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- Un jeune enseignant français en Grande Kabylie 1958-1973. (2e partie).
- L’essentiel du témoignage se déroule à l’école primaire puis au CEG d’Azazga
Chapitre IV. L’école de garçons d’AZAZGA. (1966-1968).
J’allais donc quitter Bouzeguene avec regret, mais d’un autre côté, avec un certain soulagement, car la fonction de directeur devenait, au fil des ans, de plus en plus pesante et sensible surtout pour un coopérant français.
En effet, j’éprouvais parfois une véritable gêne, voire même un malaise lorsque, après avoir réuni les parties en conflit, je devais régler un problème qui, certes, était de mon ressort, mais m’obligeait à prendre position puis à trancher un différend mettant en cause des rapports délicats entre Algériens, allant parfois jusqu’à opposer arabisant et francisant.
En septembre 1966 je suis donc nommé à l’école de garçons d’AZAZGA. Notre directeur, Monsieur Rabia Mohand, également principal du collège, m’a désigné d’office pour enseigner en classe de CM2.
C’est évidemment une responsabilité puisque ces maîtres doivent préparer leurs élèves à l’examen d’entrée en 6e et présenter les plus âgés au certificat d’études en même temps qu’au CET (collège d’enseignement technique) alors dirigé par Monsieur Bouadi Said.
Je retrouve comme convenu mon collègue des Aghribs Monsieur Xavier Delcouderc avec qui je travaille en équipe puisqu’il exerce aussi en cours moyen 2ème année. La plupart des classes sont encore tenues par des enseignants français comme Monsieur Jean-Marie Supiot qui, lui, effectue alors son service national au titre de la coopération. Nous trouvons aussi Madame Yvette Hermosilla chargée des CE1-CE2 dont le mari, médecin espagnol, est responsable de l’AMG (Assistance Médicale Gratuite) ainsi que Monsieur Alain Maréchal.
Nous avons aussi quelques collègues algériens, tel Monsieur Youcef Menguelti et des enseignants arabisants : Monsieur Brahimi et Monsieur Bellabas exerçant sous le contrôle et la compétence de Monsieur Larbi Lounis le conseiller pédagogique en langue arabe. C’est donc une nouvelle équipe qui se met en place.
En effet, les instituteurs français nommés jusqu’à présent soit en primaire, soit en collège et notamment Mr et Mme Émile Fortin, Mr Jean-Claude Servais, Mr Giraud, la famille Pejoan ont demandé leur changement afin de pouvoir scolariser leurs propres enfants dans des écoles de l’office culturel français à Tizi-Ouzou ou, pour les plus âgés, au lycée Descartes à Alger comme c’est le cas de Mr Jean-Jacques Galland, l’ancien conseiller pédagogique en langue française. Il est remplacé par Mr Jean-Claude Lacoste dont l’épouse est encore directrice de l’école de filles et qui a elle-même succédé à Mlle Josiane Lubrano que j’avais rencontrée une ou deux fois au cours des années 1960-1961 si mes souvenirs sont exacts.
Si à Bouzeguene j’avais des relations assez régulières avec la population, à Azazga par contre, je n’ai pratiquement aucun contact avec les parents d’élèves hormis Mr Boukais Said que je connais déjà et qui a son fils Hocine dans ma classe ainsi qu’avec Mr Mensous Hamid. Ce dernier suit de près la scolarité de ses enfants et notamment, à l’époque, de sa fille Sadia susceptible d’être admise en 6e à la rentrée prochaine. Je le rencontre régulièrement puisqu’il tient en ville une petite épicerie où je vais régulièrement m’approvisionner. Aux beaux jours en général, lorsque le temps le permet, assis sur le seuil de sa boutique dans de confortables fauteuils qu’il met à la disposition de ses fidèles clients, nous bavardons longuement.
