Miages-Djebels

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L’air pur des montagnes.

par Claude GRANDJACQUES

lundi 10 mars 2008, par Claude GRANDJACQUES

Cet article sert de dernier épilogue au livre ( ouvrage collectif) "Des Miages aux djebels"


L’air pur des montagnes.

Le Boeing 137 approche de la côte algéroise dissimulée sous l’immense nuage noir dans lequel pénètre notre appareil. Tout à coup, une détonation violente, fruit d’un éclair qui déchire le ciel, secoue notre avion.
— Tu vois, dis-je en souriant à Yazid assis près de moi, ils tirent au canon pour saluer notre arrivée. Nous débarquons, dans la matinée du dimanche 26 décembre 2004, à l’aéroport d’Haouri Boumédienne sous une pluie diluvienne, après avoir quitté les Alpes sous la neige.

L’idée de notre voyage avait germé deux mois auparavant. Quatre années plus tôt, mon gendre Yazid avait eu l’occasion de retourner en Algérie avec sa femme, Marie Hélène, la dernière de mes filles et d’y rejoindre son père et sa mère en vacances sur place.

Yazid, qui lors de ce séjour, avait effectué une reconnaissance jusqu’à Tizi-Ouzou, m’avait proposé, à son retour, de m’accompagner en Algérie. J’avais alors décliné. Puis naquit chez moi ce besoin d’écrire. J’ai mis du temps pour trouver le fil conducteur de mon récit. J’étais perdu dans les méandres des chemins parcourus. Tout ce que nous avions vécu me paraissait à la fois si lointain et si proche. Puis au fur et à mesure de la rédaction de mon ouvrage, surtout de la partie concernant Bouzeguene, la situation s’est peu à peu décantée. Mes souvenirs émergeaient des brumes de l’oubli et de la gangue de mes années professionnelles.

Apparaissaient un style de vie, des paysages et surtout des hommes et des femmes au genre de vie et aux coutumes différents des nôtres, à la grandeur d’âme et à la générosité proverbiale. Qu’étaient-ils devenus ? Comment avaient-ils géré les suites de cette guerre fratricide où les engagements et les choix étaient dictés souvent par la répulsion devant des pressions et des situations inhumaines. Comment la France était-elle perçue ? Autant de questions sans réponse.

Il me fallait aller sur place me rendre compte par moi-même, sans écouter les cassandres qui me mettaient en garde : mon gendre ne connaissant pas le tamazight (le berbère) serait mal perçu en Kabylie, des faux barrages sur les routes ou des mauvaises rencontres avec le banditisme lié à la misère pouvaient mettre en cause ma sécurité. Sachant par expérience que le plus grand danger est bien souvent celui de la représentation qu’on s’en fait, et qu’en France le danger zéro n’existe pas, je décidais d’aller me rendre compte par moi-même.

Un jour d’octobre, je demande à Yazid :
— Es-tu toujours d’accord pour m’emmener en Algérie ?
— Ce serait pour moi une grande joie. Je m’occupe de tout. Quand voulez-vous partir ?
— Je te laisse choisir les dates et déterminer la durée du séjour. Compte tenu de ses engagements professionnels, Yazid me propose de partir entre Noël et le Jour de l’an, sans savoir que pour moi cette période est un pied de nez à mon histoire personnelle....

Après quelques minutes à attendre l’enregistrement du visa, nous quittons l’aérogare sous une pluie battante. Embrassade avec Omar, un jeune cousin de Yazid, à la recherche de travail. Pratiquant le "système Rachid" (système D), il s’est occupé de nos problèmes d’intendance : réservation de la voiture et de l’hôtel. Il est allé jusqu’à Tizi-Ouzou pour choisir et réserver. Lors de sa course exploratoire, il est parti avec un nombre de dinars insuffisant en poche, ce qui lui valut d’être abandonné en rase campagne par le taxi et de continuer son chemin à pied et d’arpenter la ville par le même moyen de locomotion.

Omar est bientôt rejoint par Ahmed, le chef d’atelier de son frère. Il possède une voiture et va nous conduire jusqu’à l’entreprise de location située près d’Ouled Moussa où il nous quittera discrètement. La pluie a cessé. Au volant de la Daewoo un peu fatiguée (170000 km au compteur), Yazid nous conduit chez son oncle et sa tante, côté maternel, les parents d’Omar, installés non loin de là. Accueil chaleureux et embrassades. Nous retrouvons chez eux, Aïcha et Ahmed, les parents de Yazid. Couscous somptueux, échanges de nouvelles. La fraîcheur et l’humidité de l’air ambiant sont compensées par la chaleur de l’accueil qui réchauffe le coeur.

