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François Meyer, au nom de tous les harkis

jeudi 15 mars 2012, par MOHAMMED AISSAOUI

À la fin de la guerre d’Algérie, François Meyer a outrepassé les ordres pour sauver trois cent cinquante harkis. Depuis, il ne cesse de soutenir cette communauté. Portrait d’un homme d’honneur.


Article paru dans le Figaro du 14 mars 2012 sous la plume de MOHAMMED AISSAOUI

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MOHAMMED AISSAOUI

A quoi ressemble un homme d’honneur ? Au moment où on le rencontre pour la première fois, à Versailles, dans cet appartement classique empli de livres anciens, rien ne le distingue vraiment des autres. Sourire chaleureux, poignée de main franche, le général François Meyer a 78 ans. Non, rien ne le distingue des hommes de sa génération - sinon qu’on lui donnerait une bonne dizaine d’années de moins.

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le lieutenant François Meyer du 23e Régiment de spahis,
entouré de deux maréchaux des logis, en 1960 en Algérie.

Là où affleure un être différent qui redonne leur définition à des mots galvaudés tels que « honneur », « courage » et « morale », c’est au moment où il évoque ce qu’il a vécu de 1958 à 1962, quatre années après le début de la guerre d’Algérie. Allons droit à l’essentiel : alors jeune lieutenant, François Meyer a décidé de soutenir les harkis. Et plus admirable encore, il n’a jamais cessé de les aider ensuite, pour leur trouver un logement, un travail ou une formation. Le combat d’une vie.

Ça a débuté à Saint-Cyr, où il choisit la cavalerie - « par éthique et par goût », explique-t-il. Ensuite, il rejoint Saumur et effectue un stage d’un mois... en Algérie. C’était en août 1957, et jamais ce pays ne le quittera vraiment. Il y retourne en mai 1958 au sein de son régiment de cavalerie montée.

Quand il parle, ce militaire ne tente pas de cacher son émotion. « Vous savez, cela remonte à loin, j’étais un enfant, j’avais 6 ou 7 ans, quand j’ai vécu l’arrivée des Allemands et l’humiliation de la défaite. Mon père était officier et, quand I’état-mq/or s’est replié sur Carcassonne, nous avons été, avec ma famille, sur les routes de l’exode. Nous avons traversé toute la France », se souvient-t-il. Cet exode et cette humiliation, il n’a pas voulu que ses soldats en Algérie qu’on a qualifiés de « supplétifs » les subissent à leur tour. Il a relaté son témoignage, recueilli avec d’autres, dans un superbe livre : Harkis, soldats abandonnés (XO Éditions).

Dans la préface, l’écrivain et cinéaste Pierre Schoendoerffer, qui a réalisé L’Honneur d’un capitaine, narre cette anecdote d’une force rare : alors qu’il travaillait à son film, il rencontra une cinquantaine de harkis et, pour les convaincre de participer au projet, leur lança : « On travaillera ensemble, la main dans la main, je ne vous trahirai pas. » À ces mots, la moitié de l’assistance s’en est allée, dans « un silence glacial », affirme Schoendoerffer. Aujourd’hui encore, certains termes demeurent sensibles, et le mot « trahison » est gravé dans tous les esprits. C’est pour cela que le général Meyer jouit auprès de la communauté harkie, d’un prestige considérable : lui ne les a jamais abandonnés, jamais trahis, au point d’en être devenu l’un de leurs porte-parole officieux. Pas une conférence, pas un débat, pas une pétition sur le sujet où il ne soit appelé à la rescousse. Installé sur son siège, il en sourit, l’œil vif : « Ça fait cinquante ans que je me bats. Par moments, je dis aux plus jeunes, ce serait bien de prendre la relève ! » Et d’ajouter, toujours avec ce sourire qui ne le quitte jamais : « Et dire que quand je suis arrivé au sein de mon régiment dans le sud de l’Algérie, je ne savais même pas ce qu’était un harki... »

On manque de place pour relater tous les moments forts et les souffrances contenus dans cette histoire que la mémoire collective tente d’occulter. Des souvenirs resurgissent comme des uppercuts. Le général Meyer parle de désert, de guet-apens, de cris et de morts. Très vite, sur le terrain, il ressent l’hostilité d’une grande partie de la population algérienne.

« Une obligation morale »

S’il existe une échelle dans les drames, sans doute l’année 1961 a-t-elle été la pire. « Pendant toute l’année 1961, nous avons connu la détérioration psychologique, l’angoisse naissante, la lassitude du général de Gaulle. On voyait bien l’inutilité de l’armée qui livrait bataille. On continuait pourtant de combattre... », raconte-t-il dans Harkis, soldats abandonnés.

Il dit, avec pudeur, à propos de ces « événements » ; « Dans cette guerre, je ne voyais rien de noble qui méritât qu’on y risque sa vie. » Et pourtant, il devra la risquer à de multiples reprises. Peut-être cet attachement pour les harkis provient-il du fait qu’à plusieurs reprises il leur doit son salut, certains n’hésitant pas à s’exposer à sa place alors qu’il était sous le feu de l’adversaire. Peut-être, aussi, qu’une guerre renforce les liens de la fraternité d’armes...

