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Histoire de l’Algérie des origines à nos jours. Chapitre XIV les germes de la discorde

jeudi 12 décembre 2013, par Pierre MONTAGNON

Pierre Montagnon a publié chez Pygmalion Histoire de l’Algérie des origines à nos jours. Nous en reproduisons le chapitre chapitre XIV Les germes de la discorde. C’est une synthèse extraordinaire qui permet d’appréhender l’une des causes premières du bain de sang qui a accompagné la marche de l’Algérie vers l’indépendance .

En 1857, l’Algérie est regardée comme conquise, situation dans l’ensemble exacte. Fait marquant, pour la première fois de son histoire, elle est unifiée dans sa quasi-intégralité.


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Histoire de l’Algérie des origines à nos jours
par Pierre Montagnon

Les maîtres précédents du pays, qu’ils soient numides, romains, vandales, byzantins, arabes, almoravides, abdelwahides, turcs ou autres, ne pouvaient prétendre qu’à une domination partielle ou relative. Leur mainmise était fragmentaire. En aucun cas, ils ne s’immisçaient partout. La France, elle, a dépêché ses soldats jusqu’aux extrémités les plus reculées. Même le rude Aurès a été pénétré. Même la farouche Kabylie a plié. Bientôt, les administrateurs et les colons français prolongeront la présence militaire.

L’avènement est d’importance. Il rompt avec un long héritage de séparatisme régional ou tribal, d’unité jamais réalisée. Il laisse présager qu’enfin le Maghreb central, par occupant interposé, se transformera en un bloc compact et unifié.

Est-ce à dire que cette présence française qui s’est imposée par les armes est unanimement acceptée et que l’adhésion des cœurs est acquise ? Non ! Pour deux raisons essentielles :

  • la rigueur impitoyable de la conquête ;
  • l’introduction d’un peuplement européen, phénomène à double tranchant.

Les germes initiaux de la future discorde se situent là. Les braises de la révolte couveront longtemps avant de se ranimer. Un point est sûr : elles ne s’éteindront pas.


On peut lire également sur le sujet, Cas concret d’une petite guerre : les « razzias » et « enfumades » de la conquête de l’Algérie, par le chef de bataillon Steve Carleton, Promotion maréchal Lyautey. Avril 2010 http://www.ecoledeguerre.defense.go...


UNE GUERRE IMPITOYABLE.

1830-1857. La lutte sans merci s’est prolongée durant un quart de siècle. Même si les combats ne se sont pas poursuivis partout durant cette période, l’Algérie française s’est d’abord façonnée dans le sang. Les bases de l’édifice en resteront marquées. Terrible évidence souvent occultée par le colonialisme triomphant de l’entre-deux-guerres.

La conquête a coûté très cher à l’armée française. A maintes reprises, combats, épidémies [1] ont vidé les rangs. La prise d’Alger, à elle seule, a réclamé à Bourmont 3 000 tués et blessés, nombre de ces derniers ne survivant pas. La maladie, les semaines suivantes, doublera le prix payé.

Il n’existe évidemment aucune statistique côté Turcs et Algériens. Sauf cas d’espèce, l’expérience prouve que les pertes se situent dans un rapport de un à trois, voire de un à cinq. La puissance de feu, la discipline, le métier des Français expliquent ces écarts face à un adversaire courageux mais souvent désordonné. Devant Alger, Turcs et Algériens ont ainsi pu perdre dans les 10 000 à 15 000 hommes.

Ces chiffres, ces estimations plus exactement, ne valent que pour la courte période de l’entrée dans Alger. Par la suite, les mêlées se sont succédé. Combats en rase campagne, embuscades, défenses et assauts acharnés des places de Constantine, Tlemcen, Zaatcha [2], Laghouat, etc., se réglant par des flots de sang dans un camp comme dans l’autre. La seule retraite de Constantine en 1836 s’est soldée par plus d’un millier de morts chez Clauzel.

En décompte global, le bilan des pertes françaises, qui n’a jamais été établi avec précision, se situe, entre les tués au combat, les décédés suite à blessures ou maladies, plus près de 200 000 que de 100 000 [3].

Le bilan est pire en face, surtout en y adjoignant les victimes civiles des razzias, des cités enlevées, des représailles de toute nature. Alors 500 000 morts ? Un million ? Rien ne permet de privilégier un total plutôt qu’un autre. Les pertes françaises étant presque exclusivement militaires [4], si le ratio de un à trois est retenu, 500 000 morts algériens semblent une approche d’ensemble aussi terrible que raisonnable.

Devant ce décompte, une conclusion s’impose. Une population algérienne de trois millions d’habitants en 1830 est généralement admise. Un Algérien sur six aurait donc disparu durant la conquête française. Un tel holocauste laisse obligatoirement des traces.

En faut-il un exemple ?

Visitant en 1888 le pays des Traras, cette région côtière d’Oranie où s’étaient déroulés les combats de Sidi Brahim en 1845, le géographe Charles de Mauprix fait une curieuse découverte.

Il remarque un certain nombre de petits tumuli en pierres sèches récemment blanchies à la chaux. Il ne s’agit pas de tombes de marabouts et le lieu n’est pas un cimetière. Mauprix questionne le caïd qui élude sa réponse. Le garde champêtre n’est pas plus loquace. Le khodja [5], pressé de questions, se montre évasif et prudent. « Ce sont des gens qui sont morts.

  • Mais comment morts ? Ils ont été tués ?
  • Oui, tués.
  • Par qui ?
  • Oh, tu sais, il y a longtemps. » Mauprix insiste et la réponse toujours reste vague. « Eh bien, il y a longtemps, une bataille !
  • Mais alors, puisqu’il y a longtemps, comment se fait-il que les pierres aient été blanchies récemment ?
  • Je ne sais pas. » Le khodja sait, et par recoupements Mauprix comprend. Il écrit dans son compte rendu de voyage : « Chaque année, à l’anniversaire des combats, les Arabes viennent fêter les héros qui sont tombés pour la défense de leur pays en tuant des Roumis détestés. Les pères racontent les faits à leurs enfants, citent les noms des morts et perpétuent la haine contre nous et l’espoir d’une vengeance [6]. » Le caïd, le garde champêtre, le khodja de l’endroit, tous à la solde des Français, n’ignoraient rien et se taisaient, complices tacites et peut-être approbateurs.

