Pour n’avoir pas osé dire, dès qu’ils s’en aperçurent, qu’il n’y avait pas de fil sur la navette du tisserand, les courtisans du conte d’Andersen (Les Habits neufs de l’Empereur, 1837) exposèrent leur roi à exhiber sa nudité à la face de la Cour. Il fallut le cri d’un enfant pour ouvrir les yeux de tous. La morale de cette histoire est d’une étonnante pérennité. Elle nous invite à ne pas céder lorsque l’idéologie dominante semble l’emporter sur la vérité.
Depuis quelques mois, tisserands et tailleurs s’agitent dans l’ombre pour confectionner un « mariage pour tous » à la mesure des « couples de même sexe. Ils consultent des gens qui sont de leur avis et refusent tout véritable débat national sur le sens et la nature de la famille. Là aussi, c’est la voix de l’enfant qui nous ramène à la vérité et nous ouvre les yeux.
Ce cri d’enfant, nous l’avons entendu samedi dernier à Reims lorsqu’un jeune adopté s’est écrié ; « À l’orphelinat, les enfants rêvent tous d’un père et d’une mère, pas de deux papas ou de deux mamans. »
Parce qu’il ne prend pas suffisamment en compte l’enfant, le projet de loi sur le « mariage pour tous » constitue une dénaturation du mariage et un détournement de l’adoption. Il ouvre une boîte de Pandore dont le contenu met en péril les fondamentaux d’une société déjà bien malade de ses manques de repères.
- Une dénaturation du mariage
Le mariage n’est ni la reconnaissance publique de l’amour entre deux personnes ni un contrat dont les termes seraient aléatoires. Le mariage n’est ni la reconnaissance publique de l’amour entre deux personnes ni un contrat dont les termes seraient aléatoires. Il est une institution dans laquelle un homme et une femme s’engagent en vue de la procréation et de l’éducation de leurs enfants. Quand les pouvoirs publics légifèrent sur le mariage, ils ne légifèrent pas sur les sentiments, mais sur une institution. C’est parce que cette institution est ordonnée au bien commun de la société qu’elle bénéficie de la faveur du droit, tant sur le plan fiscal que sur le plan patrimonial. Ce n’est pas l’amour de deux êtres, c’est le service du bien commun qui justifie son statut particulier.
C’est la complémentarité homme-femme inscrite au cœur de la nature qui en assure la fécondité tant au niveau de la transmission de la vie que de l’œuvre éducative.
C’est la différence sexuée objective, et non l’orientation sexuelle subjective, qui fonde le mariage. Comment des enfants élevés par des parents de même sexe vivront-ils une phase de construction aussi importante et universellement reconnue que le complexe d’Œdipe ? Le « mariage pour tous » ne consiste pas à ouvrir aux homosexuels une situation qui leur était interdite par l’arbitraire des lois et donc à créer plus d’égalité et de justice, il consiste à modifier l’institution du mariage pour la leur rendre accessible. Cette modification est une révolution anthropologique sans précédent, car elle dissocie de manière définitive la procréation de la sexualité, le mariage de l’engendrement, la famille de la nature. Quelle cohérence y a-t-il à prétendre entrer dans une institution quand pour y entrer il faut la détruire ?
- Un détournement de l’adoption
La filiation adoptive est une fiction juridique destinée à donner une famille à un enfant qui n’en a pas : elle est en faveur de l’enfant. Elle vise à atténuer pour lui le malheur d’avoir perdu sa famille en lui donnant une famille de substitution dans laquelle il pourra retrouver les repères qui lui permettront de se construire humainement et socialement. Elle consacre un droit de l’enfant, non un droit à l’enfant. En effet, si le désir de se perpétuer dans une descendance est naturel, le droit à l’enfant n’existe pas et ne peut pas exister. Cela reviendrait à en faire un objet que l’on pourrait posséder.