Nous prenons congé en milieu d’après-midi pour gagner Tizi-Ouzou, distant de quelque 65 km. Quelques barrages de contrôle de police jalonnement le parcours : il faut passer au pas, et surtout, de nuit, éclairer le plafonnier de la voiture. Une portion de route est à deux fois deux voies. Nous traversons Bordj Ménaiel puis Tadmaït (Camp Maréchal) et enfin Draa Ben Khedda (Mirabeau). La circulation est dense.

La façon de conduire des locaux est intuitive, peu soucieuse des règles du code de la route : les lignes blanches sont allégrement franchies, le doublement par la droite est rituel, les sens interdits bafoués. Cardiaques s’abstenir. D’une façon générale, sur la plupart des routes que nous aurons l’occasion d’emprunter (nous ferons 700 km en Kabylie), les ralentisseurs sont nombreux et dissuasifs. Le conducteur a le choix : descendre à moins de 30 km/heure ou casser la voiture.

Arrivée vers 16 heures à Tizi-Ouzou, agglomération de plus de 130000 habitants (environ 15000 en 1960). Ville jeune où sont implantées de nombreuses universités. Je ne reconnais absolument pas les lieux : pendant notre court séjour, je n’aurai pas le loisir de situer les bureaux des Affaires algériennes et la Préfecture d’alors. La traversée de la ville se fait à travers des passages tunnels. Les constructions ont envahi toute la cuvette. La ville a perdu tout lien avec son appellation d’origine : le col des genêts.

Guidés par Omar, nous rejoignons l’hôtel installé sur une colline au nord de la ville. Notre chambre regarde le Djurdjura qui s’étire au loin. Le soir, nous avons tout loisir d’admirer la cuvette et les montagnes en face, constellées de lumières.

Pendant que je déballe mes modestes bagages, Yazid conduit Omar à la gare routière réservée aux minibus. Il regagnera la région d’Ouled Moussa par ce moyen de transport. Les minibus sont très nombreux et se garent dans l’ordre d’arrivée sur un élargissement de la chaussée, sorte de place s’étirant à la sortie de Tizi-Ouzou en direction d’Azazga. Des pancartes sur le pare-brise indiquent la direction et les chauffeurs annoncent les destinations en criant : "Azazga !,Bouzeguene !,Douala !, Bouira !"... Une autre gare routière, réservée aux cars, est installée plus au centre. J’ai oublié de me renseigner sur la densité du trafic de la voie de chemin de fer que nous utilisions au temps jadis.

Lundi 27 décembre 2004, dès 9 heures en route pour Bouzeguene ! Le temps est dégagé. Après avoir quitté la ville de Tizi-Ouzou qui s’étire sur trois km, nous retrouvons la campagne. Le trafic vers Azazga est soutenu. Pendant des kilomètres, nous longeons le Sebaou qui somnole tranquillement à notre gauche, dans sa cuvette. Au-delà du fleuve, au nord, des montagnes domptées par l’érosion, aux formes arrondies, barrent l’horizon. Elles sont parsemées de villages discrets. Au sud, à notre droite, sans qu’on puisse les voir de la route, mais comme je pourrai m’en rendre compte les deux jours suivants en parcourant les Beni Yenni, les Akbils, et en allant à Michelet (Aïn El Hammam) et à Fort-National (actuellement Larba Naït Irathen), un enchevêtrement de vallées profondes, peu habitées, descendent du Djurdjura. L’une d’elles du reste, celle de l’oued Ouassi, à proximité de Fort-National, est engloutie sous les eaux d’un immense barrage hydroélectrique. Ces vallées par contre sont dominées par une multitude d’arêtes tentaculaires plus ou moins effilées auxquelles sont accrochés, sur leurs sommets ou leurs escarpements, de nombreux villages dont les maisons défient les lois de la pesanteur.

