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Gardiens de la mémoire des harkis de la forêt

samedi 17 décembre 2016, par Pascal CHARRIER

Article publié dans La Croix le 14 décembre 2016. Voir http://www.la-croix.com/France/Gard...

Environ 10 000 harkis et membres de leurs familles ont vécu en France dans des hameaux de forestage, où ils furent logés à leur retour d’Algérie. Un passé dont certains veulent maintenir la trace.


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L’envoyé spécial de La Croix
Pascal Charrier, à Gonfaron et Collobrières (Var), Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), Ongles (Alpes-de-Haute-Provence), avant de se retrouver sur la Côte-d’Azur

Le chemin caillouteux a été rendu boueux par les violents orages de la veille. Il grimpe au milieu d’une pinède méditerranéenne sur les hauteurs de Collobrières, un village du Var niché au cœur du massif des Maures. Au sortir d’un virage, de la fumée s’échappe du toit d’une modeste bâtisse isolée, faite de panneaux préfabriqués.

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Un hameau près de La Londe-les-Maures (Var), en 1973. / Jean Puech

Le décor semble sorti d’un autre temps. Quand il s’est agi de tourner un téléfilm se déroulant au début des années 1970, Harkis, sorti en 2009, il a d’ailleurs servi de cadre parfait. « Des gens montent jusqu’ici parce qu’ils ont vu le film », raconte Amar Raïah. Pour lui, ce n’est pas un paysage de cinéma. Âgé de 52 ans, ce fils d’un supplétif de l’armée française durant la guerre d’Algérie y a grandi, entre pins et eucalyptus. De temps en temps, le Varois à l’allure sportive dort encore dans la baraque de son enfance pour soutenir ses parents, Mouloud et Dhjoër.

« Ici, c’est chez nous, c’est notre histoire »

Le couple de personnes âgées n’a pas voulu quitter les lieux pour une habitation plus confortable, contrairement à ses voisins. « Ce sont eux qui ont monté ces murs, plaide leur fils. Ici, c’est chez nous, c’est notre histoire, on est parfaitement intégrés. Moi, je peux parler provençal, je chasse le sanglier, je le mange. Je ne vais pas lâcher ce terrain. »

Le logement des Raïah est l’un des rares à être restés debout tels quels. Il est aussi l’un des tout derniers à être encore habités par leurs occupants d’origine parmi les centaines qui ont été bâtis sur le même modèle pour héberger des harkis subitement reconvertis en forestiers.

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Un hameau près de La Londe-les-Maures (Var), en 1973. / Jean Puech

À partir de 1962, une partie de ces « Français musulmans rapatriés », comme ils étaient dénommés, ont en effet été employés et logés par l’Office national des forêts (ONF). « De supplétifs de l’armée, ils sont devenus supplétifs de l’ONF », résume l’historien Abderahmen Moumen, chargé de mission à l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre.

Les autorités françaises pensaient avoir trouvé la bonne solution pour offrir à la fois un toit et un emploi à des hommes peu qualifiés, qui étaient hébergés avec femmes et enfants dans des hameaux de forestage comme celui de Collobrières.

Déplacés d’un lieu à l’autre.

Éparpillées essentiellement dans le sud de la France, ces structures d’accueil – au nombre de 69 ou 75, selon les décomptes – se trouvaient plus ou moins éloignées de villages. Parfois, elles hébergeaient plus d’une centaine de personnes à la fois.

Pour l’État, la formule avait aussi l’avantage de maintenir cette population à l’écart des immigrés et des pieds-noirs dans un contexte de crainte de reprise de la guerre d’Algérie en métropole.

Au fil du temps, 10 000 membres de la communauté harkie sont ainsi passés par ces sites, qui relevaient de « la ségrégation au long cours », selon Abderahmen Moumen. Parfois, cela n’a représenté qu’une parenthèse, des baraquements étant désaffectés dès les années 1960.

Mais certains ont été déplacés d’un lieu à l’autre avec leurs familles ou sont restés au même endroit pendant plus de trente ans.

Armés de pelles et de pioches.

La quasi-totalité de ces hébergements précaires ont aujourd’hui disparu, comme c’est le cas à Gonfaron, où ils ont été rasés pour être remplacés par un lotissement. Dans cet autre bourg varois, seules quelques dalles en béton, les fondations, ont subsisté.

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Un baraquement du hameau de Montmeyan (Var).
Des harkis militent pour que soient conservés certains de ces « vestiges ». / CC/Wikimedia

Mais quand Rabah Mekaref s’extrait de l’arrière de la voiture pour poser le pied au milieu de villas au bout d’une route, il n’hésite pas. « J’habitais là, derrière le poteau, dit le septuagénaire. Et encore avant, là où il y a une piscine. »

Salah Alouani, lui non plus, n’a rien oublié. « Chaque fois que je monte là-haut, je me revois à l’époque », assure-t-il. Alors adolescent, il a découvert Gonfaron en décembre 1963. « On était montés à pied, poursuit-il. Il n’y avait pas de chemin. Le chemin, c’est nous qui l’avons fait. » Ces forestiers ne se contentaient pas de replanter des arbres ou d’en couper. Ils contribuaient aussi à lutter contre les incendies, en treillis, armés de pelles et de pioches. « Parfois, on partait une semaine entière pour tailler des coupe-feu, reprend-il fièrement. Un jour, un pompier m’a dit : “Les harkis, on n’aurait pas pu les remplacer.” »

Dans les rangs des ex-supplétifs, la discipline demeurait militaire. Les chefs de hameau, souvent d’anciens soldats, y veillaient et des « monitrices de promotion sociale » se chargeaient de l’éducation des femmes.