Aussi, n’ayant plus de responsabilités administratives ni pédagogiques, je me consacre entièrement à ma classe et je profite de mes moments de loisirs pour découvrir davantage cette magnifique contrée. Je parcours à plusieurs reprises la célèbre forêt de Yakouren où les singes, chassés lors des évènements, commencent à réapparaître. Au retour il m’arrive de croiser, au lieu dit « Fontaîne fraîche », notre directeur lisant tranquillement « Le Monde » au volant de sa 403 verte la célèbre S 24 AH !!!.
Je visite également les villages environnants d’où sont originaires une partie de nos élèves : Fréha, Cheurfa, Les Aghribs. J’ai même envisagé un moment l’ascension du Tamgout, point culminant de toute la région, mais il m’a été déconseillé de partir seul et personne n’a voulu m’accompagner…
Avec quelques collègues nous nous rendons parfois à Port-Gueydon (aujourd’hui Azzefoun), petite ville côtière située à une trentaine de km d’Azazga où, de temps en temps, nous avons le plaisir de déguster d’excellents loups ou bars ainsi que quelques rougets grondins pêchés le matin même et préparés avec soins par le patron du restaurant.
À cette époque l’ensemble des Français d’Algérie originaire d’ Azazga a quitté la ville hormis les Pères Blancs qui resteront encore quelque temps ainsi qu’une personne seule, déjà âgée, Mademoiselle Champetier dont le domicile est situé en face de l’hôtel des Touristes alors tenu par Mr Messaoudène Tahar. Nous allons, Mr Coz et moi, accompagnés parfois d’amis algériens nous désaltérer dans ce bar qui affiche régulièrement chaque jour sa nouvelle carte à l’entrée de l’établissement. Nous pouvons alors apprécier la fameuse « 33 » qui fait également le bonheur et la joie des autres consommateurs. Il nous arrive fréquemment d’ailleurs de dîner seuls ou en compagnie de collègues kabyles. Parfois, lorsque les clients sont peu nombreux, le patron, après avoir clôturé sa comptabilité journalière et fermé le restaurant, se joint à notre petit groupe et nous terminons la soirée par une série de « 4-21 ». Il faut bien avouer qu’à Azazga, en dehors du bar, il n’y avait pas beaucoup d’animation ni de distraction pour un Européen... Par la force des choses, je suis ainsi amené à consulter, à deux reprises, pour quelques embarras gastriques dûs certainement à de petits excès de jeunesse, le docteur Mahmoud Mettouchi qui, par un traitement efficace et bien adapté à mon cas, me remet sur pied en moins de 48 h, au grand soulagement de Monsieur Rabia !
Nous nous rendons également, tous les quinze jours en général, à Tizi-Ouzou pour y rencontrer des collègues coopérants « descendus » eux aussi en ville. Il nous arrive alors de nous attarder « Chez Bob », le café-restaurant exploité par Mr Bouzar, personnage très sympathique, toujours élégamment vêtu et avec lequel j’aime beaucoup discuter. Lorsque je suis seul, je déjeune au « Bagdad » où je croise quelquefois Mr Azzam et Mr Amellal, l’Inspecteur des cantines scolaires accompagnés par un jeune fonctionnaire de l’Inspection Académique et qui m’avaient rendu visite à Bouzeguene en mars 1965.
Voilà maintenant deux ans que j’exerce à l’école de garçons d’Azazga. Mr Jean-Marie Supiot qui a terminé son service national, mais ne souhaite pas prolonger son engagement décide de rentrer en France. De leur côté, Mme Hermosilla et Mr Delcouderc quittent également leur poste pour rejoindre Tizi-Ouzou afin de scolariser leurs enfants à l’école de l’Office.
