Pour l’histoire, voici les derniers épisodes de la vie de ce valeureux combattant, présentés par Albert Paul LENTIN, extraits de Historia Magazine, La guerre d’Algérie N° 275 page 1879 à 1884.
- " Le colonel Amirouche entre Légende et Histoire". par Djoudi Attoumi.
- " ...Cet autoritarisme cruel a cependant moins d’importance, aux yeux de la population algérienne, que la bravoure, l’audace et l’efficacité du chef de la Wilaya III. Ivan le Terrible et, en même temps, Pierre Le Grand de la Kabylie, il est devenu le héros légendaire qu’exaltent certains chants populaires ... " Extrait de Historia Magazine N°275, par Albert Paul Lentin.
LE COMPLOT DES QUATRE COLONELS
par Albert Paul LENTIN
- Amirouche, Colonel Lofti, Si M’hamed, Si Haouès.
- Quatre grands chefs de l’A.LN. le colonel Aït Amirouche, le plus important et sans doute le plus prestigieux de tous ; le colonel Lotfi, chef de la wilaya 5 (Oranie) ; Si M’hamed, chef de la wilaya 4 ; Si Haouès, chef de la wilaya 6 (Sahara).
le chef de la wilaya 2 : un homme trapu, au sourire jovial, à l’œil matois, doué d’un solide bon sens. les points faibles de la wïlaya 4 sont la pénurie d’armement et de cadres supérieurs
LARGEMENT « intoxiqué » par l’action psychologique des services du colonel Godard et du capitaine Léger, qui s’emploient à lui faire croire que, dans les maquis, bon nombre de responsables sont, en fait, des agents français camouflés, Amirouche, dans les derniers mois de 1958, croit voir partout des « agents de l’ennemi », traite les « suspects » comme des coupables et ordonne des purges sanglantes qui privent le F.L.N. algérien de nombreux éléments de valeur, notamment parmi les étudiants et les intellectuels. Cet autoritarisme cruel a cependant moins d’importance, aux yeux de la population algérienne, que la bravoure, l’audace et l’efficacité du chef de la wilaya 3. Ivan le Terrible et, en même temps, Pierre le Grand de la Kabylie, il est devenu le héros légendaire qu’exaltent certains chants populaires naïfs :
- Coll Tallandier
- Un combattant de l’A. L.N. surveille la rentrée des classes. Aux échelons douar et fraction, les djounoud, dans le cadre de l’O.P.A. (organisation politico-administrative) du F.L.N.,seront instituteurs, juges, gardes champêtres... ou terroristes.
Comme l’aigle, tu planes, Si Amirouche,
Au-dessus des cent crêtes inaccessibles du Djurdjura.
Tu es le roi de la montagne, Limpide dans tes paroles,
simple dans tes actes.
Redoutable dans la bataille.
L’épuration nationale
Conscient d’être le plus important et le plus prestigieux des chefs de wilaya, Amirouche aspire à jouer, au-delà des frontières de la Kabylie, un rôle de leader et à faire triompher, au sein de la résistance algérienne, les deux idées-force qui, à cette époque, guident toute sa politique : la critique du G.P.R.A. et la nécessité d’une « épuration nationale » de l’A.L.N. et du F.L.N., menacés, selon lui, d’être gangrenés par les services de renseignements français.
Les reproches que le chef de la wilaya 3 adresse au G.P.R.A. et aux « commandements opérationnels » de l’Est et de l’Ouest sont sévères. Il accuse « les responsables embourgeoisés de Tunis » de privilégier l’action diplomatique aux dépens de l’action militaire et de n’ordonner que des opérations limitées et prudentes contre les barrages de la ligne Morice, si bien que les combattants de l’intérieur se trouvent cruellement privés de ravitaillement en armes et en munitions. La logique de cette prise de position l’amène à préconiser une réorganisation de la direction suprême du F.L.N. de manière que les ministres du G.P.R.A. ne soient plus que les porte-parole, hors de l’Algérie, d’une équipe dirigeante de la résistance constituée à l’intérieur du pays. Le rétablissement de la « primauté de l’intérieur sur l’extérieur » ne serait d’ailleurs qu’un retour aux sources puisque ce principe avait été solennellement affirmé au « congrès de la Soummam » d’août-septembre 1956. C’est d’ailleurs une sorte de second « congrès de la Soummam » qu’Amirouche réclame en demandant une prompte réunion, sur le sol national, de tous les chefs de wilaya.
