Miages-Djebels

Accueil du site > Actualités ou Réflexions sur l’actualité. > Des ateliers pour collégiens en perdition

Des ateliers pour collégiens en perdition

jeudi 10 mars 2011, par Natacha POLONY

Article de Natacha Polony publié dans le Figaro du mercredi 9 mars 2011 dans la rubrique Education

Un professeur de la banlieue parisienne travaille à une méthode pc les bases de l’écriture à ses élèves de 6e et de 3e .


II est de cette génération de jeunes professeurs qui sont arrivés là sans a priori idéologique. Juste par amour des lettres et par envie de transmettre. Quand Marc-Olivier Vidal-Sephiha est arrivé au collège Georges-Pompidou de Villeneuve-la-Garenne, classé en « prévention violence », il avait certes lu quelques livres sur la question scolaire, mais il ne savait pas réellement à quoi s’attendre. « Le premier choc, explique-t-il, s’est produit à la lecture des copies. » Au départ, une dictée à destination de ses élèves de 6e, extraite de L’Étranger de Camus. Et cette phrase, « Lui est entré dans l’eau doucement », qui devient sous la plume des élèves, au choix, « I rante doume », « lui tétentré dans l’eau » ou « lui tentré doucement ».

Mots disparus corps et biens

JPEG - 16.7 ko
Marc-Olivier Vidal-Sephiha
enseigne au collège Georges-Pompidou de Villeneuve-la-Garenne. Photo BOUCHON/LE FIGARO

Dans les copies de 3e , les phrases, extraites de Maupassant, ressemblent à celles-ci : « Puis je me chouche et jatent comme on atendrai le bouro » ou « j’attend le sommeille comme on n’attenderé le douraut ». Mots disparus corps et biens, sons retranscrits de façon totalement aléatoire... ces élèves n’ont tout simplement pas compris le fonctionnement du code alphabétique et le principe de la correspondance entre les sons et les signes. Ce sont 30 % de ses élèves qui écrivent ainsi. Pis, après vérification par des exercices plus approfondis, 95 % de ses collégiens de Villeneuve-la-Garenne, comme du collège de Châtenay-Malabry où il enseigne aujourd’hui, ne maîtrisent pas la correspondance entre phonèmes et graphèmes, entre les sons et les différentes manières de les transcrire.

Ces adolescents n’ont tout simplement pas compris le principe de la correspondance entre les sons et les signes

Souffrent-ils de dyslexie ? De dysorthographie ? Une inspectrice de primaire m’a dit : « On les connaît, ce sont les 20 % qui sortent du système sans aucun diplôme, raconte Marc-Olivier Vidal-Sephiha. Mais outre que cela est faux, puisque la proportion est bien plus importante, comment peut-on se contenter d’enfermer ces jeunes dans ce destin, dans cet échec ? » Devant l’ampleur du désastre, il enquête, pour simplement comprendre.

Une orthophoniste, Colette Ouzilou, s’est penchée depuis des années sur la question. Son ouvrage, La Dyslexie, une vraie-fausse épidémie, vient d’être réédité en septembre 2010 par les Presses de la Renaissance. « La clientèle de nombreux orthophonistes a changé, analyse-t-elle. La quasi-totalité de ces enfants a peu ou pas de troubles fonctionnels : ils manquent toujours de bases élémentaires à l’usage de l’écrit. » Pour elle, l’explication est évidente : contrairement aux discours actuels qui prétendent que le débat sur les méthodes de lecture est dépassé, l’usage par 95 % des professeurs de CP de méthodes mixtes, c’est-à-dire à départ global, serait à l’origine de ces perturbations. Autrement dit, le fait de demander aux enfants, dans les premières semaines de leur apprentissage de la lecture, de reconnaître certains mots par leur forme, sous prétexte que, pour apprendre, ils doivent prendre plaisir à lire un texte qui ait du sens, les entraîne à fonctionner par identification automatique, en faisant abstraction du code alphabétique.

Marc le Bris, professeur des écoles et auteur de « Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter » (Stock, 2004), s’énerve par exemple que son école ait reçu à destination des jeunes enseignants des exercices qui proposent aux élèves, à partir de formes composées de petits carrés et de rectangles, de reconnaître les noms des jours de la semaine. « C’est de la méthode globale pure, s’insurge-t-il. Et ça met en place chez les élèves de mauvais mécanismes. » Ce que confirme le jeune professeur de Châtenay-Malabry, qui s’est livré à des sondages auprès de ses élèves pour savoir sur quelle méthode ils avaient appris à lire et qui plaide pour qu’un tel sondage accompagne les évaluations nationales de CEI et CM2.