Le but de l’adoption est de satisfaire le besoin de famille qu’un enfant abandonné ou orphelin peut ressentir, et non de combler le désir d’enfant d’un couple. Moins encore de profiter du malheur d’un enfant pour l’instrumentaliser au profit d’une construction arbitraire qui ne pourra apparaître que comme un artifice. Ouvrir l’adoption aux couples homosexuels, c’est rendre à jamais illisible la filiation des enfants adoptés à une époque où toutes les découvertes de la psychologie nous montrent combien il est important de savoir d’où l’on vient.
-Une boite à Pandore.
Pour mesurer les conséquences du « mariage pour tous », il ne suffit pas de constater que tel ou tel enfant qui vit dans un couple homosexuel semble heureux aujourd’hui. Ce type de réforme ne peut s’apprécier que sur plusieurs générations, au regard des évolutions qu’il suscite.
La loi sur le « mariage pour tous » n’est pas encore votée qu’on nous promet déjà des amendements visant à autoriser la procréation médicalement assistée. Sauf à introduire une discrimination intolérable entre les couples homosexuels féminins et les couples homosexuels masculins, cela ouvrira la possibilité de recourir à des mères porteuses. La nature est ainsi faite que l’hétérosexualité est indispensable à la vie. Cela relève du principe de réalité. La loi ne peut rien y changer. Le « mariage » homosexuel, s’il veut s’épanouir dans une filiation, sonne le glas du mariage à deux ou fait entrer l’humain dans la catégorie des biens de consommation commercialisables. On n’a jamais vu une femme riche porter l’enfant d’un couple pauvre, fût-il homosexuel.
Le « mariage pour tous » fait aussi tomber le tabou de l’inceste. En effet, le tabou de l’inceste n’est pas inné. Il s’est établi de manière empirique au long des siècles. C’est à force de constater que les unions endogames finissaient toujours par produire des enfants dégénérés que l’exogamie s’est imposée. Au nom de quoi pourrait-on les interdire dans le cas d’unions homosexuelles par définition stériles et donc peu susceptibles de provoquer une dégénérescence de l’espèce ? « Cessante ratione legis, cessat lex (lorsque le motif de la loi cesse, la loi elle-même cesse) ».
La boîte de Pandore réserve encore bien des surprises.
Au-delà des circonstances de l’espèce, la loi sur le prétendu « mariage pour tous » pose aussi la question de l’attitude qui doit être celle des citoyens face à une loi contraire au bien commun. Depuis Antigone jusqu’au procès de Nuremberg, l’histoire nous a appris qu’il ne suffit pas qu’un texte soit légal pour qu’il soit légitime quand l’intérêt supérieur de l’humain est en cause.
Quelle altitude observer vis-à-vis d’un régime qui croit pouvoir bafouer le bien commun fondé sur le droit naturel ? Le positivisme juridique dont il fait preuve n’est pas compatible avec l’objection de conscience. Les mandats électoraux ne pourront-ils être brigués que par des personnes disposées à faire litière de leur conscience ? Cela fera-t-il grandir la crédibilité d’une classe politique déjà bien contestée dans sa capacité à résoudre les vrais problèmes auxquels la société est confrontée en ce début de XXIe siècle : récession économique, dissolution du lien social, montée de la délinquance ? À quelles résurgences du communautarisme faut-il s’attendre ? Si la loi n’est plus un socle commun pour la nation, qui pourra garantir la stabilité du pacte social ?
Notre société est déjà bien fragilisée par la perte des repères qu’elle subit depuis des décennies ainsi que par la crise économique endémique que la mondialisation étend à l’ensemble de la planète. Quel sera le prix à payer par l’humanité pour les bouleversements que le « mariage pour tous » nous laisse entrevoir ?
Si nous voulons éviter au roi le désagrément d’aller nu de par les rues et épargner à nos enfants la vision de ce triste spectacle, osons dire dès maintenant qu’il n’y a pas de fil sur la navette du tisserand.
Mgr Raymond Centène
Le Figaro du vendredi 14 décembre 2012 dans la rubrique débats & opinions