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Le service de la Santé des Armées dans les territoires du Sud algérien.

Trois quart de siècle d’assistance médicale aux populations indigènes du Sahara, de 1900 à 1976.

dimanche 4 janvier 2009, par André SAVELLI. Professeur agrégé au Val de Gräce.

L’œuvre humanitaire du Service de Santé des Armées, si vaste et si dense à travers le monde, sur les cinq continents, et de façon continue pendant plus d’un siècle, mériterait d’être mieux connue.


Je n’écrirai, ici, qu’une seule page de cette glorieuse épopée, celle du Service de Santé dans les Territoires du Sud algérien de 1900 à 1976. Je peux en témoigner pour y avoir participé de 1953 à 1955.

En effet, après une thèse de doctorat en médecine à Alger, et un an d’application à l’hôpital du Val de Grâce à Paris, ma première affectation fût le Sahara. Toute la promotion partait en Indochine ; une dizaine d’entre nous cependant était détachée, hors cadre, au titre du Ministère de l’Intérieur, avec pour unique mission l’assistance médicale aux populations sahariennes.

En Août 1953, je rejoignais mon poste, l’oasis d’ln Salah, 20.000 habitants, y compris les petites oasis périphériques et les nomades, au cœur du Tidikelt, à 1 000 kms au sud d’Alger.

Et maintenant pour nous plonger plus vite dans l’atmosphère locale... Enfilons boubou, sarouel et naïls ... Entrons au Sahara.


SOMMAIRE

Introduction.

Organisation générale de l’assistance médicale (AM).

Le fonctionnement de l’assistance médicale.

Quelques souvenirs ... maintenant.

Conclusions.


INTRODUCTION

Sahara, vastes horizons, mirages émouvants, immensités plates, aride et fauve où nomadisent les pasteurs ; rares îlots de verdure - les oasis - où .vivent et peinent leurs habitants, les Harratin, à l’ombre des palmiers.

Le schéma ci-dessous permet de situer géographiquement les territoires du Sud algériens, trois fois plus étendus que la France - 2150 km est et 1650 nord-sud - avec ses deux grands départements, de la Saoura et des Oasis. Avant1945, officiers médecins et enseignants y circulaient à cheval ou à dos de chameau.

Ceux qui y ont vécu assez longtemps échappent, par l’intérêt qu’iIs portent à leurs recherches dans ces contrées étranges, au « cafard » dû au climat et à l’isolement. Ainsi, chez nombre d’entre eux, l’âme s’exalte : c’est l’envoûtement du Sahara bien décrit par Charles de Foucauld et porté à l’extrême chez Ernest Psichari. Cet officier incroyant, neveu de Renan pour qui le désert est métaphysique découvre sur cette terre mythique, la présence divine. Si cette description et ce mysticisme peuvent faire rêver, la réalité a une autre facette.

Avant l’arrivée des premiers pionniers français descendus de l’Algérie vers la Croix du Sud, à travers des étendues à peu près vides, les autochtones sous-alimentés, étaient continuellement victimes de la famine, des épidémies et des pillards. Aucune nation civilisée ne s’était occupée d’eux…

« Je formule le vœu, écrivait en 1958 le Dr Edmond Sergent, membre de l’Institut, directeur de l’Institut Pasteur d’Algérie, que l’œuvre de l’œuvre de science et de bienfaisance accomplie déjà, si vaste, par les médecins militaires des du Sud, serve de modèle aux médecins appelés à la poursuivre. »

C’est cette œuvre d’Assistance Médicale que je décris ci-dessous. Après cette introduction suivront l’organisation, puis le fonctionnement de cette œuvre humanitaire au long cours.


ORGANISATION GENERALE DE L’ASSISTANCE MEDICALE.

Dès les premiers temps de l’installation française en Algérie, vers 1832, et au fur et à mesure de la pénétration de nos troupes, le Commandement avait le souci de faire assurer les soins aux autochtones dans ses formations sanitaires, ambulances des colonnes mobiles et hôpitaux de campagne.

Cette pratique avait rencontré un grand succès auprès des habitants. « Il n’est pas de fait plus solidement établi, écrivait Lyautey, que l’efficacité du médecin comme agent de pénétration, d’alliance et de pacification ».

On connaît son fameux télégramme à Gallieni : « Si vous pouvez m’envoyer quatre médecins de plus, je vous renvoie quatre compagnies ». Aussi, lors de l’occupation du Sahara, après les combats d’ln Salah et d’ln Rhar pour protéger la mission scientifique Flamand-Pein, en 1900, le corps de Santé a poursuivi son œuvre d’assistance médicale aux populations.

1 - Direction.

Avant 1918, les médecins militaires détachés dans le grand Sud relevaient des divisions d’Alger, Oran ou Constantine. Le décret du 15 Février 1918, retardé par la Grande guerre, crée une direction du Service de Santé des Territoires du Sud, à Alger, dépendante à la fois du Gouvernement Général pour l’assistance médicale indigène, et du Commandement pour le service médical des troupes. Le directeur est chargé d’une mission permanente d’inspection et de contrôle, de l’étude des questions d’hygiène et d’épidémiologie, ainsi que de l’examen des projets de construction des établissements sanitaires et de leurs équipements.

2- Les Médecins.

Les médecins sortent tous de l’École du Service de Santé militaire de Lyon. Le plus souvent débutants, à l’âge des enthousiasmes, ardents et avides d’impressions nouvelles, au bon moral et de santé robuste, ces jeunes médecins étaient bien préparés par une solide formation technique. En effet, après la thèse, ils suivaient une période d’application d’un an au Val de Grâce à Paris ; cet enseignement, très dense était agrémenté par l’octroi de quelques places de médecin de théâtre. C’était la fête ! Puis départ pour Alger avec un temps d’adaptation d’un mois, afin de se familiariser avec la pathologie locale.