Devant ce désastre, Marc-Olivier Vidal-Sephiha a décidé, avec le soutien du principal de son collège, de mettre en place des ateliers de rééducation à destination de ses élèves de 6e et de 3e . Et dans un dossier transmis au ministère de l’Éducation nationale, il a détaillé ce travail d’orfèvre, qu’il ne demande qu’à partager. Mais il se bat surtout pour qu’une véritable formation permette aux enseignants de CP de faire leur travail en toute connaissance de cause, tant il est vrai que la rééducation coûte toujours plus cher que l’éducation.


Comment on (ré)apprend à lire à des adolescents

LES ATELIERS mis en place par Marc-Olivier Vidal-Sephiha regroupent de 4 à 12 élèves, à raison d’une heure par semaine pour ceux de troisième et d’une heure trente pour ceux de sixième. Comme il avait besoin d’une progression rigoureuse pour refaire toutes les étapes de l’apprentissage, il s’appuie sur la méthode Boscher (exercices de graphie et progression syllabique) ou la méthode Montessori, qui présente l’avantage d’une démarche plurisensorielle, indispensable pour des enfants qui doivent réapprendre à entendre et à distinguer les sons. Mais il est hors de question d’humilier des collégiens en leur donnant l’impression qu’on les renvoie au CP.

Aussi compose-t-il avec ces ouvrages, et la méthode du docteur Ghislaine Weinstein-Badour (méthode Fransya, Bien lire, bien écrire), qui utilise les dernières données neurologiques pour cheminer dans la lecture et la grammaire sans utiliser une graphie ou une notion que les enfants ne maîtrisent pas encore. Exercices d’écoute, lignes de calligraphie, dictées de sons et de syllabes... Un formidable travail d’élaboration de tests et d’activités pour réconcilier les élèves avec leur langue. Son rêve : accueillir l’an prochain des stagiaires orthophonistes dans ses ateliers pour organiser une évaluation avant et après le suivi des cours, afin de prouver que l’on peut réellement, en un an, « remettre sur pied » des collégiens qui semblaient définitivement perdus.N. P.

Natacha Polony

2 Messages de forum

  • Des ateliers pour collégiens en perdition 10 mars 2011 12:31, par Barnabooth

    Les jeunes soldats du contingents qui, 2ème classe, sous-off., ou officiers, enseignaient avec succès le français et d’autres matières aux jeunes algériens musulmans, kabylophone ou arabophone, dans les montagnes d’Algérie en 1958-1962 n’avaient pas besoin de recourir à ce fatras idéologico-technique que s’acharne à appliquer ce jeune enseignant, peil de bonne volonté, dans une banlieue française. Ce site en est la preuve.

    En effet, à cette époque, les jeunes musulmans algériens avaient envie de découvrir la langue française, qui représentait le progrès, etc....

    Bizarrement, l’article ne dit pas l’origine culturelle des populations dont sont issus ces "mauvais" élèves.

    L’auteur se contente d’énumérer des solutions techniques, sans même effleurer la question psychique, c’est-à-dire la question de la culture d’origine des élèves. Ces élèves sont-ils intéressés à apprendre le français, à aller à l’école française, etc. ? Sinon, pourquoi ? Comprendre leur point de vue intérieur, scruter leur "âme", si j’ose dire, non pas pour leur donner raison, mais pour trouver des solutions du même niveau psychique. Bien sûr, cette méthode n’est pas facile. Elle est même : pas donnée à tout le monde.

    La méthode mécaniste est plus facile, accessible à tous, et de plus impressionnante par sa "modernité".

    Mais, s’en tenir aux seules solutions techniques ou même sociales (ils sont pauvres, exploités, etc.), c’est facile, comme un mécanisme mathématique. Mais, l’expérience prouve que cela ne résoud aucun problème. On n’achète pas les coeurs avec de l’argent et de la technique ou avec le bric-à-brac psychologique à la mode. Les jeunes soldats du contingent de 1960 en Algérie pourraient vous le confirmer.

    • Des ateliers pour collégiens en perdition 11 mars 2011 21:02, par Padi

      S’il n’avaient pas envie d’apprendre, ils continueraient à pas appprendre. Une méthode est meilleure qu’une autre si les résultats sont meilleurs, ce qui est le cas, Algérie ou pas.


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP