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Algérie-France : comprendre le passé pour mieux construire l’avenir 4

jeudi 26 février 2015, par Collectif.


Source http://www.senat.fr/ga/ga105/ga1055.html

QUATRIÈME TABLE RONDE : ET MAINTENANT ? QUELLES LEÇONS TIRER DE L’HISTOIRE POUR L’AVENIR DES RELATIONS FRANCO-ALGÉRIENNES ? Animateur : Omar BELHOUCHET, directeur de la publication du quotidien algérien El Watan.

Intervenants :

· Denis BAUCHARD, diplomate, ancien président de l’Institut du Monde arabe ;

· Anouar BENMALEK, écrivain ;

· Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, sénateur, ancien ministre, président de l’Association France-Algérie ;

· Sid Ahmed GHOZALI, ancien premier ministre ;

· Bariza KHIARI, vice-présidente du Sénat ;

· Georges MORIN, politologue, président du réseau « Algérie » des collectivités territoriales françaises.

Pour prendre connaissance de la biographie des intervenants, cliquer sur la vignette, ci-dessous

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Biographie des intervenants
Algérie-France : comprendre le passé pour mieux construire l’avenir 4

OUVERTURE

Omar BELHOUCHET, directeur de la publication du quotidien algérien El Watan

J’ai la lourde responsabilité de mener à son terme cette journée passionnante et passionnée, à la lumière de ce que sont les relations franco-algériennes à l’heure actuelle. Il y a une nécessité de commencer à bâtir une relation nouvelle, pour voir ce que l’on peut faire ensemble au lieu de poursuivre cette « guerre des mémoires ». Il faudrait sans doute, comme cela a été suggéré tout à l’heure, responsabiliser davantage les hommes politiques. Que le Président Hollande reconnaisse, au nom de l’État français, qu’un certain nombre de crimes ont été commis et que, de son côté, le président Bouteflika dise aux courants les plus extrémistes du FLN de cesser de désigner la France comme l’ennemi pour calmer la colère des Algériens. C’est de la responsabilité des hommes politiques qui sont là ce soir de le dire, avec leur expérience et avec leurs mots.

Il faut aussi avoir conscience que nos deux pays vivent dans une région extrêmement difficile. Un très grand nombre d’armes et d’islamistes radicaux ont transité de la Libye vers le Sahel, qui est en train de devenir l’Afghanistan de demain. C’est une véritable poudrière dont on n’a pas encore pris la mesure en Europe ni même au Maghreb. Il est de la responsabilité des deux pays de s’entendre à l’avenir et de coopérer pour la stabilisation de la région. Il faudrait, enfin, que nos deux pays méditerranéens aient une vision pour la Méditerranée occidentale qui inclut le Maroc, la Tunisie, l’Espagne, le Portugal et l’Italie.

INTERVENANTS

Denis BAUCHARD, diplomate, ancien président de l’Institut du Monde arabe

La relation France-Algérie : un partenariat incontournable

J’ai une relation très ancienne avec l’Algérie qui a été réactualisée, il y a quelques temps, à l’occasion d’un voyage au cours duquel j’ai eu des contacts en dehors de tout cadre officiel. Jusqu’alors, à chacun de mes voyages, j’étais contraint par un certain nombre d’entretiens officiels avec des éléments de langage de part et d’autre. Là, j’étais libre de mes mouvements : j’ai pu prendre les transports en commun, rentrer dans les magasins et avoir quelques impressions de voyage qui ont parfois confirmé, parfois infirmé, ce que je pensais de ce pays très attachant.

Ce qui est très frappant quand on va en Algérie, c’est la force des liens : ce mélange d’attraction et de répulsion qu’il y a entre l’Algérie et la France, entre les Algériens et les Français. Me trouvant en Algérie entre les deux tours de l’élection présidentielle française, j’ai été frappé par les commentaires auxquels chacune des interventions de l’ancien Président de la République française donnait lieu dans la presse algérienne, donnant l’impression que les Algériens s’intéressaient davantage à la campagne présidentielle française qu’à la campagne des législatives algériennes qui allait suivre de quelques semaines. J’ai été aussi étonné de voir combien les Algériens revendiquaient de pouvoir sortir d’Algérie pour aller en Europe et en France. Il y a manifestement une fascination, surtout chez les jeunes, un peu fantasmée, comme si le fait de venir en France pouvait régler tous les problèmes de la jeunesse algérienne. Et, dans le même temps, il y a une sorte de suspicion permanente : on prête à la France des arrière-pensées, on demande la repentance, la reconnaissance du génocide et la condamnation du système colonial...

Donc, des relations très fortes, qui s’expliquent par l’histoire, l’Algérie étant la colonie occupée le plus longtemps par la France - 132 ans -, occupation qui s’est terminée par une guerre douloureuse pour tout le monde. N’oublions pas que l’Algérie a aussi été un traumatisme pour la France, la conduisant à changer de République. Ceci étant, il me semble que le moment est venu pour essayer de surmonter les rancoeurs du passé même si elles sont très justifiées. Le temps passe : cinquante ans, c’est déjà loin, cela nous permet de prendre des distances. Petit à petit, une nouvelle génération est en train de prendre les commandes, peut-être pas encore au plus haut niveau mais ça ne saurait tarder.

Ayant eu l’occasion de faire des conférences sur les relations entre l’Europe et l’Algérie dans un certain nombre d’universités, j’ai pu constater le décalage entre les questions qui venaient des professeurs et de la génération des 40-60 ans et celles qui émanaient des jeunes. Ces derniers posaient des questions sur mon exposé alors que les plus âgés posaient des questions sur le passé et se demandaient quand la France ferait repentance. J’ai eu le sentiment que les préoccupations de la jeunesse ne se trouvaient pas dans le passé, qu’elle connaissait très mal au demeurant, à commencer par l’histoire de l’Algérie indépendante. La préoccupation première des jeunes est de savoir quel est leur avenir ? Ont-ils un avenir dans ce pays ?

Que peut-on faire ? Je crois qu’il ne faut pas oublier que l’Algérie reste en France un problème de politique intérieure de même qu’en Algérie, la France reste un problème de politique intérieure. Lorsqu’on n’est plus d’accord sur rien et qu’il y a une déclaration un peu malencontreuse d’un Président ou d’un ministre français, on se dit : « tout ça c’est la faute de la France ». Et on dénonce le parti de la France, ce qui est la pire des infamies en termes de politique intérieure algérienne. Notre objectif c’est d’essayer de dissiper le « mur de la méfiance » - ce sentiment que tout acte français est toujours mû par des arrière-pensées - et de tirer les leçons du passé pour être dans le présent et préparer l’avenir. On peut le faire dans différents domaines.

Dans le domaine politique, le Président Jacques Chirac avait tenté de trouver le moyen de conclure un traité de réconciliation avec l’Algérie, comme cela avait été fait dans le passé avec l’Allemagne. Pascal Blanchard y a fait allusion tout à l’heure. Et en effet, la relation entre la France et l’Allemagne était une relation tragique pendant des siècles, et en particulier pendant la dernière guerre mondiale. Toutes les familles françaises ont parmi leurs ancêtres des tués, des déportés ou des fusillés. Il y avait en France un sentiment « anti-boches » extrêmement fort il y a encore cinquante ou soixante ans, qui a totalement disparu aujourd’hui, notamment chez les jeunes Et pourtant, nous avions de quoi nous plaindre, nous Français, auprès des Allemands. Mais il y a eu une volonté politique au plus haut niveau, de part et d’autre, pour aboutir à ce traité de réconciliation, qui finalement fonctionne bien, quoi qu’on en dise. Il faut essayer de reprendre cette idée qui, à l’époque, avait été torpillée aussi bien en France qu’en Algérie, par les éléments les plus hostiles, ceux qui avaient encore la nostalgie du passé. Côté français, nous devrions ouvrir davantage les portes de la France aux jeunes. La politique des visas continue de nourrir, à juste titre, le contentieux franco-algérien. Des gestes peuvent être faits en faveur des étudiants.