Là, deux stages de perfectionnement les attendaient : l’un, au Laboratoire Saharien de l’Institut Pasteur dirigé par le Dr Henry Foley, ancien médecin militaire, pour remettre à niveau leurs connaissances bactériologiques et parasitologiques ; l’autre, à la Clinique ophtalmologique du Pro Larmande à l’hôpital universitaire Mustapha, pour y acquérir entre autres la pratique d’interventions chirurgicales simples, trichiasis et cataractes pour les plus doués.

A cet égard, il faut signaler que le premier titulaire de la chaire d’ophtalmologie de la Faculté de Médecine d’Alger, fut le Pro Cange, agrégé du Val de Grâce.

Rappelons aussi que la première ’École de Médecine d’Alger fut créée dès 1832 par Jean-Baptiste Baudens, chirurgien-major des Armées, et initialement installée dans les Jardins du Dey, futur hôpital Maillot. Après une éclipse et à l’instigation d’un élève de Baudens, le médecin colonel Bertherand, elle redevint École de Médecine en 1856, dépendante de la circonscription de Montpellier jusqu’en 1909, date de son plein exercice, comme Faculté.

Ces stages étaient complétés à l’hôpital Maillot par des gardes de nuit à la Maternité et aussi, par une formation stomatologique permettant les soins dentaires simples, traitement des caries et extractions. Sur place, dans les oasis, sans électricité pour la plupart, la roulette sera actionnée par un tour à pied.

Cette préparation s’avérait indispensable pour ces médecins qui seront isolés dans leur oasis, loin des grands centres techniques, sans téléphone, ne pouvant compter que sur eux-mêmes. Mon confrère le plus proche, à Aoulef, se trouvait à trois heures de piste de tôle ondulée, six heures de pénible tape-cul aller-retour !

La durée du séjour des médecins, fixée à deux ans, peut l’être à trois dans les zones climatiques modérées comme Tamanrasset. Jamais au-delà, car il était impossible de les faire bénéficier du moindre congé de détente. Cette relève périodique répétée a favorisé la réussite du service.

Arrivé en 1953 à ln Salah, à 1000 km au sud d’Alger, je peux attester cette continuité médicale depuis 1900. Le nombre des médecins militaires s’est accru considérablement : 20 en 1918, 31 en 1946, 42 en 1950 et 70 en 1960, tous hors cadre, affectés aux soins des populations.

3 - Les circonscriptions médicales.

Les circonscriptions médicales des Territoires du Sud, 15 en 1918 et 35 en 1960, se répartissent entre le département des Oasis et celui de la Saoura. Elles sont centrées sur les Etablissements de l’Assistance Médicale, infirmeries et formations secondaires.

a) - Les infirmeries servent à la fois d’hôpitaux auxiliaires et de dispensaires pour consultations. La première est créée en 1905 à Beni Ounif par le médecin-major Henry Foley. Grand seigneur, séducteur et travailleur acharné, il devint en 1918, le premier directeur du Service de Santé des Territoires du Sud avant d’assurer la chefferie des Laboratoires Sahariens de l’Institut Pasteur d’Alger de 1922 à 1956.

15 infirmeries existent en 1918, 23 en 1928, et à cette époque, toutes dans des locaux préexistants, en pisé, éclairées à la lampe à pétrole-. Le développement croissant des besoins oblige l’administration à réaliser un programme de constructions en dur. Djelfa (1928-29), Laghouat (1929-30) Tougourt et EI-Golea (1934), Colomb-Béchar et Fort Polignac (1936), Tamanrasset (1937). Reprise après les hostilités. Biskra et Kenadza (1945), Guerrara dans le Mzab (1946), Beni Abbes (1948) Ouargla et Adrar (1950), Djemaa, Tindouf et Timimoun en 1951.

C’est dans l’oasis rouge de Timimoun, qu’a exercé à cette époque le médecin - général Edmond Reboul quand il était lieutenant. Lauréat de l’Académie Française et de l’Académie de Médecine, son premier livre, Si Toubib (prix Vérité 1958), relate la vie romancée d’un médecin militaire au Sahara.

Puis sont construites les infirmeries d’ Aoulef et Taghit (1952), Metlliti LesChambas (1953), ln Salah que j’ai inaugurée en 1954, Djanet (1956), Ghardaïa et Berrian (1958). De plus à Laguouat, après un dispensaire en 1949, est créé un pavillon de chirurgie avec une maternité en 1956, un pavillon de contagieux à Djelfa et une infirmerie- hôpital de cent lits à El Oued. Il existait en 1960, 26 infirmeries dispensaires.

Le nombre de lits organisés dans ces établissements varie d’une dizaine comme à ln Salah à 130 à Djelfa. Il compte, en 1960, plus d’un millier de lits auxquels s’ajoutent ceux des hôpitaux militaires de Colomb-Béchar (120) et d’Ouargla (80). Ces infirmeries sont pourvues de matériel d’exploitation et d’ameublement des plus modernes, et d’un outillage technique de qualité avec salle d’opération, maternité, pharmacie, laboratoire de microscopie ; 25 possèdent une installation radiologique.

b) - Les formations secondaires (postes de secours ruraux ou dispensaires anti-ophtalmiques) sont implantées dans les petites oasis satellites. Elles comportent un local de consultations, et souvent un petit logement pour les infirmiers auxiliaires. Ces derniers donnent les soins courants entre les visites médicales et servent d’agents de renseignement sanitaire en cas de menace d’épidémie ou de malade intransportable. J’ai le souvenir, à cet égard, de l’infirmier de la petite oasis d’ln Rhar, ayant couru 50 Krus pour me prévenir qu’un vieillard semi- comateux n’urinait plus. À la réflexion, il devait être plus jeune que moi aujourd’hui ! Son ventre de femme enceinte par distension vésicale, justifie la pose d’un cathéter à travers la paroi abdominale pour vider lentement la vessie. Transport à l’hôpital d’ln Salah ; impossible de passer une sonde. J’ai dû opérer, mon infirmier-chef au masque à éther pour l’anesthésie, et le manuel de chirurgie opératoire tenu devant mes yeux par une infirmière ; je n’étais pas fier ! Grâce à Dieu et aux antibiotiques, ce patient guérit. Dès lors, les consultations augmentèrent bien malgré moi !

