Ces réflexions complètent le livre « Des Miages-djebels. Notre guerre d’Algérie. Alain, André, Bernard et Claude. 1956-1962 ». Pour les rendre plus attractives, j’ai retenu la forme du dialogue et pris pour interlocuteur mon frère Alain, mort dans les Akbils le 8 juin 1960.
Dans cette quête de vérité à partir de certaines réalités du passé, la religion est souvent présente, le pouvoir toujours. L’homme par contre semble avoir été le grand oublié même sous la République.
Puisse cette modeste contribution favoriser le dialogue et rapprocher les cœurs déchirés.
Edition modifiée le 17 mai 2015
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- Guerre d’Algérie. Dialogue avec mon frère. Approche systémique du passé.
- Pour comprendre le présent, tentons ensemble une approche systémique, du passé c’est-à-dire cherchons à identifier les mécanismes et les comportements politiques qui ont abouti à une guerre civile de même nature et tout aussi dramatique que la Révolution française
Introduction
Alain : Dans l’épilogue de notre livre, tu confiais à ton ami Philippe Pirel à propos des morts pour la France en Algérie, que tu reprendrais volontiers pour eux l’épitaphe que Kipling Rudyart fit graver pour la tombe de son fils John : "Si quelqu’un vous demande pourquoi nous sommes morts, dites-lui que c’est parce que nos pères nous ont menti." Ce jeune lieutenant était tombé à Lens en 1915.
Claude : Effectivement, mais il y a une dizaine d’années, je n’arrivais pas à cerner le contenu du mensonge. Du reste faut-il parler de mensonge ? Je crois que c’est comme dans les familles où sont cachés des secrets, des non-dits, des drames connus de certains et ignorés par d’autres. Chacun traîne avec lui les valises de ses ancêtres sans en connaître toujours le contenu. Il en est de même pour la France et l’Algérie. Pour comprendre le présent, tentons ensemble une approche systémique, [1] du passé c’est-à-dire cherchons à identifier les mécanismes et les comportements politiques qui ont abouti à une guerre civile de même nature et tout aussi dramatique que la Révolution française.
Alain : L’évocation du sujet est bienvenue, car tu as écrit à propos de la citation de Kipling : « En pensant à cette phrase, j’y associerai avec sincérité les morts des deux camps, car les Moudjahidin, eux aussi, ont été victimes du mensonge : en combattant le colonialisme, ils pensaient, pour la plupart, trouver la liberté, la démocratie. Ils ne se seraient jamais battus pour une démocratie confisquée, pour une nomenklatura s’appropriant l’essentiel de la richesse, tandis que le reste du peuple croupit dans la misère ».
Claude : Mes interrogations sont d’autant plus fortes que les montagnards du Djurdjura que nous avons combattus étaient français avant nos arrière-grands-parents. Notre arrière-grand-mère avait 20 ans en 1860 lors du rattachement de notre Savoie natale à la France. De plus ce coin de Kabylie est en tout point semblable à nos Alpes natales. Comme nous n’avions aucune raison de leur faire la guerre, il nous faut tenter de comprendre comment on en est arrivé là !
Alain : Tu poursuivais dans le livre : « Cette misère, à son tour, a nourri l’obscurantisme, terreau de l’intégrisme islamique qui, lui, sème la terreur, non pas au nom d’une révolution, mais, ce qui est plus dangereux, au nom de Dieu. La deuxième guerre d’Algérie a été aussi terrible, sinon plus que la première. L’histoire est un perpétuel recommencement ».
Claude : J’avais écrit cela il y a dix ans. Comme le sujet est malheureusement plus que jamais d’actualité, l’étude du passé commun de la France et de l’Algérie devrait permettre de mieux connaître notre pays et surtout découvrir ce qui constitue le socle de nos identités réciproques.
1 La gouvernance par procuration divine.
11. Le mélange du temporel et du spirituel
Alain : À cette occasion tu vas parler du fait religieux ?
Claude : Je me sens obligé aujourd’hui de l’évoquer, car le fait religieux est un des marqueurs de l’évolution des peuples non seulement par le passé, mais encore aujourd’hui. Il peut aider à comprendre l’actualité. La religion déconnectée de l’altruisme et du respect de l’autre peut conduire au pire, à l’obscurantisme, à l’endoctrinement, et à une certaine dictature au nom du Créateur que personne n’a jamais vu mais que les prophètes prétendent avoir entendu. Par le passé, en son nom ont été commises les pires abominations et cela continue aujourd’hui.
Alain : La dictature dans les rites imposés par les intégristes d’alors a conduit déjà il y a deux mille ans Jésus au supplice de la croix. Ce révolutionnaire non violent avait été condamné par le sanhédrin, le tribunal religieux de Jérusalem pour avoir osé dénoncer les déviances d’une religion qui « avaient fait de la maison de son père, une caverne de voleurs ».
Claude : Surtout qu’il avait osé prétendre qu’il était le roi des Juifs. Il parlait de Dieu son père. Un blasphème que ne pouvaient pas supporter les ultras orthodoxes de l’époque.
Alain : je pense à un autre épisode de l’Évangile où les docteurs de la loi amènent à Jésus une femme surprise en train de tromper son mari. Ils l’interpellent pour lui tendre un piège : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. Et toi, que dis-tu ? »… « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. »…
Claude : Les messages de l’Évangile ont baigné notre enfance et ont canalisé nos violences. J’en retiens un message abouti qui fait de la communauté humaine une grande famille. Tout d’abord avec la croyance en un Dieu Amour qui envoie son fils sur terre, diffuser le message, « Tu aimeras ton seigneur et ton Dieu et ton prochain comme toi-même ».
Alain : Il va même jusqu’à dire : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent… ». Le message est magnifique, car l’homme ne peut pas vivre sans boussole où alors il part à la dérive victime de ses pulsions de mort : l’agressivité, l’autodestruction et le nihilisme. Mais si la boussole est dans les mains du pouvoir temporel, l’aiguille va être attirée par des champs magnétiques contradictoires qui vont brouiller les directions à suivre.