- Vanker
- A Arris, une école coranique. Arris est une petite ville de l’Aurès située dans la vallée supérieure de l’oued el-Abiod, où vit la tribu chaouïa des Ouled-Daoud. Elle est entourée de douars dont l’un renferme la guelaa, ou grenier à provisions de la tribu, dans une position défensive.
Si le leader kabyle estime, d’autre part, que F « épuration nationale » de l’ A.L.N. et du F.L.N. s’impose, c’est qu’il est persuadé, selon la formule même qu’il emploie dans une lettre signée de sa main et envoyée à tous les autres colonels exerçant leur commandement dans les différentes régions d’Algérie, que « le vaste complot dirigé par les services secrets français contre la révolution algérienne s’étend à toutes les wilayas ». Pour déjouer ce « complot », Amirouche suggère notamment de vérifier minutieusement les activités des Algériens recrutés par le F.L.N. depuis août 1958, de contrôler beaucoup plus sévèrement la circulation des agents de liaison entre les diverses wilayas, de ne désigner désormais, pour les missions de liaison, que des hommes absolument sûrs dont les comités de wilayas garantissent le patriotisme et, enfin, de faire arrêter et « interroger énergiquement » tous les « suspects », quel que soit leur rang, pour découvrir toutes les ramifications de la « conjuration » et mettre en échec les « plans diaboliques de l’ennemi ».
- Paysage de Kabylie. Les habitants sont de purs Berbères. Parlant du Kabyle, Renan a dit : « Ce n’est ni un Vandale ni un Carthaginois ; c’est un vieux Numide, le descendant des sujets de Massinissa, de Syphax et de Jugurtha. »
Pour mieux convaincre ses partenaires du bien-fondé de son point de vue, Amirouche leur dépêche des émissaires et il établit même un contact direct avec deux d’entre eux : le chef de la Wilaya 4, Bougarra (Si M’hamed), qu’il rencontre en Kabylie, et le chef de la Wilaya 2 (Nord constantinois), Ali Kafi, qu’il rencontre quelques jours plus tard à l’un des points de passage entre cette wilaya et la wilaya 3.
À ces démarches, les interlocuteurs d’Amirouche réagissent de manière fort différente. Si M’hamed n’avalise pas toutes les thèses qui lui sont présentées, mais il est tout de même fortement influencé par l’argumentation du chef de la wilaya 3. Il accepte tout en émettant, comme feront, après lui, Hadj Lakhdar, chef de la wilaya 1 (Aurès-Nemencha), et Si Haouès, chef de la wilaya 6 (Sahara), la proposition d’organiser une ( conférence interwilayas ». Ali Kafi, en revanche, se montre beaucoup plus réservé.
Le chef de la wilaya 2, l’un des rares leaders du F.L.N. qui connaisse peu la langue française et qui ne s’exprime qu’en arabe, est un homme profondément enraciné dans le monde rural. Trapu, basané, moustachu, l’œil matois, le sourire jovial, il a d’ailleurs l’allure d’un paysan. Il en a aussi le solide bon sens, et il décèle très vite toute la part d’ « auto-intoxication » et de fabulation qu’il y a dans l’ « espionnite » d’Amirouche.