Enfin, Omar Belhouchet faisait allusion à la situation préoccupante au Sahel. Sur des sujets majeurs et sensibles, nous pourrions trouver des coopérations. Or, on sent là encore de la méfiance. J’ai été frappé de constater à la lecture de la presse algérienne combien l’intervention française en Libye avait été mal perçue. La volonté française d’intervenir au Mali était perçue comme un relent néo-colonial français alors que tout cela a disparu.

Sur le plan économique aussi, on peut faire mieux. La France est assez présente économiquement en Algérie, mais il y a des domaines où la coopération n’est pas à la hauteur du lien ancien que nous entretenons, notamment dans le domaine de l’énergie où, faute d’investissements pour renouveler ses réserves de gaz et de pétrole, l’Algérie a pris du retard pour maintenir ses réserves au niveau souhaité. Il faudrait aussi faire un effort en matière de protection des investissements étrangers. Il y a un décalage entre la théorie qui est souvent convenable, et la pratique pour laquelle les industriels français ont le sentiment que les juges font une application biaisée de la loi et qu’il y a un cumul d’autorisations administratives discriminatoires.

Enfin, sur le plan culturel, il y a beaucoup de choses à faire. Lorsque j’étais président de l’Institut du Monde Arabe, près de cinq cents manifestations ont eu lieu dans toute la France, dont une vingtaine à l’IMA, pour célébrer l’année de l’Algérie en France. Je pense que cela a contribué à changer le regard de la France sur l’Algérie. Nous pourrions nous inspirer du programme Erasmus pour mettre en place un programme permettant à des étudiants français de passer un an en Algérie et à des étudiants algériens de passer un an en France.

Pascal Blanchard évoquait tout à l’heure la possibilité de rédiger un manuel d’histoire commun. Certes on peut rédiger un manuel commun aux cinquante pays de la francophonie, mais si nous pouvions commencer avec l’Algérie, ce serait déjà pas mal. Il suffit de créer un groupe d’historiens de bonne volonté de part et d’autre et de leur demander de travailler en ce sens. Nous avons fait un manuel d’histoire commun avec l’Allemagne, il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas faire la même chose avec l’Algérie.

Enfin, pourquoi ne pas proposer que l’exposition organisée par le musée de l’Armée sur la colonisation et la guerre d’Algérie soit montrée en Algérie ? Rien ne l’empêche. Alors il y a certes des obstacles avec toujours cette insistance sur la repentance. Je pense que c’est un exercice limité, même si des gestes ont été faits de part et d’autre. Il y a toujours le risque d’instrumentalisation de la relation franco-algérienne. Il y a aussi parfois des désaccords de politique étrangère : les Algériens nous reprochent ce qu’il leur apparaît comme un biais de la politique française en faveur de leur meilleur ennemi, le Maroc. Mais par delà tout cela, le moment semble être aujourd’hui venu de bouger, à la fois pour des raisons politiques et pour des raisons de génération. C’est la responsabilité des politiques.

Anouar BENMALEK, écrivain

Un grand traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Algérie : une exigence non seulement morale, mais aussi stratégique

Je n’interviens ni avec la rigueur de l’historien, ni avec la prudence du diplomate, mais en tant qu’écrivain, c’est-à-dire quelqu’un qui est autorisé à rêver.

Certains hommes politiques ont parlé des aspects « positifs » du colonialisme. Je pense, pour ma part, que l’aspect le plus positif du colonialisme est sa fin. Le 5 juillet 1962 clôt un épisode de l’histoire commune de l’Algérie et de la France, le colonialisme, qui reste, de quelque manière qu’on l’appréhende, un déni de justice contre ceux qui, pendant trop longtemps, ont été affublés du nom d’indigènes, mot ordinaire détourné de son sens originel qui est celui, simplement, de premiers habitants d’un territoire.

Le colonialisme a été un crime contre deux pays : l’Algérie d’abord et les Algériens, la France ensuite et ses valeurs universalistes détournées, maquillées, étouffées.

Je maintiens que la première date « heureuse » dans cette histoire entre les deux peuples algérien et français est cette date du 5 juillet 1962. Si, pour l’Algérie, cette date est « heureuse » par définition, puisqu’elle marque son accession au statut d’État indépendant, la France devrait considérer cette date comme celle d’une guérison, guérison de la « maladie coloniale ». Maladie, en effet, puisqu’elle a fait perdre la « raison » à la « vraie » France, celle du triptyque républicain Liberté, Égalité, Fraternité. Ne doit-on pas considérer comme une belle date la date de sa propre guérison ? Le 14 juillet en France, par exemple, n’est-il pas fêté comme la fin de la « maladie féodale », celle qui considérait comme allant de soi l’inégalité des êtres humains en distinguant entre nobles et roturiers, entre hommes libres et serfs, etc. Par ailleurs, le 8 mai 1945 n’est-il pas considéré par les démocrates allemands comme la fin de la maladie nazie ?

Peut-être le moment viendra-t-il, laissez-moi rêver, où cette date du 5 juillet sera fêtée comme la grande fête de la réconciliation entre deux idéaux républicains : ceux des Algériens aspirant à l’égalité et à la dignité de citoyens, ceux des Français, mieux représentés à mon sens par des compatriotes comme Jean Moulin ou Victor Schoelcher que par Massu, Bigeard ou Aussaresses.

C’est vrai que les crimes ont été nombreux avant et pendant la guerre d’Algérie (que les Algériens nomment plus justement la guerre d’indépendance) : crimes des premiers temps de l’occupation, des « enfumades », de la spoliation massive des terres, des inégalités et de l’injustice inscrite dans le marbre du code de l’indigénat. Ou ceux, plus d’un siècle plus tard, de l’armée française contre les villages algériens bombardés au napalm, de la torture érigée en système au sein des si mal nommés Départements opérationnels de sécurité, des déplacements meurtriers de populations. Tout cela pour faire prévaloir une prétendue supériorité raciale qui ferait, des conquérants de 1830, les propriétaires de droit divin de ce territoire béni par la géographie et la géologie qu’est l’Algérie.

Crimes également, ne l’oublions pas, de certains acteurs du mouvement indépendantiste contre leur propre population, tant a pu être inflexible la volonté du FLN d’être le seul représentant de la volonté de liberté du peuple algérien : crimes tels que ceux de Melouza, des victimes de la « bleuïte » et d’autres événements atrocement semblables. Crimes que l’Algérie officielle ne reconnaît pas jusqu’à présent, ignorant que la grandeur d’un pays adulte se mesure également à sa capacité à reconnaitre et assumer ses erreurs.

Que l’on ne se trompe pas, cependant, sur la nature de mes propos : les crimes du colonialisme sont d’une toute autre ampleur et même les fautes (les crimes parfois) des combattants pour l’indépendance ne peuvent être « utilisées » pour rejeter dos à dos les deux belligérants. De même, si l’échec, jusqu’à présent, de l’Algérie à jouir d’une république démocratique telle que promise dans le texte fondateur de l’appel du 1er novembre 1954 est patent, cela ne peut servir en aucun cas de prétexte pour discréditer a posteriori le mouvement de libération algérien.