Le nombre de ces dispensaires (les fameux biout el aïnin ou maisons des yeux), dont l’importance est primordiale en matière de lutte contre les affections oculaires et surtout le trachome, a été multiplié : 25 en 1930, 51 en 1940, ils passent à 135 en 1958.

c) - Le personnel a progressé en qualité et en quantité. Jusqu’en 1918, le médecin n’avait qu’un infirmier local, aidé de quelques hommes de peine. En 1930, on compte 24 infirmiers et un nombre variable d’auxiliaires, 6 sœurs blanches à Laghouat et 2 à Ain Sefra.

En 1945 existent 246 personnels dont 135 soignants, et en 1960, 419 dont 13 sages-femmes, 2 assistantes médico-sociales, 41 infirmiers dont 27 sœurs blanches, et 363 personnels communaux.


LE FONCTIONNEMENT DE L : ASSISTANCE MÉDICALE..

Diversifié, ce fonctionnement permet d’assurer

  • les consultations gratuites,
  • les soins aux malades et blessés dans les infirmeries,
  • la prophylaxie contre les épidémies, la protection maternelle et infantile, la surveillance médicale des écoles,
  • le service d’hygiène publique et les travaux scientifiques.

1 - Les consultations gratuites.

90 à 95% des autochtones, considérés comme indigents (100% dans l’oasis d’ln Salah), apprécient le service des consultations gratuites. Les chiffres, en hausse, se passent de commentaire si l’on considère que la population atteint le million d’habitants grâce à une démographie enfin positive. Le diagramme des examens et des soins montre est révélateur : 128.643 en 1918, 468.735 en 1931, 1.813.723 en 1944. Près de 3.000.000 de consultations et soins, en 1960, sont donnés dans les divers établissements sanitaires. Les enfants prédominent à 50%, le pourcentage des hommes et femmes s’équilibre.

Depuis 1945, chaque médecin dispose d’un véhicule, vielle Jeep, puis LandRover ou 2cv Citroën, ambulance Peugeot dans les grands centres, en remplacement du cheval et du chameau.

Des tournées médicales de visites et vaccinations ont lieu en tribus, régulièrement et aussi au moment des rassemblements saisonniers des nomades. C’était l’occasion de repas plus que frugaux chez les caïds, chefs de villages. Assis en tailleur sur un vieux tapis à même le sable, nous partagions un maigre couscous sans viande, un œuf, quelques dattes et du thé. Selon l’usage, nous nous efforcions avec le jeune officier interprète qui m’accompagnait de remercier notre hôte en émettant des rots au moins aussi sonores que les siens, suivis d’un ram’dullah reconnaissant.

À partir de 1951, six camions équipés en dispensaires circulent dans les localités dépourvues de poste de secours.

2 - Service hospitalier.

L’hospitalisation a été plus difficile à faire rentrer dans les habitudes des populations, surtout pour les femmes. Ne dépassant pas 1000 en 1918, le chiffre des hospitalisés avait à peine doublé en 20 ans.

Dès 1941, grâce à l’augmentation marquée du personnel féminin et des postes sanitaires secondaires, on va enregistrer un mouvement de hausse ininterrompu, passant de 3000 admissions en 1941 avec 55.000 journées de traitement à 15.000 admissions en 1960 et 245.000 journées. Mais il ne fallait pas s’étonner, après chaque hospitalisation, de trouver le soir une partie de la famille dans la chambre, campant à même le sol sur une natte et participant à la nourriture de leur malade, autour d’un kanoun (petit brasero de terre). Quelle ambiance, quelles odeurs épicées dans ces chambres à trois lits !

3 - Lutte contre les épidémies et fléaux sociaux

Plus encore que la médecine individuelle de soins, le Service de Santé a dû assurer ici, comme dans tous les pays sous-développés où il a œuvré de par le monde, une médecine collective, à la fois préventive et curative, de lutte contre les épidémies et fléaux sociaux. Cette action est demeurée prépondérante jusqu’en 1976. Car si les grands dangers permanents d’autrefois, variole, typhus, typhoïde, fièvre récurrente, syphilis, et paludisme ont été vaincus, l’endémie perdure. Seule la variole a été éradiquée grâce à la vaccination généralisée.

L’emploi depuis 1945 des insecticides chlorés, dits de contact et à pouvoir rémanent, (D.D.T. et H.C.H.) - bien qu’ils soient proscrits actuellement pour diverses raisons - a constitué une révolution dans la lutte contre les insectes et les ectoparasites : poux dans le typhus et la fièvre récurrente, moustiques dans le paludisme, phlébotomes dans les leishmanioses (bouton d’Orient), et mouches dans les affections oculaires et fécales.

a) - Le typhus exanthématique, endémique dans toute l’Afrique du Nord, a eu des manifestations graves dans les Territoires du Sud entre 1918 et 1924. Une explosion massive survient pendant la guerre, entre 1941 et 1946, concomitante d’une pandémie nord-africaine coïncidant avec la disette et les pénuries de savon et de vêtements. Vivant au Maroc, à Oujda en 1944, ma grand-mère a succombé au typhus comme beaucoup d’autres personnes. Au Sahara il Y eut près de 9000 cas et 2102 décès.

Plus un seul cas de typhus depuis 1951 en raison d’une désinsectisation massive et des vaccinations antérieures. De 1942 à 1945, 325.000 vaccinations furent effectuées.

b) - La fièvre récurrente à poux endémique, évolue entre 1944 et 1946 sous forme d’une pandémie nord-africaine avec, au Sahara, plus de 20.000 cas et 720 décès. À Oujda, après le deuxième bac, allant donner des cours à Saïdia, petite station balnéaire, j’ai été piqué par un pou que j’ai dû écraser, dans l’autocar qui m’y conduisait et ai contracté, dans les délais, l’affection dont le novarsénobenzol m’a guéri de justesse. Je rappellerai la découverte par Henry Foley et Edmond .Sergent à Beni Ounif, en 1908, du rôle du pou dans la transmission de la maladie, et pour la première fois au monde, du rôle du pou en pathologie humaine, l’évoquant aussi dans le typhus.

