A cette occasion j’évoquais pour la première fois, devant un auditoire concerné et attentif le fait qu’il conviendrait de songer à honorer à l’avenir, non seulement la mémoire nos compagnons tombés en Algérie, mais également la mémoire de nos adversaires d’alors.
- Combattants de l’ALN, originaires du Beni Zikki, morts au champ d’honneur pour l’Algérie indépendante
Pourquoi ? Parce que le combat de ces derniers était inspiré par le désir de vivre libres et dans la dignité : faute d’être considérés comme des citoyens français à part entière, ils ont préféré mourir pour la citoyenneté algérienne dont ils ont fait la conquête par les armes. Leur combat doit inspirer le respect et même l’admiration. En effet si les Algériens au lieu d’être traités en sujets français avaient été traités en citoyens français, il n’y aurait jamais eu la guerre.
- Morts pour la France, en Algérie, originaires du pays du Mont Blanc
Ce fut une découverte pour un auditoire attentif. Personne n’avait jamais entendu parler de la distinction entre sujets et citoyens français. Après ces révélations, chacun se montra au diapason avec la démarche envisagée.
Cette présentation sera reprise par Jean Marc en présence des lycéens des classes terminales du Lycée du Mont Blanc à Passy, le mardi 12 avril. Pendant ce temps-là, j’en parlais de mon côté lors de mon séjour à Bouzeguène. Les réactions en ma présence ont toutes été positives et n’ont alors soulevé aucune objection, bien au contraire.
Celui qui m’avait rejoint sous le porche du hall d’entrée de la salle du Bicentenaire est Armand Comte. Pas tout à fait un inconnu pour moi, puisque j’avais eu des contacts téléphoniques avec lui, 4 ans plus tôt lors de la sortie du livre « des Miages aux djebels ». Il m’avait alors parlé d’Haoura où il était en 1957. Depuis nous n’avions pas eu de contact.
La projection du diaporama sur l’école d’Haoura a suscité chez lui de fortes émotions et fait ressurgir tout un passé : il a été l’un des premiers instituteurs à Haoura.
- Bien sûr que nous allons nous revoir. Ne voudrais-tu pas rédiger tes souvenirs ?
- J’ai un album de photos. Mais pour écrire, c’est un autre problème. Viens me voir.
Après cette entrevue très brève, quelques jours plus tard, alors que la pluie et l’humidité plombent de façon insidieuse les rigueurs de l’hiver, je me présente chez Armand, un Chamoniard pur souche.
- Armand Comte chez lui à Chamonix en janvier 2011.
- Il présente à Claude son album de photos de l’école d’Haoura. 1957-1958.
D’un naturel plutôt réservé, amoureux de la nature et des grands espaces, à son âge il aime encore aller couper le bois en forêt. Il va ensuite le débiter, le fendre et l’empiler. C’est un sage qui connaît la valeur des produits de la nature.
Celui-ci me fait entrer dans la pièce de séjour. Le poêle à bois diffuse une douce chaleur qui met en confiance et facilite le contact. C’est autour d’une tasse de café que ce guide de haute montagne pour lequel les aiguilles de Chamonix n’ont aucun secret, me raconte son histoire.
- À l’issue de ma formation à l’école normale, en 1955, je suis nommé à l’école des Frasserands, un petit village situé entre Argentière et Montroc.
Début mars 1957, après quatre mois de formation militaire à Annecy, dont je garde un très mauvais souvenir, je bénéficie d’une semaine de permission à Chamonix. Comme pendant cette semaine de repos, le temps est détestable, je suis presque content d’arriver à Alger : le soleil est radieux et la température est clémente.
Le surlendemain de mon arrivée en Algérie, je découvre Haoura. Le secteur me plait : je suis dans une région montagneuse et boisée donc pas dépaysé. Le poste militaire est dominé par la Main de la Fatma, une belle paroi rocheuse près du village de Berkaïs.
Je suis sans attendre affecté à l’école pour remplacer deux collègues : Perroud, instituteur dans le civil et de Vilmandy. Ils ont ouvert l’école il y a environ six mois et vont être démobilisés. J’apprends par eux que depuis longtemps les villageois réclamaient des écoles dans cette vallée très peuplée. Il a fallu que l’armée s’implante à Haoura pour qu’ils obtiennent satisfaction et qu’une route carrossable permette enfin d’atteindre le village ! Que de temps perdu par l’administration française !...
Depuis l’ouverture de l’école, Perroud et de Vilmandy ont fait du bon travail : les élèves commencent à comprendre et à parler le français. Ils chantent « Au clair de la lune », « La mère Michèle », « Alouette, gentille alouette »,« Cadet Rousselle a trois maisons. » .
Pendant 2 à 3 mois, je suis aidé par un jeune du village Berkat Ouramdame. Il a vécu en France et sert d’interprète. Compte tenu des bases déjà apprises et assimilées, je peux commencer rapidement l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul.
L’arrivée de Jean Pilchen que les enfants appellent « Farmasse », permet de répartir les effectifs : lui s’occupe des petits, moi des grands.
En plus de l’enseignement, nous nous efforçons, en relation avec l’infirmier du poste, de soigner avec les moyens dont nous disposons, les plaies diverses, les brûlures, les affections de la peau, surtout à la tête, les problèmes aux yeux.
En outre, presque quotidiennement, nous leur donnons des compléments alimentaires sous forme de lait, biscuits de l’armée, sardines. La plupart sont en effet sous alimentés, leurs parents n’ayant pas l’autorisation d’aller se ravitailler.