Cet échec terriblement actuel à implanter des usages démocratiques dans la gestion de l’Algérie, cette prédation généralisée dont on a pu accuser, à raison souvent, beaucoup de hauts dignitaires algériens, tant civils que militaires, cette incapacité à sortir d’une gestion patrimoniale de l’Algérie, est, et reste, une affaire intérieure algérienne. Il y a suffisamment de forces vitales en Algérie pour, inéluctablement, changer tôt ou tard cet état de fait. J’y crois profondément, malgré les années de terreur que l’Algérie a vécues dernièrement, malgré le désespoir qui a pu souvent nous saisir, malgré les cent mille à deux cent mille morts de la période récente.

Nos deux pays ne sont plus des pays innocents : l’histoire, la sale histoire des hommes, les a déniaisés. Pays frontaliers - puisque la mer Méditerranée, en ce XXIe siècle débutant, ne suffit pas à séparer deux pays -, condamnés à se supporter, ils devraient au contraire choisir de faire de leur terrible histoire commune et de leur proximité géographique un atout et choisir la voie de la grandeur : la signature d’un grand traité d’amitié et de coopération, conçu par deux partenaires adultes, puissants et riches, ayant une connaissance précise de leurs intérêts réciproques, intégrant également le fait que, dans sa chair, une partie non négligeable des citoyens de l’un des partenaires est originaire de la population de l’autre partenaire.

Transformer, sans tomber dans l’angélisme, les haines, les rancoeurs, les malentendus, les peurs en leurs contraires : l’amitié, la compréhension, la coopération, c’est cela que devrait être le but de ce grand traité d’amitié et de coopération tant de fois remis à plus tard.

Nos deux pays en sortiraient grandis et renforcés même dans leur sécurité. En fin de compte, un grand traité de ce genre serait une exigence non seulement morale, mais aussi stratégique dans le sens le plus militaire du terme, en ce temps où une partie du Sahel est directement menacée par la gangrène meurtrière des mouvements terroristes se réclamant d’Al-Qaïda.

Il est toujours urgent de rêver. Les réalistes prétendent que ce serait être naïf que de penser, dans le contexte actuel, à une rencontre algéro-française du type de Gaulle - Adenauer. Mais de quoi donc, depuis cinquante ans, peuvent se prévaloir ces fameux réalistes ? Ce sont, au contraire, les rêveurs qui ont osé lancer la proclamation du 1er novembre 1954 qui allait mener à la libération de l’Algérie. Ce seront, par conséquent, d’autres rêveurs qui rapprocheront nos deux pays - mes deux pays - par un traité d’amitié à la hauteur des chagrins et des espoirs de leur histoire commune.

Georges MORIN, politologue, président du réseau « Algérie » des collectivités territoriales françaises

La coopération franco-algérienne des territoires et des citoyens

La France a besoin de guérir de son passé colonial. Il faut pour cela le connaître, l’assumer, en parler, l’écrire. Et surtout, tous les enfants de France liées à l’Algérie, qu’ils soient immigrés algériens, fils d’immigrés, pieds-noirs, harkis, juifs, etc., ont besoin de voir leur histoire intégrée dans l’histoire de France, parce qu’ils font partie de ce pays. Et trop souvent - je pense notamment aux enfants d’immigrés algériens -, ils ne se retrouvent pas dans l’histoire de France parce qu’elle les ampute d’une partie de cette histoire, qui est aussi l’histoire de l’Algérie. Cela vaut pour les enfants de France qui ont des racines au Maghreb, mais aussi pour l’ensemble des Français, parce que si nous voulons vivre dans une société apaisée, réconciliée avec elle-même, il faut que l’ensemble des enfants de France, quelle que soit leur origine, se retrouvent dans l’histoire qu’on leur enseigne. C’est important pour la France. C’est également important pour l’Algérie, qui pendant 132 ans a été victime du système colonial. Au caractère indigne et liberticide de ce système suffisamment décrit ce matin, il faut ajouter qu’il a essayé d’éradiquer toutes les racines culturelles de l’Algérie en niant la langue arabe, l’histoire si riche de l’Algérie. Seul l’islam a résisté, puisqu’il a été le refuge de la résistance, le seul refuge où les Français n’osaient pas intervenir.

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie a bâti une histoire officielle qui cache beaucoup de pages de son histoire. Bouteflika n’a reconnu qu’en 1999 « l’algérianité » de Saint-Augustin ou d’Albert Camus. L’Algérie a aussi besoin de retrouver toutes ses racines. Le poids de 132 ans de négation des cultures d’Algérie dû au colonialisme français a fait que l’Algérie s’est réfugiée dans une histoire très compartimentée qui commence avec l’arrivée de l’islam et qui se termine en 1962. L’Algérie a besoin de se réconcilier non seulement avec la part française de son histoire mais avec toutes les autres parts, la phase turque, la phase romaine, etc. Et la France, du fait de sa responsabilité dans l’amputation de l’histoire algérienne pendant la période coloniale, doit contribuer à lui rendre l’ensemble de son histoire.

La France et l’Algérie devraient être, à l’instar du couple franco-allemand pour l’Europe, le couple moteur de la Méditerranée occidentale. Et contribuer à l’instauration d’une zone de prospérité, de paix et de justice dans cette partie du monde qui est la seule à avoir une unité de civilisation, d’histoire et de population.

S’agissant du groupe-pays Algérie dont je m’occupe au sein de Cités-unies France, nous avons relancé en 1999, avec Bernard Stasi, la coopération entre les territoires français et algériens, les villes, les départements et les régions. Nous l’avons fait à une période où les fenêtres de l’Algérie s’ouvraient : on reparlait de francophonie et de coopération avec la France. Cela a été une période faste avec toutes les difficultés que connaissent les opérations de coopération décentralisée. Non seulement il faut une volonté politique au plus haut niveau (elle existait), une volonté des autorités locales françaises et algériennes (elle existe aussi), mais aussi il fallait que les populations de France et d’Algérie en aient envie. J’assistais au bilan d’un programme franco-algérien extraordinaire - le PCPA, programme concerté pluri-acteurs - qui permet, par la volonté des deux gouvernements, de soutenir tout le mouvement associatif algérien qui s’intéresse à l’enfance et à la jeunesse. Un seul exemple : grâce à une coopération avec la ville de Grenoble, un ciné-club a pu être ouvert à l’Université de Constantine qui est une bouffée d’air frais. C’est dans ce travail très concret d’échanges et de coopération entre les universitaires, entre les collectivités locales et entre les jeunesses de France et d’Algérie, que les deux pays vont enfin pouvoir se réconcilier.

Sid Ahmed GHOZALI, ancien Premier Ministre

Comment capitaliser le passé pour un avenir meilleur ?

Merci, Monsieur le Président, pour le travail que vous faîtes à travers des réunions comme celle-ci, pour réfléchir à l’avenir des relations franco-algériennes. C’est un travail très noble et il est souhaitable qu’il se multiplie pour que la société civile, toutes tendances confondues, aide à éclairer l’opinion sur le lien concret entre les intérêts de chaque Français, de toutes les couches sociales, et les relations avec la rive sud de la Méditerranée.