Le 28 janvier 1917, alors qu’Henri Foley venait de passer 7 mois sous la mitraille comme médecin-chef du 159 ème R.l à la bataille de la Somme, il reçoit l’avis officiel du prix « Monthoyon » de l’Académie des Sciences décerné pour ses travaux sur la fièvre récurrente et le typhus. Charles Nicolle obtiendra le Prix Nobel en 1928 pour les mêmes découvertes. Comme pour le typhus, même effet de la désinsectisation, plus de fièvre récurrente après 1951.

c) - La variole a provoqué d’importantes épidémies mortelles. Les dernières remontent à 1914-1920-1926. Les bouffées des années 1942 à 1948 à Biskra, El Oued, Djelfa et Timimoun se manifestent par 500 cas en 1945 et 200 en 1946. La courbe s’abaisse au voisinage de 0 en 1952, grâce aux vaccinations régulièrement pratiquées, groupement par groupement, après établissement rigoureux de listes d’individus par les Officiers des Affaires Sahariennes en liaison avec les caïds, chefs de village.

La prophylaxie demeure conditionnée par la nécessité du renouvellement de cette vaccination tous les cinq ans du fait de la durée assez courte de l’immunité en pays chauds. En 1942, 236.636 vaccinations sont effectuées simultanément avec celles contre le typhus, et en 1955, 242.291 vaccinations auxquelles j’ai participé dans mon secteur du Tidikelt.

d) - Les maladies vénériennes étaient répandues surtout la syphilis, en particulier chez les Touareg au matriarcat réputé pour ses cours d’amour très libres. Le taux de morbidité a bien baissé, grâce aux antibiotiques. Par contre, les gonococcies aiguës ou chroniques étaient fréquentes chez les nomades où persiste une plus grande liberté de mœurs, mais ils restaient persuadés d’avoir uriné contre le vent ! Il existe 26 dispensaires antivénériens, un par infirmerie, avec surveillance bihebdomadaire des prostituées. À ln Salah, j’étais assisté pour leurs soins par Djemaa, personnage qui en imposait mais dont l’identité sexuelle a toujours été un mystère. Souvent ces femmes se mariaient après avoir constitué leur dot, comme les prostituées des Ouled Naïl, plateau situé au nord de Djelfa. Elles me demandaient alors : « Babak, les papiers ». J’établissais une attestation de bonne santé pour le chef d’Annexe qui les mariait.

e) - Le paludisme a toujours revêtu un caractère endémique dans toutes les oasis, surtout celles hyper-irriguées comme Biskra, Touggourt et Ouargla. Dès 1918, une impulsion est donnée à cette lutte, étayée par les travaux du Dr Henry Foley à Beni Ounif de 1907 à 1914, mais aussi, riche des enseignements tirés de l’œuvre antérieure de Maillot sur la quinine, puis de l’action des Ors. Edmond et Étienne Sergent, dans l’Algérie du Nord et à l’Armée de Salonique en 1917.

Une aggravation survient pendant la guerre 39-45 par manque de quinine, de personnel et l’abandon de la lutte anti-Iarvaire.

De 1945 à 1953, de grandes réalisations sont reprises ou poursuivies : lutte anti-anophélienne au moyen des insecticides ; lutte anti-Iarvaire, surtout caractérisée par l’introduction des gambusias (petits poissons se nourrissant de larves de moustique) dans les oasis dès 1931 et par de grands travaux d’assèchement et de drainage. Ces derniers débutent par les petites mesures journalières d’évacuation de l’eau des jardins des palmeraies (les madjen) dans des canaux (les khandeks ), conduisant l’eau vers des lacs artificiels (les sebkha). Ces lacs, situés à plus de 5 Kms de l’oasis empêchent ainsi le retour des anophèles les plus sportifs et les plus téméraires ; lutte enfin anti-plasmodiale à l’aide des antipaludéens, quinine, puis nivaquine et flavoquine. Grâce à toutes ces mesures, on assiste à l’extinction du fléau.

Rappelons la découverte de l’hématozoaire du paludisme ( le plasmodium ) dans le sang des malades, à l’hôpital militaire de Constantine en 1878, par Alphonse Laveran, professeur agrégé du Val de Grâce, découverte qui lui valut le prix Nobel en 1907. Un autre médecin militaire, anglais, nobélisé aussi, Sir Ronald Ross, apporta la preuve de la transmission du germe par la piqûre de l’anophèle.

Le paludisme recule mais il n’est pas vaincu. Dès fléchissement de la lutte, dès modification du régime hydraulique local, un paludisme intense réapparaît, ainsi en 1944 à Beni Ounif et en 1953 dans le Mzab.

À propos de la lutte anti-paludéenne, permettez moi de signaler l’action de mon camarade de promotion le Dr. Jean Cousseran. Il fut l’élève du Pr. Harant, quand il était santard, détaché de l’École de Santé de Lyon à Montpellier. Après quatre séjours en Afrique où il oeuvrait au service des grandes endémies, il a été placé hors cadre à Montpellier comme directeur opérationnel de l’entente inter départementale pour la démoustication. Il en deviendra le directeur général succédant entre autres à mon éminent collègue, le Pro Jean Antoine Rioux, lui-même à l’origine du développement scientifique et technique de cet organisme.

Grâce à ces hommes et au travail permanent de leurs équipes sur le terrain, Montpellier et sa région vivent presque sans moustique. Souvenons-nous que l’on y mourrait encore de paludisme avant 1945. Le CHU de Montpellier recense actuellement une centaine de cas.

f) - La lutte contre les maladies oculaires reste primordiale au Sahara. Le trachome, conjonctivite granuleuse contagieuse des pays chauds due à un micro-organisme, demeure la plaie des oasis. Là, comme dans le monde entier, il s’avère être le grand responsable des cécités. Il frappe la majorité des populations sédentaires dès les premiers mois de la vie. En 1957, le pourcentage des élèves trachomateux variait de 50% à Laghouat pour atteindre 100% dans le Mzab. Les nomades, autrefois épargnés, sont touchés comme les ksouriens, avec souvent des complications plus graves.