Lorsqu’il reçoit son hôte, en présence de deux de ses adjoints, Salah Boubnider, dit « Çaout-El-Arab » (« la Voix des Arabes »), et le jeune étudiant en médecine Lamine Khene, dont le G.P.R.A. a fait, lors de sa constitution, en septembre 1958, un secrétaire d’État, il ne mâche pas ses mots. Il affirme que la portée du « complot français » dont lui parle Amirouche lui paraît très exagérée et il soutient que, dans ces conditions, l’ « épuration nationale du F.L.N. » que réclame le chef de la wilaya 3 « risquerait de faire plus de mal que de bien ». Il refuse, dans ces conditions, de participer personnellement à une réunion où ce projet tiendrait la vedette.
Ali Kafi ajoute cependant qu’il croit à l’utilité d’une « rencontre interwilayas » pour « un échange d’informations et d’expériences ». C’est pourquoi il enverra un ou deux observateurs à cette réunion, dont il suggère même qu’elle se tienne dans sa wilaya, à l’intérieur d’un quadrilatère Mila - El-Milia - Taher - Collo où ses forces sont particulièrement puissantes, car, explique-t-il, l’armée française est en train de lancer une grande offensive aux confins des wilayas 3 et 4 (le général Massu vient effectivement de déclencher là l’opération .< Couronne »), et c’est dans un des « sanctuaires » de la wilaya 2 que les hauts responsables appelés à conférer se trouveront le plus en sécurité.
- Atlas Photo
- Sortie d’une école coranique. Au cours des siècles, l’organisation politique et la culture instaurées par l’islam ont été modifiées, mais les croyances, les rites et les valeurs morales sont demeurés les mêmes. Le système repose sur des fondations appelées en général les Cinq Piliers de la foi.
Après son entretien avec Ali Kafi, Amirouche reçoit du colonel Lotfi un message dans lequel le chef de la wilaya 5 (Oranie) adopte une attitude plus négative encore à l’égard des propositions qui lui ont été faites. Non seulement Lotfi décline l’invitation à participer à une « conférence interwilayas », mais il annonce qu’il n’y enverra même pas des observateurs. Ce refus met en évidence une divergence fondamentale entre le leader de l’Oranie et celui de la Kabylie : Lotfi a conservé des liens particuliers avec son prédécesseur à la tête de la wilaya 5, Abdelhafid Boussouf, et si ennemi qu’il soit des carences et des faiblesses du G.P.R.A., il ne souhaite pas que soit mise en accusation une équipe au sein de laquelle Boussouf joue un rôle décisif (Ali Kafi a d’ailleurs réagi de la même manière à l’égard d’un autre homme clef du G.P.R.A., Lakhdar Ben Tobbal, son prédécesseur à la tête de la wilaya 2, avec lequel il maintient des liens d’amitié et de fidélité analogues à ceux que Lotfi entretient avec Boussouf).
- Etudiants et paysans sont réunis dans les maquis. Mais entre eux, l’entente sera souvent loin d’être parfaite.
Du fait de l’attitude plus que réticente de Lotfi et de Kafi, la « conférence des chefs de wilaya » si obstinément voulue par Amirouche se limitera, finalement, à une « rencontre au sommet » entre quatre colonels : Amirouche (wilaya 3), Si M’hamed (wilaya 4), Hadj Lakhdar (wilaya 1) et Si Haouès (wilaya 6), en présence de deux observateurs de la wilaya 2 : Abdelmajid Khalaras et Tahar Bouderbala.
La réunion se tiendra, en définitive, du 6 au 12 décembre 1958 dans un secteur montagneux au nord d’El-Milia. Si M’hamed, qui a effectué une partie de ce voyage vers l’est en compagnie du commandant Azedine et d’Omar Oussedik (Si Taïeb), secrétaire d’État du G.P.R.A., qu’il envoie en mission à Tunis « pour faire connaître aux frères ministres les appréciations et les doléances de la wilaya 4 », est arrivé le second au rendez-vous juste après Amirouche. Il a été suivi par Hadj Lakhdar, puis par Si Haouès.