Pour paraphraser Mao Zedong, l’avenir est radieux mais le chemin est tortueux. Nous sommes voisins et avons en commun une partie de notre histoire. Il faut se réhabituer à regarder nos relations, non pas sous l’angle moral et intellectuel, mais sous l’angle des intérêts de nos populations. Sont-elles satisfaisantes au regard de ce que nous pourrions faire ensemble ? Non. L’Algérie fait partie d’un ensemble au sud de la Méditerranée, qui, si l’on s’en tient uniquement à l’ensemble maghrébin, est grand comme quatre fois les pays européens riverains de la Méditerranée, avec une population deux fois moindre - 100 millions d’habitants. N’y a-t-il pas là une opportunité considérable pour mieux servir nos populations en augmentant nos échanges de toutes sortes, et notamment nos échanges commerciaux et économiques ? Nous pourrions multiplier par dix les 60 à 70 milliards de dollars d’échanges actuels au bénéfice de nos populations respectives. Toute politique devrait se construire sur le fondement d’une stratégie.

Le hasard a voulu que j’aie à assumer des responsabilités sur le terrain qui m’ont conduit à m’impliquer fortement dans les relations internationales de l’Algérie et, notamment, dans les relations entre l’Algérie et l’Europe. On parle beaucoup des handicaps et des difficultés. Parmi ces handicaps, il y a toutes les asymétries institutionnelles sur le plan du développement, etc. Il y a la crise économique et financière mondiale dans laquelle les puissances les plus importantes se débattent à l’heure actuelle. Cette crise leur laissera-t-elle le temps et les possibilités de regarder vers le Sud ? Enfin, parmi les handicaps, on cite volontiers le passé commun. Je pense que ces handicaps peuvent être utilisés comme des leviers très puissants pour refonder nos relations. Pour cela, il faut que chacun fasse un effort sur lui-même.

Nous sommes au lendemain d’un jour de deuil pour l’Algérie. Le 29 juin 1992, le président Mohamed Boudiaf mourrait assassiné. Savez-vous ce qu’il était en train de dire deux minutes avant d’être fauché par les balles ? « Tout ce qui nous arrive de bien ou de mal est d’abord en nous ». En d’autres termes, pour résoudre nos problèmes, il faut commencer par un effort sur soi-même et ne pas se défausser sur les autres. Les Français aussi doivent faire un effort sur eux-mêmes. Ce n’est pas le même type d’efforts parce que nous ne sommes pas dans la même situation. Denis Bauchard disait, à l’instant, que les Algériens connaissent mieux la politique intérieure française que les Français. C’est normal, nous sommes plus petits, moins forts, donc nous vous connaissons mieux que vous ne nous connaissez. Cela concerne aussi le sport...

S’agissant de l’apaisement, je suis d’accord avec les deux historiens qui m’ont précédé : ça n’est pas aussi tranché que cela. A quoi mesure-t-on l’apaisement ? Si vous faîtes un vrai référendum en Algérie demandant « Etes-vous pour ou contre des relations avec la France ? », 95 % des Algériens répondront : « Nous sommes pour ». En 2003, Jean-Marie Colombani m’avait interrogé sur l’accueil populaire fait à Jacques Chirac lors de sa visite officielle, en me demandant si c’était à cause des visas. Je l’avais détrompé en lui disant que les Algériens exprimaient, par leur liesse, leur volonté de voir les relations se développer entre la France et l’Algérie. De surcroît, Jacques Chirac venait de prendre fermement position contre l’intervention en Irak alors que le gouvernement algérien restait silencieux.

Je vais vous raconter une anecdote personnelle. Jamais les relations entre la France et l’Algérie n’ont été aussi tendues et violentes qu’avant et après les nationalisations pétrolières. Je faisais partie de la délégation algérienne qui négociait avec la délégation française. Abreuvant leurs lecteurs et auditeurs de chiffres auxquels personne ne comprenait rien, les médias algériens aux ordres ne disaient pas la vérité contrairement aux médias français. Et de fait, pour l’opinion algérienne informée par la presse française, nous passions pour des mauvais coucheurs. Un jour, ma mère me dit : « Pourquoi êtes-vous méchants avec les Français ? Arrangez-vous avec eux ! ». C’est cela qui me fait dire que les Algériens sont pour des relations plus développées. N’est-ce pas une façon comme une autre de mesurer le niveau d’apaisement ? Notamment chez les générations qui ont combattu le colonialisme ? Celles-là sont avant tout pour des relations accrues.

Pour conclure, je dirais qu’il faudrait se fixer une stratégie et un but. Comment faire de nos partenaires du sud de la Méditerranée des gens aussi intéressants que nos voisins européens ? C’est une zone qui n’est pas sans ressources. Il y a au moins trois domaines dans lesquels on peut faire des choses formidables ensemble : l’eau et l’énergie - les deux facteurs les plus importants de production -, et l’environnement. Sur cette base et avec les capacités d’innovation, les progrès réalisés en matière de non dilapidation des ressources, d’économies d’énergie, etc., il est possible de faire de cette zone, dont l’Algérie est une pièce maîtresse, un moyen pour les Européens et les Français d’apporter des solutions à leurs propres problèmes.

Bariza KHIARI, Vice-présidente du Sénat

Il est plus facile de tracer des voies pour l’avenir que de réconcilier des mémoires qui sont encore très à vif quand on parle de l’Algérie. Les responsables, à quelque niveau que ce soit, ont des comptes à rendre aux jeunes générations. Bien évidemment, ils ont la responsabilité de maintenir une histoire vivace et vraie. Pas d’avenir sans passé, comme le souligne fort justement le titre de notre colloque. Pas d’avenir sans passé compris ou sans passé apaisé.

Nous ne sommes jamais à l’abri de lois comme celle du 23 février 2005. Encore récemment, nous avons dû nous battre contre des lois mémorielles sur la Turquie et l’Arménie. Le pire n’est jamais derrière nous : il faut rester vigilant sur ces sujets, notamment à l’égard de la droite populaire. Et laisser aux historiens le soin d’écrire l’histoire. Mais les gouvernants ont une responsabilité éminente : celle de construire l’avenir, notamment pour les jeunes générations. L’Émir Abdelkader disait : « la politique, c’est porter sur soi le destin d’autrui ». C’est-à-dire le projeter dans un avenir meilleur. J’y mets une condition essentielle : le respect mutuel.

Cette exigence de respect découle, notamment, de la longue séquence politique dont nous sortons, au cours de laquelle se sont multipliées les vexations et les tracasseries pour les populations musulmanes immigrées pour des raisons électoralistes. La communauté algérienne - communauté musulmane la plus nombreuse en France - a très mal vécu cette politique menée durant une dizaine d’années. Après la séquence sur l’identité nationale, que je qualifierais d’islamophobie d’État - comment qualifier autrement des réunions organisées par les préfets pour réfléchir à l’identité nationale avec, en toile de fonds, une dénonciation de l’islam ou de l’immigration ? - il y a eu le traitement de la laïcité sous le seul prisme de l’islam et une petite vérification du contenu de nos assiettes avec la viande hallal. Ce faisant, la droite républicaine a légitimé le discours du Front national. Or, ces brimades ont nécessairement des conséquences sur les relations extérieures de la France. Si on ajoute à cela le discours de Dakar sur les Africains « qui ne seraient pas rentrés dans l’histoire » et le débat sur les civilisations « qui seraient inférieures les unes aux autres », tout cela a été mortifère pour les relations extérieures avec, en particulier, l’Algérie, qui auraient pu être plus apaisées.

