alpines : techniques d’escalade, courses en montagne à la Main du Juif, rappel... Les chasseurs sont aussi les témoins impuissants de l’exode de nos fidèles harkis soumis à la vindicte du FLN.

Quarante-deux familles transitent à Tefeschoun en juillet. Au mois d’août, ce sont quatre-vingts familles FSNA menacées, qui sont embarquées par hélicoptère de la ferme Becker à destination du camp de transit. La cohabitation avec les réguliers FLN ne va pas sans problèmes ; c’est ainsi que le 17 août, un incident sans gravité se produit entre un élément de la 2ème compagnie et une patrouille de l’ALN aux abords des cantonnements de cette dernière. Le même jour, le bataillon enregistre une petite modification administrative : le 5ème compagnie prend le numéro 4.

Septembre coule de la même manière, se partageant entre les tournois sportifs et la préparation de la Sidi-Brahim dont la commémoration a lieu à la Dent du Lion, à 2123 mètres d’altitude, Alpins oblige !

Puis voici novembre ; le 10, les chasseurs du 27ème BCA organisent sur Zéralda un dernier convoi de 87 Kabyles se réclamant de la nationalité française. Cette fois, les rumeurs sont confirmées. Après sept ans de présence ininterrompue en Kabylie, le 27ème BCA s’apprête à quitter à jamais cette terre d’Afrique du Nord. Le 14 novembre, les chasseurs en reçoivent la confirmation au cours d’une prise d’armes qui réunit tout le bataillon à Dra El Mizan. Pour beaucoup, les bagages sont déjà faits ; mais parmi les anciens, ce n’est pas sans une certaine nostalgie que l’on colle les étiquettes sur les caisse : 27ème BCA - Quartier de Galbert - Annecy (Haute-Savoie). Alors que le matériel est acheminé sur Alger-Port, des éléments du 22ème BCA relèvent le bataillon dans son implantation. Les unes après les autres, les compagnies rejoignent Dra El Mizan.

Certains officiers et sous-officiers de carrière ne réunissant pas les conditions pour être rapatriés reçoivent diverses affectations. Le 24 novembre 1962, se fait le mouvement sur Alger. 20 officiers, 37 sous-officiers et 383 chasseurs, soit un effctif de 440 sur 1150 que comptait le bataillon au 30 juin 1962. Le commandant Saulnier, dernier chef de corps à avoir commandé le 27 en Kabylie, nous fournit des détails sur cette "réduction" : "... en effet, de très nombreuses mutations intervinrent, compréhensibles certes, mais pas enthousiastes pour autant. À partir du moment où le retour en métropole fut programmé, les classes d’appelés continuèrent bien naturellement d’être libérées aux dates prévues, mais ne furent pas remplacées. Le bataillon vit partir avec regret des éléments arrivés à partir de l’été 1961 et qui avaient aussitôt puissamment aidé le 27 à traverser les difficultés successives. N’ayant pas terminé leur temps de séjour en Algérie, ces éléments rejoignirent d’autres formations non encore rapatriables en métropole.

Certaines de ces unités non encore rapatriables nous envoyèrent de petits détachements de renfort composés de personnels appelés, libérables en début d’année 1963 et qui n’étaient donc guère affectés que pour profiter du voyage retour. D’origines très diverses - il y eût même un détachement de l’armée de l’air - ces appelés en fin de service ne se comportèrent pas en "quillards" et, une fois revêtus de la tenue du 27, s’intégrèrent de bon coeur. Heureusement, dans ces mouvements browniens, les cadres d’active rapatriables au cours du 2ème semestre 1962 acceptèrent de prolonger leur séjour pour ne pas abandonner le bataillon avant qu’il n’ait rejoint Annecy".

Le 24 novembre 1962 à I6h30, le 27 embarque sur le SS/CHANZY après avoir fait l’objet de l’ordre du jour du général commandant la 27ème division alpine pour une dernière traversée. Longtemps, les hommes restent accoudés aux rambardes, cherchant à distinguer par delà la mince ligne blanche de la côte le dôme puissant du Djurdjura ; et à cette heure, dans le crépuscule voici apparaître les premiers fantômes de ceux que l’on a laissés là-bas au détour d’une piste aride sur le djebel caillouteux.

