Nous nous appelons Hélène et Mohamed et tous deux, orphelins de père, victimes collatérales de cette guerre, nous nous sommes rencontrés depuis peu et avons, ensemble, évoqué nos souvenirs.
De cette rencontre est né ce projet de livre.
Quatrième de couverture
« Nous allons parler de cette guerre, de cette ignoble guerre. D’un côté, des soldats d’une armée régulière qui devaient remplir leur mission et, de l’autre, des moudjahidines d’unités clandestines qui se battaient pour la liberté de leur pays. » Hélène Erlingsen-Creste et Mohamed Zerouki, dont les pères ont été soldats et adversaires pendant cette guerre ont fait le pari d’écrire un livre de paix, où se mêlent l’histoire de leur père et leur parcours d’enfant en plein conflit. Clovis Creste a été tué en 1958 lors d’une embuscade dans le djebel de Tacheta-Zouggara et Ibrahim Zerouki a disparu dans l’Ouarsenis en 1959 ; son corps n’a jamais été retrouvé. À travers ce livre, écrit à quatre mains, nous sommes transportés dans le plus intime de cette guerre : le courage de ces deux hommes face à leurs engagements militaires, l’amour de leur pays mais aussi leur crainte de mourir au combat et de ne plus revoir leur famille.
Hélène Erlingsen-Creste est née en 1952 à Saint-Louis du Sénégal. Après des études de journalisme à Bordeaux, elle a exercé son métier sur une chaîne de télévision publique. Elle a soutenu une thèse sur La Politique coloniale de la IVe République à l’IEP (Institut d’études politiques) de Toulouse. Diplômée de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale) et de l’INHES (Institut national des hautes études de sécurité), elle a écrit son premier livre, Soldats perdus, en 2007, paru aux éditions Bavard,
Mohamed Zerouki est né dans l’Algérie coloniale le 11 novembre 1943. Il prend pari aux combats auprès de son père durant la guerre d’Algérie puis quitte son pays en 1968. Autodidacte, il devient directeur de Maisons des jeunes et de la culture. Aujourd’hui à la retraite, il reste impliqué dans le monde associatif, humanitaire et politique français.
Cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, l’histoire racontée par les enfants de deux soldats qui se sont combattus dans les montagnes du Tell, entre Miliana et Chlef, l’un était algérien, l’autre français.
« À mon père, Clovis Creste, mort pour la France en Algérie en 1958. » Hélène ERLINGSEN-CRESTE
« À mon père, Ibrahim Zerouki, mort pour l’Algérie en Algérie en 1959. » Mohamed ZEROUKI
- NOS PERES ENNEMIS Morts pour la France et l’Algérie
- Hélène Erlingsen-Creste et Mohamed Zerouki
Sommaire
Notre rencontre 7
Leur jeunesse 15
C’était l’Algérie 23
Le calme avant la tempête 31
La lutte s’organise 45
L’accueil en Algérie 63
Entre deux combats 77
Un conflit qui s’enlise 85
L’impasse 99
La peur 113
L’étau se resserre 127
L’adversaire se renforce 141
L’adieu aux pères 153
Une volonté de réconciliation 167
Notre rencontre.
« Un jour, j’écrirai pour toi un long récit, il n’y manquera pas un détail, pas une lumière de bougie, pas une saveur... » Jacques Derrida, La Carte postale. De Socrate à Freud et au-delà, Paris, Flammarion, 1980
CELA FAISAIT LONGTEMPS que je cherchais Mohamed, mais, après de multiples tentatives, j’étais prête à abandonner mon projet. Et puis, un jour, courant septembre 2010, alors que j’appelais le consulat d’Algérie à Bordeaux, l’agent d’accueil au standard me parla d’un certain Zerouki, fils de chahid (« martyr ») : « D’ailleurs, si vous voulez lui parler, il est là, à côté de moi. » Je me présente et je lui parle de mon projet. Il paraît étonné et puis, très vite, enthousiaste.
C’est de notre enfance volée dont j’aimerais qu’on parle ensemble. Des images violentes, un choc, de la folie souvent. Je sais qu’il sera parfois dur de revenir sur notre passé qui s’entrechoque. Nous allons parler de cette guerre, de cette ignoble guerre. D’un côté, des gens qui défendaient l’Algérie française et, de l’autre, des hommes et des femmes qui voulaient une Algérie indépendante. D’un côté, des soldats d’une armée régulière qui devaient remplir leur mission et, de l’autre, des moudjahidines d’unités clandestines qui se battaient pour la liberté de leur pays.