Claude : Pour le christianisme, cela a commencé en 325 apr. J-C.. L’empereur romain Constantin 1er venait de se convertir au christianisme. Il demeurait cependant encore chef de la religion romaine païenne.
Une question métaphysique fondamentale divisait alors les églises : le Christ est-il ou non le fils de Dieu ? Pour répondre à cette interrogation, l’empereur convoque et préside le concile de Nicée, [2] à l’issue duquel est rédigé le Credo [3] une profession de foi, toujours en vigueur.
Alain : C’est à partir de cette époque que va s’instaurer une longue période d’endogamie entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Le système va perdurer sous des formes diverses après la dislocation de l’Empire romain en 395 que ce soit sur le territoire de feu l’Empire romain d’Occident ou sur le territoire de l’Empire romain d’Orient qui survivra jusqu’à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453. . Ces derniers issus de tribus d’origine mongole converties à l’Islam perpétueront la tradition au nom de la nouvelle religion créée par le prophète Mahomet au VIIe siècle
12- Sa mise en œuvre en France : L’ancien régime en France.
Claude : Nous retrouverons les Ottomans un peu plus tard. Mais pour l’instant examinons le cas de la France. C’est une longue histoire qui commence à la fin du règne de Clovis avec la loi salique et se poursuivra sous les différentes monarchies…. Le mélange du temporel et du spirituel sera à l’origine de bien des persécutions. Sans remonter à la croisade des Albigeois, ou à l’Inquisition, les XVI et XVIIe siècle ont été marqués en France par les guerres de religions entre catholiques et protestants.
Alain : Difficile de nos jours d’imaginer la France de l’ancien régime symbolisée par le drapeau fleurs de lys. C’était le règne de l’absolutisme royal fondé sur le régime des privilèges et des classes sociales. On parlait alors d’ordres : le clergé, la noblesse et le tiers état. Dans cet ensemble, le clergé tient une place à part, puisqu’il est moteur dans la diffusion du savoir et de la morale religieuse. Par ses rites le clergé accompagne le parcours de chacun dans toutes les étapes de la vie depuis la naissance jusqu’à la mort.
- Les Lumières
- Diderot, Voltaire, Rousseau, Montesquieu
Claude : À partir du début du XVIIIe siècle, en France et en Europe, des philosophes [4] et des savants qu’on baptisera les Lumières, cherchent à promouvoir les connaissances et luttent contre l’obscurantisme et la superstition religieuse en leur opposant la connaissance rationnelle.
C’est un siècle philosophe orienté vers la raison, la tolérance, l’humanité au cours duquel a été réalisée la première Encyclopédie. Son éditeur, Le Breton, la définit comme « Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ayant l’ambition de faire l’inventaire des acquisitions de l’esprit humain et de favoriser la diffusion de la philosophie des Lumières ».
Alain : Est-ce ce mouvement intellectuel qui est à l’origine du renversement de l’ordre établi depuis des siècles appelé communément l’Ancien régime ?
13- La rupture avec l’ancien régime : la Révolution
Claude : Le mouvement intellectuel prônait plutôt le despotisme éclairé, il n’était pas révolutionnaire. Le renversement de l’ordre établi a pour origine, sur fond de misères et d’inégalités sociales, les maladresses royales et l’incapacité de son entourage à réaliser les réformes d’une société bloquée.
Cette période de bouleversement sans pareil a pour nom la Révolution française. Elle verra disparaître la royauté, les ordres et les privilèges. Elle débute avec l’ouverture des États généraux, le 5 mai 1789 et finit avec le coup d’État du 18 brumaire de Napoléon Bonaparte, le 9 novembre 1799.
Pendant ce laps de temps la monarchie absolue est remplacée par une monarchie constitutionnelle, puis par la Première République. Celle-ci est éphémère, mais lègue à la France « la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », qui proclame l’égalité des citoyens devant la loi, les libertés fondamentales et la souveraineté de la Nation, apte à se gouverner par des représentants élus.
Alain : C’est un pas en avant important, mais à quel prix ! La mise en œuvre des idéaux portés par les révolutionnaires (la liberté, l’égalité et la fraternité), sera accompagnée par la Terreur. On a voulu détruire tout ce qui représentait le passé et ses symboles, remplacer le Dieu des églises par le culte de l’Être suprême, et changer même le calendrier.
- Louis XVI, Robespierre, Bonaparte
Claude : Effectivement ! la Terreur selon l’historien Patrice Gueniffey dans son livre la « politique de la Terreur », peut être définie comme « une stratégie destinée à provoquer un « degré de peur jugé nécessaire à l’accomplissement d’objectifs politiques », se basant intentionnellement sur l’arbitraire afin d’obtenir la soumission de tous les citoyens.
L’auteur soutient que la Terreur est devenue un moyen de gouvernement destiné à asseoir la légitimité du régime révolutionnaire. Il la considère comme une fatalité dans toute révolution « considérée comme modalité du changement ». [5]
Alain : C’est pour cette raison, alors que nous parlions de l’Algérie et de la France, que tu m’embarques dans l’histoire de la Révolution française.
Claude : Oui, parce que tout se tient. Nous avons porté haut les couleurs de l’idéal de la Révolution. Nous l’avons même exporté en Europe. Mais plus tard, nous ne l’avons pas appliqué sur un territoire qui était considéré comme département français. Nous y avons établi deux ordres comme je te l’expliquerai un peu plus tard. Celui des citoyens et celui des indigènes. Ceux-ci pour se libérer, comme les révolutionnaires français, utiliseront à leur tour la terreur comme nous le verrons plus loin.
Le bilan de cette période en France est effrayant. [6] une guerre civile en France, mais également par contagion une suite de guerres avec les monarchies voisines qui auront pour prolongement les guerres napoléoniennes.