La nouvelle équipe au pouvoir inaugure fort heureusement une nouvelle séquence politique. Les mots prononcés par Manuel Valls lors de sa passation de pouvoir avec Daniel Guéant, « nous ne stigmatiserons jamais aucune communauté », ouvrent cette séquence au cours de laquelle on peut être sûrs que la citoyenneté primera sur l’identité. La volonté de François Hollande de se rendre prochainement en Algérie - après y avoir prononcé des mots extrêmement apaisants sur l’histoire pendant la campagne électorale -, est un signe important. Je fais toujours un parallèle entre les files d’attente devant les préfectures et celles des demandeurs de visas devant les consulats français à l’étranger. De ce point de vue, il faut considérer comme un autre signe d’apaisement la carte de séjour de trois ans évoquée récemment par Manuel Valls. Il faut redonner à la France son vrai visage, c’est-à-dire renouer avec notre tradition de diplomatie culturelle, en faisant, par exemple, de nos étudiants étrangers nos meilleurs ambassadeurs. De ce point de vue, je me réjouis d’avoir été à l’origine de l’abrogation de la fameuse circulaire Guéant sur les étudiants étrangers.

Il faut aller plus loin et je plaide, comme vous Monsieur Benmalek, pour la refondation d’un traité d’amitié avec un vrai contenu qui touche les gens. J’approuve la création d’un Erasmus pour nos étudiants comme évoqué tout à l’heure. Je suis également favorable aux visas de circulation de longue durée pour favoriser les échanges économiques, culturels et sociaux, pour des procédures de naturalisation plus simples et respectueuses de la dignité des personnes. Ce sont ces petites choses qui font le quotidien des Algériens et des Français. Plus on mettra de barrières et plus notre identité commune s’affaiblira. Une mer intérieure comme la mer Méditerranée n’a pas de réelles frontières.

Et bien sûr, je défends la construction de cet espace euro-méditerranéen. L’Union pour la Méditerranée doit être revivifiée et reconstruite sur de nouvelles bases. Nous, Français, avons un intérêt immédiat vers le sud alors que les Allemands ont un prisme vers l’Est. Nous devons arracher ce regard vers le Sud. L’Union pour la Méditerranée doit être une union de projets qui touche nos compatriotes ici et les Algériens de l’autre côté de la Méditerranée. Les collectivités territoriales doivent travailler davantage avec leurs homologues du Sud. Et je suis également favorable à la construction d’un espace régional maghrébin, l’Union pour un Maghreb uni et fort, pour pouvoir négocier avec les pays de la rive nord dans un esprit gagnant-gagnant. Car, quand on est fort et solide, les relations sont plus faciles.

Il est vrai que nous ne prenons pas toute la mesure de « l’afghanisation » de ce Sahel. Tous les ingrédients sont réunis avec un territoire immense, avec des tribus que l’on ne peut pas contrôler, avec des armes qui circulent depuis les événements de Libye et du Mali, avec de la drogue qui circule et avec des obscurantistes qui veulent déstabiliser la zone. La relation entre le Maroc et l’Algérie est devenue vitale pour des raisons de sécurité et il nous faut aider à la reconstruction de cette relation pour notre propre sécurité.

Nous pourrons aborder un partenariat de qualité entre l’Algérie et la France quand nous aurons mis en place les conditions primordiales pour l’établissement d’un dialogue serein et je mets au premier plan le respect. François Hollande a construit sa victoire autour du slogan « le changement c’est maintenant ». La nouvelle équipe au pouvoir en France doit saisir l’occasion de cette année du cinquantenaire pour cesser de regarder dans le rétroviseur et se tourner vers les choses que nous pouvons construire ensemble. La relation entre l’Algérie et la France est essentielle pour refaire de cet espace euro-méditerranéen que nous appelons de nos voeux l’espace civilisationnel qu’il a toujours été dans le passé.

Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Sénateur, ancien Ministre, président de l’Association France-Algérie

Je rentre d’Australie et de Nouvelle Calédonie où j’étais en mission. Venant de la zone Asie-Pacifique, où l’on constate un extraordinaire « remue-ménage », la montée de la puissance chinoise, la réorganisation du dispositif américain, on réalise en rentrant à Paris combien il est urgent que nous nous organisions entre voisins dans notre « petit quartier de l’univers ». Et je le ressens encore plus en tant que président d’une association qui intéresse les sociétés civiles, l’Association France Algérie, créée en 1963 : cette compréhension entre la France et l’Algérie est essentielle. Il est frappant de constater le continuum humain entre nos deux pays. Non seulement des liens extrêmement denses se sont forgés de part et d’autre de la Méditerranée, mais, de surcroît, des hommes et des femmes venus d’outre-Méditerranée constituent aujourd’hui une composante essentielle du peuple français avec au moins deux millions d’Algériens et de Franco-Algériens, peut-être même trois millions - comment savoir puisqu’on ne compte pas ? Cela créé une proximité humaine qui implique non seulement le respect réciproque, comme l’a dit Bariza Khiari, mais aussi l’empathie, le désir de comprendre.

Et qui veut bien comprendre l’Algérie ne peut pas nier que l’Algérie est une composante du monde arabe. D’où la nécessité du dialogue des cultures mal inauguré pour ce qui concerne la France, par le débarquement des troupes de la Monarchie de Juillet sur la plage de Sidi Ferruch en 1830. Je rappelle que ce fut l’un des derniers actes de la Monarchie de Juillet qui arrivait à son terme que de mettre le pied en Algérie où nous ne savions pas très bien ce que nous venions faire. La caractéristique des rapports entre la France et l’Algérie est précisément ceci : la France n’a jamais su ce qu’elle venait faire en Algérie. Alexis de Tocqueville se posait déjà la question en 1840 : pourquoi sommes-nous là ? Le général Bugeaud lui-même ne savait pas très bien et a beaucoup hésité sur la stratégie à suivre. Historiquement, ce débarquement s’explique par la nécessité où se trouvait la France de développer sa puissance vers le Sud pour compenser son affaiblissement vis-à-vis des autres puissances européennes : après Waterloo, vis-à-vis de la Grande-Bretagne ; après 1871, vis-à-vis de l’Allemagne. On ne peut comprendre l’expansion coloniale française si on la détache du contexte européen. Si on regarde du côté de l’Algérie, il faut englober le Maghreb, l’Afrique et le monde arabe tout entier. Le général de Gaulle disait que toute politique africaine de la France passe par la porte étroite de l’Algérie. Et c’est plus vrai que jamais.

Il est bon que la France développe ses relations avec les pays émergents, la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres encore, l’Afrique du Sud, le Vietnam, l’Indonésie, l’Australie. Mais il est un pays émergent qui se trouve à 800 kms de nos côtes, c’est l’Algérie : 2,5 millions de kilomètres carrés, 37 millions d’habitants, un potentiel humain et des richesses naturelles considérables, un potentiel de croissance qui peut être pour la France un moteur de sa propre croissance si nous savons y contribuer à la hauteur de nos moyens. Mais, beaucoup de PME françaises peuvent très facilement accéder au marché algérien pour des raisons de langue et, dès aujourd’hui, elles représentent une part notable de notre commerce extérieur avec l’Algérie.

Il convient de penser cet avenir de la relation franco-algérienne à la lumière d’une idée simple : l’égalité. Il faut à travers les relations humaines, la coopération culturelle, l’édition, le cinéma, toucher le cerveau et le coeur de nos compatriotes pour changer le regard. Ce regard probablement lié au passé colonial et à l’immigration. A cet égard, le prix Bois-Marie Vauthier sera remis prochainement par l’Association France-Algérie (AFA) à une oeuvre cinématographique qui contribue à une meilleure compréhension entre les deux peuples. Il faut, comme l’a dit Sid Ahmed Ghozali, montrer à nos deux peuples qu’il en va de leur intérêt. Le peuple algérien est naturellement ouvert à la France parce que, bien que devenus indépendants, les Algériens considèrent qu’ils sont toujours chez eux en France. C’est sympathique, il faut le comprendre. La compréhension doit être réciproque, nous ne pouvons jouer le rôle du perpétuel ennemi dont l’Algérie aurait besoin pour fonder son identité.