QUAND HÉLÈNE M’A DIT que son père avait été tué à Tacheta-Zouggara, cela m’a fait mal, car je connais cette région où ma grand-mère est née. Mon père et l’ensemble de ma famille y ont pris le maquis. Peut-être que les gens de ma famille ont tué son père... Mais c’était la guerre. En tant qu’Algérien, je sais que dans mon pays il y a encore des gens dont les blessures ne sont pas encore cicatrisées ; elles sont toujours vivaces. Ils auront beau jeu de me dire : « N’oublie pas qu’elle est la fille d’un militaire français et que tu es le fils d’un moudjahid. » Ces gens-là ne veulent pas parler parce que l’émotion est encore trop grande.
Mais nous, Hélène, on va ouvrir cette brèche et on va essayer de cautériser ces plaies. Certains vont l’accepter, d’autres pas, mais je dois le faire. Je le fais pour mes enfants aussi. Il faudrait qu’on grandisse. C’est dur d’en parler. C’est ce qui a toujours manqué chez les générations qui sont parties : elles ne privilégient pas le dialogue, le fait de dire les choses telles qu’elles se sont passées, sans haine, sans rancune, avec amour.
Nous avions 6 et 16 ans quand nos pères sont morts. Et, comme tous les enfants du monde, nous étions proches et fiers d’eux.
Nous avons pris date pour nous rencontrer chez moi à Pessac, dans la banlieue bordelaise.
JE ME suis LEVÉE TRÈS TÔT ce matin d’octobre. Il commence déjà à faire frais et le brouillard ne m’engage pas trop à marcher jusqu’à la gare. Agen, ma ville, est située dans la vallée de la Garonne, une cuvette assez humide et souvent remplie de brumes matinales. Le train de 6 h 45 s’arrête à toutes les petites gares. C’est celui qui amène les voyageurs à leur travail : Port-Sainte-Marie, Tonneins, Marmande, Langon...
Une heure trente plus tard, j’arrive à Bordeaux, gare Saint-Jean. J’ai le cœur serré car je sais qu’il m’attend. C’est un peu comme si, ensemble, nous allions faire une longue marche à travers notre histoire à la fois si commune et si différente. Son pays, c’est l’Algérie, et le mien, la France. Mais ce matin, ensemble, nous en avons deux. Il aime le mien et moi je suis très attachée au sien.
À peine sortie du train, mon portable sonne. C’est lui : « Je suis dans le hall, au point rencontre. Tu ne pourras pas me louper. J’ai les cheveux gris et j’ai une sacoche marron foncé avec moi. »
Mon cœur bat car je me pose beaucoup de questions : « Et si j’allais être déçue ? S’il ne répondait pas à mes attentes ? S’il n’avait pas envie de me parler sincèrement ? Et si, et si... »
Trop tard. Mohamed est là, devant moi. Il est plutôt petit et trapu. Ses cheveux poivre et sel encadrent un visage assez marqué. Son sourire, son regard franc et sa main tendue vers moi me rassurent : « Bonjour Hélène. Comment ça va ? »
Lui a dû me trouver très grande et très mince. Je ressemble beaucoup à mon père, avec quand même les yeux clairs de ma mère. Nous formons un drôle de couple sur ce quai de gare. Quel est le plus ému des deux ?
II avait pris un ticket de tram pour moi. Nous sommes allés directement chez lui, dans une citée KLM de Pessac, où il habite seul tout en gardant souvent ses trois enfants.
C’est ainsi qu’a commencé notre histoire qui, certes, n’allait pas bousculer l’ordre des choses et le cours du monde, mais qui, peut-être, mettra un petit caillou blanc sur le chemin de la réconciliation de nos deux pays.
À peine arrivés, nous prenons du thé avec de la menthe qui vient d’Algérie. « C’est la plus parfumée » me dit Mohamed. « Elle est sauvage et pousse comme elle veut chez nous. »
Nous nous trouvons tous les deux assis dans un salon très peu meublé où il n’y a vraiment que le strict minimum : une grande table, quelques chaises et, dans un coin, un canapé. C’est très épuré. Sur un mur, une photographie de son père Ibrahim qui portait le fez, ce couvre-chef si typique, en feutre, en forme de cône tronqué et qu’on appelle aussi « tarbouche ».
