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Du même auteur sur le sujet des harkis, l’internaute lira avec profit :
Une brève histoire des harkis.
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les harkis un imbroglio sémantique.
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Violences et migration politique. Quitter l’Algérie en 1962
Publié le 1 mai 2010 par Abderahmen Moumen
1962 est la date du départ en masse de ceux qui seront appelés par l’expression « repliés d’Algérie ». Il y eut certes des départs anticipés, environ 150 000 entre 1958 et 1961 ; il y en aura bien sûr encore après (1963 : environ 80 000 ; 1964 : environ 30 000). En fait, durant toutes les années 1960, des Français d’Algérie quittent l’Algérie pour s’installer en France. Jusqu’à la fin de la décennie essentiellement, des Algériens, dont nombre d’anciens supplétifs, et/ou leurs familles, obtiennent l’autorisation ou sortent clandestinement de l’Algérie pour rejoindre la France.
- L’Algérie vivra française
- Affiche de propagande
Toutefois, la violence des derniers mois de l’Algérie française constitue un des facteurs déterminant de cette migration politique sous contrainte, et c’est donc bien l’année 1962 qui voit déferler sur le territoire métropolitain l’essentiel de cette vague de populations hétérogènes en provenance d’Algérie [1]. Cette hétérogénéité amène à la popularisation de nouvelles classifications : « pieds noirs », « harkis », etc. venant retraduire globalement des réalités plus disparates. Violence, migration, découpage communautaire : ces trois éléments vont ensemble travailler à requalifier d’une manière spécifique à chaque groupe l’expérience vécue tant de la guerre que de l’exil final. Achevée dans ses combats, parachevée par ses transferts de population, la guerre d’Algérie allait trouver un nouvel espace : celui des représentations. Il s’agit ici de s’en tenir aux faits.
L’exode imprévu des Français d’Algérie
Lorsqu’en 1962, la grande majorité des Français d’Algérie fuient l’Algérie pour se réfugier en France, ce phénomène brutal et massif prend totalement de court l’État et le gouvernement français. Ce dernier avait estimé que 400 000 personnes résidant en Algérie viendraient s’installer en France sur quatre ans. Cette erreur d’appréciation peut s’expliquer par deux raisons principales. La première mésestime l’attachement des Européens d’Algérie à demeurer Français. Cet attachement explique toutes les actions violentes et le soutien d’une partie non négligeable des Français d’Algérie au combat mené par l’Organisation armée secrète (OAS) pour le maintien de la présence française en Algérie. La deuxième erreur d’estimation commise par les gouvernants français est d’avoir cru que la plupart des Français d’Algérie ne quitterait pas leur sol natal. Le lien existant, au demeurant important certes, entre ces habitants et la terre algérienne a été surestimé.
L’arrivée des rapatriés d’Algérie s’est progressivement accélérée parallèlement aux événements et aux épisodes dramatiques et parfois sanglants des derniers mois de l’Algérie française. Déjà, certains mouvements démographiques, relevés par Daniel Lefeuvre, préfiguraient la « grande ruée de 1962 » : « repli du bled vers les villes ; repli des quartiers périphériques ou ethniquement mêlés des villes vers les quartiers européens ; repli enfin vers la métropole, d’abord des capitaux, puis des enfants » [2].
Vers la fin de l’année 1961, le nombre de personnes regagnant la métropole augmente sensiblement mais en restant tout de même assez faible. En mars et avril 1962, après la signature des accords d’Evian, le mouvement demeure toujours lent. Cela s’explique par l’espoir toujours présent d’un règlement favorable de la guerre pour les Français d’Algérie, mais aussi dans la présence toujours importante et visible de l’Armée française. Cet état d’esprit d’attentisme est modifié par la répression des diverses manifestations pour le maintien de la France en Algérie, dont la plus connue est la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 qui se termine en drame. L’armée française tire sur une foule désarmée, qui manifestait contre le bouclage du quartier européen Bab-el-oued, faisant ainsi 61 morts et une centaine de blessés.
Si l’Organisation armée secrète (OAS) interdit tout départ des Français d’Algérie vers la métropole, l’échec du plan d’insurrection des villes algériennes, du ralliement de l’Armée et du sabordage des Accords d’Evian poussent leurs responsables à la politique de la terre brûlée [3]. Ainsi, à partir du mois d’avril et jusqu’au mois d’août 1962, le reflux des Français d’Algérie s’accélère pour devenir un exode brutal et désordonné : en mai 1962, 101 250 personnes quittent l’Algérie, 354 914 en juin, 121 020 en juillet et 95.578 en août. Au sentiment de ne plus être protégé par l’Armée française, s’ajoute l’insécurité latente à laquelle sont confrontés les Européens d’Algérie avec les enlèvements, les assassinats, les attentats et exécutions sommaires dont l’exemple le plus marquant est le massacre d’Oran les 6 et 7 juillet. Entre le 19 mars et le 31 décembre 1962, 3018 personnes auraient été enlevées, sur lesquelles 1245 auraient été retrouvées et 1165 seraient décédés [4].