Vers la mi-juin, au moment où, en France, les grandes grèves prenaient fin, Mr Rabia m’informe qu’à la prochaine rentrée je serai nommé au collège d’Azazga. Je suis totalement surpris par cette décision et comme j’hésite à accepter ce poste que je n’ai pas sollicité, il me répond : « Nous manquons actuellement d’enseignants qualifiés dans le secondaire et principalement en mathématiques ; j’ai consulté votre dossier à l’Inspection et je sais que vous remplirez parfaitement et convenablement cette fonction. Il ajouta pour clore la discussion : « De toute façon le primaire sera entièrement algérianisé d’ici peu et vous n’y aurez plus votre place. »
J’ouvre ici une parenthèse pour indiquer que l’enseignement primaire a été totalement arabisé au milieu des années 80 ainsi que l’enseignement secondaire qui ne compte plus que quelques rares sections bilingues. Le français est cependant enseigné dans ces deux cycles comme langue étrangère. Mais peut-être les choses ont-elles évolué depuis…….
Je mets donc à profit mes congés d’été pour me documenter et faire l’acquisition de trois ouvrages qui, à l’époque, faisaient référence en la matière et que j’utiliserai pour dispenser mes cours en 4ème et en 6ème : le Monge et Guinchan ; le Maillard ; le Bossé Hemery.
Chapitre V. Le collège d’AZAZGA. (1968-1972).
Le dimanche 22 septembre 1968, les cours reprennent le 23, je quitte donc le logement que j’occupe depuis mon arrivée en ville à côté du bureau du directeur pour emménager dans un appartement situé dans l’enceinte du collège et que je vais partager avec trois autres coopérants français : Mr Denis Coz, Mr Henri Bernardin et Mr Beaupère qui effectue, comme Mr Supiot, son service national. Monsieur Rabia Mohand, le principal ,me présente les autres enseignants qui travaillent déjà dans l’établissement : Mr et Mme Guy Champy (mathèmatiques) ; Mr et Mme Domerc (français et allemand) ; Mme Colette Maréchal (français) et son mari Alain (sciences) ; Mme Bodin dont le mari Yannik enseigne au CET. Je rencontre aussi quelques collègues algériens : Mme Kaci-Chaouch, Mr Amara Mourad (mathématiques) et Mr Zaïdat Méziane le sympathique professeur d’éducation physique. Par la suite arrivera un couple de coopérants belges Mr et Mme Berger puis au cours de l’année 1970-1971 Mr Rouchoux qui enseignera, je crois, l’anglais et le français après le départ de Mr et Mme Champy pour Tizi-Ouzou où leurs enfants seront, eux aussi, scolarisés à l’école de l’office et enfin deux couples Mr et Mme Joseph puis Mr et Mme Lamperti.
Je fais aussi connaissance avec le personnel administratif : Mr Haddar Hamid le surveillant général, Mr Sahi Arezki le secrétaire du directeur, ainsi que de Mr Bitam l’économe du collège puis, par la suite, de son successeur Mr Oussaidène secondés efficacement dans leur tâche par Mr Boukersi. Je sympathise également avec les surveillants et les maîtres d’internat lesquels assument leur fonction le plus sérieusement possible. Malheureusement, j’ai complètement oublié le nom de la majorité d’entre eux. Seuls me reviennent en mémoire ceux de Mr Baleh Lounès et de Mr Hammadouche hélas, aujourd’hui, tous deux décédés si mes informations sont exactes, sans oublier toutefois Mr BENGHAZI Madjid et Mr BOUMAZA Idir que je connaissais plus particulièrement. Enfin, je rencontre à plusieurs reprises, Mr Chérif Rabah notre nouvel inspecteur, homme discret et pondéré, mais surtout fin pédagogue.
Un peu plus tard, je prends contact avec les coopérants arabisants venus principalement d’Égypte, de Syrie, de Jordanie et même de Palestine tel Mr Askari Riad qui, par la suite, prendra la nationalité algérienne. Toutefois, comme aucun d’eux ne parle français mais que quelques-uns peuvent s’exprimer dans la langue de Shakespeare, c’est en général Mr Coz, professeur d’anglais,qui, au début, sert d’interprète pour faciliter les échanges et permettre une meilleure communication entre nous.