Alain : En 1799, Napoléon Bonaparte accède au pouvoir et inaugure la période du Consulat, qui aboutit, cinq ans plus tard, à l’avènement de l’Empire. [7] »
- Le Code Civil rédigé sous Napoléon
Claude : Il lui revient cependant d’avoir cherché à rétablir la paix religieuse en signant le Concordat du 15 juillet 1801, et d’avoir promulgué en 1804, le Code civil qui définit en particulier le statut des personnes de nationalité française, de leurs familles et de leurs biens. Le code remet en cause le droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France.
Alain : L’épopée napoléonienne sera stoppée net une première fois avec la capitulation de Paris le 31 mars 1814 et prendra fin définitivement le 18 juin 1815 à Waterloo. Il y a deux siècles.
Claude : Tu as raison. Ces deux dates enclenchent la marche arrière vers l’ancien régime, et le retour symbolique du drapeau à fleurs de lys. La France est alors profondément divisée entre les partisans des idées révolutionnaires et les défenseurs de l’ordre ancien, et aussi entre les anticléricaux et l’Église catholique ». [8]
La construction, en France, d’un régime démocratique sera longue, difficile. Le nouvel édifice, symbolisé par le drapeau tricolore, baignera dans le sang des martyrs, victimes des erreurs de parcours vers la démocratie. La marche durera plus d’un siècle et demi. C’est pendant cette période que l’Algérie va être intégrée à la France. Le pays va être profondément bouleversé et transformé mais les hommes vont vivre séparés par les barrières de la langue, de la religion, des coutumes, ce qui conduira à des distorsions sur le plan économique et social.
14. La conquête de l’Algérie musulmane.
Alain : La monarchie revient donc au pouvoir en 1814. C’est la période dite de la Restauration avec l’arrivée de Louis XVIII en 1814, puis de Charles X en 1824.
Claude : C’est lui qui décide de s’emparer d’Alger pour redorer le blason de la monarchie. Il prend prétexte d’un incident [9] survenu 3 ans plus tôt avec le Dey d’Alger qui représentait localement l’Empire ottoman. La ville d’Alger tombe le 5 juillet 1830.
Trois semaines plus tard, Charles X est renversé les 27, 28 et 29 juillet 1830 au cours des journées révolutionnaires [10] dites des 3 glorieuses.
Alain : Le remplace un cousin, Louis Philippe, partisans des idées de la révolution. Il avait même voté la mort de Louis XVI. Il se fait proclamer roi des Français par la Chambre des députés, qui avalise une charte valant constitution. Dorénavant le drapeau tricolore va remplacer définitivement le drapeau blanc à fleurs de lys.
Claude : Arrivé au pouvoir à la faveur d’un soulèvement populaire, Louis-Philippe est mal vu par les cours européennes où il est surnommé le « roi des barricades » ou le « roi bourgeois ». Il doit rapidement prendre une décision concernant la suite à donner à l’expédition d’Alger. Alain : La France qui naguère avait perdu ses colonies d’Amérique et dernièrement le fruit des conquêtes napoléoniennes, a donc une opportunité à saisir : s’implanter dans un nouveau territoire inconnu, mais proche du nôtre.
Claude : Or « la révolution libérale-nationale de Juillet avait ramené aux postes de commande beaucoup d’hommes de la Révolution et de l’Empire. Soult, Mortier, Sébastiani, Gérard, Clauzel, Savary, Drouet d’Erlon, Berthezène, Valée, Bugeaud avaient servi avec éclat Napoléon. Ces hommes habitués au culte de la gloire napoléonienne - et aux profits des conquêtes - et leurs cadets, avides de gloire et d’avancement, n’auraient pas compris l’abandon d’un territoire que l’armée royale venait de conquérir. Beaucoup d’entre eux songeaient avec regret aux frontières naturelles perdues en 1815… » [11]
Alain : Parle-moi de l’arrière-pays, de ce qu’on appelait le Maghreb central.
Claude : La population de cette région, alors complètement inconnue des Européens, était depuis le XVIe siècle sous domination ottomane. L’arrière-pays était peuplé par une foule de tribus plus ou moins contrôlées par les janissaires turcs. Celles-ci se faisaient souvent la guerre entre elles. Elles étaient composées de Berbères [12] parlant le tamazight, implantés sur place depuis des millénaires, d’Arabes venus de l’est à partir de la fin du VIIe siècle avec le Coran et leur langue et enfin d’une communauté peu importante de Juifs. Certains de ces derniers étaient installés sur place depuis le VIe siècle av. J.-C., d’autres étaient venus ultérieurement après avoir été chassés d’Espagne lors de la Reconquête de 1492. À l’exception des Juifs, tous les autochtones pratiquaient la religion musulmane.
- Charles X, Louis Philippe, Bugeaud,
- la prise d’Alger et de la smala
Alain : La conquête de ce nouveau territoire va donner lieu à des affrontements terribles entre les tribus locales et le corps expéditionnaire français.
Claude : Elle va durer près de 30 ans. Elle va être accompagnée d’une politique d’accaparement des terres indigènes et, à partir de 1841, d’une politique de colonisation. C’était croyait-on alors, un « moyen d’assurer la pérennité de la conquête, de la justifier en lui donnant un but utile à la grandeur nationale, et de résoudre, la question sociale en métropole ».
Les conditions de la conquête vont être d’une brutalité inimaginable. Seront systématiquement utilisées la razzia et la terreur pour soumettre les tribus en ayant recours quand nécessaire, comme le faisaient auparavant les Turcs, aux tribus maghzen ; il s’agit de cavaliers de certaines tribus qui, moyennant divers privilèges, après avoir mis leurs armes au service des deys, les mirent au service de la France pendant la conquête. Alain : Pourtant, les tribus cherchent à s’organiser et à résister.
