Entre l’administration, les autochtones et les nouveaux arrivants, dès le départ, ce fut l’affrontement et par la suite, l’incompréhension : en cause, les brutalités de la conquête, les expropriations, la religion, et les relations entre l’administration, les tribus et les nouveaux arrivants.
C’est ainsi qu’au cours du temps, après avoir déclaré français tous les habitants en Algérie, le législateur du Second Empire puis de la IIIe République officialise une distinction selon les origines :
- D’un côté, les Français de souche européenne auxquels seront ajoutés les Juifs qui renonceront à se prévaloir du Talmud. Ils sont citoyens français et à ce titre soumis à l’ensemble des lois de la République.
- De l’autre, les Français de souche nord-africaine. Ils sont sujets français et à ce titre soumis au droit coutumier local, au droit coranique et aux mesures particulières du Code de l’Indigénat.
Cette discrimination entre communautés, officialisée par le législateur fut non seulement source d’inégalités sur le plan politique, scolaire, social, mais également la cause de la montée du sentiment national chez une partie des élites formées par la France. Elle sera également source de frustration (et donc de tension) pour ceux qui se sentaient exclus du système de prise de décision.
Pour avoir oublié que l’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais également de sentiments comme le respect et la dignité, il y a cinquante-sept ans, ce fut l’escalade armée et l’embrasement dans un contexte international ouvert à l’émancipation des peuples. Les jeunes de France et d’Algérie furent mobilisés contre ceux qui, assoiffés de reconnaissance, faute d’être entendus, voulurent l’indépendance.
Pendant près de 8 ans, la poudre a parlé. Les politiques dépassés par les évènements donnèrent les pleins pouvoirs à l’armée pour rétablir l’ordre et « mater la rébellion ». Dans les deux camps, ce fut le règne de la violence (attentats, exactions, combats, bombes, exécutions, massacres, tortures …).
À l’issue de cette période dramatique, où le meilleur a côtoyé le pire, le camp du parti hégémonique de l’indépendance finit par l’emporter. La France quitta le pays dans des conditions de chaos qui consacra le camp du vainqueur, toutes communautés confondues : les familles en deuil.
Après cette guerre terrible datant d’une cinquantaine d’années, il n’est question
- ni d’oublier, les blessures pour certains ne se refermeront jamais,
- ni de pardonner, ne peuvent le faire que ceux qui ont réellement souffert,
- ni de demander pardon, ne devraient le faire que les poseurs de bombes ou les tortionnaires qui se retrancheront derrière la noblesse de la cause ou la nécessité d’éradiquer la violence imposée de façon aveugle…
Il serait temps cependant au nom du sang versé, autant que faire se peut, d’avancer sur les voies du rapprochement. Comme le chemin est difficile, préalablement, en toute humilité, demandons à notre Père commun qui a pour vocable Yahwé, Dieu, Allah, de nous aider :
« Père, Toi seul sais ce que, dans l’histoire de l’humanité, les hommes ont été capables de commettre comme crimes pour étendre leur territoire, pour prendre ou garder le pouvoir soit en ton nom, soit au nom d’une famille ou d’un clan, soit d’une idéologie ou d’un parti, ou d’une démocratie confisquée sans contre-pouvoir, aux mains de lobbies puissants comme le lobby colonial.
Père, pour avoir oublié ton existence et ton message d’amour entre les hommes, pendant près de 8 ans, il y a une cinquantaine d’années, tout s’est passé comme si tu étais aux abonnés absents : tes enfants se sont entretués.
Toi qui seul sondes les reins et les cœurs, toi qui seul connais la vérité et les réalités d’une époque où la violence avait été banalisée, prends pitié de ceux qui l’ont exercée, conduis-les sur le chemin de la prise de conscience et de la reconnaissance des réalités.
Toi qui seul peux aider ceux qui ont souffert moralement ou physiquement ou ont été torturés par leurs frères ou leurs adversaires, ou ont été affamés de façon inhumaine, apporte-leur ton réconfort et donne-leur la lumière pour ne pas voir un tortionnaire dans chacun des hommes en uniforme qu’ils ont côtoyés. Parmi ces derniers, il y en a tellement qui les ont aimés.
Père ! pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés et délivre-nous de la haine et du ressentiment qui brisent les cœurs.
Père ! aide-nous à trouver ensemble à présent le chemin qui conduit à la paix entre les hommes : nous aurons ainsi dès maintenant, un avant-goût du paradis où tu appelles chacun à retrouver tous ceux qui nous ont quittés et qui sont tombés victimes de la folie des hommes il y a bien des années ».