Après avoir observé une minute de silence pour rendre hommage aux chouhada (martyrs) tombés dans les combats, les participants décident de l’ordre du jour de leur débat. Des exposés de chaque colonel sur la situation de sa wilaya permettront, tout d’abord, de dresser un tableau d’ensemble qui sera examiné et dont on discutera avant que soient prises certaines décisions d’ordre militaire. Seront ensuite traitées la question de « l’épuration du F.L.N. », puis celle des rapports entre l’intérieur et le G.P.R.A.
Premier orateur à présenter son bilan, Hadj Lakhdar donne, de la situation en wilaya 1, une vue assez pessimiste. Il se plaint du manque d’armes et de munitions, notamment en zone 1 (secteur de Sétif), et aussi du manque de cadres supérieurs, notamment dans les zones 2 et 4, car « d’excellents combattants ont été récemment tués dans des engagements ou sont partis pour Tunis ». Si les liaisons entre les différentes zones sont correctement assurées, les services de renseignements sont faibles, tout comme les services de propagande. Le travail le plus intéressant est, de ce point de vue, celui qui s’effectue au sein des « assemblées du peuple ».
De telles assemblées fonctionnent également en wilaya 3 (alors qu’elles ne peuvent plus se tenir, du fait du « quadrillage » français, en wilaya 4) fait remarquer Amirouche, dont le bref exposé, à la différence de celui de Hadj Lakhdar, est quelque peu « triomphaliste ». « En wilaya 3, dit-il, les djounoud assistent, au moins une fois par semaine, à des conférences politiques. Les cotisations des militants rentrent bien, si bien que nous avons près de 30 millions dans nos caisses. Notre service de presse et d’information imprime et diffuse deux bulletins, l’un destiné aux combattants, l’autre, la Voix de la montagne, à la population. Nous avons même créé un service cinématographique qui tourne des courts métrages. Notre service de renseignements n’est pas très bon, mais le nombre considérable et les activités multiples de nos moussbilin (auxiliaires) nous permettent sur le plan militaire de déjouer les pièges de l’adversaire. »
Si M’hamed, lui, ne se laisse pas aller à l’autosatisfaction. Il dit que les combattants qu’il a sous ses ordres portent des coups sévères à l’ennemi, mais que certaines insuffisances limitent leurs possibilités d’action, d’autant que les Français engagent, sur tout le territoire d’intérêt stratégique couvert par la wilaya 4, des forces considérables, et qu’ils « quadrillent intensément » chaque secteur. Les points faibles de la wilaya 4 sont la pénurie d’armement, et notamment d’armement lourd, et le manque de cadres supérieurs expérimentés. Son point fort est une propagande qui surclasse incontestablement celle de l’adversaire - qui prend souvent des initiatives psychologiquement maladroites, voire ridicules. Il ne faudrait pourtant pas sous-estimer le 5e bureau de l’armée française, note Si M’hamed, « car il lui arrive d’exploiter efficacement certaines de nos erreurs ». L’état-major de la wilaya 4 fait diffuser deux publications bilingues (en français et en arabe) : un bulletin intérieur, pour les maquisards, et un journal à assez fort tirage, Révolution, pour tous les Algériens. Des cameramen viennent, d’autre part, d’être recrutés.
- Armand Brunel
- A EI-Milia, petite ville située dans le Nord constantinois, le quartier musulman. C’est dans les montagnes au nord de la ville que se tiendra la réunion des chefs de wilaya.
Contrairement à Amirouche et à Si M’hamed, Si Haouès, dans son intervention, insiste moins sur les succès remportés que sur les difficultés qu’il rencontre. Les finances de la wilaya 6 sont saines et sa propagande n’est pas négligeable, ne serait-ce que parce que l’organisation F.L.N. contrôle discrètement la plupart des écoles coraniques, où l’exaltation des thèmes de la résistance se mêle habilement à l’enseignement religieux, mais, sur le plan militaire, les combattants ont du mal à politiser une population dont le niveau de conscience est assez bas.
