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LES ESPÉRANCES DÉÇUES DE 1958

mercredi 12 mai 2010, par Collectif.

Inquiète de la politique parisienne et indignée par l’annonce du FLN de l‘exécution de trois jeunes appelés, Alger s’insurge le 13 mai 1958 et réclame le retour de de Gaulle au pouvoir.


Cet extrait est tiré de la plaquette « La guerre d’Algérie. Une exigence de vérité » réalisée par l’UNC. http://www.unc.fr/

Inquiète de la politique parisienne et indignée par l’annonce du FLN de l‘exécution de trois jeunes appelés, Alger s’insurge le 13 mai 1958 et réclame le retour de de Gaulle au pouvoir.

Ferhat Abbas dans son livre « Autopsie d’une guerre » présente les circonstances très complexes qui ont entouré, en 1958, le retour aux affaires du général de Gaulle. Son analyse ne manque pas d’intérêts.

Extraits : « Depuis le 15 avril la France est sans gouvernement. Le Président de la République mesure le danger qui menace le pays. Il juge nécessaire de donner à la France de nouvelles institutions. C’est dans cet esprit que le 5 mai, il fait demander discrètement, au Général de Gaulle dans quelles conditions il reviendrait au pouvoir.

Entre-temps, la fièvre monte et l’inquiétude gagne l’ensemble du pays. Pour former un gouvernement, le président appelle successivement Georges Bidault et René Pleven. Les deux députés échouent dans leur tentative.

Aux yeux des Français, le Parlement devient de plus en plus impopulaire. La foule n’est pas loin de conspuer les députés. Après avoir fait appel à Maurice Faure qui s’est récusé, le président désigne M. Pflimlin [1] comme président du Conseil….

Le courage du président Pflimlin ne sauvera pas pour autant la IVe République. Deux organisations, entre autres, vont provoquer la fin du régime.

À Paris, ce sont les Gaullistes groupés autour d’Olivier Guichard, de Chaban-Delmas et de son homme de confiance Léon Delbecque, de Michel Debré, de Soustelle, de Foccart, de Roger Frey, de Biaggi, etc.

A Alger, c’est le groupe des « sept », entraîné par Pierre Lagaillarde, un révolutionnaire audacieux et réactionnaire.

Il a autour de lui Martel, Crespin, le Dr Lefebvre, Orthiz, Goutailler, Baille. Ce groupe est antigaulliste. Son objectif est d’imposer à la France un gouvernement de salut public, du type franquiste, seul capable, selon eux, de mater le FLN et de restaurer le régime colonial dans sa puissance.

Historiquement, c’est ce groupe qui provoque, le 13 mai, l’insurrection d’Alger en prenant d’assaut les bâtiments du gouvernement général et en saccageant les bureaux de l’administration centrale. Face à cette émeute, les généraux Massu et Salan, responsables de l’ordre à Alger, jugent la situation très grave. Ils interviennent, en coiffant le mouvement pour le contrôler. Et lorsque le général Massu accepte le fait accompli et passe à la constitution du comité de salut public de la ville, Léon Delbecque est là. Il place ses hommes au nom de Soustelle.

A Paris, cette émeute a pour conséquence l’investiture immédiate du président Pflimlin. Les députés croient qu’ils peuvent encore légiférer. Ils ne savent pas que la IVe République se meurt.

Du 13 mai au 1er juin 1958, les péripéties se succèdent, ballottées alternativement par le vent chaud du coup d’état et du « pronunciamento » et par la légère brise de la légalité républicaine. Deux déclarations arrê-tent les activistes sur le chemin de la violence. L’une, du Général de Gaulle le 27 mai, l’autre du président Coty le 29.

Le premier fera une sorte de semonce aux militaires qui ont débarqué en Corse et qui se préparaient à investir toute la France, en ces termes : « J’ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement régulier d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays. Je compte que ce processus va se poursuivre et que le pays fera voir par son calme et sa dignité, qu’il souhaite le voir aboutir…. « J’attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie, qu’elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs : le Général Salan, l’Amiral Auboyneau, le Général Jouhaud. À ces chefs, j’exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux. » L’armée obéit, car elle reconnaît, là, le langage d’un chef.