De même, lorsqu’un enseignant oriental veut entrer en rapport avec le directeur d’origine kabyle qui, paraît-il, ne comprend pas l’arabe classique, il s’adresse en anglais, toujours à Mr Coz lequel traduit sa requête en français au chef d’établissement puis attend la réponse de ce dernier pour enfin la transmettre en anglais à l’intéressé !!! Quelle simplicité pour se faire comprendre !...
Aussi, malgré leur bonne volonté, il semble néanmoins que certains de ces enseignants éprouvent quelques difficultés à se conformer aux programmes algériens en se distinguant dans l’art et la manière de transmettre le savoir, car il s’agit, comme pour le français, de mettre en œuvre des moyens appropriés permettant de faire acquérir à l’enfant, dans des délais réduits, la capacité de communiquer normalement et couramment dans une langue qui lui est étrangère. En effet, lorsque je fais cours et que dans la salle attenante se déroule une séance en langue arabe, on a parfois l’impression que tous les enfants, alors passablement agités, s’expriment en même temps et qu’il s’agit plus d’une prière collective que d’une véritable leçon ce qui, en général, perturbe bien ma propre classe. La semaine suivante, lorsque j’ai ces mêmes élèves en mathématiques et que je leur demande ce qu’ils ont bien pu retenir de leur cours d’arabe, ils me répondent presque invariablement : « Rien ! on s’est bien amusé !... Ça ne nous intéresse pas…..On ne comprend pas ce qu’il dit ! »
Comme on le voit, la communication est loin d’être une chose simple et aisée. Dès le lendemain de l’indépendance, l’Algérie nouvelle a inscrit, au nombre de ses options fondamentales en matière d’éducation, l’arabisation de l’enseignement. Les jeunes algériens apprennent désormais l’arabe classique ou littéraire devenue langue nationale et officielle plutôt que l’arabe dialectal pourtant davantage parlé et utilisé dans le pays à l’exception de certaines régions, notamment de la Kabylie dont la langue maternelle des habitants n’est certes pas l’arabe mais, depuis la nuit des temps, le tamazight, le berbère. À ce sujet j’ai relu récemment quelques articles de la constitution algérienne de 1996 qui reconnaît « l’amazighité » comme composante de l’unité nationale au même titre que « l’arabité » et « l’islamité ». Mais il me semble que la langue tamazight reste sur le terrain purement culturel. Son enseignement, obtenu à l’arraché après une longue grève des écoles (je pense que c’était en 1994 ou 1995 ?), demeure facultatif et limité. Souhaitons que depuis les choses se soient améliorées.
Je viens d’ailleurs de retrouver, en classant mes archives, une jolie carte postale représentant un village kabyle perché dans la montagne que m’avait adressée, en 2001, un ancien élève et qui, après m’avoir décrit son quotidien en Algérie et parlé de son « irresistible » envie de rejoindre la France, terminait sa lettre par ce slogan écrit en tamazight : « Assa, azekka,Tamazight tella, tella ! » « Aujourd’hui, demain, la langue berbère vivra ! »
Cela n’empêchera donc pas, peu après l’accession de l’Algérie à la souveraineté nationale, certains dirigeants ou privilégiés du régime ayant probablement quelques inquiétudes et de sérieux doutes, quant aux résultats escomptés sur les bienfaits de l’arabisation à outrance, d’envoyer leurs propres enfants s’alphabétiser et s’instruire dans des établissements étrangers et principalement en France !!
Car dans les années 65-70, le français, langue véhiculaire de la pensée scientifique et technique moderne, est, par le fait de l’histoire, un outil irremplaçable du développement économique et social de l’Algérie, une condition du rayonnement international de ce pays en Afrique. Il n’en reste pas moins que cet enseignement du français se heurte à un certain nombre de difficultés et que l’on peut être légitimement tenté de penser que le gain quantitatif a pour contrepartie un sensible fléchissement qualitatif. Au nombre de ces difficultés, il y a, bien sûr, la diminution des horaires de l’enseignement en langue française ramenés à 15 h de la deuxième à la quatrième année, et à 20 h, en cinquième année et sixième année ; encore faut-il rappeler que dans ces horaires se trouve incluse la part, non diminuée, du calcul, de la géographie, et des exercices d’observation, ce qui limite d’autant la part réservée à l’enseignement de la langue elle-même.