La fin de la guerre déclarée, François Meyer a continué son combat pour les harkis, sachant très bien que pour ces derniers les ennuis commençaient. « Et, pourtant, on m’a explicitement dit "Laissez tomber tout ça", mais je ne voulais pas abandonner. Une obligation morale », dit-il, cette fois sans sourire. Les directives officielles (signées Joxe et Messmer) intimaient l’ordre aux officiers de laisser leurs soldats musulmans en Algérie : ils étaient protégés, pensait-on, par les accords d’Évian. Meyer préféra passer outre.

Entre juin et juillet 1962, il décide, en désobéissant à sa hiérarchie, de mettre à l’abri trois cent cinquante harkis - des soldats avec femmes et enfants. « J’ai été un peu limite, j’avais un discours et une attitude qui ne collaient pas trop avec les consignes officielles. On me l’a reproché. » II les installe en métropole, dans une France qui veut tourner la page de la guerre et vivre pleinement ce qu’on n’appelait pas encore les Trente Glorieuses.

Pour cette nouvelle bataille, il obtient l’appui du père de la Morandais : ce dernier aide Meyer sur le plan médiatique (déjà !) en mobilisant la presse pour trouver deux villages qui accueilleraient convenablement les réfugiés. Il fait également le tour des usines et des chantiers pour placer ses compagnons délaissés.

Plus tard, Meyer sera à l’origine d’une pétition en faveur des harkis diffusée dans la revue Les Temps modernes, un tournant. Il sera de tous les combats auprès des présidents de la République, des ministres et des parlementaires pour la reconnaissance par la France de la dette contractée à l’égard de ces soldats. Une question d’honneur. L’honneur, « ce n ’est pas une idée, c ’est une pratique », souligne-t-il. Une pratique qui remonte au XVe siècle, explique le général François Mever ; « Il était de tradition, chez les amiraux de Castilie, de choisir la mort plutôt que d’abandonner un seul de ses hommes. »•


François Meyer a relaté son témoignage, recueilli avec d’autres, dans un superbe livre, "HARKIS, SOLDATS ABANDONNÉS publié chez (XO Éditions)

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un superbe livre, "Harkis, soldats abandonnés"
« Je voudrais vous rendre hommage, à vous harkis, mais ce livre le fait mieux que moi. Vous le dites avec des mots sim­ples. Vous restez fidè­les à la France. Vous, les sur­vi­vants, vous gardez l’espé­rance, et cela atté­nue la tache noire sur le dra­peau tri­co­lore. On doit vous dire merci. » Pierre Schoendoerffer
C’est vous qui parlez, avec une pudeur, une gravité, une distinction.
On vous a abandonnés, trahis, nous, la France, notre France.

C’est un recueil de témoignage d’anciens Harkis et d’hommes d’honneur qui les ont côtoyé, le tout illustré par des photos souvent inédites...

AJIR et Le FMH (Fonds pour la Mémoire des Harkis) ont beaucoup contribué à la sortie de ce superbe livre. Nous ne pouvons que vous encourager à l’acquérir, à l’offrir et à le faire connaître.

Ci-dessous nous reproduisons la présentation de cet album par les Editions XO ainsi que la jaquette de cet ouvrage.

50 ans après la fin de la guerre d’Algérie et les accords d’Evian, six harkis et quatre « hommes d’honneur » reviennent sur un passé qui a mêlé leur histoire personnelle à la grande Histoire et témoignent.

« Je voudrais vous rendre hommage, à vous harkis, mais ce livre le fait mieux que moi. C’est vous qui parlez, avec une pudeur, une gravité, une distinction. On vous a abandonnés, trahis, nous, la France, notre France.

Vous le dites avec des mots simples. Vous restez fidèles à la France. Vous, les survivants, vous gardez l’espérance, et cela atténue la tache noire sur le drapeau tricolore.

On doit vous dire merci. »

Pierre Schoendoerffer.

Le 18 mars 1962 sont signés les accords d’Évian, mettant fin à huit ans de guerre fratricide entre la France et l’Algérie.

Cinquante plus tard, au moment où se prépare la commémoration de cet accord historique, que sont devenus les harkis ?

Soldats indigènes musulmans engagés aux côtés de l’armée française, les harkis sont été emprisonnés, torturés et assassinés en Algérie au lendemain de la proclamation de l’indépendance ; humiliés et laissés dans l’indifférence générale quand ils ont réussi à rejoindre la France.

Dans cet album, riche en photos personnelles et inédites, six harkis ou descendants de harkis ont décidé de prendre enfin la parole. Pour témoigner de ce qu’ils ont vécu, de ce qu’ils vivent encore. De la honte, de la trahison, des massacres. De leur vie dans le silence mais la dignité.

Quatre hommes d’honneur racontent également comment, en ces temps troublés, ils ont écouté leur cœur et sauvé des vies.

Préface de Pierre Schoendoerffer de l’Institut Introduction du Général Maurice Faivre Témoignages recueillis par le Fonds pour la mémoire des Harkis.

Harkis, soldats abandonnés Témoignages

29,90 € - 240 pages

Mise en vente le 27 février 2012

Voir également Harkis soldats abandonnés. Extraits

Sur l’histoire des harkis, Maurice Faivre

remarques sommaires sur un colloque consacré aux harkis (4 février 2012)

http://etudescoloniales.canalblog.c...


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