- De Saint Arnaud, Cavaignac, Leila Fatma Soumer, Abdel Kader,
Claude : Face à l’envahisseur français, des religieux comme Abdel Kader, Bou-Maza (l’homme à la chèvre), Bou-Baghla (l’homme à la mule) et la maraboute Leila Fatma Soumer en Kabylie, fédèrent la résistance des tribus et prêchent avec succès le djihad. Cependant face à une armée rompue à la guerre depuis plus de 40 ans, commandée par des officiers animés par l’esprit de conquête et imprégnés de l’histoire des Légions romaines, les tribus ne feront pas le poids. Pour comprendre les mentalités et les moyens mis en œuvre à l’époque, il convient de lire les lettres du Maréchal de St Arnaud, [13] éditées et publiées en 1857 par son frère.
Alain : Pendant ce temps-là en France, la monarchie de Juillet, née en 1830 d’une insurrection, disparaît à son tour à la suite d’une émeute, celle du 23 février 1848. [14]
Claude : Celle-ci donne naissance à un gouvernement provisoire qui proclame la IIe République. Pour la première fois depuis 1792, un régime républicain est instauré. L’Assemblée constituante, élue le 23 avril 1848, élabore une nouvelle Constitution, rétablit le suffrage universel masculin pour les citoyens de plus de 21 ans, abolit l’esclavage dans les colonies. Elle lance la fausse bonne idée des ateliers nationaux… [15]
Quelques mois plus tard, en avril 1848, après leur élection à l’Assemblée nationale constituante, sur fond de chômage, de misère et de propagation d’idées menaçant l’ordre social, les libéraux forts de leur majorité, ferment les ateliers nationaux.
Alain : Cette mesure déclenche une insurrection. Le rétablissement de l’ordre républicain coûte la vie à 1 600 soldats et à 4 000 insurgés sans compter plus de 10 000 arrestations et 4 300 déportations en Algérie.
15. L’annexion du territoire algérien à la France.
Claude : La constitution de la IIe République rattache l’Algérie à la France. Elle en fait trois départements : Alger, Oran, Constantine. Elle instaure un régime présidentiel de type américain qui va permettre au Prince Napoléon de se faire élire d’abord président, puis empereur à la suite du coup d’État du 2 décembre 1851.
Alain : C’est au cours de ce coup d’État que l’armée tire sur la foule, faisant 300 morts, mettant ainsi fin aux velléités de soulèvement dans la capitale.
Claude : Effectivement. Cependant en Algérie le bastion kabyle peuplé de montagnards aux traditions démocratiques, résiste. Ceux-ci sont retranchés dans leurs villages accrochés au sommet de montagnes escarpées. C’est sous le Second Empire que cette région montagneuse sera conquise après plusieurs expéditions et des combats épiques. Le maréchal Randon en sera le principal artisan.
Alain : Tu as récolté, je crois, des témoignages sur la conquête du Djurdjura.
- Le pont de Boubehir, le village de Taourirt, le maréchal Randon, Napoléon III
Claude : À titre d’exemple, voici ce qui se passait une centaine d’années plus tôt, dans la région de Bouzeguène où j’ai représenté la France en 1960.
Début juillet 1854, le Maréchal Randon, une figure grenobloise est Gouverneur de l’Algérie. Il dirige les opérations contre les tribus locales qui lui résistent farouchement. Elles ont failli même le faire prisonnier à Boubehir. Voici un extrait du témoignage du commandant Joseph Nil Robin [16] : « Les Beni-Idjeur ont concentré leur défense en avant des villages de Bou-zian et Si-Ali-ou-Ameur (ndlr Bouzeguene Village et Ait Sidi Amar), derrière les haies et les couverts du terrain… « Pendant la journée du 1er juillet, on procède à la destruction du village de Sahel… Cependant, les négociations, tièdement ouvertes par les Beni-Idjeur, n’avançaient toujours pas, et le général en chef, …. résolut de frapper un coup décisif au coeur même du pays rebelle, en détruisant Taourirt.
Le 2 juillet, à 8 heures du matin, six bataillons de chaque division prennent les armes ; les hommes d’infanterie emportent tous les petites hachettes et instruments tranchants propres à la destruction des arbres…. Au bout d’une heure et demie,…on mit le feu aux bûchers préparés et au fourneau de mine. Le minaret et la mosquée furent projetés en l’air dans une violente explosion, et tout le village fut en quelques minutes couvert de flammes. Pas une maison ne resta debout. » Alain : Pourtant, Napoléon III avait d’autres vues pour l’Algérie :
Claude : L’Algérie conquise et pacifiée, Napoléon III, conseillé par Ismail Urbain, un saint-simonien, dès 1860 effectue un premier voyage en Algérie, précédé d’un voyage en Savoie, nouvelle terre française. Au cours d’un deuxième voyage en Algérie en 1865, il lance son projet de royaume arabe. Celui-ci se heurte à l’hostilité du gouverneur d’Algérie, de l’armée et des colons…Il n’a pas le temps de poursuivre sa politique arabophile. Le désastre de la guerre franco-allemande de 1870 l’oblige à s’exiler. Le 1er mars 1871, l’Assemblée réunie à Bordeaux, vote la déchéance officielle du dernier monarque français.
Alain : S’ouvre alors une période dramatique dont la France aurait pu ne pas se relever.
2 La gouvernance au nom du peuple.
21 La Commune
Claude : « Le 2 septembre 1870, à Sedan, la défaite des armées françaises face aux armées prussiennes sonne le glas du Second Empire. Deux jours plus tard, la IIIe République est proclamée à Paris et un gouvernement provisoire est mis en place ». [17] Alors que Paris est assiégé par l’armée prussienne se profile une période terrible pour la France et pour l’Algérie.