En septembre 1968, le directeur, Mr Rabia me désigne donc pour enseigner les mathématiques en classe de quatrième et en classe de sixième. Comme dans l’enseignement primaire, je travaille en équipe, mais cette fois avec Mr Amara qui a également en charge des 4èmes. Nous organisons régulièrement des contrôles communs ce qui permet à nos élèves de suivre la progression de chacune des classes et de favoriser, par la même occasion, une certaine émulation entre elles. Parfois, certains élèves viennent me trouver pour se plaindre de la difficulté des exercices proposés. Après avoir écouté leurs doléances, je leur réponds : « Voyez-vous les enfants, dans la vie, si vous voulez progresser, aller de l’avant, il faut se heurter à tous les obstacles. Si on ne fait que ce que l’on aime, sans faire aucun effort, sans réelle motivation, on n’avance pas, on piétine, et il arrive même que l’on recule. Et bien en mathématiques, il en est de même. Oui, aujourd’hui, vous n’avez pas bien réussi votre exercice, mais lorsque, par la suite, vous rencontrerez des cas semblables, alors vous surmonterez l’épreuve avec aisance… et peut-être même que vous viendrez me remercier !!!! »
Je ressens chez la très grande majorité de ces adolescents l’envie de bien faire, de réussir malgré les problèmes de toutes sortes auxquels ils sont confrontés chaque jour. Toutefois, nos élèves internes, contrairement à leurs camarades externes, ont la chance de pouvoir bénéficier d’études surveillées et contrôlées par des maîtres d’internat qui eux-mêmes, bien souvent, préparent des examens. Aussi les effets bénéfiques ne manquaient-ils pas de se faire ressentir sur leurs propres résultats scolaires. Il faut dire, en effet, que beaucoup de nos élèves proviennent de familles illettrées ou presque illettrées et dans lesquelles on ne parle que rarement sinon pas du tout français à la maison. En plus de cela, leurs parents n’ont, pour la plupart, aucune idée des obligations scolaires auxquelles leurs enfants sont assujettis. De ce fait, ils ne s’occupent guère des leçons que ceux-ci doivent apprendre ni des devoirs qu’ils doivent rédiger étant en général, eux-mêmes, dans l’incapacité de les contrôler.
La poussée démographique se faisant sentir, la construction de nouvelles classes s’avère nécessaire ainsi que l’aménagement de ces différents locaux car, en plus de la pénurie de mobilier, le problème de l’internat vient s’ajouter aux préoccupations, déjà nombreuses, dans ce domaine.
En effet, le CEG est conçu en principe pour 110 élèves internes alors qu’actuellement (en 1968-1970) ce même établissement en abrite plus de 320. C’est ainsi qu’à la rentrée 70-71, le directeur a dû créer une classe de seconde dans un bâtiment qu’il a aménagé à cet effet, mais nombreux sont encore les élèves qui sont encore dans l’obligation d’attendre l’achèvement du lycée prévu, en principe, pour la fin de l’année 1970. La construction de cet établissement s’avérait indispensable. À deux reprises je le visite en compagnie de Mr Rabia et de plusieurs enseignants dont Mr Amara. Situé à environ 150m de la ville et construit sur un terrain d’une superficie de 4 ha, il aura une capacité d’accueil de plus de 1000 élèves et comprendra, outre les locaux administratifs et les logements du personnel, un foyer, des stades et un réfectoire d’environ 900 m2.
Chapitre VI. La dernière année au collège d’AZAZGA. (1972-1973).