Les conjonctivites bactériennes, en poussées épidémiques au début et en fin de saison chaude, ajoutent leur méfait au trachome. Il est fréquent de voir de jeunes enfants porteurs de grappes de mouches aux coins des yeux sans faire un geste pour les chasser.

La lutte anti-ophtalmique revêt de ce fait une importance majeure pour éviter les cécités. D’où l’intérêt des 135 dispensaires avec un infirmier assurant l’instillation des collyres et la mise en œuvre précoce du traitement lors des consultations des mères et nourrissons. Dans les écoles, tous les jours, les enseignants avec les infirmières mettent du collyre dans les yeux des enfants.

On relève un grand nombre d’interventions chirurgicales oculaires sur les registres d’infirmerie depuis 1941, 32.624, le plus souvent pour trichiasis : Il s’agit de la rétraction des paupières et des cils vers l’intérieur de l’œil par sclérose des conjonctives sous l’effet des granulations trachomateuses. Les cils frottent la cornée qu’ils opacifient, c’est la cécité. L’opération, simple, consiste à redonner aux paupières leur position initiale. J’avais formé un infirmier à cette technique, comme le faisaient mes confrères des autres oasis, et Madani réussissait aussi bien que moi.

La mission ophtalmologique saharienne, dirigée par une célèbre ophtalmologue des hôpitaux d’Alger, Melle Renée Antoine, élève du Pr Cange, du Val de Grâce, dont elle continuait l’action, effectuait deux à trois tournées annuelles de vingt jours. Elle contrôlait ou conseillait les médecins des oasis, et Melle Antoine, la toubiba, pratiquait les interventions dépassant leur compétence.

Depuis sa création en 1946, cette mission a 35.000 consultations et 3.300 interventions à son actif. Je tiens à souligner le dévouement de cette femme d’exception, décédée il ya quelques années en Arles.

g) - La tuberculose constituait le fléau le plus important après le trachome en 1962 et risquait de le détrôner du fait des bouleversements concernant l’immigration, le brassage des populations et la sédentarisation des nomades.

La seule prophylaxie efficiente, en attendant l’élévation du niveau de vie, résidait dans la vaccination collective au moyen du B.C.G. (bacille de Calmette et Guérin). Ce vaccin a été mis au point par le médecin-général Albert Calmette, ancien médecin de la Marine, puis de la Coloniale, alors directeur de l’Institut Pasteur de Lille, et son collaborateur Camille Guérin, vétérinaire et biologiste d’Alfort.

Calmette, comme beaucoup de médecins militaires bactériologistes, avait suivi à l’Institut Pasteur de Paris le grand cours du Pr. Emile Roux, ancien élève du Val de Grâce, puis adjoint de Pasteur. En 1890, Calmette montrait à ses camarades stupéfaits avec quelle facilité on peut trouver l’hématozoaire de Laveran dans le sang des paludéens. La méthode est simple actuellement. Mais, n’oublions pas que quelques années auparavant, en 1864, l’Académie des Sciences donnait officiellement raison à Pasteur en substituant la « théorie des germes » à celle de la « génération spontanée ». Pasteur enverra Calmette en 1890 créer l’Institut de Saïgon. Calmette avait aussi mis au point la sérothérapie antivenimeuse dont on se servait au Sahara.

C’est encore Albert Calmette qui fut chargé, en 1909, par Émile Roux, alors directeur de l’Institut Pasteur de Paris, de créer et diriger l’Institut Pasteur d’Alger, aidé du Dr Edmond Sergent. Ce dernier lui succèdera en 1912, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.

Après cette parenthèse, revenons à la tuberculose. De 1950 à 1956, la mission itinérante du Gouvernement Général de l’Algérie, avec la participation des 70 médecins militaires des oasis, effectuera près de 450.000 opérations de contrôle par l’intradermo-réaction à la tuberculine - et vaccinera par le bacille de Calmette et Guérin, près de 120.000 sujets de moins de trente ans.

En 1954, à ln Salah, cette opération terminée dans tous les ksour à majorité de Harratin, il restait à vacciner par le B.C.G. les femmes des commerçants arabes qui ne sortaient jamais. Elles s’étaient regroupées le soir chez l’une d’entre elles sur l’instigation du Caïd. À cette évocation, une image des mille et une nuits m’éblouit encore. En contraste avec la pauvreté des lieux, des tentures, des tapis, des coussins de toutes les couleurs, des robes chatoyantes, relevées de fibules et chaînettes, et les visages fardés, souriants, encadrés de pendentifs, étaient illuminés et mis en valeur par l’éclairage des lampes à pétrole et des bougeoirs au pied de cuivre. . ..un vrai Delacroix !

4 - Protection maternelle et infantile.

Aussi vieille que l’assistance médicale, elle-même, la protection maternelle et infantile s’est développée, dès 1927, avec la création de l’œuvre dite « des mères et nourrissons ». Toute mère présentant son enfant à la consultation bénéficie de secours en nature (lait, aliments, petits vêtements et savon). Les nourrissons en général en bon état physique, passent un cap redoutable lors du sevrage brutal, vers deux ans, avec alimentation d’adulte, mal équilibrée, d’où troubles digestifs, retard de croissance et carences.

En 1960, on relevait 70.000 consultations pour un chiffre de 10.000 nourrissons inscrits, permettant lors d’un contrôle mensuel, la vaccination antivariolique et le traitement du trachome.

En matière d’accouchement, il faut souligner la facilité avec laquelle les musulmanes ont fini par accepter le secours d’une sage-femme ou d’une infirmière et du médecin.