Le nouveau pouvoir issu des élections où dominent les monarchistes est contesté à Paris et en province par les nouveaux élus à la tête des Communes. C’est un changement de société qui est en cause sur fond d’occupation du pays par les Prussiens. Les révolutionnaires veulent poursuivre la guerre et installer localement un régime républicain dominé par la classe ouvrière.
- Derniers combats au Père-Lachaise, Gambetta, Thiers, Mokrani,, Zouaves et infanterie de ligne au combat
Alain : Le bilan des affrontements entre l’armée régulière et les insurgés du 26 mars 1871 jusqu’à la « semaine sanglante » (21 - 28 mai) est effrayant. [18]
Claude : En Algérie, dès avant la guerre franco-prussienne, « selon Bernard Droz, un mécontentement est perceptible chez certains membres de l’aristocratie guerrière kabyle, en raison de leur perte d’influence et de la diminution de leurs pouvoirs du fait des autorités françaises ».
Alain : Le nouveau pouvoir doit donc lutter sur deux fronts.
22 La révolte Mokrani
Claude : Effectivement. Alors que la France est occupée, la légitimité du pouvoir contestée, le 16 mars 1871, débute en Kabylie la "Révolte des Mokrani", initiée par le cheikh Mohamed El Mokrani et le cheikh Haddad, un religieux, chef de la confrérie des Rahmaniya. C’est la plus importante insurrection, depuis la conquête de l’Algérie.
Le mouvement soulève 250 tribus (800 000 insurgés avec 200 000 combattants), près du tiers de la population algérienne. La révolte ne se termine que le 20 janvier 1872. Les tribus sont matées par l’armée vaincue à Sedan. Entre temps, le village de Taourirt sera détruit une deuxième fois « Le 16 août 1871 ». [19]
Alain : La répression est sévère. Elle est accompagnée par des mesures d’internements et de déportations en Nouvelle-Calédonie (on parle des « Kabyles du Pacifique »). Ceux-ci vont rejoindre les déportés de la Commune. Pour faire bonne mesure, en 1872, une partie des terres est saisie et la contribution de guerre à verser est fixée à 36 582 298 F.
Claude : Dans la foulée, comme les tribus sont désarmées, le régime militaire et les Bureaux arabes (1844 à 1871) sont supprimés. Les remplacent un régime civil et une division du territoire du bled en communes mixtes. Celles-ci sont placées sous l’autorité d’administrateurs civils secondés par des caïds. Ce régime dure jusqu’en 1956.
Alain : Nous sommes déjà en pleine guerre d’Algérie.
- Jacques Soustelle
Claude : Effectivement. En 1956 disparaissent les communes mixtes et réapparaissent les militaires à qui sont confiés les pleins pouvoirs. L’Algérie dans la foulée est découpée en 9 départements, subdivisés en sous-préfecture, elles-mêmes subdivisées en nouvelles communes. L’administration de ces dernières est confiée la plupart du temps à des officiers SAS (Section Administrative Spécialisée), chargés de reprendre contact avec la population. Cette institution est créée par Jacques Soustelle, un an plus tôt.
Alain : Entre temps, de 1914 à 1918, puis de 1939 à 1945, la IIIe République, puis la IVe République affrontent à nouveau notre voisin allemand.
Claude : Au cours de ces deux guerres mondiales, les tirailleurs algériens se distinguent par leur vaillance et leur courage. Ils se comportent de façon exemplaire aux côtés des militaires français, en frères d’armes solides et sans reproche, malgré la discrimination dont ils sont victimes dans un contexte qu’il convient d’appréhender.
23. Le problème du choc des cultures.
Alain : Si je te suis bien, tu reviens en arrière pour évoquer nos relations avec les autochtones.
Claude : Effectivement, après ce survol de la conquête. Il nous faut appréhender nos relations avec les habitants du pays. Car en s’emparant d’Alger, en juillet 1830, le général Bourmont avait pris l’engagement du libre exercice de la religion mahométane.
« Fort de cet engagement, les nouvelles dispositions du Code civil datant de 1804 n’étaient pas applicables en Algérie pour les indigènes musulmans qui relèvent du droit coranique ou les indigènes juifs qui relèvent du droit mosaïque. Tous sont considérés comme sujets français « dès l’annexion de l’Algérie prononcée par l’ordonnance royale du 24 février 1834 » [20].
Alain : Nous sommes alors, sous la Restauration.
Claude : Effectivement. C’est une période qui remet en cause certains acquis de la Révolution. "Sous l’Ancien Régime, la notion de nationalité est encore confuse. On parle plutôt de la qualité de regnicole [21] qui fait de l’individu un sujet du roi. » [22]
Alain : Tant que la royauté tient les manettes, la notion de citoyenneté n’a pas grande importance. En Algérie, être sujet du roi ne semble pas soulever de difficultés.
Claude : L’approche change en 1848. Il ne faut pas oublier que le 10 et 11 décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, a été le premier Président de la République élu au suffrage universel. Alors que la France tâtonne elle-même pour définir les bases juridiques et politiques du lien unissant l’État nation et le citoyen, l’Empereur souhaite mettre au clair les liens entre les autochtones en Algérie et l’État. C’est pourquoi, par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, Napoléon III attribue la nationalité française aussi bien aux juifs qu’aux musulmans. Ils ont la possibilité dorénavant d’acquérir la citoyenneté française à condition de la demander et de renoncer à leurs droits personnels fondés sur le Talmud ou le Coran [23]
Alain : C’était quelques années seulement avant la catastrophe de Sedan.
Claude : Après la chute de Napoléon III, la délégation du gouvernement provisoire, installée à Tours adopte dans l’urgence dès le 24 octobre 1870 deux décrets appelés décrets Crémieux.
- Hussein Dey, Sultan d’El-Djazaïr, le maréchal de Bourmont, Adolphe Crémieux
Le premier déclare citoyens français les israélites indigènes de l’Algérie ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront dorénavant réglés par la loi française. Ceux-ci, encouragés par leurs coreligionnaires de métropole, profitent des dispositions nouvelles.