Voilà maintenant 5 ans que j’enseigne au CEG. De nombreux mouvements se sont produits parmi le personnel. Arrivé en janvier 1968, Mr Amara Mourad, devenu un ami avec lequel j’entretiens toujours une correspondance, nous quitte en juin 1971 pour assurer à la rentrée suivante l’intérim de direction d’un collège à Maillot. Il reprendra ensuite son poste à Azazga et obtiendra finalement en 1973 sa mutation pour un autre établissement.
Afin d’apporter notre concours à la formation accélérée des moniteurs et des instructeurs, nous sommes tenus de leur assurer le jeudi matin, jour de congé (je ne me souviens plus si c’était toutes les semaines ou tous les quinze jours) des cours de soutien portant sur les matières essentielles. J’ai d’ailleurs retrouvé dans mes archives les devoirs de mathématiques (niveau 4ème) corrigés, mais non réclamés de deux enseignants : Mme Dinar Fatima de l’école de Mekla et Mr Brahmi El Hachemi de l’école d’Aït-Aïcha. J’espère simplement qu’ils auront accompli une belle carrière dans l’Éducation Nationale.
Vers la fin mai 1973, je constate que Mr Rabia semble particulièrement soucieux. Comme je suis assez libre avec lui et que nous avons souvent l’occasion de bavarder ensemble (il lit régulièrement « Le Canard Enchaîné » auquel je suis abonné et je suis son fournisseur attitré de fume-cigarettes !), je lui demande ce qui peut bien le préoccuper.
« Voyez-vous Sahut, me dit-il, nous sommes en train de préparer les passages en seconde et je vais encore avoir des empoignades avec les parents d’élèves qui ne veulent pas envoyer leurs enfants dans des classes arabisées !...Vous connaissez les Kabyles depuis le temps que vous êtes là…et vous savez très bien ce qu’ils pensent de tout cela… » puis il enchaîna rapidement « Comme parent, je les comprends, mais en tant que chef d’établissement je suis bien obligé d’appliquer les textes et les circulaires ministérielles ; on doit faire passer en seconde arabisée un tiers environ d’une classe de troisième…Vous imaginez la situation ! » et il ajouta avec son air sérieux et son sourire inimitable : « Et puis,si cela continue, avec Coz, vous viendrez m’apporter des oranges à Oued-Aïssi !!! (Centre psychiatrique situé à quelques kilomètres de Tizi-Ouzou.)
Effectivement, les élèves admis dans ces classes étaient en général d’un niveau assez faible, mais si, par contre, un enfant, malgré ses difficultés dans l’ensemble des matières, obtenait par exemple de bons résultats en mathématiques, la commission préférait l’orienter vers une section où le français restait encore dominant dans les épreuves scientifiques. En effet, dans ces classes bilingues, la littérature, l’histoire, la géographie étaient certes enseignées en arabe, mais les mathématiques, les sciences naturelles, la physique, la chimie se faisaient toujours en français contrairement à la seconde arabisée où ces mêmes disciplines étaient désormais transmises en arabe.
Il convient de souligner à cet égard que le rejet de la langue française comme symbole de « l’aliénation coloniale » s’est avéré un frein certain au développement de l’Algérie. Aussi, réjouissons-nous de la tendance actuelle à considérer le français comme « butin de guerre » et de la nouvelle réforme de l’école algérienne qui devrait peut-être permettre au français de retrouver la place qui fut la sienne dès la deuxième année du primaire...
D’ailleurs, le président Boumedienne le reconnut implicitement lorsqu’il reçut à Alger une délégation d’industriels français « Cette guerre avec la France nous a coûté très cher, elle nous a coûté 60000 spécialistes français d’Algérie qui nous manquent cruellement aujourd’hui pour faire décoller notre pays sur le plan économique. »
Au début de l’année 1973, Monsieur Rabia me transmet, ainsi qu’à d’autres coopérants dont Mr Coz et Mr Bernardin, une lettre datée du 22 janvier 1973 dans laquelle Mr Zerhouni, directeur des personnels enseignants et administratifs, nous informe que dans la cadre de l’algérianisation de la fonction publique (mais certainement aussi en raison de la progression constante de l’arabisation), nos contrats, conformément à la convention du 8 avril 1966, ne sont pas renouvelés. Il nous remercie toutefois pour notre coopération. Dès cet instant, je prends aussitôt contact avec l’Inspection Académique de l’Essonne à Evry, mon département de rattachement, afin de demander ma réintégration et participer au « mouvement » prévu pour fin mai 1973.