Peu de temps après avoir traversé le Sebaou, en négociant les premiers virages montant vers Azazga, la deuxième ville de Kabylie, nous rencontrons les premiers immeubles de l’agglomération qui s’est étendue à l’ouest. Au cœur de la ville, en bifurquant plein sud pour gagner Bouzeguene, nous passons devant l’ancienne église. À proximité étaient installés les Pères Blancs. Dans les parages : un immeuble éventré. L’ancienne gendarmerie d’Azazga, démolie systématiquement par les manifestants, témoin silencieux et éloquent de la violence des émeutes du printemps noir de 2001. Celles-ci firent localement six morts et ébranlèrent les relations de la Kabylie avec Alger.

Nous suivons le flux vers Bouzeguene. Les bas-côtés sont bordés de commerces et d’échoppes où s’activent des Kabyles venus négocier leurs achats. Une agence Peugeot flambant neuve est en cours d’installation. Peu au-delà, nous retrouvons la campagne et ses champs d’oliviers. Nous laissons, une dizaine de kilomètres plus loin, à main droite, la route qui conduit vers Tizirt n’Boubehir, village carrefour permettant de gagner Tabouda ou Michelet (actuellement Aïn El Hammam). Nous emprunterons cette route à notre retour des Akbils le lendemain.
— Vous verrez, m’avait dit l’un des réceptionnistes de l’hôtel, la route pour Bouzeguene est un vrai billard.

En empruntant la route pour Iffigha où était installé le PC du 27e B.C.A., j’ai pu constater l’exactitude du renseignement. Nous nous arrêtons, le temps de chercher Lalla Khedidja, 2308 mètres, parmi les sommets enneigés du Djurdjura. La traversée de l’Acif Ou Serdoun se fait sur un ouvrage neuf, près duquel, est allongé l’ancien pont. Ce dernier est encore surveillé par le poste mirador de Youssouf, témoin muet et inutile des nuits blanches des sentinelles aux aguets, chargées de protéger l’ouvrage que voulaient détruire ceux qu’on appelait les rebelles.

Quelques décharges sauvages parsèment les bas-côtés. Nous gagnons ce que nous appelions le Café maure, col évasé permettant d’avoir un premier aperçu du territoire de Bouzeguene. Première surprise. Je cherche à ma gauche Tazerouts et à ma droite Iril Naït Ziboua. Ce ne sont que des immeubles ! Le relief semble gommé par les constructions qui ont poussé de toute part comme des champignons.

Nous poursuivons notre chemin pour nous arrêter un peu plus loin à hauteur du monument aux morts, érigé par le village d’Ibouysfene à la mémoire de ceux qui sont tombés pendant le conflit. Nous aurons l’occasion d’en voir bien d’autres. Chaque village ayant à cœur de garder une trace de ses héros. La liste dans la plupart des villages est longue. Tout à l’étonnement de retrouver la région, je n’ai pas questionné les personnes rencontrées à ce sujet. Après coup, je me suis demandé si les listes prenaient en compte les victimes des purges d’Amirouche et des rivalités entre le F.L.N. et le M.N.A. qui firent de nombreuses victimes en France.

Après avoir roulé à flanc de coteau en direction du sud-est, nous pénétrons dans une agglomération que je ne connais pas. Je cherche le bordj. Pas de trace. Nous poursuivons notre chemin sur une route chaotique, non goudronnée, bordée de maisons de façon presque continue. J’atterris finalement près d’Haoura et Ahariq où nous nous arrêtons pour faire le point auprès de jeunes qui devisent devant une maison relativement ancienne.
— Je cherche la S.A.S. à Bouzeguene.
— C’est ici, me dit un jeune.
— Ici c’est Haoura. Ce n’est pas la S.A.S..
— Si, si c’est ici.

Les jeunes me présentent l’antenne S.A.S. où était Pirel. La maison n’a pas beaucoup changé. Je leur explique que j’ai été chef de S.A.S. à Bouzeguene en 1960 et 1961 et qu’à proximité il doit y avoir une fontaine avec un réservoir. Certains, parmi les anciens du groupe, ont entendu parler de Pirel.Phot194
— Nous allons te montrer la fontaine, me dit un autre pendant que l’un de ses collègues est allé chercher deux adultes Boubkeur et Mouloud, enseignants à Bouzeguene. Ceux-ci prendront contact avec Mustapha qui va nous rejoindre et nous retenir à manger chez lui à Ahricq. Il est artisan taxi à Aubervilliers.