Le second concerne la naturalisation des indigènes musulmans et des étrangers résidants en Algérie. Ils peuvent obtenir la qualité de citoyen français « à l’âge de vingt et un ans accomplis », sur leur demande avec justification de leur état civil.
Alain : En pratique, cela semblait un pas en avant important.
Claude : Sans aucun doute pour les Israélites d’Algérie soutenus par ceux de France. Ils obtiennent la citoyenneté sans difficulté. Par contre, il en va différemment pour les indigènes musulmans qui doivent franchir de nombreux obstacles [24] Selon Gilles Manceron de l’association LDH, la naturalisation ne leur est que rarement attribuée. Ils restent sous le régime de l’indigénat.
Alain : Donc en pratique rien ne change dans leur statut.
Claude : Ce sera pire qu’avant. En effet, dans une France qui prépare militairement sa revanche après la capitulation de 1870, la loi Cissey du 27 juillet 1872 rend le service national obligatoire (5 ans ou de 6 mois à 1 an). Comme les étrangers en sont dispensés, la loi du 26 juin 1889 règle la question. Elle instaure de façon claire la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés en France au nom du droit du sol. Ceux-ci peuvent la refuser à leur majorité.
Cette disposition s’applique en Algérie pour les enfants d’étrangers venus d’Espagne, d’Italie, de Malte, du Piémont, de Suisse, d’Allemagne du Sud. Par contre, cette nouvelle loi n’est pas applicable pour les enfants indigènes musulmans. Une situation à terme ubuesque qui va faire des musulmans des étrangers sur leur propre sol et ne les dispensera pas par la suite d’être concernés par les obligations militaires.
Alain : Donc en résumé, les autochtones non israélites sont soumis au code de l’indigénat.
24 La République et ses contradictions en Algérie.
Claude : C’est une situation plus humiliante qu’avant. Car alors qu’un premier texte de 1854 remplaçait l’arbitraire des militaires par le pouvoir discrétionnaire donné aux chefs des bureaux arabes (ceux-ci pouvaient infliger de faibles amendes et des peines de cinq jours d’emprisonnement), le nouveau régime, après la révolte Mokrani de 1871, donne aux administrateurs des communes mixtes, un pouvoir discrétionnaire codifié par le Code de l’Indigénat. Sa mise en place se fait à partir de 1881.
Alain : En avais-tu entendu parler auparavant ?
Claude : Jamais. J’ai découvert le contenu de ce code contraire aux principes d’égalité républicaine, il n’y a pas si longtemps. Il définit des infractions et des peines spéciales [25] pour les indigènes. Il demeurera en vigueur jusqu’en 1944.
Cette situation fait écrire à Stéphane Papi « Cette contradiction fondamentale consistant à annexer un territoire, tout en refusant de faire de ses habitants des Français « à part entière », s’est traduit sur le plan juridique par une situation d’exception illustrée par la non application en Algérie de la loi de Séparation des cultes et de l’État. » [26]
Alain : Je te sens venir. Tu vas à nouveau me parler de religion.
Claude : En effet, les relations de l’Église et de l’État en France ont été très mouvementées. Après l’affrontement sous la Révolution, le Concordat signé en 1801 par Napoléon, permet une normalisation des relations sous les régimes monarchiques. Les relations se tendent à nouveau sous le régime républicain à partir de 1870. Celui-ci ne supporte pas l’influence de l’Église catholique sur le vote des Français et la vie politique de la nation.
25 La séparation de l’Église et de l’État.
En 1905, après 9 mois de débat houleux, le Parlement adopte la loi du 9 décembre 1905 dite de "séparation des Églises et de l’État". Conséquences : les biens d’Église sont répertoriés et deviennent propriétés d’associations cultuelles. À l’époque, les catholiques de France encouragés par le Pape Pie X, la condamnent violemment. Aujourd’hui, avec le temps, les relations se sont normalisées.
Alain : Je me souviens, d’après notre père, le grand-père l’avait mal vécue. Avec le recul du temps, la loi paraît sage puisque son article 2 précise « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». C’est donc l’égalité pour toutes les religions.
Claude : Oui, mais il y aura une exception pour l’Algérie. Violant son article 2, l’article 43 de la loi renvoie à des règlements d’administration publique ultérieurs ses conditions d’applications en Algérie.
Le décret est pris le 27 septembre 1907. Son article 11 § 6 précise : « Toutefois dans les circonscriptions déterminées par arrêté pris en Conseil de Gouvernement, le Gouverneur général pourra, dans un intérêt public et national, accorder des indemnités temporaires de fonction aux ministres désignés par lui et qui exercent le culte public en se conformant aux prescriptions réglementaires… »
D’après Khaled Bakdash « En fait, la séparation s’appliquera suivant diverses modalités aux cultes chrétiens et juif, mais pas aux musulmans. En métropole la création en 1920 de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris s’inscrit dans cette politique musulmane. Fondée en 1931 par Abd El-Hamid Ben Badis, l’Association des oulémas d’Algérie demandera avec constance l’application de la loi de 1905 afin que les associations cultuelles musulmanes échappent au contrôle colonial. Après la Libération, en 1962, l’Association des oulémas se prononcera en revanche pour un islam d’État » [27]
Alain : et imposera finalement ses vues ?
Claude : Je constate que dans la nouvelle constitution algérienne « L’islam est la religion d’État » [28] « Le ministère des Affaires religieuses et des Wakfs gère tout ce qui est relié à la religion (calendrier musulman, les horaires de prières, les jours de fête religieuse, l’annonce du ramadan, le pèlerinage à La Mecque, l’entretien des mosquées). Le Haut conseil islamique s’occupe des affaires religieuses dans le pays et il est formé d’un président et de membres. Son rôle est dicté par la constitution algérienne ».
Alain : Ta conclusion ?