On en était là soixante ans après l’entrée dans Alger. La tradition qui se transmet dans les familles constitue en milieu rural une mémoire tenace. Le fait est bien connu. Rien ne prouve que les années suivantes aient estompé ce pieux hommage rendu aux combattants tombés contre les Français et derrière lui toute sa signification cachée.


Une guerre est toujours cruelle. La conquête de l’Algérie n’échappe pas à la règle, une règle où les lois, plus ou moins conventionnelles, sont tout de suite abolies. Dès leurs premiers pas sur le sol algérien, les Français découvrent et comprennent. Malheur à celui qui s’égare ou s’éloigne des rangs ! Un coup de yatagan a tôt fait de lui trancher le col. Malheur aux blessés abandonnés sur le terrain ! Leurs cadavres seront retrouvés en triste état. Malheur aux prisonniers tombés entre les mains de l’ennemi [7] ! La mort ne survient qu’au terme de longs tourments. Les cantinières ne sont pas épargnées. Un témoin rapporte : « Ces Bédouins sont d’effroyables gens, ils coupent une tête avec un plaisir féroce dont il est difficile de se faire une idée. Jugez-en. Dans la chaleur du combat, ils se contentent de saisir le prisonnier, de détacher sa tête du tronc et de l’emporter ; mais quand ils peuvent prendre leur temps, ils commencent par abattre les deux poignets, puis ils coupent les oreilles, puis tailladent la nuque de manière à faire un tatouage sanglant, puis enfin, ils abattent le nez. Ce n’est qu’alors que leur victime cesse de souffrir en ayant le col coupé. Un de nos gens a été délivré de leurs mains après avoir supporté une bonne part de ce traitement. Ses poignets lui étaient restés, son nez et sa nuque se recollent à l’hôpital, mais ses oreilles sont demeurées sur le champ de bataille [8] »

Le ton est donné. Dans cet univers de haine, personne ne retient son bras. Souvent même, les chefs incitent à frapper fort. Savary et Bugeaud ne sont pas les derniers sur cette voie.

Au printemps 1832, Savary lance une terrible expédition punitive sur la petite tribu d’El-Ouffîa, implantée dans la partie orientale de la Mitidja. Il lui reproche d’avoir dépouillé, selon lui, les envoyés du cheikh de Biskra venus solliciter l’aide de la France contre Ahmed bey. Le chef de tribu, fait prisonnier, est exécuté. Les hommes, les femmes, les enfants sont massacrés sans discernement. Cette tuerie, au passif des Français, ne sera pas oubliée. Ferhat Abbas y fera plusieurs fois allusion, notamment en 1931 dans Le Jeune Algérien [9].

Bugeaud exploitera à fond un mode de guerre qui finira par payer, la razzia. Certes, le terme razzia n’est pas d’origine française, il n’est que la dénomination arabe de la terre brûlée, utilisée au Maghreb bien avant l’apparition de Bourmont. Le 4 mai 1830, Ahmed bey écrivait de Constantine à Hussein dey : « J’ai fait une razzia sur une ferka des Oulad Saïd, en révolte contre le cheikh de l’Aurès. Je lui ai pris 2000 moutons, 2000 chèvres, 600 bœufs, 70 bêtes de charge. J’ai coupé 500 têtes... »

Ahmed bey omet uniquement de préciser - son interlocuteur le sait - que les 500 têtes appartiennent aussi bien à des femmes et des enfants qu’à des hommes. Bugeaud fait donc de la razzia l’une de ses principales tactiques pour annihiler les forces vives de l’émir : « il faut empêcher les Arabes, de semer, de récolter, de pâturer », ordonne-t-il.

Ses subordonnés exécutent avec application. Leurs correspondances fournissent des documents instructifs : « Je pille, je brûle, je dévaste, je coupe les arbres, je détruis les récoltes : le pays entouré d’un horizon de flammes et de fumée me rappelle un petit Palatinat en miniature » (Saint-Arnaud). « Pendant que la cavalerie donne la conduite à l’ennemi, l’infanterie s’arrête pour incendier les gourbis et gaspiller l’orge, le blé, etc., qu’on trouve en abondance dans les silos et qu’on ne peut emporter faute de transports » (duc d’Aumale, 1841). « Nous sommes restés plusieurs jours à ce bivouac, détruisant les figuiers, les récoltes et nous ne sommes partis que lorsque le pays a été entièrement détruit » (maréchal des logis de Castellane, 28 mars 1844). « J’ai cru remplir consciencieusement ma mission, ne laissant pas un village debout, pas un arbre, pas un champ » (futur maréchal Forey, alors lieutenant-colonel, le 26 avril 1843). Il ajoute, lucide : « Est-ce mal ? Est-ce bien ? Ou plutôt est-ce un mal pour un bien ? C’est ce que l’avenir décidera. »

Des chefs s’indignent : Wimpfen, Canrobert, Castellane, mais aucun ne se risque à briser sa carrière pour autant. La razzia fait partie de l’art de la guerre. Comment dans de telles conditions les populations pourraient-elles accueillir favorablement ces envahisseurs qui sont de surcroît des infidèles ? Les officiers ne sont pas dupes de leurs sentiments. « Ces peuples, quoiqu’on puisse dire ailleurs, nous exècrent », reconnaît le commandant Canrobert en 1844. En juin 1847, il n’a pas changé d’avis : « Ces gens-là nous exècrent. »


LES ENFUMADES DU DAHRA

Dans cette fureur pour détruire, à tout prix, l’adversaire ressort les épisodes appelés les enfumades du Dahra. En 1843, Bou Maza a soulevé l’Ouarsenis et surtout le Dahra, massif côtier truffé de cavités, au nord de la vallée du Chélif. 4000 hommes, sous Pélissier, Saint-Arnaud [10] et Sidi el-Aridi, [11] traquent les insurgés. Les directives de Bugeaud sont formelles : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, fumez-les à outrance comme des renards. »

Ce qui se produit. Une partie de la tribu révoltée des Ouled Riah se réfugie dans une grotte du Dahra, profonde d’environ cent quatre-vingts mètres. Les Ouled Riah utilisent de longue date cet abri séculaire, il leur servait à échapper aux mehallas des deys. Pris au piège, ils envisagent un moment de demander l’aman. Les négociations ayant échoué, Pélissier, afin de précipiter le dénouement, fait allumer un brasier à l’entrée de la caverne. Un courant d’air active le foyer et entraîne à l’intérieur un flux brûlant de fumée. Le lendemain, près de 500 morts, de tous âges et tous sexes, asphyxiés, seront dénombrés [12].