Sur cette photographie, il buvait aussi du thé. Ibrahim a toujours refusé de se faire photographier, car il avait peur qu’on placarde sa photographie sur les murs d’Alger avec celles des autres « terroristes ». Son visage ne devait pas le trahir dans la clandestinité, où il s’était volontairement plongé. Mon père, Clovis, grâce à un petit Kodak carré qu’il s’était offert pendant son voyage de noces, a été souvent pris en photographie. Malheureusement, il ne souriait presque jamais devant l’objectif.
Un petit magnétophone est sur la table pour enregistrer nos échanges. Nous allons passer cette première journée à mieux nous connaître et, surtout, à parler de nos pères respectifs et des combats qui les avaient séparés. Nous sommes heureux d’être assis côte à côte. Nous avons l’impression qu’à travers nous ce sont deux anciens adversaires qui se rencontrent... Enfin.
Qu’est-ce que ça voulait dire qu’être un soldat de l’armée coloniale pendant la guerre d’Algérie ? Qu’est-ce qui animait un djoundï (« soldat algérien ») qui deviendra vite un mouhafed (« commissaire politique ») dans le FLN ? Leurs routes se sont probablement croisées, car ils se trouvaient tous les deux dans la même mintika (« zone ») du côté de Tacheta-Zouggara, petite commune à 900 mètres d’altitude, entre collines semi-arides et massifs montagneux, à environ 250 kilomètres au sud-ouest d’Alger, entre le massif de Zaccar et de l’Ouarsenis....
Une volonté de réconciliation
« Aimer, c’est ne plus comparer. » Bernard Grasset, Remarques sur l’action, Paris, Gallimard, 1936
APRÈS LA MORT DE NOS PÈRES, chacun dans notre pays, nous avons fait notre chemin.
Pas un jour sans que je pense à lui et, bien sûr, j’en ai aussi souvent parlé à mes enfants. Le mot « papi Clovis », ils l’ont souvent prononcé. « Notre papi Clovis » disent-il aujourd’hui.
En 1992, je suis revenue en Algérie. Car, au nom de mon père, j’avais comme une mission à accomplir. La dernière, celle que lui n’a jamais pu faire. Alors qu’à l’époque le pays souffrait beaucoup du terrorisme, j’ai pris l’avion jusqu’à Alger puis un taxi jusqu’à Tacheta. L’église était devenue une mosquée et la SAS avait été transformée en un immense souk. Les belles maisons des anciens colons bordaient toujours les allées principales. Très vite, autour de moi, un attroupement se forma. La présence d’une Européenne dans cette région alors ravagée par la guerre civile était un événement.
On me posa beaucoup de questions, et moi je n’en avais qu’une seule : « Mon père est mort ici. C’était en 1958. Quelqu’un s’en souvient ? » Comme la foule se faisait de plus en plus dense, la police débarqua. Alors se passa un événement assez extraordinaire, des vieux en djellaba prirent à partie les policiers : « Son père est mort ici. Un peu d’honneur et de respect s’il vous plaît ! Partez ! » Et ils partirent. . .
La photographie de mon père circulait de main en main. Oui, il y avait bien des anciens qui l’avaient connu. Ils donnaient des détails : « II avait une dent en or. »
Ils me proposèrent de m’amener là où son corps avait été retrouvé. Tout se passa si vite. À peine une heure plus tard, nous étions une dizaine dans un vieux pick-up à monter vers le djebel du Zaccar. La dernière route que mon père avait empruntée. Je prenais des photographies. Soudain, la voiture s’arrêta. Nous en sommes tous descendus, silencieux.