Claude : Comme j’aime mon pays et l’Algérie, je me garderai bien de conclure. Je ne peux que constater et regretter les difficultés à vivre ensemble lorsque les pratiques religieuses séparent les hommes. Je remarque les contradictions de notre système républicain relevées par Stéphane Papi [29] qui constate qu’en Algérie, « Les individus étaient donc définis juridiquement par leur appartenance religieuse, au sein d’un système juridique français qui n’entendait pourtant connaître que l’égalitarisme républicain » !... Une situation qui ne pouvait que conduire à l’affrontement
Alain : C’est seulement en 1958, qu’il n’y aura plus en Algérie, selon la formule du Général de Gaulle, qu’« une seule catégorie de Français ». Mais c’était trop tard. [30]. C’est en réalité sur fond d’injustice sociale, de non-respect des principes républicains et même de trucage du résultat des élections de 1948, de 1951 et 1954, que prit corps l’idée exprimée, parait-il, par Ferhat Abbas devant le maréchal Juin : « Il n’y a plus d’autre solution que les mitraillettes » [31]
3 Une catastrophe prévisible
- Les chefs historiques du FLN à gauche : Belkacem Krim, Mostefa Ben Boulaïd, Ben Bella, Larbi Ben M’hidi, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Rabah Bitat, Mohamed Khider, A droite : Messali Hadj et Ferhat Abbas
Claude : Effectivement, c’est dans ce contexte que certains leaders nationalistes vont se regrouper dans la clandestinité en une organisation secrète paramilitaire et feront parler la poudre au nom du peuple algérien et des valeurs républicaines qu’ils estimaient à juste titre bafouées en Algérie.
Alain : Ils iront même jusqu’à utiliser l’arme redoutable utilisée un siècle et demi plus tôt en France par des révolutionnaires radicaux français et un peu plus tard en Algérie par l’armée pour soumettre les tribus.
Claude : Dix ans après la tragédie du 8 mai 1945 à Sétif et sa sanglante répression, la guerre amorcée le 1er novembre 1954, prend une tournure irréversible et irréparable avec deux massacres :
- Ceux du 20 août 1955 dans le Constantinois qui donneront lieu, eux aussi, à une répression sanglante, aveugle et démesurée.
- Ceux intervenus début 1956, passés à la postérité sous l’appellation de « nuits rouges de la Soummam » dont parle Ferhat Abbas dans « Autopsie d’une guerre » mais dont l’armée ne fera pas la publicité de peur de voir réduits à néant ses efforts pour rallier et armer les villages en autodéfense.
Alain : si je comprends bien, ces deux drames ne sont pas étrangers aux votes des pouvoirs spéciaux par l’Assemblée nationale à une écrasante majorité le 12 mars 1956. Ce sera l’escalade de la violence : la population va être soumise à la terreur et à la contre-terreur. Nous étions jeunes alors. Nous avions moins de 20 ans et détenions peu d’informations sur ce qui se passait en Algérie
Épilogue
Claude : En 1956, je croyais comme tout le monde que l’Algérie était la France, mais ne comprenais pas pourquoi nous y faisions la guerre alors que le Maroc et la Tunisie venaient d’obtenir leur indépendance. Depuis mes Alpes natales, le combat en Algérie me paraissait circonscrit à une guerre entre Européens et Algériens indépendantistes ; j’ai changé d’opinion sur le bien-fondé des opérations de maintien de l’ordre (terme de l’époque), après les massacres de Melouza, le 31 mai 1957. J’étais alors élève officier de réserve à Saint Maixent.
Quelques mois plus tard, j’étais à la tête d’une section en unité opérationnelle. Sans aucun contact avec la population locale, nous avons parcouru les djebels. Nous y avons rencontré des combattants de l’ALN (Armée de Libération Nationale) et de l’ANPA (Armée nationale du peuple algérien). En effet, les partisans de l’indépendance du FLN et du MNA n’étaient pas d’accord entre eux. Ils se faisaient la guerre sur le sol algérien et sur le sol français. Pour ajouter à la confusion, combattaient sous notre drapeau des unités de tirailleurs algériens ou des Algériens affectés dans différentes unités.
Alain : Je me souviens que tu as été démobilisé en février 1959. C’est alors que j’ai rejoint la Grande Kabylie.
Claude : Effectivement, j’ai été démobilisé à ce moment-là sans avoir rien compris du drame algérien. J’ai repris du travail dans l’entreprise familiale et me suis porté volontaire un peu plus tard pour servir dans les SAS en Algérie. J’avais trouvé une boussole qui donnait du sens à ma vie : contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population du bled. Un combat qui, quoi qu’il arrive, préparait l’avenir dans des conditions meilleures que le combat par les armes.
Alain : C’est sur cette terre de Kabylie que nous nous sommes retrouvés en avril 1960. Une terre et que je croyais protéger par les armes.
Claude : Nous y avons rencontré une population attachante, debout dans la dignité face à la souffrance et la misère. Son attitude a été pour moi une leçon de sérénité face à l’adversité. Une expérience qui m’a marqué à vie.
Alain : C’est pour cette raison qu’après avoir été démobilisé début 1962, tu es revenu 43 ans plus tard sur cette terre que nous avons aimée tous les deux.
Claude : J’y suis revenu à trois reprises. Dernièrement en 2011, j’ai fait connaissance de Saïd, un homme d’exception, lumineux et chaleureux. Bien qu’aveugle, celui-ci fait de la lutte pour la dignité des handicapés sa boussole. Il a fondé l’AHLA (Association des Handicapés et de Leurs Amis de la Daira de Bouzeguène), il y a une quinzaine d’années.
Le rayonnement de l’association qu’il préside et anime, dépasse largement les limites de la Daira (arrondissement). Avec son équipe, Saïd a déjà créé un centre Médico-social qui accueille une cinquantaine d’enfants, un atelier protégé, et une école pilote permettant d’insérer les enfants en situation de handicap dans le cadre scolaire. Il a encore d’autres projets.