La conversation s’engage avec naturel. Évocation de souvenirs. Mustapha se souvient très bien du nom des instituteurs militaires qui lui faisaient la classe : Mercier et Michel. Notre hôte nous reçoit chez lui, avec une gentillesse et simplicité confondante, malgré les ennuis de santé de son épouse qui est immobilisée avec une méchante fracture au pied. Au cours du repas, Mustapha me renseigne :
— Bouzeguene et Aït Ikhlef ne forment plus qu’une seule commune : Bouzeguene. Les Beni Ziki composent une autre commune. Bouzeguene est devenue une daira, c’est-à-dire une sous-préfecture où vivent approximativement 26000 personnes. Amroun Tahar qui est décédé dans les années 1976, a été le premier maire de Bouzeguene. L’ensemble des villages est doté de l’électricité. L’eau, distribuée dans chaque maison, arrive par gravité, grâce au captage d’une grande source dans le Beni Zikki. Nous vous ferons voir un des réservoirs. Celui qui alimente les villages d’Haoura et d’Ahariq.
— J’ai des photos à vous montrer, lui dis-je en faisant état d’un CD-ROM que j’avais amené et que finalement je ne présenterai pas faute d’outils et de temps sur place, mais que j’ai promis d’envoyer.

Nous prenons congé de Mustapha devant la fontaine réservoir construite par Pirel. Elle a fonctionné jusque dans les années 1990. Nous y retrouvons Boubkeur et Mouloud. Ils vont être nos guides attentionnés une partie de l’après-midi et nous piloter à travers Haoura et Bouzeguene, tout en nous renseignant sur la vie locale pendant le parcours.
— Il y a ici un ancien moudjahid, peut-il vous rencontrer ? Je bavarde et embrasse Hocine qui a été prisonnier au bordj en 1956 avant de gagner la Tunisie et d’assurer par la suite le convoyage de ravitaillement pour l’ALN à travers le pays. Il a perdu à l’époque sa femme, qui a fait une fausse couche après avoir été malmenée par les militaires.

Nos accompagnateurs nous conduisent à la nouvelle école d’Haoura et nous font voir l’ancienne école, désaffectée, installée dans des baraques Adrian composées d’éléments en acier, où enseignaient les militaires Mercier et Michel. Ils nous pilotent ensuite à l’ancien bordj à Bouzeguene. Nous nous arrêtons à hauteur de l’ancienne école, actuellement désaffectée, près du bordj. De là, j’ai des difficultés à localiser le mirador sud-est parmi l’enchevêtrement des maisons. En remontant une ruelle, face au poste de police (ancien PC de la 4e compagnie), nous gagnons l’entrée du bordj, écrasée parmi les maisons attenantes.

J’y rencontre l’adjoint de l’A.P.C. (assemblée populaire communale équivalente du conseil municipal) qui habite les lieux et me fait passer un test de contrôle des connaissances :
— Vous étiez ici il y a des années ? me demande-il d’un air dubitatif. Pouvez-vous me citer des noms de village ?
— Sans aucune difficulté. En arrivant depuis Iffigha dans le col que nous appelions le Café Maure, vous avez sur votre droite Ighil N’A¨t Ziboua, à votre gauche, Tazerout, puis, Ibouyoussfene et Aït Saïd, Iathousse, en contrebas, Bouzeguene, Sahel dominé par Taourirt, en poursuivant vous rencontrez Aït Ferach, Haoura, Ahariq dominés par Aït Salah et Aït Moussa. Plus loin vous avez les Beni Zikki. Est-ce que l’examen de passage est satisfaisant ?
— Ça va, me répond-il d’un air étonné.
— Quelle note me mettez-vous ? dis-je d’un air amusé.
— 16/20.

Nous prenons quelques photos des bâtiments à l’intérieur de murs du bordj où nous vivions et travaillions. Ils sont dans un passable état de délabrement. Nous laissons la voiture et descendons ensuite à pied dans le village. Nous passons devant le poste de police (interdiction de photographier) et gagnons les bureaux du cercle culturel Igelfan de la commune de Bouzeguene. Nous y faisons connaissance de Messaoudène Chérif, son président. Celui-ci, après m’avoir présenté les lieux, me propose de rédiger un article pour son nouveau journal : Echos de Bouzeguene. Ce que je lui promets.