Ainsi, entre 1950 et 1960, ont été pratiqués près de 15.000 accouchements, soit dans les maternités soit à domicile. En deux ans à ln Salah avec les infirmières Aïcha, et Mina, nous avons mis au monde une quarantaine d’enfants, appelés en général pour des cas difficiles. Selon la tradition, les femmes accouchaient dans la maison paternelle, accroupies dans le sable et tirant sur une corde accrochée au plafond. Cette position, peut-être confortable pour la parturiente, l’était moins pour le médecin qui l’examinait à genoux, à la lumière d’une lampe à pétrole... Mais qu’importe, quand il s’agit de recevoir ce don de vie !

5 - Hygiène scolaire.

Le service d’hygiène scolaire, assuré par les médecins sahariens comporte les consultations et les soins quotidiens, en particulier pour le trachome. Dès la rentrée scolaire, une fiche médico-pédagogique est remplie, conjointement avec l’enseignant, puis sont pratiqués les examens de contrôle (cuti-réactions et radioscopies pulmonaires), la vaccination triple et les visites trimestrielles. Les directeurs des deux écoles communales d’ln Salah, originaires du Lot, m’aidaient dans cette tâche. Après chaque fête de circoncision, le Caïd nous envoyait en longues processions, les petits opérés tenant leur robe à distance pour la désinfection et les pansements d’usage. L’effectif des écoliers sous contrôle médical, de quelques centaines en 1918, atteignait 10.000 en 1947 et dépassait 20.000 en 1958.

6 - Hygiène publique.

Les médecins, membres de la commission municipale d’hygiène publique dans chaque oasis, donnent leur avis sur toutes les questions de salubrité : eau d’alimentation, évacuation des matières usées, habitat, et surtout mesures prophylactiques contre les épidémies, déjà envisagées, qu’il faut en permanence surveiller. En l’absence de vétérinaire, les médecins se chargent des visites sanitaires des viandes ainsi que de la surveillance des abattoirs et des étals de vente, car des nuées de mouches s’y agglutinent, insensibles aux mouvements nonchalants des éventails.

7 - Exploration scientifique du Sahara

Les médecins militaires ont apporté aussi une importante contribution à l’œuvre d’exploration scientifique du Sahara, et en particulier à celle entreprise par l’Institut Pasteur d’Alger. Sous la direction d’ Henry Foley, les travaux se sont multipliés pendant près de 60 ans. Ils embrassent les maladies humaines et s’étendent à l’anthropologie, la pathologie vétérinaire, la botanique et la zoologie.

Chaque médecin, à l’issue de son séjour, devait publier une étude historique, géographique et médicale de son secteur. Le Bulletin de Pathologie Exotique et les Archives de l’Institut Pasteur d’Alger reçoivent ainsi plus de 300 publications. J’ai pu puiser tous les renseignements de cet exposé dans ma propre monographie sur le Tidikelt, la synthèse faite par l’un des derniers directeurs des Territoires du Sud, le Dr P. Passager, et la belle thèse du médecin-lieutenant Jean-Luc Verselin (Lyon, 1992), sur « Les Toubibs sahariens ».

Et les maladies neuropsychiatriques, me direz- vous ? A l’époque, généraliste, j’ai examiné, une seule fois, un malade agité et délirant. Après interrogatoire de la famille, on apprenait qu’il s’était gavé de sauterelles grillées, plat apprécié lors des invasions de ces insectes orthoptères. À mon air ahuri, il me fut remarqué : « Et toi toubib, tu manges bien des crevettes ! ».

Or ces sauterelles avaient dévoré une plante réputée nocive, dont j’adressais un exemplaire au Laboratoire Saharien de l’Institut Pasteur. Celui-ci déterminait une solanacée, Hyoscyamus muticus Linné. Il s’agissait bien d’un état confuso-onirique toxique atropinique par la jusquiame, dont le diagnostic avait été fait avant moi, par l’infirmier-chef.


QUELQUES SOUVENIRS… MAINTENANT.

Le climat du grand désert restera toujours éprouvant (520 à l’ombre pendant quatre mois à ln Salah et Aoulef, les oasis les plus chaudes). Il imposait la séparation des jeunes ménages cinq longs mois, de mai à octobre : les femmes auraient trop souffert de la sécheresse torride et les enfants en mourraient. Les vents de sable soufflaient 200 jours par an.

À ce sujet, un épisode médico-légal m’a permis de constater le décès en plein été, de deux autochtones employés des pétroliers. Sortis de leur tente pour uriner, par fort vent de sable et sans visibilité, ils avaient négligé de tenir la corde fixée à leur abri, sécurisant fil d’Ariane. Ils furent retrouvés le lendemain, cent mètres plus loin, la peau collée aux os, momifiés.

Pendant cette période, on devait absorber 10 à 12 litres d’eau par jour, eau magnésienne, difficilement buvable ...même avec de l’anisette et encore plus avec le café. Pour nos jeunes enfants, il fallait faire venir des citernes d’El Goléa, filtrer l’eau, la faire bouillir et la battre pour l’aérer.

Sous le soleil « enragé », comme l’écrivait un Numide romanisé, le travail est exténuant, avec pour unique compensation, à certaines heures et certains jours, des spectacles exaltants. Ainsi, l’envoûtante couleur améthyste du plateau du Tadémaït, dominant ln Sai ah, au coucher du soleil. Aussi, ce coin de palmeraie du Ksar El Arab qu’ensevelit peu à peu la dune dévorante : on y voit encore, à demi enfouie, la maison de repos du Père de Foucauld. Ou encore, le puits artésien d’El Barka avec sa piscine d’eau glauque où se reflètent les palmiers aux couleurs changeantes et ses peignes de distribution à l’irrigation contrôlée.

Seul médecin pour les 20.000 habitants du Tidikelt Oriental y compris les nomades, et une dizaine de familles de militaires, enseignants et postiers, j’ai rarement au cours de mes tournées, pu m’asseoir sur une dune de sable et me dire, comme Saint-Exupéry « On ne voit rien, on n’entend rien. Et cependant, quelque chose rayonne en silence ».