Révélée, cette affaire secoue la Chambre. Bugeaud couvre son subordonné. Le ministre de la Guerre ne le désavoue pas. Deux mois après, intervient une tragédie identique dans le nord du massif. Les Sbea ont cherché refuge dans une autre grotte. Faute de possibilités de conciliation, Saint-Arnaud fait murer les entrées et n’en dissimulera pas les résultats : « Le 12, je fais hermétiquement boucher les issues, et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les cavernes, personne... que moi ne sait qu’il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les Français. » Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal, simplement, sans poésie terrible ni images. Il ajoute : « Ma conscience ne me reproche rien. J’ai fait mon devoir de chef, et demain je recommencerai, mais j’ai pris l’Afrique en dégoût. »

Le dossier des emmurés de Saint-Arnaud restera confidentiel. Paris n’en apprendra rien sur-le-champ. Par contre, les tribus voisines n’ignoreront pas le sort de leurs coreligionnaires.

Cette guerre à outrance n’est pas l’apanage d’un seul camp. Abd el-Kader et ses khalifas, Bou Maza et les insurgés de toutes origines pratiquent la razzia contre les tribus qui se rallient aux Français. Les atrocités se partagent, les haines s’enracinent. Le souvenir de cette férocité réciproque ne s’estompera pas. On le constatera dans les mémoires des Européens et leur crainte de « l’Arabe ». La constatation sera analogue chez ceux que la terminologie dénommera Arabes, indigènes et, sur la fin, Français musulmans.

L’Algérie sera par la suite regardée à juste titre comme le fleuron des colonies françaises. Il sera cependant oublié qu’elle fut la terre où la conquête fut la plus longue et la plus sanglante. Le fossé de sang sera-t-il jamais comblé ? Il est permis d’en douter. La haine du Roumi se transmettra dans les gourbis. Sinon, comment expliquer les déferlements populaires de mai 1945 dans le Constantinois et du 20 août 1955 à Philippeville ? Le djihad, si mobilisateur soit-il, n’en est pas la seule origine.


UNE PRESENCE ET UNE COLONISATION A DOUBLE TRANCHANT

Les razzias, les enfumades s’inscrivent dans le cadre général du fait guerrier, que l’évolution technique conduira aux bombardements aériens des zones urbaines, à l’emploi des gaz asphyxiants et du napalm [13].

Avec le temps, avec la relève des générations, le passé est malgré tout susceptible de s’estomper. Les peuples, hier ennemis, peuvent se réconcilier dans la mesure où les signes concrets de la discorde disparaissent. La France et l’Allemagne en fournissent une illustration. N’interfèrent plus l’Alsace et la Lorraine ou les horreurs nazies.

Tel n’est pas le cas en Algérie. Après avoir défait l’Etat barbaresque, occupé quelque temps Alger et ses abords, mis en place un nouveau régime, les Français auraient pu s’éloigner. Les traces de leur passage se seraient estompées. Loin de là, les vainqueurs s’incrustent. En relativement peu de temps, en dépit des hésitations initiales, ils marquent leur volonté de s’implanter, dépassant le stade de leur victoire militaire originelle.

Sans trop savoir exactement où elle va, l’occupation du pays se met en place, avec Bourmont, Clauzel, Berthezène, Savary, Voirol... Chacun possède son style. A l’humanisme d’un Berthezène s’oppose le cynisme d’un Savary. Devant les échos contradictoires lui parvenant d’outre-Méditerranée, le 7 juillet 1833 Louis-Philippe nomme une commission d’enquête afin d’établir ce qu’il en est exactement. C’est cette commission qui conclut au maintien de la présence française [14]mais ses attendus préalables sont accablants. Bien des historiens ne les ont pas rapportés, par crainte d’altérer l’image d’un colonialisme porteur de progrès et de développement. Ne pas mentionner les conclusions de la commission de 1833 ainsi que bien d’autres faits postérieurs, c’est refuser de vouloir comprendre les origines profondes du 1er novembre 1954. Cette observation sur des fautes et des erreurs ne doit pas pour autant éliminer les mérites le cas échéant. Comment, par exemple, ne pas relever le dévouement et le sacrifice des médecins militaires en faveur des Algériens lors des épidémies de choléra de 1849-1850 ? La commission, à son retour, écrit donc : « Si l’on s’arrête un instant sur la manière dont l’occupation a traité les indigènes, on voit que sa marche a été en contradiction non seulement avec la justice, mais avec la raison. C’est au mépris d’une capitulation solennelle, au mépris des droits les plus simples et les plus naturels des peuples, que nous avons méconnu tous les intérêts, froissé les mœurs et les existences, et nous avons ensuite demandé une soumission franche et entière à des populations qui ne se sont jamais complètement soumises à personne. Nous avons réuni au Domaine les biens des fondations pieuses, nous avons séquestré ceux d’une classe d’habitants que nous avions promis de respecter, nous avons commencé l’exercice de notre puissance par une exaction ; nous nous sommes emparés des propriétés privées sans indemnité aucune ; et, de plus, nous avons été jusqu’à contraindre des propriétaires, expropriés de cette manière, à payer les frais de démolition de leurs maisons et même d’une mosquée. Nous avons loué des bâtiments du Domaine à des tiers ; nous avons reçu d’avance le prix dû, et, le lendemain, nous avons fait démolir ces bâtiments, sans restitution ni dédommagements.

Nous avons profané les temples, les tombeaux, l’intérieur des maisons, asile sacré chez les musulmans. On sait que les nécessités de la guerre sont parfois irrésistibles, mais on devrait trouver dans l’application des mesures extrêmes des formes de justice pour masquer tout ce qu’elles ont d’odieux. Nous avons envoyé au supplice, sur un simple soupçon et sans procès, des gens dont la culpabilité est toujours restée plus que douteuse depuis ; leurs héritiers ont été dépouillés. Le gouvernement a fait restituer la fortune, il est vrai, mais il n’a pu rendre la vie à un père assassiné. Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits ; égorgé, sur un soupçon, des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentes ; nous avons mis en jugement des hommes réputés saints du pays, des hommes vénérés, parce qu’ils avaient assez de courage pour venir s’exposer à nos fureurs, afin d’intercéder en faveur de leurs malheureux compatriotes ; il s’est trouvé des juges pour les condamner et des hommes civilisés pour les faire exécuter. Nous avons plongé dans les cachots des chefs de tribus, parce que ces tribus avaient donné asile à nos déserteurs ; nous avons décoré la trahison du nom de négociation, qualifié d’actes diplomatiques de honteux guets-apens ; en un mot, nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser, et nous nous plaignons de n’avoir pas réussi auprès d’eux ! [15] »

Jugement sans complaisance, rédigé par des mains françaises !