- Association des Handicapés et de Leurs Amis de la Daira de Bouzeguène),
Alain : Il a fait sien le message de l’Évangile : "Laissez les enfants venir à moi ! Ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent...
Claude : Dans les faits, il est le guide dont parle Antoine Galland [32], pédiatre de renom : « Une des phrases mystérieuses de Char [33] me vient à l’esprit : “Il venait à nous par des sentiers invisibles.” Le sentier que tu as choisi, qui t’a été imposé pour aller vers les autres est étroit, difficile à repérer, car il traverse la « grande forêt ». Certains, mieux que d’autres, savent aller à ta rencontre et suivre avec toi le sentier de ta vie hasardeuse. Je sais qu’en t’adressant ces mots, par un cheminement dont le mécanisme intime nous échappe, tu en percevras l’écho »
Alain : je crois comprendre que tu partage avec l’équipe des éducateurs de Bouzeguène, l’analyse du père de Thomas qui poursuit : « Si tu es différent, tu nous as rendus autres. Grâce à toi, notre perception du monde a changé. Nous avons compris que certaines valeurs comme l’amitié, la tendresse, l’écoute, la compassion, la bienveillance, la tolérance, l’acceptation des différences, le soutien des plus démunis, méritent d’être redécouvertes »
Claude : Ceux qui sont différents sont des frères ou des sœurs sources de lumière capables d’éclairer nos vies. Je garde encore au fond du cœur le souvenir ému de ce geste spontané d’un enfant du Centre médico-social de Bouzeguène. Quittant sa table, il est venu m’embrasser alors que je partageais le repas de l’amitié.
Alain : Je crois que tu as vécu d’autres moments qui t’ont marqué.
Claude : Oui mes rencontres avec les anciens de l’ALN ou avec des jeunes des villages qui au nom de la mémoire et de la vérité veulent bâtir un monde meilleur.
Alain et Claude
L’auteur et les éditions Miages-djebels
Après avoir été en 1958 chef d’une section opérationnelle de Légionnaires puis, en 1960, chef de SAS (Section Administrative Spécialisée) à Bouzeguène, à ce titre en charge de la population de deux communes de Grande Kabylie, Claude Grandjacques dont le frère cadet est mort pour la France en Algérie, publie en 2006 « Des Miages aux djebels. Notre guerre d’Algérie. Alain, André, Bernard et Claude. 1956-1962 ».
« Un livre fort et émouvant. Un précieux document historique et une source inépuisable de réflexions. Il mérite d’être connu, répandu, médité. Aucun roman n’égale l’évocation de destins aussi attachants ». Courrier des lecteurs à : http://www.miages-djebels.org/spip....
Par la suite, cet ancien officier des Affaires Algériennes fonde l’association Miages-djebels et la dote d’un site Internet (http://www.miages-djebels.org/) avec un forum, un lieu de rencontre où s’expriment Algériens et Français. Il vient dernièrement d’équiper le site d’une boutique en ligne et d’éditer un « DVD bonus en faveur des handicapés » (à lire sur ordinateur).
Vous y rencontrerez notamment : Jean Louis, cet instituteur fidèle à ses élèves de Grande Kabylie pendant 14 ans (1958 à 1973), le parcours en forêt d’Akfadou, enchaîné à ses camarades d’infortune, de René ce jeune instituteur enlevé à ses élèves à Agouni-Hamed ; des instituteurs militaires qui ouvrent leurs albums souvenirs des Aït Gobri et des Idjer ; Jean Claude, médecin du contingent et de la population d’El Flaye ; Ginette l’EMSI intrépide qui après s’être battue pour la dignité des femmes musulmanes à El Flaye poursuit le combat dans les Aurès avant d’accompagner les harkis en France ; Serge, l’Universitaire historien. Cet humaniste qui a été sous lieutenant a cherché à « respecter une vérité complexe où l’humain se mêle à l’intolérable ». Abdelkader RAHMANI, ce jeune officier français à la double culture, Chevalier de la Légion d’honneur, jeté en prison pour avoir osé, avec 52 autres officiers, offrir dès 1956, leur médiation pour arrêter cette guerre fratricide ; les Chasseurs de l’Akfadou ou la vie au 27e BCA de 1955 à 1962 ; Djoudi cet ancien officier de l’ALN qui vient se recueillir devant le mémorial du Vercors...
- Souvenirs de Bouzeguène
Vous y ferez également une promenade dans le temps et l’espace en compagnie du Chérif Boubarla, la bête noire du Maréchal Randon, du Maréchal de Saint Arnaud et même d’Abdel Kader avant de faire la première ascension des Dômes de Miages, cette arrête glacière du Mont Blanc, et de poursuivre en escaladant les parois du Djurdjura en compagnie d’Alain qui rêvait d’être guide de haute montagne et enseignant en Grande Kabylie.
- Des Miages au Djurdjura
- Pour faire la première ascension des Dômes de Miages, poursuivre en escaladant les parois du Djurdjura et rencontrer les montagnards de cette région attachante.
Table des matières
INTRODUCTION
1 LA GOUVERNANCE PAR PROCURATION DIVINE.
11. Le mélange du temporel et du spirituel
12- Sa mise en œuvre en France : L’ancien régime en France.
13- La rupture avec l’ancien régime : la Révolution
14. La conquête de l’Algérie musulmane.
15. L’annexion du territoire algérien à la France.
2 LA GOUVERNANCE AU NOM DU PEUPLE.
21 La Commune
22 La révolte Mokrani
23. Le problème du choc des cultures.
24 La République et ses contradictions en Algérie.
25 La séparation de l’Église et de l’État.
3 UNE CATASTROPHE PRÉVISIBLE
ÉPILOGUE 16
L’AUTEUR ET LES ÉDITIONS MIAGES-DJEBELS