Théodore Monod, du haut de son chameau, un sourire sarcastique aux lèvres, remarquait : « Je ne crois pas que la fréquentation des déserts favorise la vie spirituelle. En tout cas, on a du temps. On s’ennuie énormément à chameau. On ne peut pas lire. On peut méditer, réfléchir à beaucoup de choses, mais on pense surtout à des verres de citronnade et à des portions de camembert. » Quel humour grinçant pour un homme qui a consacré sa vie au désert après avoir effectué, en 1929, son service militaire dans les compagnies méharistes, à ln Salah.

Nous vivions dans des maisons en pisé. Le frigidaire à pétrole était souvent en panne ; le groupe électrogène de l’Annexe dispensait son courant de 20h à 22h, nous permettant d’écouter quelques classiques, mais aussi Sidney Bechet et les Platters. L’été, la chaleur excessive nous obligeait à dormir sur la terrasse. Dans l’attente du sommeil, la dérive des étoiles nous fascinait. Quelques vers du médecin général Edmond Reboul, scintillent dans ces nuits sahariennes.

Lorsque tombe le soir, une brume vermeille se dissipe au couchant. Le ksar, le minaret découpent leurs créneaux et Vénus apparaît dans l’ombre et la fraîcheur, le Sahara s’éveille.

Là- haut, à chaque instant, s’éclaire une merveille, un gracile croissant- un arc, un fil discret brille, et la voûte alors révèle son secret, le trésor d’une nuit à nulle autre pareille.

Tant d’éclats, de saphir, rubis et diamant jonchent désordonnés, l’immense firmament que le ciel s’illumine, étrange, énigmatique.

Nul ne peut déchiffrer ce cosmique Talmud, mais qu’importe à celui qui vint pour voir, mythique, dans la nuit du désert, monter la croix du Sud.

Après le rêve, le labeur reprenait chaque matin. Mais quel réconfort que la reconnaissance des autochtones témoignant leur gratitude envers les médecins par une complète confiance et leur amitié. Après chaque visite à domicile, il fallait boire les trois verres rituels de thé à la menthe, les deux premiers appréciés, le dernier très fort.

Une anecdote à ce sujet : à la consultation, hommes et femmes venaient souvent se plaindre d’une gêne épigastrique (la kerchite) qu’ils attestaient par un mouvement de battement de l’index devant leur estomac. Je n’en compris la cause que lorsque je fus moi-même victime de palpitations identiques liées à l’excès de théine. À partir de ce moment, il fut convenu que je boirais seulement le premier verre de thé.


CONCLUSIONS.

Que s’est-il passé après 1962 ?

Après une période de transition émaillée d’incidents, un protocole d’accord entre l’Algérie et la France consacre en 1963 la Mission Médicale française au Sahara : elle assure la continuité de l’action sanitaire, entreprise depuis 1900, avec un effectif de 71 médecins militaires fiançais.

En 1976, les relations entre la France et l’Algérie se dégradent, et le gouvernement français rapatrie définitivement tous les membres du service de santé. La mission saharienne s’achève dans l’amertume et l’ingratitude. Son médecin-chef conclut sur une note moins sombre : « Le jeune médecin saharien fournira, comme son confrère de la brousse, une image vivante à cette pensée de notre grand ancien, le baron du Premier Empire Percy : le secret le plus sûr et le plus noble pour résister à la tentation de haïr les hommes, c’est de se condamner généreusement à leur être toujours utile. »

De retour au Sahara en voyage organisé en 1988, 33 ans après notre séjour dans le Tidikelt, avec mon excellent et vieil ami, le Dr. Henri Duboureau, ancien médecin d’Aoulef - notre complicité s’était soudée sur le reg entre nos deux oasis -, nous nous sommes arrêtés à ln Salah. Le téléphone arabe avait fonctionné ... nous fûmes invités avec nos épouses, à boire le thé dans la famille de mon ancien infirmier-chef Si Chérif. Quelle émotion de retrouver dans sa maison toute l’équipe ancienne d’infirmières et infirmiers !

Quel coup au cœur quand il m’assena avec fierté : « Ton fils est médecin » ! Troublé un bref moment, regardant à la dérobée mon épouse et mes amis, je me rappelais avoir accouché sa femme d’un garçon : il était ainsi, selon la coutume devenu « mon fils ».

Après des études primaires locales, secondaires à El Goléa puis à la Faculté d’Alger, il exerçait à ln Salah. Quel regret de n’avoir pu m’entretenir avec lui ! Il visitait ce jour-là, les petites oasis voisines, comme je le faisais après bien d’autres médecins, plus de trente ans auparavant. La relève était assurée…

Il faut insister avec le Dr. Edmond Sergent, sur l’œuvre salvatrice accomplie en quelques lustres par l’admirable corps des Officiers des Affaires Sahariennes - aux multiples fonctions municipales - et par celui éminent des Médecins militaires.

Cette œuvre magnifique et exaltante constitue, pour la France, un titre imprescriptible de gloire. Mais cette œuvre fut dure. À la longue liste des médecins morts d’épidémie, il faut ajouter pour la période de 1918 à 1950, les noms de cinq médecins victimes du typhus, ou de fièvre récurrente.

Avant de terminer cette description, soulignons, à nouveau, qu’il s’agit là d’une infime partie de l’œuvre humanitaire accomplie par les médecins militaires et en particulier ceux de la coloniale, à travers les cinq continents. Véritables premiers médecins du monde et premiers médecins sans frontière, ils ont exercé leur sacerdoce avec passion et dévouement, dans la plus grande discrétion, depuis plus d’un siècle et dans des conditions très difficiles, souvent au péril de leur vie. 500 sont morts victimes du devoir.

Actuellement encore, les jeunes médecins militaires sont engagés, dans le cadre des opérations extérieures, en Europe Centrale et en Afrique, où ils poursuivent malgré les guerres, l’action humanitaire du Service de Santé des Armées, et tout récemment en Asie du sud-est, avec les équipes médico-militaires et de protection civile.

