Serge CATTET nous a quittés le 30 octobre 2023 à l’âge de 90 ans. Il faisait partie de ces êtres exceptionnels et lumineux qui marquent ceux qui ont l’occasion de les rencontrer.
En ce qui me concerne, c’est par ma sœur dont les enfants ont eu pour professeur cet agrégé d’histoire-géographie, au Lycée Berthollet à Annecy, que j’ai rencontré Serge en 2003.
Odette lui avait communiqué le manuscrit que j’avais écrit sur la guerre d’Algérie vécue par notre famille et lui m’avait fait parvenir son livre « Térébinthe S.P.87009 1959-1962. Témoignage d’un appelé dans la guerre d’Algérie ».
« Historien et géographe de formation, écrivait alors Serge dans l’introduction de son ouvrage, je comprenais la volonté d’une partie du peuple algérien de tout tenter et de tout faire pour que son pays accède à l’indépendance. Le monde colonisé était en proie à la fièvre de la décolonisation. L’Algérie ne pouvait pas y échapper. Il n’était pas réaliste d’imaginer que les rapports entre la France et ses “départements” algériens puissent demeurer sans changements profonds. Leur évolution était inéluctable, mais laquelle ? Rupture, c’était à craindre ; permanence de liens dans la liberté réciproque ? On pouvait l’imaginer. C’est ce que j’espérais.
C’est dans cet état d’esprit que je suis parti à St-Maixent puis que j’ai gagné l’Algérie. Il n’était pas question de me soustraire au devoir du service militaire, mais j’étais bien décidé à n’agir que selon les exigences de ma conscience. J’étais bien convaincu qu’il ne fallait rien faire qui puisse un peu plus altérer les rapports avec la communauté musulmane. Il fallait donc tout à la fois comprendre un désir légitime de respect, de liberté et agir pour enrayer la progression du feu de la révolte. Ce sont ces convictions que j’ai essayé de respecter dans l’exercice des charges qui m’ont été confiées. Et je suis bien persuadé de ne pas avoir été le seul à adopter ce comportement ».
Rencontrer Serge qui avait en commun avec moi le ciel d’Oranie et les Monts du Traras ou de Tlemcen, a été vraiment providentiel.
Sans lui, mon ouvrage dans sa forme aboutie n’aurait jamais vu le jour. Sa douce pression et ses encouragements ont balayé mes hésitations à livrer au public une expérience dont je ne voulais pas parler.
Pour la rédaction du témoignage de notre famille, non seulement il m’a suggéré un plan, mais il m’a communiqué spontanément le texte d’une conférence prononcée lors d’un colloque sur l’Algérie intitulé « De la conquête aux suites d’une guerre, ou France et l’Algérie : 130 d’histoire commune ».
Grâce à lui, j’avais le fil conducteur de l’engrenage qui a conduit à cet abîme d’incompréhension entre les communautés et le pouvoir. Il a même rédigé par la suite une quatrième de couverture remarquable.
Nous étions en 2004
Dès avant cette date, à partir d’archives inexistantes, Serge qui était membre de l’Union Départementale des Combattants AF.N. et présidait la Commission Civisme et Mémoire s’était attelé à la rédaction du “Livre d’Or” consacré aux Haut-Savoyards tombés en Afrique du Nord de 1952 à 1962.
Il fallait à son auteur, beaucoup d’abnégation, de l’énergie, de la méthode et de la rigueur pour mener à son terme de tels travaux de recherches et placer ce drame dans son contexte.
En exergue, Serge citait l’extrait de la lettre d’un appelé haut savoyard en poste en Kabylie. Ce texte résume avec concision et pudeur son sentiment et celui de bon nombre d’appelés envers la population locale côtoyée en Algérie : « qu’on les aime un peu est bien la seule ambition des humbles soldats qui ici, donnent tout à la France, leur jeunesse, leur enthousiasme et leur vie ».
La préparation et la rédaction du livre d’or s’inscrit dans la préparation du mémorial A.F.N. où figurent les noms des 165 Hauts Savoyards tombés en Afrique du Nord, inauguré à Annecy le vendredi 15 décembre 2006, en présence de nombreux officiels, du monde anciens combattants, des familles des victimes et d’une foule importante.
Cette manifestation comblait un vide. Il manquait en effet aux familles, bien souvent restées seules avec leur douleur, la marque d’une reconnaissance collective envers ceux qui ne sont pas revenus.
À l’issue de la cérémonie a été remis « Le livre d’or de la Haute-Savoie en mémoire de ses disparus », cadeau inattendu et émouvant qui donne un visage aux noms gravés dans la pierre et place la tragédie à laquelle toute une génération a été mêlée dans un contexte historique, un objectif qui n’allait pas de soi.
Les familles des soldats tombés en Algérie dont la mienne expriment à Serge leur sentiment reconnaissant pour avoir su faire revivre avec cœur le parcours de ceux qui ne sont pas revenus.
Les familles concernées ne l’oublieront jamais et expriment à Thérèse et à Alain et sa famille toute leur sympathie.
Serge restera dans nos cœurs.