Des spécialistes en explosifs
À l’heure où la conférence tire les conclusions de ces divers bilans critiques et prend quelques décisions, Si Haouès demande et obtient que certaines de ses unités particulièrement éprouvées par les dernières batailles puissent aller se reposer dans des secteurs montagneux situés sur le territoire des autres wilayas. D’une manière générale, les chefs des deux wilayas les mieux équipées, la 3 et la 4, acceptent de faire un effort en faveur des deux wilayas moins bien loties, la 1 et la 6. Ils leur enverront notamment des fidayin spécialistes en explosifs, et leur feront parvenir quelques stocks de vêtements militaires.
S’il ne faut que peu de temps pour régler, sans grandes controverses, ces affaires somme toute mineures, la discussion sur les mesures à prendre pour « faire face aux manœuvres des services spéciaux français » et « juguler la trahison au sein même du F.L.N. » est beaucoup plus longue et beaucoup plus animée.
Chaque colonel reconnaît qu’il existe, dans la région qu’il commande, des éléments armés algériens en opposition ouverte avec le F.L.N. (messalistes dans les wilayas 4 et 6, groupes de Chaouïas dissidents dans la zone 6 et surtout dans la zone 2 de la wilaya I) et, d’autre part, des agents français qui ont réussi à s’infiltrer dans les rangs mêmes des maquisards de l’A.L.N. Comment se débarrasser des premiers et démasquer les seconds ?
Dans le premier cas, le problème se pose en termes de moyens militaires : les éléments messalistes, dont la régression est constante, étant moins nombreux et moins dangereux que les dissidents de l’Aurès (qui sont plusieurs centaines), Amirouche et Si M’hamed décident d’envoyer chacun deux katibas de leur wilaya pour aider Hadj Lakhdar à dicter sa loi aux insoumis « qui défient son pouvoir » (l’opération se fera effectivement au début de 1959 ; 48 « petits chefs rebelles » seront liquidés physiquement et leurs partisans accepteront l’autorité du chef de la wilaya 1 ou se disperseront).
- Y. Frangeul
- Entre Constantine et EI-Milia, de vastes pâturages. Le Nord constantinois est le fief d’Ali Kafi, l’un des rares chefs du F.L.N. qui ne s’expriment qu’en arabe.
Dans le second cas, les quatre chefs de wilaya qui se concertent ont bien du mal à définir une politique commune, car ils ne considèrent pas de la même manière le phénomène qu’ils entendent combattre. Amirouche estime que l’action de l’état-major français, qui cherche à introduire ses agents dans tous les maquis, a pris une ampleur énorme et que, dans ces conditions, toutes les wilayas doivent prendre des mesures draconiennes - celles-là mêmes qui ont déjà été édictées en wilaya 3 et qui viennent d’être communiquées à Tunis.
Incurie et incapacité
le G.P.R.A. est vigoureusement critiqué
Les observateurs de la wilaya 2, mais aussi Si Haouès, soutiennent que la « subversion » qui obsède Amirouche est beaucoup plus limitée que ne le croit le chef de la wilaya 3 ; que, de ce fait, les mesures à prendre pour y faire face doivent être prudentes et que, en tout état de cause, de nouvelles « purges » injustifiées feraient le jeu de l’ennemi.
Finalement Si M’hamed, dont la position est plus dure que celle de Si Haouès mais plus modérée que celle d’Amirouche, fait adopter des solutions de compromis : on installera, dans chaque wilaya, une ou plusieurs prisons dans lesquelles seront enfermés les djounoud ou les militants « suspects », mais aucune exécution sommaire n’aura lieu et chaque dossier sera soigneusement examiné par une commission d’enquête inter-wilayas. Les « suspects » qui, au terme de cette instruction, seront présumés coupables seront jugés, dans chaque wilaya, par des tribunaux où ils bénéficieront des garanties normales de la défense. S’ils ont le grade d’officier, ils seront jugés par des tribunaux mixtes comprenant des juges de chaque wilaya.