Le 25 novembre, le bataillon débarque à Marseille qu’il ignore superbement pour embarquer dans un train spécial qui l’achemine à Annecy où il arrive le 26 novembre 1962 à 08H15 en gare, chaleureusement reçu par le maire et recevant l’accueil mérité de la population lors de son entrée officielle. Le 9 décembre derrière les drapeaux des chasseurs, après avoir accueilli le général Degalbert, fils du chef de corps de la guerre de 14 et après s’être rendu, la veille, au cimetière de Morette pour rendre les honneurs aux combattants des Glières de Tom Morel, dont le fils avait trouvé la mort au 27 en Kabylie le 11 octobre 1961.

Beaucoup sont tombés parmi les chasseurs ; mais à l’heure des bilans douloureux, là où beaucoup ont également perdu leur âme, les chasseurs mesurent à l’aulne du sacrifice l’oeuvre accomplie.

Quand le 27ème BCA, en exécution des ordres reçus, doit quitter la Kabylie pour Annecy, il laisse derrière lui un bilan éloquent : 3000 hors la loi de toutes catégories ont été mis hors d’état de nuire d’une manière ou d’une autre. De son côté, le bataillon déplore 61 tués au combat dont 12 par accidents. Eu égard au nombre d’opérations effectuées, on remarque qu’une fois de plus chez les chasseurs du "27", la sueur a épargné le sang.

Un millier d’armes ont été saisies. Cela va du fusil de chasse, ou du simple PA au mortier de 50 mm. Mais ce dont les chefs de corps sont les plus fiers en partant, c’est de l’oeuvre de pacification. Le 27ème BCA laisse une jeunesse scolarisée : à lui seul, le bataillon a ouvert 15 écoles, et surtout en bonne santé, résultat des innombrables tournées de vaccinations et des milliers de consultations données par les "toubibs" dans les villages et les postes. Le 27ème BCA laisse aussi une région où les terres sont cultivées et les bois exploités, où 200 km de routes goudronnées et de pistes carrossables réduisent les difficultés des liaisons.

Ainsi, dans des circonstances exceptionnelles par rapport à sa longue et glorieuse histoire, le 27ème Bataillon de chasseurs alpins aura-t-il une nouvelle fois montré qu’il avait "pigé et galopé".


Annexes1

Extrait du livre OTAGE D’AMIROUCHE

Témoigner pour le souvenir par René Rouby. 114 jours dans le maquis de Kabylie pendant la guerre d’Algérie La libération intervient le lundi 18 mai 1959 à proximité de Yakouren.

Annexes 2

Le chemin des Souvenirs de Pierre-Antoine THENON

Appelé sous les drapeaux et incorporé à Grenoble le 3 juillet 1956, dans l’artillerie de montagne au 1/93ème RAM, Pierre-Antoine Thenon, après avoir effectué ses classes et suivi une formation pour devenir sousofficier, part un an plus tard en Algérie. Il atterrit en Grande Kabylie à Ighil Bouzerou d’où il participe à de nombreuses opérations du secteur. Démobilisé en octobre 1958, il reprend du service en janvier 1960, et retourne au 93 ème RAM, en Grande Kabylie. Affecté dans un premier temps au service auto à Oued Aïssi, il obtient en octobre 1961 le commandement de la harka du secteur. Dans l’extrait présenté, l’auteur raconte comment il a participé à l’évacuation par hélicoptère de quelques familles de Harkis.

Annexes 3

Le cas de Paul Bonhomme du 27e BCA.

Précisions de Claude. Lors de la rédaction du livre « Des Miages aux djebels », j’ai puisé ma documentation pour dépeindre la situation de la SAS de Bouzeguène dans le livre de Roger Enria. C’est dans ce document que j’ai eu des informations précises sur l’embuscade meurtrière du 30 août 1957 dont j’avais entendu parler lors de mon séjour. J’ignorais alors l’identité du Caporal-Chef qui avait été enlevé. C’est la lecture d’un des livres de Jean-Yves Jaffrès qui m’a permis de donner un nom à ce caporal-chef. J’ai découvert le parcours de Paul et pris contact avec son frère Roger qui est encore en vie après avoir assisté à l’inauguration du Mémorial des disparus érigé à Perpignan…

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1 Message

  • Les chasseurs de l’Akfadou. Kabylie 1955-1962 5 octobre 2013 10:14, par Selim M’sili

    Je retrouve l’atmosphère de mon enfance quand les chasseurs alpins, ces hommes aux bérets venaient exécuter des morceaux de musique militaire sur la place d’un petit village qui devenu sourd. Selim M’sili (l’Expression)


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