Conscient des souffrances endurées, il y a une cinquantaine d’années, par les victimes des réactions souvent disproportionnées de l’armée face aux attaques ou exactions des partisans de l’indépendance, en toute humilité, j’ai rédigé cette prière. Son contenu ne fera sans doute pas l’unanimité, puisque j’ai conscience, même si j’ai contribué à le débloquer, d’avoir été un des rouages d’un système absurde d’embargo sur le ravitaillement qui fait honte à l’humanité.
Je ne peux également ignorer certaines violences dont je n’ai jamais été l’acteur, mais dont j’ai pu entendre parler. Certaines ont été commises par des militaires indignes de porter l’uniforme (il en a existé et il en existe dans toutes les armées du monde), d’autres par des militaires chargés d’obtenir des renseignements. Les actions des bras armés de la terreur ou de la contre terreur agissant soit au nom de la religion, ou d’une politique de libération ou de répression, doivent, aujourd’hui comme hier, être condamnées. Banaliser la violence, c’est bafouer l’innocence et obscurcir durablement les consciences.
Pour ma part, après avoir combattu à la tête d’une section dans une unité opérationnelle en 1957-1958, j’ai porté à nouveau l’uniforme d’officier pour servir dans les SAS et mettre au service de la population mes compétences et mon expérience avec toute la fougue de la jeunesse de ceux qui croient en l’homme..
C’est ainsi que j’ai atterri à Bouzeguène en août 1960, peu de jours après avoir enterré mon frère Alain, mort au combat dans la région des Aït Ouabane, peu de temps avant sa libération. Il voulait revenir en Kabylie comme instituteur. C’est peut-être l’inconscient d’une souffrance semblable à celle de si nombreuses familles de votre région, qui nourrit la démarche que je voudrais bâtir avec vous.
Que faisaient les SAS ? « Aucune victoire par l’action militaire et policière ne peut se concevoir sans l’adhésion durable et sincère des populations musulmanes à la France. Cette conquête des coeurs incombe principalement aux sections administratives spécialisées (SAS), en charge de l’action sociale, administrative et politique. »
Arrivé un an après l’annonce de l’autodétermination par le Général de Gaulle, et après les opérations Jumelles, je n’ai pas eu à me poser de question. En outre, la recherche du renseignement ne faisait partie ni de ma culture ni de celle de mon prédécesseur. Dès le début, j’ai affirmé mon soutien à la population. Cela m’a valu du reste à l’époque l’incompréhension de certains militaires à l’esprit obtus qui m’avaient surnommé le lieutenant fellouze.
Quant aux instituteurs militaires ou civils, ils ont fait un travail extraordinaire. La scolarisation a fait un bond en avant spectaculaire sous l’impulsion de l’armée et des SAS. Avec des arrières pensés, me direz-vous ?
De la part des politiques, c’est évident. Les missions humanitaires et sociales n’entrent habituellement pas dans le champ naturel de l’armée.
Pour la plupart des petits chefs de SAS que nous étions, pour les instituteurs, les médecins, ce qui comptait, c’était les hommes qu’on faisait travailler, les femmes qui étaient soignées, les enfants qui apprenaient le français et le calcul et à devenir des adultes responsables. Les enseignants en particulier ont donné le meilleur d’eux-mêmes dans des conditions très difficiles, parfois au péril de leur vie.
Bien entendu, nous n’avons appris aux enfants ni l’arabe, ni aucune des religions, l’État français étant laïc depuis 1905, ni l’histoire locale que nous ne connaissions pas. Une histoire que j’ai cherché à approfondir après avoir écrit des « Miages aux djebels ». En effet je ne suis retourné à Bouzeguène qu’en décembre 2004 pour terminer un livre témoignage sur la guerre d’Algérie. Lors de ma visite, j’ai alors été bouleversé par le nombre de victimes figurant sur les monuments aux morts érigés dans les villages. Lors de mon dernier voyage, j’ai même découvert avec émotion les photos de certains moudjahidine tombés au champ d’honneur, certains portaient l’uniforme français.
Tous ces hommes et ces femmes, fauchés dans la fleur de l’âge ne devraient-ils pas prendre place dans une histoire locale mieux cernée et mieux située dans le temps et l’espace face à une armée française bien supérieure en nombre et mieux équipée ? Leur vaillance, leur bravoure et leurs sacrifices méritent de servir d’exemple et devraient être un sujet de réflexion pour les jeunes générations en France comme en Algérie.