À partir du mois de septembre 1962, les départs diminuent tout quoique constituant encore un mouvement important car à l’insécurité physique succède l’insécurité économique avec la progressive déliquescence de l’économie algérienne et le sentiment de n’avoir plus de place dans la nouvelle Algérie indépendante.
Le dilemme des juifs d’Algérie
Les juifs d’Algérie sont pour leur part face à un dilemme : entre leur enracinement millénaire sur cette terre algérienne et leur attachement à la citoyenneté française. Tentés par une certaine neutralité durant la guerre d’Algérie, malgré le soutien de certains au FLN ou l’engagement d’autres au sein des commandos OAS, entre devenir algérien ou rester français, ce choix les fait globalement basculer, très logiquement néanmoins, pour le maintien de l’Algérie française.
Les violences qui vont crescendo à partir de 1961 et qui atteignent leur paroxysme en 1962 ne tiennent pas à l’écart les juifs d’Algérie, bien au contraire. L’assassinat à Constantine en juin 1961 de la personnalité qu’est Cheikh Raymond, virtuose de la musique arabo-andalouse, constitue le déclic, causant une vive émotion. Fin 1961-début 1962, les assassinats de rabbins ou de personnalités juives, bien souvent commis par des militants du FLN mais aussi parfois par des membres de l’OAS, les attentats contre les synagogues ou les lieux de sociabilité de la population juive d’Algérie et les affrontements communautaires devenus nombreux à Oran comme à Constantine, convainquent la majorité des juifs d’Algérie de quitter finalement le territoire en prenant place parmi le flot des réfugiés de 1962.
Les juifs du Constantinois et du sud de l’Algérie partent les premiers. Les quelques milliers de juifs du M’Zab (région de Ghardaïa) obtiennent par décret en juin 1962 la citoyenneté française pour pouvoir être rapatriés comme l’ensemble de leurs coreligionnaires [5].
Suivent enfin, dans les départs de l’été les juifs de l’Algérois et de l’Oranie. Ainsi, 110 000 personnes rejoignent la France où s’étaient déjà installés récemment ou anciennement près de 20 000 juifs d’Algérie. D’autres tenteront leur chance en Israël, aux Etats-Unis ou au Canada [6].
Le transfert limité des « musulmans menacés »
La signature des Accords d’Evian, prévoyant une large amnistie tant pour les partisans du gouvernement et de l’armée française que du FLN et de l’ALN, scelle l’avenir des supplétifs. La question est claire tant pour le gouvernement que pour l’Etat-major des forces françaises en Algérie. N’étant pas de statut militaire, étant pour la plupart des citoyens de statut de droit local (différent de la majorité des Européens d’Algérie de statut de droit civil), considérés – politiquement parlant – comme de futurs Algériens du nouvel état indépendant, ils doivent être rendus à la vie civile, désarmés et renvoyés dans leur foyer. Seule une minorité sera transféré en Métropole : les anciens supplétifs qui souhaitent s’engager dans l’armée française – et considérés comme aptes, bien entendu – et ceux – avec certains civils – considérés comme réellement menacés [7]. Les militaires de carrière, fonctionnaires qui le souhaitent et certaines personnalités politiques, tels que le Bachaga Boualam, sont, quant à eux, officiellement rapatriés en France.
Ainsi, pour les harkis spécifiquement, le décret du 20 mars 1962 leur offre trois solutions qui doivent permettre de laisser la grande majorité d’entre eux en Algérie : l’engagement dans l’armée régulière pour une minorité, revenir à la vie civile avec primes de licenciement et de reclassement ou reconduire un contrat de six mois pour leur laisser un temps supplémentaire de réflexion. Les mesures financières proposées ont l’avantage pour les pouvoirs publics d’éviter un afflux massif en France : « c’est la meilleure façon d’éviter qu’une masse importante de ces personnels ne décide de venir s’installer en France avec leurs familles, posant ainsi un problème difficile à Monsieur le Secrétaire d’État aux Rapatriés, aussi bien qu’à mes collègues de l’Intérieur, des Affaires algériennes et même des Finances » [8]. Dans une note du 23 mai 1962 [9], il est précisé que la procédure de transfert des « éléments harkis » vers la métropole ne concerne que les harkis réellement menacés « et cette expression devrait être prise dans un sens très restrictif ».
Cette politique préalable de limitation volontaire du nombre de transférés est liée à plusieurs considérations. Les anciens supplétifs sont considérés par le gouvernement comme un groupe globalement inadaptable à la société française, risquant ainsi de devenir une charge voire produire « des épaves » opposées aux Accords d’Evian qui pourraient même être récupérées par l’OAS qui poursuit sa guerre. De plus, leur afflux dans un contexte de probable départ de nombreux Européens d’Algérie était perçu comme un problème supplémentaire encombrant pour le secrétaire d’État chargé des Rapatriés. L’afflux éventuel d’une masse de réfugiés serait aussi l’aveu d’un échec de « l’esprit de coopération » des Accords d’Evian. L’objectif de ceux-ci était de permettre à tous, anciens supplétifs comme Européens d’Algérie, de demeurer massivement en Algérie, le nombre de départ devait être le fait de quelques cas isolés. Les pouvoirs publics souhaitaient aussi ne pas envenimer les relations avec le futur gouvernement algérien avec l’accueil d’anciens supplétifs susceptibles de devenir des opposants potentiels. Enfin, la perspective de représailles à l’encontre de tous ceux qui avaient servi au sein de l’armée française, dans les formations supplétives, ou dans l’administration était minorée par le gouvernement, malgré les nombreux avertissements d’officiers et sous-officiers des forces armées françaises en Algérie.
Sous le prétexte d’une récupération – tout simplement exceptionnelle en réalité – des anciens supplétifs par l’OAS, des mesures coercitives sont prises par le ministère des Armées, Pierre Messmer, le ministre de l’Intérieur, Roger Frey et le ministre d’État Louis Joxe, en charge des affaires algériennes, pour empêcher leur installation en France par le biais de filières clandestines. Celles-ci ont été mises en place par des responsables de formations supplétives (en activité ou qui ont démissionné pour ne pas contrevenir aux ordres) ; craignant pour la vie de leurs anciens « compagnons d’armes » et leurs familles, ils utilisent tous les moyens pour les exfiltrer en France.
Malgré les mesures de limitation des transferts, ce sont, à la fin du mois de juin 1962, plus de 10 000 personnes (harkis, moghaznis, groupes d’autodéfense et leurs familles) qui sont officiellement parvenues en France, plus quelques centaines d’autres qui ont pu s’installer par le biais de filières individuelles. Le flot ne se tarit cependant pas puisque des milliers d’autres, fuyant les violences de l’après-indépendance, se réfugient dans des camps de regroupement en Algérie, en instance de départ vers la France.
Ce contexte particulier de violence et d’anarchie politique, sociale et économique, surtout durant les mois de juillet à septembre 1962 [10], n’entraîne pas seulement le départ des familles d’anciens supplétifs. Nombre de « messalistes », militants du mouvement rival du FLN, le Mouvement National Algérien (MNA) de Messali Hadj, fuient aussi l’Algérie et les représailles à leur encontre, ainsi que des militants nationalistes du FLN, opposés au nouveau gouvernement mis en place en septembre 1962.
Ces départs s’insèrent dans l’afflux inattendu vers la France d’environ 45.000 Algériens durant les mois de septembre, octobre et novembre 1962 quittant l’Algérie pour les raisons évoquées précédemment, mouvement démographique qui se poursuit d’ailleurs en 1963 [11].
Au début de l’année 1963, ce sont ainsi environ 180 000 Français qui demeurent encore en Algérie. En mars 1965, 91 276 y vivent, mais les départs continueront pour vider l’Algérie de la majorité de sa population européenne jusqu’à la fin de la décennie des années 1960 [12].
En octobre 1962, il ne restait que 25 000 juifs en Algérie, dont 6.000 à Alger. En 1971, ils ne sont plus qu’environ un millier et en 1982, environ 200. Enfin, pour ceux que l’on nomme par le terme générique de « harkis », environ 42.000 supplétifs et membres de leurs familles sont transférés en France par les autorités militaires, ainsi que 5.000 engagés. A ces derniers, s’ajoutent plus de 40 000 autres personnes qui ont pu être rapatriés clandestinement ou par leurs propres moyens [13]. Le nombre de victimes des violences parmi cette population, ou parmi ceux qui n’ont pu quitter l’Algérie, entraînant leur exclusion sociale, demeure inconnu.
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Pour aller plus loin :
Fatima Besnaci-Lancou, Abderahmen Moumen, Les Harkis, Paris, Le Cavalier Bleu, collection « idées reçues », 2008, 126p.
Jean Monneret, La phase finale de la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2000, 400p.
Yann Scioldo-Zürcher, Devenir métropolitain, politique d’intégration et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole, 1954-2005, Paris, EHESS, 2010.
Revue Textes et documents pour la classe (TDC), La guerre d’Algérie, n°994, avril 2010.
ou le site Ligue des droits de l’homme http://www.ldh-toulon.net/spip.php?... Notes :