De temps en temps nous achetons pour les hommes, ce qui est rigoureusement interdit, du tabac à priser « Bentchicou » ou « La mouche ». C’est Rabah Saïb, un sergent originaire de Rouiba, ou parfois Ali Aliane d’Alger, qui se charge des emplettes.
Pendant 7 ou 8 mois, l’école est installée dans la djemaa au centre du hameau de Berkat. Nous pouvons ainsi bavarder avec les hommes qui se réunissent en face de l’école. Ils parlent très bien le français et pour cause, certains ont travaillé à Marseille, à Paris, dans l’Est. Il y a Bourah Tahar, Azzoug Ali, Azzoug Amara, Azzoug Belkacem, Attiche, Chaalal, d’Haoura, amputé d’une jambe à la suite d’une blessure de guerre en France….
Mes élèvent s’appelent Achoui Mohand, Achoui Mouloud, Achoui Salah, Achoui Saïd, Ajir Zorah, Allouche Djida, Allouche Mohand Akli, Allouche Moussa, Attiche Mohand, Azzoug Mohand Amziane, Azzoug Mohand Ou Idir, Azzoug Rachid, Bouab Akli, Bouab Mohand, Berkat Mohand, Boufferache Yamina, les 3 sœurs Bourah ( Fatima, Fatma, et Kartsouma), Chaalal Mohand, Chaalal Saïd, Kessaï Zohra, Kessaï Ounissa, Mesbahi Arezki, et sa cousine Fatima qui était une des meilleures élèves, Mesbahi Mohand, Saïdani Sadiah, Saïfi Arezki, Yakoubi Mohoub, Yakoubi Taklit , Younsi Mohand, Younsi Saïd, Zatout Ali, Zatout Madjid. La liste n’est pas complète.
À la fin de l’année 1957, l’école déménage près du camp : nous sommes installés sous deux tentes.
Pendant l’hiver 57/58, avec mon copain Jean Pilchen, on se lève la nuit la nuit pour dégager la neige qui s’amoncelle sur les tentes. Pour éviter qu’elles ne s’effondrent sous le poids de la neige, nous les soulevons depuis l’intérieur. C’est pendant cette période que toujours avec mon copain, nous mettons à l’abri dans l’école, sous la tente, pendant la nuit, une vache transie de froid perdue dans la tourmente !...
Sur cet emplacement au cours de l’année 1958, sont construits deux bâtiments en dur. Pour aménager le soubassement, on commence avec un gars d’origine pied-noir, qui travaille mal. Il est remplacé par des Kabyles : Djaffar, un jeune qui vient d’effectuer son service au 22e BCA, et deux autres Amida et Yaya. L’un d’entre eux est roux. Ils sont tout à fait qualifiés : avec mon copain, nous sommes les manœuvres.
Les enfants de Haricq rejoignent l’école au cours de l’été 1958. Ils arrivent, accompagnés par deux gars du village venus les inscrire, les garçons d’un côté, les filles de l’autre. En voyant leurs habits, j’ai l’impression que leurs familles sont plus aisées que celles d’Haoura. Ils ont envie d’apprendre. Parmi eux : Ourida Bellabas, Hamouche Dabiha, Hamouche Malha, Bellabas Ouardia, Hamoudi Zorha, Bellabvas Youssef, Hamoudi Tamazoust, et bien d’autres dont j’ai oublié les noms….
Je ne leur fais pas la classe très longtemps et ne possède malheureusement pas de photos des enfants de Haricq.
Je quitte Haoura en janvier 1959 pour revenir à la vie civile.
Dans ma carrière d’enseignant, la période d’Haoura est celle qui m’a le plus marqué.
Lors de mes activités de guide de haute montagne, en gravissant les aiguilles de Chamonix, mes pensées volaient souvent vers les Beni Zikki. Je songeais souvent à ces jeunes enfants qui m’avaient été confiés dans ce contexte si éprouvant. Comme à tous les élèves dont j’ai eu la charge, j’ai essayé de leur inculquer ce que nous-mêmes avions eu la chance de recevoir. Modestement j’espère avoir contribué à les préparer à mieux affronter leur vie d’adulte.
Que mes anciens élèves, devenus maintenant eux aussi grands-parents, sachent qu’à Chamonix, il y a un chibani qui pense encore à eux !
Que ces photos qui reflètent ce qu’avec d’autres nous avons essayé de transmettre pour bâtir un monde meilleur, soient un trait d’union entre les cœurs, entre les générations et entre les Alpes et le Djurdjura.
Merci à Claude d’avoir pris l’initiative de faire retour de ces photos via Internet. Elles ne sont pas d’une grande qualité artistique. Elles traduisent cependant des tranches de la vie quotidienne avec ses moments de joie et d’insouciance dans la misère du moment.
À noter que les photos ne sont pas présentées dans l’ordre chronologique.
À l’échelle du temps, quelle importance !...
Amical bonjour à tous depuis Chamonix, au pied du Mont Blanc (4810 m).
Armand, « chir voutertizine », l’instituteur joufflu.
Pour découvrir les autres facettes de notre ami Armand, je me suis permis d’établir des liens Internet .
http://compagniedesguidesdechamonix...
http://www.mineralogie-chamonix.org...
http://compagniedesguidesdechamonix...
Pour respirer l’air des cimes autour du Mont Blanc aller sans hésiter à
http://www.alainherrault.com/fr/act...
« Edito d’Alain Herrault 180° au pays du Mont-Blanc"
Vous comprendrez ce qui motive les guides de haute montagne.