L’intégration dans les cours de récréation.

« Ces chefs avaient tout pouvoir et ils ne se gênaient pas pour en faire usage, se souvient Ali Amrane. Les gens avaient peur. Dès qu’une famille posait problème, on l’expédiait vers un autre hameau. »

À 54 ans, cet éducateur sportif appartient à la deuxième génération de harkis, celle qui s’est révoltée dans les années 1970. Né dans le camp de transit de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, il a habité jusqu’à ses 20 ans dans les baraquements de Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes.

Soixante-cinq familles y ont vécu entre 1964 et 1986, à 3 kilomètres de l’école. « On était isolés de tout et on restait entre nous, se rappelle-t-il. Les enfants de” Français de souche” ne venaient jamais nous voir et on avait honte de les inviter. »

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Construction du hameau de Mouans-Sartoux. / Mouans Sartoux

Les contacts en cours de récréation et les parties de foot ont fini par favoriser l’intégration des plus jeunes. Aujourd’hui, Ali Amrane est conseiller municipal à Grasse et président du collectif des associations harkies des Alpes-Maritimes.

« Les villageois ne voulaient plus qu’on s’en aille. »

Il a milité pour que soit conservée au moins une partie du cadre de sa jeunesse. À ses yeux, ces vestiges ont tout autant de valeur que les plaques commémoratives, comme l’État est en train d’en apposer actuellement (lire les repères ci-contre). «  C’est important d’avoir un lieu de mémoire et de rencontre », insiste-t-il.

Trois bâtiments d’époque, alignés, ont échappé aux pelleteuses quand une école a été construite sur place, en 1986. Repeint de frais et rénové, l’un d’entre eux sert de salle pour les mariages et les enterrements. Hamoud Séby et André Séby ont l’habitude de la fréquenter.

Âgés respectivement de 72 et 76 ans, les deux hommes ont connu l’un des premiers hameaux de forestage, à Ongles, dans les Alpes-de-Haute-Provence, avant de se retrouver sur la Côte-d’Azur.

Un lieutenant de l’armée française, Yvan Durand, avait évacué toute leur « harka » de Kabylie. « La plupart étaient illettrés, souligne André Séby. C’étaient des montagnards et des paysans. Quand on est arrivés à Ongles, les gens nous ont pris pour des sauvages. Cinq autres villages nous avaient refusés. Après, ils ont compris qui on était et d’autres communes se sont mises à réclamer des harkis pour les repeupler et remplir les écoles. Quand on est repartis, les commerçants et les villageois ne voulaient plus qu’on s’en aille. »

Une histoire à partager

Aujourd’hui, quelques ruines rappellent leur séjour. Le village bas-alpin abrite aussi dans son château une exposition consacrée à cet épisode, au sein de la Maison d’histoire et de mémoire d’Ongles (MHeMO) présidée par Belkacem Gueroui.

« C’est la seule vitrine que nous ayons en France et qui parle de nous sans polémique, commente ce dernier. Un petit village a eu ce courage, alors que plein de villes ne l’ont pas fait. Ici, notre mémoire est à sa place. Elle est apaisée. Il n’y a pas d’enjeu politique, pas de récupération. »

Lui aussi a grandi dans un de ces hameaux, à Saint-Maximin (Var). Féru d’histoire, il œuvre à la conservation de la trace de cet habitat. Il prend des photos, organise des cérémonies, écrit des articles, confectionne des plaques et en parle avec passion et sans rancœur.

« Beaucoup de harkis sont encore dans la revendication et certains ne comprennent pas ce que je fais, relève Belkacem Gueroui. Mais la richesse de notre histoire, c’est aussi de la partager. » Il veut maintenant doter la MHeMO d’un site Internet. Pour que ce passé singulier soit connu par le plus grand nombre.

Pascal Charrier.

à Gonfaron et Collobrières (Var), Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), Ongles (Alpes-de-Haute-Provence), avant de se retrouver sur la Côte-d’Azur


Repères

Des plaques mémorielles dans tous les hameaux

L’appellation « harki » regroupe plusieurs catégories de formations de supplétifs de l’armée française progressivement constituées à partir de 1954 en Algérie et qui ont regroupé plusieurs centaines de milliers d’hommes. Les membres des « harkas », les harkis à proprement dit, étant les plus nombreux, le terme s’est imposé. Il désigne aussi parfois des militaires ou des notables engagés au côté de la France.

Alors que les exécutions et les menaces à leur encontre se multipliaient au printemps 1962, 85 000 d’entre eux – en comptant leurs familles – se sont réfugiés en France. Beaucoup ont ensuite été regroupés dans des camps de transit. Si la grande majorité s’est ensuite installée en milieu urbain, notamment dans le Nord, 10 000 sont passés par des hameaux de forestage.

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La Dépeche

Le secrétariat d’État aux anciens combattants a lancé en juillet 2015 une campagne de pose de plaques mémorielles dans tous ces hameaux. Cette initiative nationale vient parfois se superposer à des stèles déjà existantes.


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