Pour cela il faut pouvoir évoquer le contexte d’une époque et la nature des combats de façon dépassionnée et aussi authentique que possible en mettant en commun nos récits et nos témoignages, confronter nos souvenirs dans le cadre d’échanges amicaux. Une sorte de psychothérapie de groupe.
Pour la région de Bouzeguène, un des fiefs historiques de la Révolution, il existe quatre livres faisant revivre l’époque. Dans l’ordre d’ancienneté :
« Les chasseurs de l’Akfadou » de Roger Enria, sous-lieutenant appelé en poste dans la région qui a recueilli de nombreux témoignages recoupés avec le journal de marche du bataillon du 27e BCA de 1955 à 1962, donc situés dans le temps et dans l’espace. Ce livre écrit dès 1992 n’existe plus dans le commerce. En accord avec Roger, pour accréditer la démarche proposée, il pourra prochainement être disponible sur DVD.
« Des Miages aux djebels » Témoignage que j’ai écrit en 2006 retraçant la vie de la SAS de Bouzeguène de 1960 à 1962.
« Le Colonel Si Mohand Oulhadj, chef de la Wilaya III », écrit en 2008, par Amar Azouaoui, dit « Petit Amar », secrétaire au PC de la Wilaya III.
« Si Mohand Said raconte Amghar : le colonel Mohand Oulhadj », écrit en 2010, par Akli Mohand Said, le fils du Colonel. Dans ce livre sont repris certains passages des « Chasseurs de l’Akfadou », cités dans « Des Miages aux djebels ».
À partir de ces documents qui demandent à être recoupés, il devrait être possible, si vous en êtes d’accord, de préparer entre anciens combattants français et anciens combattants algériens, un document évoquant les combats et les hommes qui se sont affrontés dans la région de l’Akfadou.
Voir et lire le support proposé au format pdf. Appuyer sur la vignette ci-dessous. Ce document a été mis à jour le 3 octobre 2011
- Devenons des Messagers de l’avenir.
- A l’occasion de notre travail en commun, nous devrions être capables d’envoyer depuis l’Akfadou, un des hauts lieux des combats pour l’indépendance, un message d’espérance et de paix.
En faisant revivre les accrochages situés dans le temps et l’espace et en identifiant ceux qui, dans nos écrits, sont encore désignés par les termes de l’époque (HLL, fellagha, rebelles…), nous les sortirions de l’anonymat et rendrions ensemble honneur à ceux qui sont tombés pour que l’Algérie vive dans l’indépendance et la démocratie, et à nos soldats victimes des inconséquences d’une France qui, à cette époque, n’appliquait pas les valeurs du Siècle des Lumières dont on la croyait l’héritière.
Comme un demi-siècle après ces événements tragiques, les jeunes en France comme en Algérie, ne comprennent pas l’origine de cette lame de fond qui a balayé l’Algérie et la France, il serait temps pour nous de dépasser l’écume de la violence et d’en comprendre et en expliquer l’origine, pour apporter nos pierres à la construction d’un monde meilleur.
En effectuant cette démarche, nous avons l’occasion non seulement de nous réconcilier avec nous-mêmes et notre passé, mais également
d’honorer ensemble tous nos morts tombés dans l’Akfadou. Ils sont les victimes du drame du déchirement et de la séparation entre enfants d’une nation n’ayant pas atteint la maturité démocratique.
de saluer ensemble nos drapeaux qui ont des couleurs communes :
o le rouge du sang qui marque la longue marche des pays vers la vie démocratique,
o la bande blanche, qui enveloppe les peuples qui aspirent à la pureté et à la paix.
- Commune de Bouzeguène. Mémorial des morts pour l’Algérie
À l’occasion de notre travail en commun, nous devrions être capables d’envoyer depuis l’Akfadou, un des hauts lieux des combats pour l’indépendance, un message d’espérance et de paix.
C’est ce qu’attendent de nous, non seulement les jeunes générations de France et d’Algérie, mais également tous ceux qui ont combattu et sont tombés portant dans leur coeur les espoirs d’un monde meilleur.
- Memorial Chasseurs du 27e BCA
Ce message prometteur haut en symbole pour nos deux pays nous sera inspiré par le Colonel Mohand Oulhadj. Celui-ci comme la plupart des combattants de l’ALN aimait par-dessus tout l’Algérie pour l’indépendance de laquelle il a combattu, mais également la France, ce qui n’est pas contradictoire.
Vive l’Algérie ! Vive la France !