En tant que président de l’AFA, je m’efforce de tenir un discours qui soit le même à Alger et à Paris. C’est un exercice difficile parce que cela requiert d’éviter de tomber dans la facilité et dans la démagogie et de tenir toujours le même discours, où que l’on soit. Ainsi, quand je suis interrogé sur la repentance, je réponds invariablement que nous avons un devoir de conscience à faire, de part et d’autre, pour comprendre ce qui nous est arrivé. Après tout, 132 ans, ce n’est pas très long. Déjà cinquante ans se sont écoulés. Il faut se projeter dans l’avenir et regarder loin. C’était l’esprit du colloque que nous avons tenu le 17 décembre dernier.

L’Algérie a de très grands atouts dans la mondialisation. Le contexte est aujourd’hui favorable. Chacun connaît l’état d’esprit du Président François Hollande. Les élections algériennes ont montré que l’Algérie avait dépassé un certain stade et n’avait pas envie de retomber dans la décennie tragique qu’elle avait connue. Je ne comprends pas très bien le discours de la presse française déplorant que les islamistes n’aient pas eu en Algérie un résultat comparable à celui qu’ils ont eu en Tunisie et en Égypte. Cette ligne suivie par nos plus grands journaux n’est pas juste à mon sens. Il n’est pas juste de regarder l’Algérie à la lumière de ses plus grands défauts. Car elle a aussi accompli depuis 1962 un remarquable effort sur le plan éducatif, sur le plan de la santé ou sur le plan des infrastructures. Pour être allé récemment à l’université de Tlemcen, j’aimerais que beaucoup d’universités françaises soient aussi bien dotées, en tout cas sur le plan immobilier.

Il faut avoir un discours plus compréhensif et équilibré et, devant la complexité des choses, faire preuve de plus d’humilité et ne pas céder aux démons de l’ingérence. Celle-ci ne peut pas fonctionner dans les relations entre la France et l’Algérie dès lors que l’Algérie est devenue indépendante. J’adhère tout à fait, de ce point de vue, aux propos d’Anouar Benmalek quand il dit que l’indépendance de l’Algérie a été une libération pour l’Algérie mais aussi pour la France, qui s’est trouvée dans l’obligation de porter un autre regard sur son histoire. Je ne sais pas si la colonisation était une maladie... À cet égard, si l’on doit considérer l’Ancien régime comme une maladie, mille ans c’est quand même très long... Quoi qu’il en soit, c’est notre histoire et il faut la regarder sans complaisance. Elle a été un phénomène de dépossession. La France a voulu faire en Algérie quelque chose qu’elle n’a voulu faire nulle part ailleurs. Elle a voulu s’étendre, faire une plus grande France, assimiler et nier l’identité profonde du peuple algérien. C’est une forme de colonialisme que nous n’avons développée ni au Maroc, ni en Tunisie. C’est cela que nous devons dire dans le contexte actuel. C’est difficile. Cinquante ans ont passé. Nous aurions pu,il y a cinquante ans,refonder nos relations sur la base de l’égalité. Je l’ai souhaité. Mais je m’aperçois que c’est difficile. Chaque société a son histoire.

Il me semble que le contexte actuel est l’occasion politique de repartir d’un nouveau pas. Il y a beaucoup à faire dans le domaine de l’immigration pour assouplir et modifier les procédures, sur le plan des échanges universitaires - sait-on qu’il y a 600 accords de coopération universitaires ? - on pourrait donner un élan extraordinaire. Il faut mobiliser tous les atouts qui existent dans notre coopération, en n’oubliant jamais que l’aspect humain et la confiance réciproque sont décisifs. Nous avons une responsabilité commune sur le plan politique, c’est l’intégrité des États africains. Il n’est ni dans l’intérêt de l’Algérie, ni dans celui de la France de laisser se développer un nouvel Afghanistan au coeur de l’Afrique. Nous devons réfléchir et comprendre les problèmes de cette région avec l’esprit ouvert et la volonté de maintenir la stabilité d’États à peine naissants. Les problèmes d’instabilité sont liés aux problèmes du développement dans des États parmi les plus pauvres de la planète, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Mauritanie...

Je partage la vision exprimée par la plupart des intervenants avant moi sur le fait que nous avons de grandes choses à faire ensemble. Nous n’en sommes pas assez conscients mais nous devons concevoir notre relation comme une part d’un dialogue plus vaste entre l’Europe et le monde arabe, l’Afrique. Je ne veux pas réduire l’Algérie au monde arabe car son identité est beaucoup plus complexe, c’est aussi un pays africain et un pays méditerranéen. Nous devons avoir cette empathie plus vaste pour ce monde qui est notre voisin, avec lequel nous ferons notre avenir, ou alors ce sera une catastrophe. Nous devons nous battre pour que les choses se passent beaucoup mieux que jusqu’à présent. Il y a un saut qualitatif à opérer. C’est le moment. Il ne faut pas laisser passer l’occasion. Le risque serait de laisser passer les mois sans que rien ne se passe. Il faut prendre des initiatives. Le groupe d’amitié France-Algérie du Sénat et l’association que je préside pourraient y contribuer. Le gouvernement y est prêt. Le Président de la République, avec lequel je me suis entretenu, également. Chacun a son rythme et ses problèmes. Il faut aborder les choses avec beaucoup d’humilité, parce que le problème n’est pas simple, sinon il aurait été réglé il y a longtemps. Avec le sentiment qu’il ne faut jamais désespérer, même quand on a subi des déconvenues. La page peut se tourner et une autre, plus brillante, s’ouvrir. Ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de faire un grand bond vers un avenir qui réponde aux intérêts de nos deux peuples.

Bariza KHIARI

Pour rebondir sur les propos de Jean-Pierre Chevènement, je voudrais dire que les médias ont tellement été déçus que les islamistes n’aient pas gagné les élections législatives qu’ils n’ont pas vu que 150 femmes étaient entrées au Parlement algérien. Alors que les États occidentaux mesurent traditionnellement le niveau de démocratie au sort qui est réservé aux femmes, ils ne l’ont, dans le cas algérien, même pas remarqué.

De la salle

Un jour, j’ai rencontré un militant socialiste sur le pont Saint-Michel, qui essayait de m’expliquer les crimes de Papon alors que je l’entretenais des pouvoirs spéciaux. Aujourd’hui, je demande à cet homme devenu Président de la République de faire ce geste que tous les Algériens attendent, non pas la repentance, mais ce geste qui permettrait de tourner la page au lieu de faire des débats que nous connaissons parfaitement.

De la salle

L’alternance au pouvoir en France entre la droite et la gauche n’expliquerait-elle pas les relations en dent de scie entre la France et l’Algérie depuis cinquante ans ?

