« J’avais 21 ans,. On était des gamins. A l’époque, l’armée, c’était 28 mois minimum. J’ai été incorporé dans les commandos de chasse à Tiffrit, en Algérie. On faisait partie des vrais guerriers qu’ils s nous ont dit ».
Guy Barbin, passera six mois dans cette unité avant d’être affecté au village d’Ighraïne, situé au cœur des montagnes de Kabylie : « On avait pour mission de sécuriser le secteur par rapport aux exactions des fellaghas, mais on savait pertinemment qu’une bonne partie des autochtones soutenait les rebelles. Je vais vous avouer franchement que je les comprenais. Si j’avais été dans leur camp, j’aurais fait comme eux. Ça me paraissait normal qu’ils luttent pour leur indépendance. Mais j’avais des ordres... » Guy se retrouve « chef de contact du poste militaire d’lghraïne : « On était 80 militaires, dont une bonne moitié de harkis. Moi, mon rôle était d’essayer de nouer le dialogue avec la population ; J’étais une sorte de médiateur avant l’heure en quelque sorte. J’étais la plupart du temps en civil et sans arme ».
Quatre ou cinq ballons.
Sans le savoir au départ, Guy se retrouve dans une région (l’Akfadou et les Beni Ghobri) où le FLN (Front de Libération National),est particulièrement présent.
- Amar 45 ans plus tard, à côté de sa mère et de Guy.
« L’Armée française avait construit une école dans le village, mais rapidement on a constaté des absences. On a su que certains enfants allaient ravitailler les rebelles dans les zones interdites au-delà des barbelés disposés autour du village ».
Plutôt que d’avoir recours aux armes, ou même aux arrestations, Guy a une idée toute simple. Il est footballeur à l’UAST de Sedan et il se dit que le sport devrait être la solution pour éviter à tous ces gamins d’avoir des problèmes : « j’ai contacté Maurice Christophe, le responsable de l’école de foot de Sedan, pour lui demander quatre ou cinq ballons, quelques shorts et des maillots. Il m’a fait parvenir tout ça.
- Ecole à Igraïne, en plein air, faute de place.
J’ai également fait part de mon projet au capitaine de la compagnie qui m’a aussitôt envoyé le Génie Militaire Français pour aménager un petit terrain de foot. Les gosses étaient aux anges. Ce fut une aventure formidable » -.
« Il faut que tu reviennes »
Guy Barbin quittera l’Algérie en août 61 sur le bateau « Ville d’Alger ». « En regardant s’éloigner la côte, je me suis dit que je reviendrai dans ce beau pays. J’en étais sûr ».
Il lui aura fallu attendre 45 ans. Un jour, sans doute pas fait comme les autres, son téléphone a sonné. C’était Ali ! « Ça m’a fait drôle. Ali c’était l’infirmier du village que l’on avait formé. Il m’a retrouvé grâce à Internet. Il m’à dit : il faut que ru reviennes. Tout le monde parle encore de toi ici. »
Le 10 août dernier, Guy a refait le chemin à l’envers. Ali l’attendait à l’aéroport d’Alger. Trois heures plus tard, après avoir sillonné la montagne, il se retrouvait à Ighraïne. « Je n’ai pas reconnu le village, sauf notre poste qui était resté à l’abandon ».
Un sacré moment d’émotion. Les petits « footballeurs étaient presque tous là : Omar, Ali, Azouane, Salem, Lakdar. Amar... Les autres avaient quitté le pays ou étaient malheureusement décédés.
« Je n’ai pas de mots pour dire ce que j’ai ressenti. Je ne m’attendais pas à un accueil aussi chaleureux. Ça restera un grand moment de ma vie ». Si seulement toutes les guerres pouvaient laisser de tels souvenirs...
Olivier Raynaud.
Paru le lundi 25 septembre 2006, L’Ardennes et l’Union.
Guy et Lakhdar : l’amitié plus forte que la guerre.
Il aura fallu 45 ans et un extraordinaire coup de hasard pour que Guy Barbin, ancien sergent lors de la Guerre d’Algérie, retrouve le petit Kabyle qu’il avait pris sous son aile lorsqu’il était à Ighraïne.