Le 21 juin 1962, dix jours avant que le drapeau français ne soit définitivement amené sur tout le territoire algérien, et à l’occasion de la remise de la médaille Manson à Edmond Sergent, Dr de l’Institut Pasteur d’Alger, Sir Georges Mac Robert, président de la Britannic of tropical and Royal Society, devait déclarer : « Je tiens à saisir cette opportunité pour rendre hommage à la France qui a joué un rôle primordial dans les progrès de la médecine tropicale dans les pays chauds et plus particulièrement en Afrique. Nous devons saluer les sacrifices accomplis par des générations de Français en Algérie. Ils n’ont jamais cessé de travailler à l’amélioration du sort de l’homme et des animaux, et l’Institut Pasteur d’Alger a brillé comme un phare au-dessus des ténèbres de l’Afrique ».

J’y ajoute, c’était implicite, l’action des médecins, infirmiers, pharmaciens, vétérinaires, scientifiques, enseignants et des cultivateurs qui ont défriché des terres insalubres.

Pour que cette œuvre de bien ne reste pas vaine, formulons le souhait que toutes les ONG s’unissent et se structurent dans la continuité, au niveau européen et mondial, en un Corps de Santé Universel. Les catastrophes récentes justifient cette nécessité.

L’auteur de cet article, fier du Service de Santé Militaire, fier de ses deux Ecoles, et de leur devise : • pour Lyon, « Pro Patria et Humanitate », (pour la Patrie et l’Humanité), • pour Bordeaux, « Mari transve mare hominibus semper prodesse » (sur mer et au-delà des mers toujours au service des hommes), tenait à rendre un vibrant hommage au Corps de Santé militaire pour son action humanitaire, et à tous ceux qui ont porté au plus haut l’humanisme de la France, souvent si dénigré, mais jamais égalé.


L’AUTEUR.

Le Professeur André Savelli est né en 1927 à Rabat de parents originaires de Blida et Oued El Aleug.

C’est l’aîné de 7 garçons, il fait ses études secondaires à Rabat. Il entre à la Faculté de Médecine d’Alger en 1945 puis à l’Ecole du Service de Santé de Lyon.

Il passe sa thèse à Alger sous la direction du Professeur Benbamou puis exercera deux ans comme médecin militaire à ln Salah avant de rejoindre le 1er RTA et l’hôpital Ducros à Blida. En 1961 il sera chef du service neuro-psychiatrique de l’Hôpital Maillot à Alger puis sera nommé Professeur Agrégé au Val de Grâce.

Par la suite il fut Maître de Recherches à l’INSERM puis directeur de l’UER de psychologie à la Faculté des Lettres de Montpellier et Chargé de cours de Criminologie Psychiatrique à la Faculté de Droit. Il est l’auteur d’une centaine de publications en psychopathologie.

Il est Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier de l’Ordre National du Mérite et membre de l’Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier.

8 Messages de forum

  • bonjour,

    Je voulais juste savoir si vous connaissez un certain docteur "LEBARBU", qu est été aussi medecin dans le sud Algerien a Touggourt... qui exerce par la suite comme medecin c a l’hopital de val de grace, jusqu a sa retraite...

    cordialement...

  • Merci, Monsieur Savelli pour ce voyage dans l’histoire de ma ville, In-Salah. Né en 1956, je suis sûrement passé entre vos mains, mon père, un ami de feu Cherif, ne plaisantait pas avec la santé de ses enfants.

    Bien après vous j’ai travaillé à l’hôpital d’In-Salah, j’ai peut-être même occupé votre bureau... Comme vous j’ai vacciné les enfants, soigné des vieillards et accouché des femmes. Je n’ai aucun mérite, les moyens dont je disposais étaient de très loin plus important que ceux qui étaient disponibles dans les années 50. Le taux de mortalité infantile a énormément baissé et l’espérance de vie dépasse aujourd’hui 74 ans.

    J’ai connu Chérif, Aicha, Bankour et Touta, notre "ASH".

    Bien à vous.

    • Cher Monsieur Majid,j’ai lu votre appréciation qui me rappelle les deux années (1953-1955)de travail et de bonheur passées à In Salah.J’avais inauguré en 1954 le premier hôpital en dur situé en haut de la place dite des chameaux.J’ai oeuvré avec Si Cherif,dont j’ai mis au monde un fils qui a été médecin à In Salah vers 1986.Il était aidé par Aïcha, Mina et Madani. Une amitié réciproque nous liait. Merci de votre témoignage.André Savelli

  • Le service de la Santé des Armées dans les territoires du Sud algérien. 27 août 2010 18:18, par Emile Schmitt- retraité- sarthe

    Bien que tardivement, je lis, avec un certain plaisir et intérêt, cet article, car mon père a fait parti de ce corps médical, en tant qu’infirmier major, à l’hôpital Ducros de Blida. Je le revois encore prodiguer des soins aux gens du quartier quand ceux-ci venaient le lui demander. Peut-être que le professeur SAVELLI l’a rencontré dans cet hôpital, aujourd’hui disparu, de Blida. En tout cas merci pour le récit de mémoire et l’oeuvre accompli là-bas.

    • Monsieur Schmitt,je n’ai pas le souvenir de votre père.En rentrant du Sahara,j’ai été affecté au 1er RTA à Blida , médecin-chef du régiment opérationnel.En 1957-1958,j’ai assuré le sevice de médecine de l’hôpital Ducros et j’ai pu apprécier,en ces périodes difficiles,le travail des Infirmiers -majors . Merci par ce témoignage de rappeller la mémoire de votre père.André Savelli

  • Je viens de lire votre article et elle me touche beaucoup, j’ai particulièrement aimé la brève citation du médecin chef « … le secret le plus sûr et le plus noble pour résister à la tentation de haïr les hommes, c’est de se condamner généreusement à leur être toujours utile. »Merci pour cette fabuleuse mémoire…abri piscine

  • Bonjour,j’interviens tardivement.j’ai connu a St. Raphaël (83700) ou j’étais orl un cardiologue Savelli,avez vous un lien de parenté’ ? Avez vous des origines corses(Balagne) merci


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