Les mosquées transformées en lieux de culte catholique [16], en hôpitaux et casernements, sont certainement le point le plus mal supporté par un peuple scellé à sa foi.

Parallèlement, l’arrivée d’un nouveau peuplement porteur d’autres mœurs, d’une autre croyance, avec ses exigences et son sentiment de supériorité d’appartenir au camp des vainqueurs, ne peut qu’accentuer les rancœurs.

Les premiers civils arrivés sous Clauzel, Berthezène, Savary, sont encore relativement peu nombreux et n’ont pas bonne presse. En voyant nombre d’entre eux s’installer comme cafetiers ou tenanciers de tripots, les soldats les baptisent volontiers « vendeurs de goutte »...

Progressivement le flot s’étoffe, de l’ordre de 2000 par an. A l’arrivée de Bugeaud en février 1841, ils ne seront encore que 29 000, ces Européens partis chercher outre-Méditerranée une autre vie, hors d’un vieux continent en crise politique et sociale. La majorité provient des pourtours du Bassin méditerranéen et s’installe d’abord dans les ports, Alger, Oran, Bône, Philippeville, à un degré moindre Bougie, Mostaganem, Djidjelli. Commerçants, artisans, fonctionnaires, spéculateurs pas toujours scrupuleux, ils façonnent ces villes à l’européenne. Alger voit naître la future place du Gouvernement [17], percer la rue Bab Azoun, dépasser les remparts turcs. Ces opérations « à la Haussmann » avant l’heure s’effectuent aux dépens des anciens sites et souvent aussi des occupants (d’où les observations de la commission d’enquête).

A tous ces nouveaux venus - comme à l’armée et à l’administration -, il faut des demeures, des locaux et bientôt des terres avec le démarrage de la colonisation agricole, dans le Sahel d’abord, puis en Mitidja.

Les propriétés des Turcs ou des exilés ne soulèvent pas de difficultés : l’Etat se les approprie, comme il s’attribue les biens de l’ancienne Régence et des fondations religieuses (habou). Les Domaines les rétrocèdent dans de bonnes conditions pour le Trésor. De leur côté, les propriétaires algériens se persuadent que les Français ne resteront pas. Ils leur vendent, généralement à bas prix, pensant tout récupérer à leur départ. La désillusion sera cruelle, ces évictions, de gré ou de force, devenant fait acquis. Pendant des années, les yaouleds algérois entendront le taleb [18] psalmodier la complainte des vaincus :
- O regrets sur Alger, sur ses palais,
- Et sur ses forts qui étaient si beaux !
- O regrets sur ses mosquées, sur les prières qu ’on y priait,
- Et sur les chaires de marbre
- D’où partaient les éclairs de la foi !
- O regrets sur les minarets, sur les chants qui s’y chantaient,
- Sur ses tholbas [19], sur ses écoles, et sur ceux qui lisaient le Coran.

- O regrets sur ses zaouïas [20] dont on a fermé les portes,
- Et sur ses marabouts tous devenus errants
- O regrets sur Alger, sur ses maisons,
- Et sur ses appartements si bien soignés !
- O regrets sur la ville et la propreté
- Dont le marbre et le porphyre éblouissaient les yeux
- Les chrétiens les habitent, leur été a changé !
- Ils ont tout dégradé, les impurs !
- La caserne des janissaires, ils en ont abattu les murs,
- Ils en ont enlevé les marbres.

Après avoir visité Alger en 1844, un « touriste » écrira : « Il se passe d’étranges choses dans les yeux, sur le front sévère de ces Arabes, témoins muets de notre établissement, de nos triomphes, de nos progrès. Il y a des mystères de mépris, de douleur, et d’ironie sur ces fronts. Accroupis sur des pierres, à des détours de rue, à des coins solitaires, ces hommes m’apparaissent comme des Jérémies pleurant sur la chute d’Alger et l’invasion étrangère. [21] »

Les terres ne manquent pas, dans un pays peu peuplé. Des bonnes et des mauvaises ! Les bonnes appartenaient aux Turcs, à des grands propriétaires, à des communautés religieuses ou à des tribus. Plus rarement à des particuliers. Les mauvaises correspondent aux étendues laissées en friche où règnent palmiers nains, genêts, micocouliers, lentisques, jujubiers, cactus, aloès, ronciers et broussailles.

Parfois elles ne présentent que des zones marécageuses, comme dans une bonne partie de la Mitidja. Certaines de ces terres qui donnent l’impression d’abandon ne sont pas inutiles. Elles servent de pâtures et relèvent du domaine tribal.

Plus encore que l’habitat urbain, la surface agricole va opposer les deux communautés, appelées au fil de l’implantation coloniale à vivre côte à côte. Des transactions s’effectuent, certaines régulières, d’autres beaucoup moins. Les besoins croissant, l’administration distribue des lots, fruits de diverses spoliations, biens turcs, biens habous surtout, séquestres à titre de châtiment sur les révoltés. Les tribus perdent alors quantité de leurs bonnes terres ou de leurs aires de pâture.

Ces attributions à la colonisation ne signifient pas que la suite soit facile pour les bénéficiaires. Faire fructifier implique de défricher, de fertiliser un sol souvent délaissé depuis longtemps. Il existe des zones maudites à drainer, à assécher, à conquérir sur les marécages. La création du village de Boufarik [22], les cultures de la Mitidja, des plaines de Bône ou d’Oran fournissent un bel exemple de l’acharnement des colons européens. Acharnement toujours lourdement sanctionné par les maladies, les épidémies, les assassinats, les enlèvements, les massacres. Ainsi, pour revenir à Boufarik, en mai et juin 1840 14 colons y sont enlevés, 42 tués. En 1841, 106 sur 450 meurent de maladies ; en 1842, 92 sont emportés par le paludisme.

Dans ces premières décennies de la colonisation s’ancrent chez les uns et chez les autres des à priori définitifs. Les Algériens accusent : « Cette terre, c’est la nôtre, on nous l’a volée ! » Les Européens répliquent : « Cette terre, c’est notre travail, notre sueur, notre sang ! »

Impossible dialogue, condamné à se durcir et se perpétuer. Les nouveaux arrivants réclament sans cesse de quoi cultiver. Les autochtones se trouvent progressivement contraints de se replier sur des zones déshéritées ou montagneuses. De cette époque naît également un sentiment qui persistera : les massacres de colons, qu’ils proviennent des Hadjoutes ou des divers révoltés, hantent les esprits. La peur de « l’Arabe » sera une constante plus ou moins avouée dans le cœur des Européens. Leurs réactions en découlent. Ils feront tout pour demeurer les plus forts et affirmer leur suprématie en dépit d’une infériorité numérique qui ne leur échappe pas.

Ces Européens n’étaient donc que 29000 à l’arrivée de Bugeaud. Celui-ci n’a pas caché ses intentions : « La conquête serait stérile sans la colonisation. » Sa devise répond à ses préoccupations : Ense et Aratro (Par le fer et la charrue).

La colonisation intensive s’ouvre ainsi sous son impulsion et s’accélère durant la décennie 1840. Les émigrants débarquent et s’installent naturellement au plus près de leurs rivages de départ : Espagnols en Oranie, Italiens, Maltais dans le Constantinois... Le second semestre 1848 voit un apport de 20 502 personnes [23], envoyées en Algérie par un gouvernement soucieux de se débarrasser des éléments turbulents de la capitale au lendemain de la fermeture des ateliers nationaux. Des statistiques « officielles », suspectes dans leur précision, donnent au 31 mars 1849 117 332, dont 54 958 Français, les étrangers étant alors majoritaires [24].

L’élan est donné. Il ne faiblira pas, drainant outre-Méditerranée des immigrés sociaux en quête d’un univers meilleur, mais aussi des exilés politiques. Les 6 000 républicains déportés en Algérie après le coup d’Etat du 2 décembre 1851 seront de ceux-là.

La sécurité assurée, la colonisation s’oriente profondément vers l’intérieur. De nouvelles cités s’édifient et se peuplent autour de postes militaires : Philippeville, Aumale, SidiBel Abbés [25], Batna, Orléansville, etc. Des centres dits de colonisation se construisent, transformant complètement le paysage rural. 700 villages seront ainsi créés. Au fil des années apparaissent :
- Boufarik, déjà cité, le plus ancien et le plus célèbre [26].
- En 1840 : Delly-Ibrahim, Kouba.
- En 1841 : Birmandreis, Birkadem.
- En 1843 : Guyotville, Cheragas.
- En 1844 : Staoueli, Damremont, Saint-Antoine, Valée.
- En 1846 : Mazagran, Sainte-Barbe du Tlelat.
- En 1848 : Castiglione, Novi, Valmy, Saint-Cloud, Gastonville, Jemmapes.

La liste complète serait trop longue, toujours synonyme de formidables efforts et de nouvelles tombes. Si quelques-uns de ces villages conservent leurs patronymes d’origine - Aïn Sultan, Aïn Arnat -, la grosse majorité évoque un grand moment ou un grand nom de l’histoire nationale : Valmy, Fleurus, Marengo, pour la Révolution et le Consulat ; Bugeaud, Lamoricière, Valée, pour la conquête ; Corneille, Arago, Pasteur, pour les arts et les sciences [27].

Par le développement économique apporté, cette colonisation bouleverse et enrichit le pays, même si elle s’effectue en large part au détriment des populations locales dépouillées de leur patrimoine. Suivant les périodes, elle prend plusieurs aspects.

Il y a l’immense foule des immigrants aux mains vides. Ceux-là n’ont souvent que leur courage pour bagage. Beaucoup, anciens citadins, ont tout à découvrir et à apprendre. A côté de tous ces pauvres hères, intervient la colonisation capitaliste. Bugeaud les dénommera « colons aux gants jaunes », ces humanistes comme le baron de Vialar qui investissent leur fortune pour acheter des hectares, implanter des familles et faire œuvre sociale. Les grosses sociétés qui se manifestent à partir du Second Empire - Compagnie genevoise, Société algérienne - n’ont pas les mêmes visées. Les hectares concédés ne débouchent pas toujours sur des constructions de villages et des implantations européennes [28].

Aux uns comme aux autres se pose constamment le problème déjà évoqué : l’attribution de terres. Pour y remédier, l’administration a largement recours aux confiscations sur les révoltés : 168000 hectares saisis aux Hadjoutes après les ravages de 1839, 446000 aux Kabyles après la révolte de Mokrani en 1871. Le choc causé chez les spoliés ne s’effacera pas.

Sous Randon, gouverneur général de 1852 à 1858, intervient un principe aussi subtil que spécieux. Il vise à « fixer les tribus au sol en les condensant » et à récupérer des terres « jugées mortes ». Sur la base des ratios métropolitains du moment, trois hectares par habitant sont jugés suffisants. L’excédent, estimé inutile ou non entretenu, devient disponible. Une telle pratique dite du cantonnement ne tient compte ni des jachères ni des besoins en pâtures des nomades. Elle soulève encore la colère et la rancœur des expropriés auxquels elle n’apporte que de maigres compensations [29]. Les révoltes s’expliquent.

Ce pays qui se francise est à administrer avec deux grandes masses à conduire. D’un côté, celle des Algériens au fur et à mesure de leur soumission, de l’autre, celle croissante des Européens.

L’armée, à l’heure des combats, bénéficiait d’un pouvoir sans réserves. La paix s’établissant, elle a tendance à vouloir conserver ses prérogatives, d’autant qu’au départ presque tout repose sur elle. Outre la sécurité à préserver, elle assure la logistique de la colonisation naissante. Omniprésente, elle est indispensable. Nouvelles cités édifiées aux carrefours stratégiques, voies de communication, ouvrages d’art, bâtiments publics sont son œuvre.

Cette réalité incontournable assoit le « pouvoir du sabre ». Partout, depuis le gouverneur général à Alger, les militaires sont aux commandes. Avec l’éloignement de la menace « arabe », les colons civils acceptent mal cette tutelle. Les rapports se tendent. En bien des cas, l’armée toise de haut les immigrés aux noms à consonance étrangère ou les exilés politiques regardés comme des révolutionnaires. Elle se sent loin d’individus qui ont en outre à ses yeux le tort de gruger les indigènes. Si elle a eu la main lourde durant les diverses phases de la conquête, elle n’entend pas opprimer les vaincus. Au contraire, elle s’applique à les protéger, Bugeaud le premier. Le 1er juillet 1844, le gouverneur général expédie en prison pour un mois le « sieur Mangot qui a pour habitude de maltraiter les Arabes » [30]. Il ne s’agit là que d’un exemple du divorce entre mondes civil et militaire. Le premier aspire à la paix, au profit, le second à la gloire, au pouvoir, sans écarter des préoccupations sociales. Dans les unités indigènes, les rapports sont bons entre encadrement européen et recrues.

Les Bureaux arabes créés en 1833 [31] répondent à cet état d’esprit. Ils ont mission d’assurer « une administration juste et régulière des tribus » et une « augmentation du bien-être chez les indigènes » [32]. Toute une phalange d’officiers arabisants : Lamoricière, Duvivier, Marey-Monge, Pélissier de Reynaud, Richard, Lapasset, Daumas, Hanoteau, Chanzy, etc., œuvrera dans ce sens. Un certain paternalisme autoritaire, des erreurs, des fautes même n’empêcheront pas le corps des Bureaux arabes dans son ensemble de travailler en faveur des populations indigènes en s’opposant souvent aux exigences des colons. Les SAS durant la guerre d’indépendance s’inscriront dans leur lignage.

L’institution par la Seconde République en décembre 1848 de trois départements [33] correspondant sensiblement aux trois provinces héritées de la Régence n’altérera guère le « pouvoir du sabre ». Sous réserve d’une brève interruption, le gouverneur général restera un militaire de haut rang, il faudra attendre les lendemains du 4 septembre 1870 pour que l’armée perde sa prééminence.

Cette Seconde République, à l’existence si brève soit-elle, introduit toutefois en Algérie deux mesures d’importance : elle abolit l’esclavage, libérant ainsi les esclaves noirs de leurs maîtres arabes [34] ; elle engage le début du rattachement de plusieurs branches de l’administration locale (justice, instruction publique, cultes) à l’autorité ministérielle. Elle amorce ainsi un mouvement d’assimilation à la métropole réclamée par les colons mais qui ne trouvera sa pleine conclusion qu’en 1881.

Trois députés sont aussi envoyés à la Chambre et déjà se manifeste un courant qui persistera sous le Second Empire chez les Européens. Ils s’affirment républicains. Contrairement à la métropole, le oui pour le rétablissement de l’Empire ne l’emportera que de justesse en 1852. Les grandes villes, Alger, Oran, Constantine, votent contre. Faut-il dire que seuls les citoyens français participent au scrutin ? Ni les étrangers ni les indigènes n’y ont accès.


RAPPORTÉE AVEC IMPARTIALITÉ ET RIGUEUR, L’AVENTURE PLUS DE DEUX FOIS MILLÉNAIRE DE LA TERRE ALGÉRIENNE ET DE SON PEUPLE.

Pour bien des Français, l’évocation douloureuse de l’Algérie soulève des inquiétudes et pose des interrogations. Pourquoi ce pays, enfin indépendant, en est-il arrivé à un tel déferlement de haines et de violences qui le ronge et l’endeuille chaque jour ?

A cette question, l’Histoire apporte des réponses, éclaire le présent. Durant plus de deux millénaires, l’Algérie s’est cherchée. Les occupants romains, arabes, turcs ou français se sont succédé sur son sol. Aucune figure de proue, hormis Abd el-Kader, aucune dynastie ne se sont véritablement imposées pour façonner une nation. Si les Algériens se sont opposés avec vigueur aux divers envahisseurs, ils n’ont jamais pu, en revanche, se rassembler, déchirés par des rivalités tribales ou ethniques.

Le 1er novembre 1954 marque le début de la guerre d’indépendance. La lutte engagée par une poignée de nationalistes pour mettre fin à 130 ans de présence française s’affirme autant une guerre civile qu’un combat national : les partisans du FLN, de Messali Hadj, et ceux qui prônent la poursuite de la coopération avec la France se livrent à un affrontement sans merci. Dans ce combat, plus d’Algériens périssent de la main de leurs compatriotes que sous le feu de l’adversaire et, l’indépendance acquise, des scissions intestines demeurent. Le pays vacille, des militaires s’emparent du pouvoir que veulent lui arracher certains intégristes islamistes, aussi fanatiques que sanguinaires. Violences, attentats, tueries, répressions se succèdent. 50 000, 100 000 morts, davantage ? Nul ne le sait. L’Algérie tout entière vit dans l’horreur et le dénuement. Quand s’arrêtera son martyre ? Impossible de se prononcer. L’incertitude, la précarité caractérisent plus que jamais son destin.

Pierre Montagnon connaît et aime ce pays auquel il reste profondément attaché. Nombre de ses ouvrages en témoignent. Celui-ci, qui vient particulièrement à son heure, rapporte et éclaire, avec impartiarlité et rigueur, l’aventure d’une terre et d’un peuple qui souffre mais refuse, malgré tout, de renoncer à l’espérance.

Pierre Montagnon. Né en 1931. Saint-Cyrien. Officier de la Légion d’honneur à titre militaire. Historien. Conférencier. Lauréat de l’Académie française. Auteur, entre autres, dans la même collection, de LA GUERRE D’ALGERIE, de /’HISTOIRE DE L’ARMEE FRANÇAISE, de LA GRANDE HISTOIRE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE (10 tomes), de LA FRANCE COLONIALE (2 tomes).

Notes

[1] Ou intempéries. En janvier 1846, la colonne du général Levasseur, prise dans une tempête de neige au sud de Sétif, laisse 150 morts de froid. Les témoins parleront d’un véritable épisode de la retraite de Russie.

[2] La prise de Zaatcha, le 2 décembre 1852, aurait fait 2 300 victimes, hommes, femmes, enfants, selon le colonel Pein (Lettres familières sur l’Algérie).

[3] La liste des généraux et colonels français tués en Algérie est éloquente : généraux Damremont, Perrégaux, Bouscaren, Barrai, Géry, Fitzjames, de Caraman ; colonels Combes, Oudinot, de Maussion, Berthier, Illens, Montagnac.

[4] La colonisation de l’Algérie a par contre coûté très cher en vies humaines, suite essentiellement aux maladies et épidémies.

[5] Secrétaire.

[6] Charles de Mauprix, Six mois chez les Traras, Le Tour du Monde, Hachette, 1889.

[7] Il y aura quelques exceptions dues à la présence d’Abd el-Kader, qui à plusieurs reprises rendra même des prisonniers.

[8] Paul Raynal, L’expédition d’Alger. Lettres d’un témoin, SEGMC, Paris, 1930.

[9] Le Jeune Algérien, La Jeune Parque (Garnier Frères) ; réédité en 1981.

[10] Alors colonel et lieutenant-colonel.

[11] Khalifa de la France pour les tribus soumises de la vallée du Chélif, à la tête d’un goum de plus de 200 cavaliers.

[12] 760 selon un officier espagnol attaché à l’état-major de Pélissier

[13] Sans parler de l’arme atomique.

[14] Voir plus haut, chap. 13.

[15] Procès-verbaux et rapports, Paris, 1834, p. 333 et suiv.

[16] Ce qui ne se produira pas uniquement à Alger (où la mosquée Ketchawa est transformée en cathédrale Saint-Philippe) mais à Constantine, Oran, Blida, etc.

[17] Initialement place Royale. La statue du duc d’Orléans, fondue dans le bronze des canons turcs, y est érigée en 1845. Cette statue est aujourd’hui devant l’hôtel de ville de Neuilly.

[18] Le lettré, qui sait lire.

[19] Pluriel de taleb : les lettrés

[20] Congrégation religieuse.

[21] Poujoulat, Voyage en Algérie, op. cit., p. 17.

[22] Et de beaucoup d’autres. Boufarik sur le lieudit Souk el-Tenin, marché du lundi, ne comprenait aux origines qu’un marché, un puits, une kouba et quatre vieux trembles.

[23] La moitié seulement restera. 3 400 mourront rapidement.

[24] Soit 35222 Espagnols, 8 115 Italiens, 6040 Allemands, 8908 Anglo-Maltais, 882 Maltais.

[25] C’est à la fin de novembre 1843 que le 3e bataillon du 1er régiment de la Légion vient s’établir à Sidi Bel Abbés où Bugeaud a décidé « la création d’un poste ».

[26] Le centre de colonisation de Boufarik est créé par Clauzel le 27 septembre 1836.

[27] Tous ces villages ont été débaptisés après l’indépendance pour prendre souvent le nom d’un héros de la guerre. Ainsi Condé Smendou est devenu Zighout Youssef en mémoire de l’ancien commandant de la wilaya 2 tué en 1956 ; Bizot, Didouche Mourad, commandant de la wilaya 2 tué en 1955 ; Paul Cassaigne, Benab-delmalek Ramdane, tué le 1er novembre 1954.

[28] Bugeaud tente également de lancer, suivant une idée qui lui tient à cœur, une colonisation militaire « à la romaine ». Il ne sera pas suivi.

[29] Cette spoliation se poursuivra, avec d’autres modalités. En 1928, les colons d’un village des environs de Médéa demandent à l’administration d’augmenter la surface de leurs lots de terre et font intervenir leur député. La réponse du gouverneur général dit en substance : « Mon administration a demandé aux indigènes de la région de vous vendre leur terre de gré à gré. Ceux-ci ont obstinément refusé. Dans ces conditions, nous allons procéder à leur expropriation pour utilité publique. » Signé Pierre Bordes.

[30] Lettre du 1er juillet 1844 du général Bugeaud au procureur général Dubodau à Alger.

[31] Supprimés par Valée en mars 1839, rétablis par Bugeaud en 1841, les Bureaux arabes disparaîtront pratiquement après 1870, sauf dans les Territoires du Sud (ils étaient alors 41 plus 15 annexes).

[32] Expression du commandant Daumas, figure marquante des Bureaux arabes.

[33] Soit Alger, Oran, Constantine. Dans ce cadre les territoires dits civils, correspondant aux zones pacifiées et pénétrées par les Européens, y sont comme en métropole divisés en arrondissements et communes avec sous-préfets et maires nommés dans les petites communes. Les conseils généraux ne seront institués qu’en 1858 par Napoléon III. Les territoires militaires demeurent sous la férule complète des généraux et des officiers.

[34] Mesure adoptée le 27 avril 1848. En Algérie, les esclaves noirs étaient estimés à encore environ 18 000. Leurs maîtres arabes seront dédommagés.

2 Messages de forum

  • La france finira par payer pour tout ses crimes. Plus de 7 millions d’Algériens massacrés en 132 ans. Un vrai génocide. Plus grave encore L’aliénation d’un peuple qui intellectuellement dépassait de loin les vanupieds, soulards et criminels de toutes espèces envoyés en Algérie pour semer la mort aidés par des sanguinaires comme pélissier, rovigo, lacoste etc... Un patrimoine matériel et immatériel saccagé, violé et souvent volé, opéré sauvagement avec des méthodes barbares. La france continue sa politique colonialiste au sahel pour les mêmes raisons car cette dernière ne peut pas s’épanouir sans pillage des richesses d’autrui. Une seule conviction nous aide à supporter cette histoire immonde, c’est que le mal ne triomphe jamais et que tout ceux qui se réjouissent des crimes de la france soient maudits à jamais.

    • Votre réaction est conforme à l’air du temps. Comme il faut raison savoir garder, je crois préférable de vous renvoyer à l’article de Michel De Jaeghere, directeur du Figaro Histoire. Voir https://www.lefigaro.fr/vox/histoir...

      Cet éditorial est extrait du nouveau Figaro Histoire : « Ce qu’était l’Algérie française » (132 p., 8,90 €), disponible en kiosque et sur le Figaro Store. Publié le 04/12/2020.

      FIGAROVOX/CHRONIQUE – L’histoire de la France en Algérie mérite mieux que des jugements manichéens et sommaires. Les hésitations de la politique coloniale de la France ont pourtant été réelles et contribuèrent à la tragédie, raconte le directeur du Figaro Histoire, qui consacre le dossier de son nouveau numéro à ce sujet.

      L’histoire a tous les ressorts d’un drame antique. Non seulement parce qu’elle s’est achevée dans les larmes et le sang, la trahison de la parole donnée, l’exode de plus d’un million de nos compatriotes, la livraison de 70 000 supplétifs au couteau des égorgeurs, l’abaissement du pays, sa résignation à sortir de l’histoire afin de consacrer, selon les vœux du général De Gaulle, ses « milliards » à son seul bien-être (allocution du 4 novembre 1960), mais parce qu’il était devenu, dès longtemps, inévitable que le dénouement soit tragique : parce que la situation était sans issue.