De la salle

Le sujet des traumatismes de la guerre d’Algérie pour les militaires n’a pas été abordé alors que les appelés de la guerre d’Algérie ont aussi été des victimes de cette guerre, souvent traumatisés par ce dont ils ont été les témoins. Il faut une volonté affirmée sur les principes sur lesquels établir de nouvelles relations. Il ne faut pas seulement des excuses, une repentance ou une vision apaisée des relations, mais une condamnation très ferme et très claire des crimes qui ont été commis pendant toute cette période. Le gouvernement s’honorerait à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de l’indépendance, le 5 juillet prochain, en faisant un geste fort de reconnaissance de ce qui s’est passé.

Ma question s’adresse à Jean-Pierre Chevènement : pourquoi, dans sa ville de Belfort, avoir inauguré une rue en hommage au sanguinaire colonel Jeanpierre, un des quatre militaires responsables de l’assassinat de l’avocat Ali Boumédiène ?

De la salle

Ma question s’adresse à Sid Ahmed Ghozali. Vous avez dit que les Algériens étaient désireux de développer les relations avec la France. Je pense que c’est insuffisant. Il faut que l’école algérienne mène un travail de fond pour cesser de diaboliser la France et d’instrumentaliser l’histoire. Il faut revoir les programmes scolaires dans le sens d’une histoire commune et aller de l’avant.

Un ancien appelé

Dans la continuité de ce qu’a dit Henri Pouillot, il faudrait que le gouvernement actuel mette un terme aux commémorations à la gloire de l’OAS dans le midi de la France. Il ne se passe pas un jour sans qu’un monument soit élevé à la gloire du colonel Bigeard, comme récemment à Aix-en-Provence. Si le préfet de Perpignan a récemment interdit une manifestation dans le cimetière à la gloire de criminels de l’OAS, celui de Haute-Savoie laissait faire de son côté. Il faut que cela cesse. Nous, appelés, ne supportons plus ce genre de choses.

Raïm RIZIGA

Je suis content de ce débat et de la volonté exprimée ce soir pour une réconciliation entre les deux peuples. Je suis algérien. J’ai été arrêté à l’âge de 17 ans en France à Saint-Etienne et interné dans un camp du Larzac. Je milite pour cette réconciliation pour nos enfants et je propose à tous ceux qui ont un lien avec l’Algérie, qu’ils soient juifs, pieds-noirs, chrétiens, harkis ou autre, de constituer un comité pour cette réconciliation. Je lance un appel au groupe d’amitié du Sénat et à l’association France-Algérie pour qu’on réfléchisse ensemble aux modalités de cette réconciliation entre nos deux peuples.

De la salle

Il ne suffit pas d’organiser des colloques, il faut aussi agir et repartir chez nous en propageant auprès de nos collègues, amis et proches l’idée que tout est possible. Comme le rappelait à juste titre Denis Bauchard, les Algériens s’intéressent plus à la vie politique française qu’à la vie politique algérienne, je le constate à chaque fois que j’appelle Alger ou Annaba. Lors d’un match de foot entre la Suède et la France, les Algériens soutiennent automatiquement la France. Il faut donner du temps au temps. Les politiques ont un rôle à jouer, les peuples aussi et les associations encore plus. Je voudrais qu’on se donne rendez-vous l’année prochaine pour faire un bilan de ce colloque et mesurer ce qui a été fait pour avancer sur le problème des harkis ou tous les autres problèmes, parce que la mémoire est collective.

De la salle

Ma question s’adresse à Mme Khiari. La réconciliation avec l’Algérie n’est-elle pas la clé d’une nouvelle politique arabe de la France, notamment au regard du printemps arabe ?

De la salle

Il est temps qu’une volonté politique s’exprime, notamment à travers les trois axes suggérés en termes de coopération : énergie, eau et environnement. La coopération concrète est la meilleure façon de construire ce voisinage. Nous sommes « condamnés » à vivre ensemble. La réconciliation ne pourra s’opérer que par des actions concrètes sur le terrain. Cela ne veut pas dire qu’on laisse de côté le côté culturel et historique. Mais cela viendra dans un second temps.

Mimi MIKIDACHE

Vous avez parlé du rôle de la jeunesse, de l’éducation, et de la place de l’Algérie en Afrique. Compte tenu du déficit de techniciens et d’ingénieurs en Algérie, y a-t-il, parmi les actions que vous menez, des projets concernant la formation des jeunes Algériens sur les questions environnementales ?

Bariza KHIARI

Bien entendu le regard a changé depuis le 6 mai, mais ce n’était pas difficile. Je pense qu’on va aller assez loin. Laissons l’équipe se mettre en place, écoutons le discours de politique générale du Premier ministre et nous verrons.

Sur l’élection française, il m’a été relaté qu’une clameur s’était élevée des foyers d’Alger à vingt heures le 6 mai dernier, comme si les Algériens avaient marqué un but dans un match de football de la Coupe du monde. C’est la raison pour laquelle les rapports du gouvernement français avec les populations immigrées font tant résonance en Algérie.

Bien sûr que les relations avec l’Algérie sont la clé d’une nouvelle politique arabe de la France. Si les relations ont été jusqu’à présent difficiles, elles peuvent désormais être exemplaires si l’on dépasse les difficultés que nous avons connues pendant cinquante ans. Et cela peut servir d’exemple pour les relations avec le reste du monde arabe.

Georges MORIN

Deux choses me choquent depuis dix ans et plus : les files d’attente devant les préfectures pour obtenir une carte de séjour et le traitement indigne des demandeurs ; les refus de visas opposés par les consulats de France en Algérie aux grand-mères souhaitant rendre visite à leurs petits-enfants. J’espère que, dans les cinq ans qui viennent, nous n’aurons plus à nous plaindre de la façon dont la puissance publique traite les Algériens en Algérie et en France.

Anouar BENMALEK

La relation entre l’Algérie et la France ne dépend pas que des gouvernements de nos deux pays. La tentation est forte de ce côté-ci de la Méditerranée de ne voir l’Algérie qu’à travers le prisme de ses gouvernants. Or, le pouvoir algérien n’est pas le meilleur représentant de la population algérienne.

Denis BAUCHARD

Je ne pense pas que le problème de l’islamisme se pose dans les mêmes termes en Algérie et en Égypte, où les islamistes ont obtenu la majorité. La déception qu’ils suscitent d’ailleurs en ce moment au sein de la population égyptienne montre qu’aucune force politique ne détient la solution pour régler les graves problèmes que traverse actuellement le monde arabe.

Il y a consensus pour constater que le climat est favorable pour que la page soit tournée. Le moment sera, selon toute vraisemblance, le voyage qu’effectuera le président de la République en automne en Algérie. Il connaît bien ce pays, puisqu’il y a fait son stage de jeune énarque, et il a toujours conservé des liens amicaux. Il serait opportun qu’un geste fort puisse intervenir à ce moment là.

Sid Ahmed GHOZALI

L’ennemi principal de tout développement des relations entre l’Algérie et la France est le « court-termisme » ou la realpolitik. Tous nos problèmes peuvent être résolus par le déploiement de stratégies à long terme. Or, nos démocraties sont rétives au long terme. Les échéances électorales constituent un handicap, surtout lorsque le gouvernement n’a pas de vision. Je ne pense pas que ce soit une question de droite-gauche. La question algérienne est transpartisane, si l’on met à part, bien sûr, le parti dont le chef se déclare fier d’avoir torturé en Algérie.

Sur la question de l’immigration par exemple, tous les partis, à droite comme à gauche, parlent de co-développement. La seule solution pour limiter l’immigration est d’aider ces pays à se développer. Dès qu’une échéance électorale approche, on revient à l’utilisation classique de l’immigration.