Après nous être rendus dans un café proche, où nos hôtes nous offrent avec cœur le verre de l’amitié, nous prenons congé peu après, pour ne pas revenir de nuit sur Tizi-Ouzou.

Une journée qui comptera parmi les plus marquantes de ma vie avec celle passée le lendemain en parcourant les Benni Yenni, puis les Akbils. En effet, à Aït El Azis, village qui a souffert également, nous recevons le même accueil chaleureux et sympathique. Nous faisons le tour de la mini agglomération qui n’a pas trop changé et retrouvons l’ancien poste militaire en compagnie d’Ali et Hamiche qui nous conduisent à Aït Hatta où Alain a trouvé la mort. Un des habitants des trois maisons qui composent ce dernier village veut nous retenir pour le repas.

Ce voyage éclair organisé par Yazid me permet de tourner ma page personnelle concernant l’Algérie dans des conditions inattendues et chaleureuses. En outre, ces quatre jours passés ensemble ont permis au chauffeur et au navigateur de mieux se connaître. Mon gendre a découvert, durant ce voyage, un beau-père ayant pris un coup de jeune, au contact des Kabyles. De mon côté, j’ai vu à l’œuvre un gendre parlant parfaitement l’arabe, liant le contact sur place avec un naturel et une facilité déconcertante. Lui aussi est séduit par la Kabylie.

Cependant, dans cette aventure, deux sentiments forts m’ont profondément habité pendant mon court séjour en Kabylie où, comme en Savoie, le vent et les années ont dépouillé les montagnes de leurs revêtements sédimentaires superflus pour ne conserver que des silhouettes en calcaire ou en granite à la ligne élancée et vertigineuse.

En premier lieu, j’ai eu le sentiment qu’en contact permanent avec cette nature exigeante où la pureté le dispute au sublime, les montagnards kabyles, portés par le milieu ambiant, ont acquis naturellement, et su conserver, une âme limpide et solide. Leur regard, comme je l’ai constaté, est celui de l’amitié sincère, débarrassée de tout préjugé.

Par ailleurs, dans quelques années, Emma, notre petite-fille, et bientôt son petit frère ou sa petite sœur, non seulement connaîtront mieux leurs grands-parents, mais également pourront être fiers de leurs racines.

Gageons que les nouvelles générations sauront, de part et d’autre de la Méditerranée, pardonner et découvrir dans la vie commune passée entre la France et de l’Algérie des raisons d’espérer et de construire pour l’avenir.

Voici le texte envoyé au journal "Echos de Bouzeguene" le 7 janvier 2005. " Chers amis de Bouzeguene. Je viens de regagner les Alpes après avoir passé quelques jours, trop rapides, dans votre si belle région qui a été un peu la mienne. En effet, il y a plus de 43 ans, j’étais parmi vous, dans des conditions très éprouvantes pour vous et, pourquoi pas le dire, également pour ceux qui, comme moi, portaient l’uniforme français. Nous avions à appliquer les directives d’une politique dont nous ne percevions pas la finalité et qui finalement conduisit à un immense gâchis. Le climat de compréhension fragile qui avait pu être tissé par le passé par des hommes de bonne volonté en fut compromis de façon durable.

J’ai connu, pendant les années 1957 et 1958, le côté opérationnel de cette guerre civile franco-française qui a été appelée tardivement la guerre d’Algérie. Comme beaucoup, parmi nous et sans doute parmi vous, j’en garde un goût amer. J’ai eu, par la suite, tout loisir de méditer sur l’inutilité et la vanité des combats menés et sur leurs conséquences désastreuses.

Un peu plus tard, en 1960, j’ai contracté un engagement pour servir dans les S.A.S.. Après avoir passé quelques mois à Tabarourt, période au cours de laquelle j’ai perdu, au combat, mon frère cadet dans les Akbils, j’ai été affecté à la S.A.S. de Bouzeguene où je suis arrivé courant août 1960.

Je conserve de mon séjour parmi vous, un souvenir ému, riche de contacts avec vos anciens qui ont impressionné le jeune officier que j’étais. J’ai eu l’occasion d’apprécier leur sagesse, leur stoïcisme, leur conception de la vie. J’avais alors en charge ce qu’on appelait la pacification et pense, sans forfanterie, avoir contribué, grâce aux actions menées, à adoucir le sort de ceux qui ont vécu cette période.