« C’est ici », me dit Abdelkader Aouameur en pointant du doigt un fossé de l’autre côté d’un petit bois. Les langues commencèrent à se délier : « À l’époque, tout le village en a parlé. Les militaires nous avaient réquisitionnés pour le retrouver. »
Je me suis penchée sur ce fossé et me suis posé la question : « À quoi un jeune soldat peut bien penser quand il sait qu’il va mourir ? » C’est l’ancien résistant algérien Abelhamid Benzine qui, en 2003, y répondit : « D’après ce que je peux imaginer de votre père, c’était un homme qui adorait son pays. Il a certainement dû penser à sa famille et à la France qu’il ne reverrait plus. Ce que je sais c’est que, dans la douleur, il y a pas mal de frontières qui sautent. Il ne reste que des hommes, des hommes, rien que des hommes... »
Recroquevillée sur mon appareil photographique, je m’étais mise à pleurer. Les vieux, ceux qui avaient connu mon père, se rapprochèrent de moi. L’un d’eux me dit, comme pour me consoler : « II y avait des braves chez nous et il y avait des braves chez vous... Vous devriez demander au vieux Hassani. Il était garde champêtre à l’époque. Il devrait savoir. »
En rebroussant chemin, toujours avec la photographie de mon père, nous sommes allés voir le vieux Hassani. Son visage était aussi brun que sa djellaba était blanche. Il se pencha sur la photographie ; il se souvenait bien de l’embuscade, mais il n’en dit pas plus. J’appris qu’après la mort de mon père il y eut une autre embuscade dans les parages qui fit dix morts parmi les soldats français et les harkis.
De retour à Tacheta, on m’informa que le maire m’attendait à la mairie. Il avait quelque chose pour moi. Il s’appelait Ahmed Benzoïda, il me salua et me demanda de le suivre. Il me montra un vieux registre poussiéreux : « "Mort pour la France", c’est bien votre père qui a cette mention à gauche de son décès ? » Je me suis penchée sur ce livre et j’ai découvert, écrit à l’encre noire, l’acte de décès du sergent-chef Clovis Creste.
Le maire me précisa que « cette mairie était restée telle que les Français l’avaient laissée. Rien n’a changé. Le corps de votre père a dû être déposé ici avant d’être amené à la SAS ». Il m’offrit une photographie copie du document puis, se tournant vers moi, il mit la main sur son cœur.
Ce pèlerinage, j’avais besoin de le faire, au nom de mon père, mais pas seulement : au nom de tous ceux qui étaient morts là-bas. En revenant de Tacheta, je m’étais arrêtée à Chlef (Orléansville), où j’avais été reçue par d’anciens résistants algériens. Partout l’accueil fut chaleureux. Ces anciens soldats du FLN s’étaient fait un point d’honneur de m’escorter partout, pour qu’il ne m’arrive rien. Un peu comme s’ils avaient un engagement moral vis-à-vis de mon père.
En 2006, j’ai rencontré à Koléa une fille de martyr. Depuis, elle est devenue mon amie. Elle s’appelle Meriem Aouigher. Née en 1957, elle a perdu son père en 1961. Dans l’ouvrage de l’historien journaliste Albert-Paul Len-tin, Le Dernier Quart d’heure, publié en 1963 (Paris, Julliard), on y parle de son père, « le conseiller général musulman Mohamed Aouigher [...]. Un commando a menacé de mort le maire de Koléa. »
Comme le père de Mohamed, le sien aussi a disparu : « Mon père a été tué par l’OAS. C’était le 22 avril 1961. Des gens sont venus le chercher à la maison pour lui demander de venir signer des documents. Après deux jours d’attente, on a dit à ma mère qu’il était "parti". Depuis ce jour-là, on ne l’a plus revu... Mon père était membre de l’ALN. Plus le temps passe et plus je m’intéresse à ce qu’il a fait. »
Meriem avait tenu à ce que je rencontre sa famille et elle m’a montré aussi la chambre de sa mère, récemment décédée. Et là, j’ai eu un coup au cœur. Cette chambre, avec des photographies de son mari disparu, quelques documents et des petits objets personnels, ressemblait énormément à celle de ma mère : une photographie au-dessus de son lit, quelques médailles que ma grand-mère Yvonne avait fait encadrer et des petites choses qui ne pouvaient parler qu’à elle.
Ces deux femmes qui ne se sont jamais remariées, qui ont vécu dans l’amour d’un seul homme, ces deux femmes qui ne se sont jamais rencontrées, auraient pu être toutes les deux ma mère. Et je dois te dire, Mohamed, que si j’avais été algérienne et fille de ton père Ibrahim, j’aurais été fière de lui.
ET MOI, si j’avais été français, j’aurais eu les mêmes sentiments pour ton père. Et je trouve que ta démarche est noble. Aller là-bas, chez les anciens adversaires de ton père. Chercher. Je trouve ça extraordinaire que tu aies été accueillie par d’anciens moudjahidines. Si tu le veux, nous irons ensemble en Algérie, pour faire comme toi et chercher l’endroit où mon père a été enterré.