En attendant, les cours se poursuivent normalement. Cependant, à l’approche de la fin de l’année scolaire, la tendance s’accélère, car, pour ma part, je tiens absolument à terminer le programme. En parcourant mon registre de notes et de préparations, on peut découvrir à la date du mardi 5 juin 1973 : contrôle et évaluation de géométrie (en liaison avec la classe de Mr Amara) : Sujet :1 heure .Niveau 4ème : Soit un cercle de centre O,AOB et COD deux diamètres perpendiculaires. Soit F un point situé sur l’arc CB. AF coupe CO en E. 1° Montrer que les points E O B F sont sur un même cercle. Quel est le centre de ce cercle ? 2° Evaluer les angles ACO et CFA et montrer que le cercle circonscrit au triangle CEF est tangent à AC. 3°Soit I, le centre du cercle CEF. Evaluer l’angle CIE. En déduire que I est sur le même cercle que les points EOBF. Mais saurais-je, aujourd’hui encore, résoudre facilement cet exercice ? Puis à la date du mardi 19 Juin 1973, nous découvrons toujours sur mon registre de préparations : Conseil de classe 4ème B : Passage en 3ème - Salle du rez-de-chaussée n° 1. Participants : Mr Rabia (directeur) ; un secrétaire ; Mme Maréchal (français ) ; Mr Bernardin (sciences) ; Mr Coz (anglais) ; Mr Zaïdat Méziane (éducation physique) ; Mr Sahut (mathématiques ), le professeur d’arabe syrien dont je n’ai pas relevé le nom. Bilan : effectif de la classe 33 inscrits. Nous relevons 6 félicitations ; 9 tableaux d’honneur et 7 encouragements ainsi que 3 redoublants. De même : conseil de classe 4ème A : passage en 3ème - (Commission identique) Réunion le vendredi 22 juin à 10h30, salle du rez-de-chaussée n°2. Bilan : effectif de la classe 32 inscrits. Nous relevons 4 félicitations,10 tableaux d’honneur et 6 encouragements ainsi que 3 redoublants.
Comme on peut le constater nos élèves ont, dans l’ensemble, bien travaillé (le directeur le reconnaît) mais certains commencent à être fatigués, est-ce dû au stress, au surmenage ? Heureusement les vacances approchent…
Le jeudi 21 juin je me rends à Tizi-Ouzou pour procéder à la réservation du billet nécessaire à mon embarquement. Je profite de mon passage pour régler, avant mon départ définitif, différentes questions administratives et rendre visite, par la même occasion, à Monsieur Azzam Amokrane, le secrétaire général de l’Inspection Académique qui m’accueille, comme toujours, avec son calme et son sourire habituels derrière son grand bureau encombré de dossiers et de lettres.
À la sortie, je croise dans les couloirs Monsieur Saheb, l’inspecteur en langue arabe mais aussi parfait bilingue qui m’invite à prendre le pot de l’amitié et me donne rendez-vous chez « Bob » à midi. Inutile de dire que ce jour-là, la consommation ne s’est pas faite avec modération, bien au contraire, si bien qu’à mon retour à Azazga, j’ai dû m’imposer une sieste prolongée qui s’avérait plus qu’indispensable…
Chapitre VII. La fin d’un engagement : départ pour la France...