Bien fraternellement
Claude. St Gervais le 18 juin 2011
mia.dje@wanadoo.fr
Témoignages à titre d’exemple. Le destin d’Hamadi Mohand Saïd qui représente une référence pour la France ou l’Algérie.
Les Chasseur de l’Akfadou : Le 12 avril,1957- Sous les ordres du commandant en second, des éléments de toutes les compagnies du bataillon participent à une opération de quartier déclenchée à l’aube près d’Iril N’Aït Tziboua. Après le bouclage de la zone, la fouille des ravins est entreprise par les sections de la 1ère compagnie ; deux fuyards sont tués. À midi, un groupe se dévoile ; le commandant Martinerie aime à se souvenir de ce premier combat dans les djebels kabyles : " Je puis dire que j’ai eu une certaine baraka lors de cette première opération le bataillon montée en l’absence du commandant Pascal qui se trouvait en permission de longue durée en métropole. Hamedi Mohand Saïd, responsable FLN du secteur Idjeur et Akfadou, en quelque sorte mon homologue d’en face, avait été coincé avec une escorte sous Iril N’Ait Tziboua. Il y avait laissé la vie et son beau PM MAT 49 dérobé plusieurs mois plus tôt à un chasseur du "27" par trop aventuré auprès d’un point d’eau. Son groupe de protection avait été mis du même coup hors de combat après qu’un des nôtres eût été sérieusement blessé à a tête.
Page 90 du livre de Amar AZOUAOUI 12.04.1957 En avril 1957, un accrochage eut lieu à Azaghar au lieu dit Thaourirt Boussar, Ighil Tizi- Boa. Une opération de ratissage s’était déclenchée vers lO h du matin. Un combat acharné entre les forces coloniales et le groupe de l’Armée de Libération Nationale qui venait de Sahel sous le commandement de Hemadi Mohand Saïd, chef de secteur, faisait rage. Il avait duré plusieurs heures. Les pertes de l’ennemi, plusieurs morts et blessés, évacués, par hélicoptères. De notre côté deux (2) Moudjahidin tombèrent au champ d’honneur : le chef de secteur Hamadi Mohand Saïd et son escorte Mehdab Si Arezki. Les forces coloniales avaient fait appel à la population, pour évacuer les corps des Moudjahidin sur Loutha, Ighil Tizi-Boa, où ils leur rendit les honneurs, prit des photos et avaient invité la population de les enterrer.
Page 192. Livre de Akli Mohand Saïd. Témoignage de Akli Mohand Saïd, officier de l’ALN, sur le parcours Révolutionnaire du célèbre chahid : Hamadi Mohand Saïd, fils de Mohand et de Hamoum Fatima, est né en 1917 a Ibouyesfen, commune de Bouzeguene, village redouté par l’ennemi et dont beaucoup de membres ont rejoint les rangs de L’ALN. Au début de la Révolution, il a ouvert les portes de sa maison comme refuge aux moudjahidine. Il fut contacté par Krim Belkacem et si Nasser en compagnie du moudjahed le colonel Mohand Oulhadj, pour constituer des comités du Front de libération national dont la tâche consistait en collecte d’armes et d’argent au profit de l’ALN. Si Mohand Saïd était un homme intègre intelligent, courageux, dynamique et infatigable. Toutes ses qualités ont fait de lui un élément que l’ennemi craignait énormément.
- Hamadi Mohand Saïd, chef politico-militaire
- qui représente une référence pour la France ou l’Algérie.
Il organisait des actions militaires au sein des villages occupés. Il a réussi à embusquer les forces françaises entre Loudha-Gulghil et le camp de Bouzeguene ; ce qui leur a valu une lourde perte (plusieurs morts et blessés). De notre côté deux djounoud tombèrent au champ d’honneur, Hettak Mëhenni du village Ibouyesfene et Boussoualem Mohand Tahar du village Iguejdale commune Ait Chafaa.
Hamadi Mohand Saïd était un grand patriote qui veillait constamment sur les populations de tous les villages, particulièrement lors des attaques. Il portait une tenue de parachutiste, se coiffait d’un calot, et portait souvent comme arme un Mat 49. Le 12 avril 1957, aux environs du village Ighil Tizi Boa, au lieu dit Talmats, au cours d’un violent accrochage avec les troupes de l’armée française supérieures en hommes et armes, ce valeureux chef politico-militaire tomba au champ d’honneur les armes à la main. Hommage à ce valeureux martyr de la nation, son nom doit être inscrit en lettres d’or dans l’histoire de l’Algérie.