Le Président Coty, de son côté, fait sa déclaration sous la forme d’un message adressé au Parlement. Il est lu à l’Assemblée Nationale par le Président du Conseil, Pierre Pflimlin, et au Sénat par le Garde des Sceaux. Le Président de la République rappelle les difficultés de son mandat et la situation présente : « Nous voici maintenant au bord de la guerre civile. Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français, vers celui qui, aux années les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté… Je demande au Général de Gaulle de bien vouloir venir conférer avec le Chef de l’État et d’examiner avec lui, ce qui, dans le cadre de la légalité républicaine, est immédiatement nécessaire à un gouvernement de salut national et ce qui pourra, à échéance plus ou moins proche, être fait ensuite pour une réforme profonde de nos institutions. »

Ainsi le Président Coty et le Général de Gaulle ont-ils épargné à la France une guerre civile qui n’aurait pas manqué de ruiner sa position dans le monde. Pour la majorité des Français ce fut une heureuse issue. Par contre, pour ceux qui avaient organisé et commandé « le coup du 13 mai », qui étaient montés à l’assaut du Gouvernement Général de l’Algérie, le fameux « GG », ils restèrent sur leur soif de dictature… Désormais Paris gouvernera...

De toute évidence, le 13 mai était dirigé à la fois contre la France libérale et contre nous. En ce qui nous concerne, et durant ces jours d’émeute, les militaires Trinquier, Sirvent, Léger, eurent la présence d’esprit d’orienter la foule vers la fameuse illusoire « Fraternisation Franco-Musulmane »…

L’opération réussit et ne manqua pas de créer une pseudo-espérance ; durant quelques semaines, des gens de bonne foi crurent au miracle. Pour eux le 13 mai 1958, nouvelle « nuit du 4 Août », allait faire tomber les barrières sociales et politiques qui séparaient les Français des musulmans et promouvoir une société nouvelle...

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Le général de Gaulle au Forum à Alger

Le 1er juin 1958, l’Assemblée nationale lui accorde l’investiture. Le 4 juin, le Général se rend à Alger. Du haut du GG, devant le fameux forum, il parle. Et c’est la phrase percutante devenue historique : « Je vous ai compris. » … Le train algérien est débloqué. Le voilà en marche. Mais personne ne sait encore dans quelle direction il avance et quelle sera sa destination… ».

Après le fameux « Je vous ai compris », le général, quelques jours plus tard, à Mostaganem, lance, « Vive l’Algérie française ! ».

Dans la foulée dès le 28 septembre, le général fait adopter par référendum une nouvelle constitution, celle de la Ve République. Celle-ci est approuvée massivement : 79,25% de oui en Métropole et 95 % en Algérie. Pour la première fois de leur histoire, les musulmans dans leur ensemble, sont considérés comme des citoyens à part entière et participent au vote.

La mise en oeuvre de cette égalité civique entre les membres des différentes communautés entretient le mirage de la fraternisation né quelques mois plus tôt.

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Manifestation de mai 1958 à Alger

Nul ne saura jamais si le général de Gaulle était sincère lorsqu’il lança, en juin 1958 à Alger, le fameux « Je vous ai compris » puis à Mostaganem le « Vive l’Algérie française ». Il est cependant permis d’en douter, si nombreuses sont ses références à Machiavel ou si contradictoires ses déclarations successives qui culminèrent avec « l’Algérie algérienne » de novembre 1960.

En effet, dès 1943, il déclare devant la kasbah d’Alger : « on ne fera jamais des Français avec ces gens-là ! » (témoignage du colonel de Rosière). Le 30 janvier 1944, à Brazzaville, il évoque la nécessité pour les peuples de l’Empire de « participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires », précisant le 16 juin 1946 à Bayeux que « ce ne peut être que dans une organisation de forme fédérative ». Il le confirme à Marseille le 17 avril 1948 aux assises du RPF : « Nous tenons pour nécessaire que l’Union française forme un tout de nature fédérale constitué autour de la France et pour lequel la France assure, en tout cas, la représentation extérieure, la défense et les dispositions économiques communes ».

Il semble toutefois que, dans l’esprit de de Gaulle, l’Algérie ait tenu une place à part et que lui-même se considère comme le seul à pouvoir résoudre le problème ; en effet, Ferhat Abbas lui avait déclaré en 1943 : « Vous pourrez agir en ce sens (une union populaire algérienne fédérée avec la France) comme aucun autre Français ne l’a jamais osé ». Mais il n’est pas question de séparation ; son discours du 18 août 1947 à Alger en témoigne : « A ceux des Français, musulmans ou non, qui s’égarent dans le rêve de je ne sais quelle sécession, je dis : vous vous trompez et vous trompez les autres ».