Je dois mener mon enquête et connaître la vérité. Il y a encore des gens qui peuvent m’aider là-bas. Mais aussi, il faudrait que nos deux peuples fassent comme nous avons fait, Hélène. Il faudrait qu’ils se parlent et qu’ils se disent la vérité.
Il y a des gens qui ont souffert. Il y a des enfants, des mamans qui ont pleuré, des femmes qui ont pleuré. Des deux côtés, on a pleuré nos morts. Alors, il faut être capable aujourd’hui de dire « oui, nous avons commis des erreurs et nous le regrettons » et, de l’autre côté, de dire « mettons nous d’accord pour lancer des bases de nouvelles relations entre les deux rives de la Méditerranée ». Quelle jouissance.
Aujourd’hui, j’ai fait le choix de vivre en France, mais je reste Algérien et je pars souvent en Algérie où j’ai ma famille et de nombreux amis. J’ai toujours été impressionné par l’héroïsme de nos populations qui ont subi cette guerre.Tout petit, j’ai vu les fellahs se priver pour participer à la libération de l’Algérie. Les tombes de nos chouhada (« martyrs ») inconnus ont été aussi celles de ces hommes et de ces femmes, dont il arrive qu’on retrouve par hasard les sépultures de fortune, comme celle de mon père, qui doit bien être quelque part.
Sa mort, je l’ai enfouie au plus profond de moi-même. C’était quelqu’un qui refusait de s’agenouiller. Il disait : « Moi, je m’agenouille devant Dieu mais pas devant les hommes. » Lorsque je parle de lui à mes enfants, je leur dis que leur grand-père s’est battu pour un idéal. Il ne s’est pas battu contre les Français, mais contre le colonialisme. Quand je pense à lui, je pense à ce chant berbère : « Qui reste en arrière ?... Personne ! C’est un peuple qui se défend. En avant ! Qu’on soit libre au soleil levant ! En avant ! »
Je regrette qu’entre nos deux pays la paix ne se soit pas encore vraiment installée. Les choses, elles sont là, elles existeront toujours, on ne pourra pas les effacer. Mais pourquoi ne pas dialoguer, parler ? Quelles sont les erreurs qu’on a faites ? Il ne faut pas être bornés, têtus.
Nos histoires nationales, dans les temps forts de cette guerre, ne sont abordées qu’avec retenue. Les actions de nos soldats, dans un contexte politique lourd, restent encore un sujet sensible des deux côtés de la Méditerranée.
Alors, Hélène, pendant huit ans, l’Algérie, mon pays, a vécu dans une guerre qui aurait pu être évitée. Des deux côtés nous avons beaucoup souffert. C’est à la génération d’aujourd’hui, de mes enfants et des tiens, Hélène, de se rapprocher pour que cette guerre se transforme en une leçon de paix. Nous sommes comme un couple qui, un jour, dans la douleur, s’est séparé, mais qui ne peut oublier qu’il s’est aimé et qu’il a une histoire commune. L’Algérie et la France sont inséparables dans mon cœur. J’aime ces deux pays et les peuples qui y vivent.
ET MOI, Mohamed, je vais te répondre par les mêmes mots ou presque : pendant huit ans, la France, mon pays, a sacrifié et fait sacrifier des milliers de vies d’hommes et de femmes, quels que soient leur camp et la couleur de leur peau, sur l’autel du prestige colonial.
La Rochefoucauld a écrit que l’on « déteste ceux à qui on a fait du mal. ». Il faut maintenant casser cette logique de l’irréversible pour aller vers ce que l’on pourrait appeler le « pardon ». Si la mémoire est tournée vers le passé, l’attente est tournée vers l’avenir. Je rêve d’une Algérie ni française, ni anti-française. Et aujourd’hui, même si la blessure n’est toujours pas totalement cicatrisée, les héros d’antan sont fatigués. Il est temps de se tendre la main.
Agen et Pessac, avril 2011.
Livre disponible au format numérique
Ou Éditions Privat
05 61 33 77 00
info@editions-privat.com
Commentaires de Miages-djebels :
Ce témoignage exceptionnel et émouvant devrait servir de vade mecum aux hommes politiques en France et en Algérie : des deux côtés de la Méditerranée, il y a une attente réelle de rapprochement espéré par ceux qui ont souffert de cette guerre........
Voir commentaires dans la presse : http://www.lemonde.fr/a-la-une/arti...