L’opposition entre Si Haouès et Amirouche apparaît de nouveau lorsque est abordé le problème des rapports entre la résistance intérieure et le G.P.R.A. « Les critiques que nous allons adresser aux ministres de Tunis, déclare le chef de la wilaya 6, doivent rester mesurées, car nous avons besoin d’eux. Qui, en effet, sinon le G.P.R.A., pourrait nous fournir ce dont nous avons le plus urgent besoin, par exemple des médecins, des médicaments, des instruments chirurgicaux, puisque aussi bien nous avons été unanimes ici à déplorer le triste état de nos services de santé, qui sont si démunis, si misérables que nous voyons mourir, dans chaque wilaya, des blessés qui pourraient être sauvés si nous étions mieux équipés. Le G.P.R.A. est, qu’on le veuille ou non, notre pourvoyeur en armes, en fonds, en matériel sanitaire. Nous pouvons, nous devons protester contre les lenteurs et les insuffisances de cette aide, mais nous ne pouvons pas couper les ponts. »
Amirouche juge, quant à lui, qu’une telle diplomatie est hors de saison. Il estime, pour sa part, que les quatre colonels, dont les wilayas représentent les deux tiers du territoire de l’Algérie combattante, doivent constituer, dès la fin de cette conférence, une direction politico-militaire collective et permanente de l’A.L.N. et du F.L.N., placée hiérarchiquement au-dessus du G.P.R.A. « Nous devons dès aujourd’hui, s’écrie-t-il, taper du poing sur la table et demander des comptes au G.P.R.A. pour son attentisme, son incurie, son incapacité à résoudre le problème du franchissement du barrage français à la frontière algéro-tunisienne, ses actions répressives contre nos frères de l’A.L.N. qui ont voulu récemment dénoncer ses méthodes dictatoriales et bureaucratiques et qui se retrouvent aujourd’hui en prison. Nous devons enfin lancer un appel public à l’opinion algérienne pour lui faire connaître nos positions. »
Une fois encore, Si M’hamed réussit à faire triompher, à la fin d’une longue discussion sur ce dernier point de l’ordre du jour, un point de vue conciliateur qui dépasse les thèses « modérantistes » de Si Haouès sans aller jusqu’aux thèses extrémistes d’Amirouche. La conférence décide - contrairement à l’avis du chef de la wilaya 3 - que le mémorandum qu’elle rédige et immédiatement envoyé au G.P.R.A. demeurera secret, « car il serait désastreux que les Français pussent tirer parti de nos divisions ».
Sur un cadavre...
- Armand Brunel
- Femmes et enfants indigènes à EI-Milia. Après l’appel du général de Gaulle à la « paix des braves », des fractions de la population vont revenir à la cause française et d’autres cesseront de fournira l’A. L.N. les vivres et le gîte.
La direction du G.P.R.A., dans ce document, est vigoureusement critiquée, et même sommée de « corriger ses erreurs », mais elle n’est pas placée devant le fait accompli d’une décision politique inacceptable pour elle. Les quatre colonels se contentent de poser le problème d’une réorganisation du F.L.N. qui donnerait un rôle beaucoup plus important aux chefs de wilaya combattant sur le terrain et ils annoncent qu’un ou deux d’entre eux se rendront à Tunis, vers le 15 avril 1959, pour rencontrer le G.P.R.A.
Le rendez-vous ainsi annoncé n’aura, en fait, jamais lieu. Fin mars 1959, Amirouche et Si Haouès, qui avaient voulu se rencontrer une nouvelle fois avant de se rendre à Tunis, seront tués au cours d’un engagement avec des unités françaises. Celles-ci découvriront, sur le cadavre du secrétaire d’Amirouche, une liasse de feuillets dactylographiés, dont le premier annonçait sans aucune équivoque la nature et le contenu du document précieusement conservé par le chef de la wilaya 3 : « Procès-verbal de la réunion interwilayas 1, 3, 4 et 6 tenue quelque part en wilaya 2 du 6 au 12 décembre 1958. »
Albert Paul LEMTIN