Le rôle de la S.A.S. était d’appliquer sur le terrain le plan de Constantine, voulu par le général de Gaulle fin 1959. Il fallait rattraper le temps perdu en matière d’investissements. À ce titre, sans grand moyen financier, l’équipe que je dirigeais a réussi des prouesses. J’ai en effet été secondé, pendant plus d’un an, par un adjoint efficace et enthousiaste, le sous-lieutenant Pirel. Il venait du Génie et parlait arabe pour avoir vécu son enfance en Tunisie. Avec le concours de vos anciens, nous avons amélioré les conditions de vie des villages : pistes avec ouvrages en buses, réservoirs de 3 m3 pour les principaux villages ; captages de sources et canalisations d’amenée d’eau pour Aït Saïd et Haoura ; écoles en dur pour Aït Saïd et Sahel ; agrandissement de la plate-forme de l’aire de récréation pour l’école de Bouzeguene

L’armée représentée par le 27° B.C.A., tout en assurant le côté opérationnel, a essayé également de faire de son mieux : le bataillon détachait des instituteurs dans pratiquement tous les villages où étaient implantés des postes militaires. Son médecin épaulait un infirmier militaire détaché à la SAS où intervenait une aide soignante.

Je ne m’étendrai pas sur la prouesse administrative que représentent le recensement et l’établissement de listes électorales correctes pour permettre le déroulement, dans de bonnes conditions, des élections qui ont officialisé l’accès à l’indépendance de votre pays. En ce qui me concerne, j’ai également préparé le terrain pour permettre à votre commune d’avoir à sa tête un maire local : Amroun Tahar.

En revenant au pays 43 ans plus tard, (j’ai quitté Bouzeguene fin décembre 1961), j’ai trouvé un pays complètement transformé. J’ai même vu des mosquées dans tous les villages.

Si je n’ai pas su retrouver le bordj et la maison où j’ai vécu, j’ai, par contre, retrouvé l’âme kabyle intacte, toujours aussi généreuse et hospitalière. Tout en transformant votre pays et en améliorant vos conditions d’habitat, vous avez su conserver vos qualités de cœur. Celles-ci n’ont pas changé, comme j’ai pu le constater par moi-même. J’étais venu en ami, vous m’avez reçu en frère, comme si je faisais partie de la famille. J’ai également été touché par l’accueil simple et chaleureux que m’ont réservé les Kabyles rencontrés à Aït El Azis, village où mon frère est décédé. Je m’y suis rendu après vous avoir quittés.

J’écris ces lignes, à mon retour, dans les Alpes, ce lundi 3 janvier 2005, lendemain de la fête de l’Épiphanie. Cette fête, dans la religion chrétienne, célèbre la rencontre des Rois mages avec Jésus. Il y a deux mille ans, ils se rendirent à Bethléem jusqu’à la crèche, guidés par une étoile.

En cette nouvelle année 2005, non seulement je présente à Bouzeguene et à ses habitants mes vœux les plus chaleureux, mais je souhaite que l’étoile de l’amitié que j’ai vue briller en me rendant en Algérie et dans notre chère Kabylie, réchauffe et guide les relations entre nos deux pays après ce drame de famille qui n’aurait jamais dû exister. Bien chaleureusement vôtre.

Claude Grandjacques."

Voici la réponse que j’ai reçue de le 9 janvier du journal "Echos de Bouzeguene", en la personne de son représentant à qui j’avais proposé d’envoyer le compte rendu de mon voyage :

" Bonjour cher ami,

Votre message.....sera entre les mains de nos lecteurs dés la semaine prochaine. Je souhaite que vous m’envoyiez votre article relatant vos impressions du voyage dans notre belle région. Il sera diffusé sur le site Internet de notre association et publié dans le prochain numéro du journal, si vous ne voyez pas d’inconvénients. Notre objectif est de mettre un cadre d’expression à la disposition de chaque homme/femme de bonne volonté, d’exprimer ses opinions et surtout comme vous, cher ami, d’apporter son témoignage sur une période douloureuse. Jean Lacouture disait :"Un témoignage est un combat."Alors, aujourd’hui, faisons que cette étoile de l’amitié brille pour nos deux pays pour l’éternité. Mes meilleurs voeux de bonheur et santé, en ce nouvel an 2005. Bien amicalement vôtre. " MESSAOUDENE CHERIF"


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