Le lundi 9 Juillet 1973, à 10 h, dans le port d’Alger, l’« El Djezaïr » lève l’ancre à destination de Marseille. J’ai embarqué le matin même avec ma 404 dont je n’ai pas voulu me séparer malgré les nombreuses offres d’achat.
Au fur et à mesure que le navire gagnait le large, Alger la blanche s’estompait dans la brume légère. Accoudé au bastingage, le cœur serré, je cherchais vainement à garder intact le souvenir de cette ville que j’avais si souvent parcourue et qui finissait par disparaître. Je m’interrogeais pour savoir si, durant toutes ces années, j’avais bien rempli ma mission : celle d’avoir convenablement servi non seulement l’école algérienne, mais encore le rayonnement de la langue et de la culture française auprès des jeunes algériens en attendant que les exigences de leur future activité ne fassent réapparaître les occasions, plus précises mais aussi plus circonscrites, d’utiliser à nouveau la langue française.
Qu’avait-il donc ce pays de si attirant, peut-être parfois de si mystérieux que tous ceux qui l’avaient, un jour, découvert puis aimé, ne pouvaient s’en détacher sans douleur et sans déchirement ?
Qu’avaient-ils donc ces enfants de si attachant, de si chaleureux pour qu’ils continuent, malgré le temps, malgré les épreuves, à estimer et même à vénérer leurs anciens maîtres qui, voilà près de cinquante ans, leur avaient, tout simplement, appris à lire, à écrire et à aimer la langue française ?
Ah ! puissent-ils savoir ces chers enfants, même si pour ma part je reconnais bien volontiers avoir été parfois trop exigeant et peut-être, probablement, un peu trop sévère avec certains, que nous les avons tous aimés et encouragés pour qu’ils deviennent un jour, à leur tour, et suivant leurs possibilités, les bâtisseurs de l’Algérie nouvelle.
Aussi, quand il m’arrive encore de redécouvrir le long courrier daté du 20 février 2001 de cet ancien élève qui, après m’avoir décrit la chance inespérée que les gens de sa génération avaient eue en ayant pu bénéficier d’un enseignement en langue française, s’inquiétait pour l’avenir de ses enfants car, m’écrivait-il pour conclure « Voyez-vous Monsieur Sahut, c’est malheureux à dire, mais aujourd’hui l’école algérienne ne produit plus que des analphabètes bilingues ! », alors je pense très honnêtement que, dans l’ensemble, nous avons atteint notre but et que nous pouvons, dès lors, être légitimement fiers du travail accompli.
Ainsi s’achevait une aventure commencée quinze ans plus tôt. Je quittais ce pays qui, par ordonnance royale du 22 juillet 1834 puis par décret du 31 octobre 1838 du ministre de la guerre Antoine Schneider, allait dorénavant être désigné sous le nom d’ALGERIE .
Depuis, le temps a passé, de nouvelles générations sont arrivées, les enfants ont grandi, certains ont quitté leur Kabylie natale pour s’installer en ville ou à l’étranger mais, malgré les années, les liens se sont toujours maintenus entre nous et je pense encore, avec nostalgie, à ces années les plus captivantes de ma vie : celles de mes vingt ans…..
Malheureusement, comme il fallait s’y attendre, la mort, hélas, a également fait son œuvre destructrice et c’est ainsi que le 9 novembre 1992, j’apprenais par des amis kabyles, avec une profonde tristesse, la disparition à l’âge de 76 ans de Monsieur Rabia Mohand Arezki qui, pour moi comme pour l’ensemble des enseignants du collège d’Azazga, j’en suis persuadé, avait été un directeur exemplaire à tous égards, conscient de ses responsabilités et oeuvrant sans relâche pour le bon renom de son établissement en ne ménageant ni ses forces ni son temps pour y parvenir.
Jean-Louis Sahut.
Volvic janvier 2009.
En complément, l’Internaute peut lire : Enseignement indigène en Algérie, au cours de la colonisation1832-1962. http://cagrenoble.org/ecoles/enseig... ou http://www.algerie-ecole-1830-1962....