Mais le temps a passé, sa pensée a évolué et, en février 1955, le général confie à E. Michelet : « L’Algérie est perdue, l’Algérie sera indépendante ». Dès lors, les déclarations de juin 1958 à Alger et Mostaganem semblent ne relever que de la tactique : l’essentiel est de revenir au pouvoir et, sans elles, de Gaulle n’y serait jamais parvenu. Du reste, au cours du même voyage, observant la foule enthousiaste qui l’accueille à Constantine, il lâche au Général Salan : « Ils m’acclament ! Avant peu, ils me haïront » (Lacheroy). On est en plein réalisme politique, pour ne pas dire cynisme. Le succès est donc au rendez-vous, mais avec lui l’équivoque mortelle qui amènera les drames ultérieurs : pour les Pieds-noirs, la plupart des musulmans et une bonne partie de l’opinion métropolitaine, le problème va être réglé par de Gaulle dans le sens du maintien de l’Algérie au sein de la communauté française, sous une forme qui reste à préciser mais que chacun imagine dans le sens de ses intérêts ; c’est « la grande illusion ». Pour de Gaulle, une fois son pouvoir établi par l’adoption de la nouvelle constitution (28 septembre 1958) et par son élection à l’Elysée (le 21 décembre), il faut aller vite afin de se consacrer au plus tôt à l’essentiel : restaurer la position internationale, économique et militaire de la France.

C’est pour cela d’abord qu’il a voulu revenir aux affaires ; dans cette politique, l’Algérie ne tient qu’une place secondaire et elle lui apparaîtra rapidement comme un « fardeau ». Aussi, s’estimant pressé par le temps, le général brusquera-t-il les choses, au point d’en sacrifier tous les aspects humains : les Pieds-noirs et les harkis en paieront le prix que l’on sait. Il dira : « il ne s’agit pas des Français mais de la France » (M. Faivre). Il dira aussi au député Larradji : « Eh bien, vous souffrirez ! ». (Boualem)

De Gaulle ne perd pas de temps : dès l’été 1958 tous les grands acteurs du 13 mai sont renvoyés en métropole et remplacés par des fidèles. Le 14 octobre, les militaires sont invités à quitter les comités de salut public. Le 19 décembre Paul Delouvrier devient délégué général du gouvernement en Algérie et le général Challe remplace le général Salan, mis à l’écart. De même, commence la politique de séduction du FLN : le 23 octobre, le général propose la « paix des braves » ; en janvier 1959 des mesures de grâce libèrent 7.000 condamnés algériens qui retournent aussitôt à la rébellion ; Messali Hadj et Yacef Saadi sont libérés, Ben Bella élargi.

S’installe alors un climat de méfiance parmi les Pieds-noirs et l’armée qui ne comprennent plus même si, lors de « la tournée des popotes » du mois d’août, de Gaulle proclame : « Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur Alger ».

Le discours du 16 septembre 1959, annonçant la nouvelle politique d’ « autodétermination » sonne le glas des illusions : les désertions de soldats musulmans reprennent aussitôt. Le discours du 16 septembre 1959, annonçant l’autodétermination du peuple algérien apparaît en contradiction avec ces déclarations prometteuses de juin 1958.

Cette nouvelle orientation de la politique algérienne refusée par la communauté européenne et une partie de l’armée conduira aux drames de 1960 (les barricades d’Alger et la rupture avec les Pieds-noirs), de 1961 (le putsch et la rupture avec une partie de l’encadrement d’active de l’armée), de 1962 (l’OAS et ses conséquences). Les espérances nées du 13 mai furent dramatiquement déçues.

Sources

  • L’Algérie française, un tragique malentendu - Michel Klen - France-Europe éditions-2005
  • La guerre d’Algérie - Pierre Montagnon - Pygmalion-1984
  • Les archives inédites de la politique algérienne (1958-1962) - Maurice Faivre - L’Harmattan-2001
  • De Saint-Cyr à l’action psychologique - colonel Charles Lacheroy-Lavauzelle-2003
  • Mon pays, la France-Bachaga Boualam - France-empire-1962
  • Autopsie d’une guerre - Ferhat Abbas. Éditions Garnier 1980

La plaquette est disponible en écrivant à

Union Nationale des Combattants 18 rue Vézelay 75008 PARIS Tél : 01 53 89 04 04

Notes

[1] 1 « Après avoir pressenti plusieurs candidats, le président René Coty désigne Pierre Pflimlin, président du MRP (Mouvement républicain populaire), favorable à des négociations avec le FLN. Sa désignation provoque la colère d’Alger, d’autant plus que le 9 mai, le FLN annonçait l’exécution de trois soldats français prisonniers ». (Vie publique. Découverte des Institutions. La constitution de la Ve République).


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