Sur la question de l’enseignement de l’histoire en Algérie, les Algériens ne veulent pas que leur mémoire soit formatée. Ils savent qu’ils ont été exploités et colonisés, non par le peuple français, mais par un système colonial abject. Quand on parle de la mémoire de la relation franco-algérienne en France, on se limite souvent aux sept dernières années, ce qui donne l’impression qu’on ne parle de mémoire que pour condamner le FLN comme mouvement de libération, en occultant les 125 années d’oppression qui ont précédé. Mais les sept dernières années ne sont que l’aboutissement et le point d’orgue de 132 ans de colonisation. Si on veut faire un travail sérieux, il y a des milliers d’écrits laissés par les fonctionnaires, les militaires, etc., qui sont un matériau suffisant pour les historiens. La question de la mémoire ne concerne pas seulement la guerre de libération.

Jean-Pierre CHEVÈNEMENT

S’agissant de la rue du colonel Jeanpierre, je vous ai envoyé, M. Pouillot, le discours que j’ai prononcé où je distinguais clairement la responsabilité des militaires et celle des politiques. Le colonel Jeanpierre était un jeune résistant, déporté, qui a fait Saint-Cyr, puis les guerres d’Indochine et d’Algérie. Ce sont les gouvernements qui donnent des ordres que les militaires appliquent. Il n’est pas juste de faire reposer sur les militaires des responsabilités qui incombent aux gouvernements. En tant qu’ancien ministre de la Défense de la République française, je me dois d’honorer ceux qui sont morts pour la France, même dans des missions qui étaient critiquables, ce que j’ai pris soin de dire nettement dans mon discours. Il faut savoir ce qu’était la Légion. C’est une arme où les officiers sont français et où les légionnaires, qui viennent de plus de cinquante pays, sont français par le sang versé. Ils se sont illustrés sur divers champs de bataille. Je tiens le même discours aux uns et aux autres. Je trouve regrettable que vous me reprochiez un comportement fondé sur des principes. J’ai montré mon sens des responsabilités au moment de la guerre du Golfe en tirant les conséquences de mon désaccord avec le gouvernement.

S’agissant de l’OAS, moi aussi je suis révolté par l’oubli. Je me suis rendu, à Évian, à un colloque organisé par le fils du commissaire Gaouri, assassiné à Alger en mars 1962. J’ai vu de mes yeux abattre le général Ginestet et j’ai malheureusement dû enregistrer la mort du colonel Randon, tous les deux tombés sous les balles de l’OAS. Je pense que la mémoire de ces policiers et officiers français n’est pas suffisamment valorisée. Ils ont soutenu le gouvernement de la République pour prendre une décision d’autant plus difficile à appliquer que, pendant longtemps, on avait menti au nom de l’Algérie française. Quand il a fallu prendre le virage de l’autodétermination, sanctionné par deux référendums, cela a été difficile à comprendre par les pieds-noirs. Mais il faut dire que ces derniers, tout du moins dans leur majorité, avaient fait obstacle à un certain nombre d’évolutions qui auraient permis d’aller dans une autre direction, que jamais les gouvernements français n’ont choisie.

Sur les visas, c’est un domaine dans lequel on peut faire beaucoup. La France accordait 50 000 visas par an en 1999. Nous sommes passés en l’espace de trois ans à 250 000. C’est la preuve qu’on peut faire quelque chose, même dans un cadre contraint.

S’agissant des révolutions arabes, on ne parle pas assez de l’Algérie et de ce que doit être notre attitude. J’ai été un des rares sénateurs de gauche à m’abstenir au moment de l’engagement de nos forces en Libye, parce que je considère que nous sommes allés au delà du mandat de l’ONU. Je pourrais parler aussi de la Syrie. Sur tous ces sujets, la France et l’Algérie gagneraient à rapprocher leurs points de vue et à avoir une discussion franche. Nous devons rester fidèles au principe de non ingérence qui va de pair avec le principe de l’autodétermination. L’indépendance de l’Algérie, c’était il y a cinquante ans, mais l’Algérie est toujours un pays indépendant aujourd’hui, comme d’autres, et nous devons veiller à ne pas nous ingérer dans les affaires d’un certain nombre de peuples au nom de prétextes qui peuvent paraître recommandables à première vue, mais qui peuvent recouvrir d’autres desseins. Il faut rester sur une base de principes dans ces affaires et admettre que les peuples arabes doivent prendre en main leurs propres affaires. Ils doivent évidemment aller vers plus de démocratie, mais c’est leur affaire. Nous devons respecter leurs motivations, leurs démarches et leur authenticité. Sinon, tous les discours sur l’indépendance, c’est de la blague.

Bariza KHIARI

Quand le Sénat siège, le Président de séance est entouré, chaque jour, de la garde républicaine. Cette manifestation quotidienne a pour signification la soumission du pouvoir militaire au pouvoir politique. Cela nous est rappelé à chaque fois que nous siégeons au Parlement.

Sid AHMED GHOZALI

Jean-Pierre Chevènement est connu pour ses positions hostiles à l’ingérence. Je suis entièrement d’accord avec lui. Me permettra-t-il de rajouter qu’il y a une autre forme d’ingérence, c’est la complaisance. J’appelle l’attention de tous nos amis français sur le fait que la complaisance vis-à-vis des despotismes locaux est aussi une forme d’ingérence mais qui, cette fois-ci, joue contre une partie de la population qui souhaite une démocratisation des institutions.

J’ai le souvenir d’un déjeuner avec François Mitterrand à deux ans de la fin de son mandat. Il m’avait convié avec Roland Dumas. A une question qu’il me posait sur le nombre de morts causé par la guerre d’Algérie, j’ai répondu : 1 million à 1,5 million côté algérien et 500 000 à 600 000 côté français. Disons que la vérité est quelque part entre les deux. A supposer qu’il y ait eu 800 000 victimes côté algérien, cela fait près d’un Algérien sur dix en sept ans. C’est comme si six millions de Français avaient perdu la vie en l’espace de sept ans. Sa réaction m’a donné le sentiment qu’il était en train de se remettre en question sur certains points. Il a hoché la tête pendant dix secondes et m’a dit : « vous voyez », en désignant Roland Dumas, « le père de cet homme a été exécuté par les Allemands et maintenant, il est en train de travailler à l’amitié franco-allemande ». La situation des peuples français et allemand a été perturbée par des guerres sur des centaines d’années, à tel point qu’ils en sont arrivés à se considérer comme des ennemis biologiques. Et pourtant, le moment est arrivé où ils se sont réconciliés pour finalement devenir le moteur de l’Union européenne.

Ce qu’ont fait les Allemands et les Français entre eux, pourquoi n’arriverions-nous pas à le faire entre Algériens et Français ? Nous n’en sommes jamais arrivés à nous considérer comme des ennemis biologiques. Sauf avec certains partis. Notre problème était surtout avec un système colonial et avec une partie des pieds-noirs qui aimaient l’Algérie mais qui nourrissaient le rêve fou de vivre en Algérie à l’exclusion des Algériens.

Omar BELHOUCHET

Il faudrait encore des heures pour parler de la relation franco-algérienne. El Watan organise en Algérie un colloque que nous souhaitons de la même dimension les 5, 6 et 7 juillet. La première partie sera consacrée au système colonial et à la guerre de colonisation et la deuxième partie sera consacrée au système politique mis en place en Algérie depuis 1962. Nous passerons au tamis de la critique aussi bien l’autoritarisme politique que le système que certains extrémistes religieux voudraient nous imposer.

Je remercie tous les intervenants et invite le Président du groupe d’amitié à conclure ce colloque.


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