Cette histoire, c’est un peu le monde à l’envers, puisque c’est l’histoire d’une guerre qui finit bien. Ça n’aura bien sûr pas été le cas pour tout le monde, mais pour Guy Barbin et Lakhdar, ça s’est passé comme ça. En 1961, le jeune sergent Barbin est en poste à Ighraïène, un petit village de montagne qui a fourni beaucoup d’hommes à la rébellion. Guy est chef de contact. Son rôle est de régler les problèmes du village et de contrôler les entrées et sorties : « L’armée française avait construit une école là-bas, mais il y avait pas mal d’absences, car les gosses allaient régulièrement ravitailler les rebelles en zone interdite ». Plutôt que d’opter pour la répression, Guy a une idée.
Pourquoi ne pas monter une équipe de foot ? L’ancien joueur de l’UAST contacte Maurice Christophe, alors responsable de l’école de foot de Sedan, et réussit à se faire envoyer quelques ballons et des maillots. La formule connaît un succès immédiat.
C’est dans ce contexte que débarque, un beau jour, à Igrhaïne, le petit Lakhdar. Le gamin, âgé de 12 ans, arrive tout droit de Paris, où il vit dans une famille d’accueil. C’est ainsi qu’accompagné d’un oncle, Lakhdar découvre sa terre natale : « Cet été-là, il avait eu l’autorisation d’aller passer ses vacances en Algérie. J’ai tout de suite vu qu’il était complètement paumé. A part son oncle, il ne connaissait personne. Il avait quitté l’Algérie alors qu’il avait trois ou quatre ans. En plus, il parlait à peine kabyle ».
« II m’a sauté au cou »
Lakhdar venait de quitter Paris et se retrouvait dans un village perdu entouré de miradors et de barbelés. Guy l’observe et décide de le prendre sous son aile. Et, forcément, Lakhdar est invité à enfiler le maillot de l’équipe d’Ighraïne.
Le jeune Kabyle retrouvera son père après l’Indépendance. Après avoir fondé une famille en Algérie, dont sont issue quatre enfants, Lakhdar revient s’installe en région parisienne (il est à la retraite depuis août 2008).
En août 2006, 45 ans après les événements, Guy est invité à retourner en Kabylie grâce à Ali, jeune infirmier en poste à Ighraïne en 1961 : « J’étais avec Ali et son fils devant une vitrine de magasin, à Azazga. Il y a un homme qui s’est approché d’Ali et qui s’est exclamé : « C’est incroyable, il faut aller au bled pour se retrouver. Ça fait au moins trois ans que nous ne nous sommes pas vus ! » Ali l’arrête et lui dit : « Sais-tu qui tu as là devant toi ? » L’autre ne voyait pas où il voulait en venir. Il lui dit alors : « Souviens-toi, le foot, à Ighraïne quand tu étais gamin ! ». Aussitôt, l’homme s’écrie : « Sergent Barbin ! je suis Lakhdar. ». !l m’a sauté au cou et m’a embrassé ».
Depuis ces retrouvailles, une solide amitié s’est tissée entre les trois hommes. Au mois d’août dernier, Lakhdar a réalisé un vieux rêve.
47 ans après, le petit gardien de but tout timide se retrouvait enfin chez le sergent Barbin : « C’est vraiment une belle histoire. Il est venu avec son épouse. Ali était également là avec sa femme. On a longuement évoqué nos souvenirs. Une chose est sûre, tous les trois, on espérait bien se retrouver un jour, mais sans vraiment y croire. Et puis, voilà, ça s’est fait. Si le traité d’amitié n’a pas été signé en 2005 entre la France et l’Algérie, il y a longtemps que c’est fait pour nous », conclut Guy, qui est déjà prêt à reboucler les valises pour aller refaire un petit tour au bled.
- Lakhdar se trouve dans l’équipe de gauche. On le reconnaît facilement : c’est te gardien.
Olivier Raynaud. Paru le vendredi 24 octobre 2008, L’Ardennes et l’Union.