      La colonisation de l’Algérie, la France s’y était lancée sans idée préconçue. Le débarquement des troupes du général de Bourmont à Sidi-Ferruch répondait certes au très ancien désir des puissances occidentales de mettre fin à la piraterie des Barbaresques, au terme de laquelle des dizaines de milliers d’Européens avaient été réduits à la servitude par les maîtres du petit royaume esclavagiste implanté, sous la protection ottomane, sur la côte d’Alger. Mais il avait tenu surtout au désir du gouvernement ultra de Charles X d’accroître son prestige par une victoire militaire éclatante. Le régime ne lui avait guère survécu plus de trois semaines. La conquête de l’intérieur du pays avait été menée par les troupes de Louis-Philippe, qui avait lui-même condamné l’expédition de 1830 comme une entreprise « liberticide ». Elle avait été consolidée, sous Napoléon III, par un empereur qui imaginait que l’Algérie devienne un jour un royaume arabe uni, à travers sa personne, à la France, mais qui n’eut ni le temps ni l’autorité d’imposer aux Européens qui s’y étaient installés de s’associer les indigènes en leur consentant largement la propriété du sol. La colonie avait été administrée, sous la IIIe République, par des républicains qui proclamaient leur attachement aux principes de liberté et d’égalité de la Révolution française en même temps qu’ils inventaient un système électoral destiné à éviter que les autochtones s’imposent, par leur nombre, au cœur de nos institutions.

      Jamais on ne parvint à choisir franchement entre mettre en valeur des terres en friches, en les confiant à des colons ; ou sédentariser au contraire les indigènes et s’efforcer d’organiser, avec eux, eux un territoire associé à la France.

      « Je ne crois pas que la France puisse songer sérieusement à quitter l’Algérie, avait proclamé en 1841 Tocqueville, de retour d’un voyage in situ. L’abandon qu’elle en ferait serait aux yeux du monde l’annonce certaine de sa décadence. (…) Tout peuple qui lâche aisément ce qu’il a pris et se retire paisiblement de lui-même dans ses anciennes limites proclame que les beaux temps de son histoire sont passés. » Toutes les élites françaises en restèrent, pendant cent vingt ans, convaincues. Mais jamais on ne parvint à choisir franchement entre deux branches d’une alternative : mettre en valeur des terres en friches, laissées à l’abandon par les tribus qui y nomadisaient, en les confiant à des colons chargés de faire fleurir le désert de pierres ; traiter le pays en table rase, sur quoi on bâtirait une nouvelle France ; ou sédentariser au contraire les indigènes et s’efforcer d’organiser, avec eux, un territoire associé à la France, destiné à subir notre domination, notre influence, mais s’occupant lui-même de ses affaires courantes.

      La première formule était celle qu’avaient choisie les fondateurs des Etats-Unis. Elle supposait que les autochtones soient soumis sans faiblesse, parqués dans des réserves, et que le pays soit repeuplé par une émigration qui assure à notre profit leur « grand remplacement ». Elle avait paru manquer d’humanité, parce qu’elle impliquait, en définitive, la réduction des Arabes et des Berbères à la condition des Indiens d’Amérique ou des aborigènes d’Australie. La crise démographique qui avait frappé la France cent ans avant le reste de l’Europe, dès la fin du XIXe siècle, ne lui avait d’ailleurs pas laissé les moyens de peupler le pays.

      La seconde était celle qui avait permis, jadis, à l’Empire romain de se maintenir pendant cinq siècles dans les provinces qu’il avait soumises, les armes à la main, sur le pourtour de la Méditerranée. Elles avaient certes été dotées de gouverneurs chargés de rendre la justice et de faire régner l’ordre à la tête de troupes d’occupation, de superviser la construction de routes, d’aqueducs, d’entrepôts et de ponts. Des colonies peuplées de citoyens romains y tenaient lieu de point d’appui à la cité-mère, en même temps que de modèles proposés aux peuples vaincus, pour les inciter, en les imitant, à la romanisation. Mais elles coexistaient avec des cités autochtones, qui n’avaient perdu d’autre liberté que celle de se faire mutuellement la guerre ; qu’on laissait, leur tribut payé, libres de s’administrer elles-mêmes. La formule supposait qu’on se sentît assez fort pour laisser prospérer ses conquêtes : qu’on fût capable à tout instant de casser la renaissance d’un indépendantisme hors de saison.

      Rome y était parvenue par la menace que constituait la présence de ses légions, le caractère impitoyable de ses répressions ; par le fait que son empire était devenu, avec le temps, le seul horizon, la seule forme pensable de gouvernement. Mais aussi parce qu’après les confiscations qui avaient, d’abord, sanctionné leur défaite, on avait laissé aux peuples conquis une assez large autonomie. Qu’on les avait, progressivement, liés au peuple-roi en leur offrant de partager la citoyenneté romaine : honneur qui leur donnait des privilèges judiciaires sans leur fournir les moyens de peser sur le gouvernement. Qu’on avait noué avec eux par le mimétisme des institutions, la diffusion des lettres latines, des arts, des jeux, des habitudes, les liens d’une communauté de civilisation.

      La IIIe République buta sur l’obstacle à l’assimilation que représentait l’attachement des autochtones à l’islam. Il interdisait aussi bien la fusion des populations que leur acculturation.

      La IIIe République, à qui revint, après les premiers tâtonnements, de choisir la manière dont serait administrée la conquête, était fondée sur des principes - celui, singulièrement, de la souveraineté du peuple - qui rendaient impossible l’ouverture de la citoyenneté française à la totalité des autochtones sans condamner les colons et la métropole elle-même à la submersion. Elle hésita en outre à scolariser en masse des indigènes réticents, dont on attendait qu’ils tiennent lieu d’ouvriers agricoles sans se poser d’inutiles questions. Elle buta sur l’obstacle à l’assimilation que représentait l’attachement des autochtones à l’islam. Il interdisait aussi bien la fusion des populations (comme elle s’était faite avec les Indiens dans les colonies espagnoles d’Amérique latine) que leur acculturation.

      Elle choisit de ne pas choisir, empruntant à la fois deux voies contradictoires, qui finirent par rendre la situation inextricable. Hostile à l’idée d’association, par tradition jacobine, elle encouragea la colonisation, l’émigration des populations d’Alsace-Lorraine, la naturalisation des Espagnols, des Italiens, des Maltais émigrés en Afrique du Nord, et distribua aux colons les terres confisquées aux tribus. Mais si leur nombre fut multiplié par dix en un siècle, jamais ces Européens ne furent assez nombreux pour prendre, seuls, possession du pays, l’exploiter sans le recours à une abondante main-d’œuvre indigène. Ils ne représentèrent, au mieux, qu’un habitant sur sept. Comptable des intérêts de cette minorité qu’elle avait chargée de défricher l’Algérie, elle maintint dans un statut discriminatoire les Arabes qu’elle n’avait voulu ni chasser tout à fait de leur terre ni associer pleinement à son destin. Or ils formaient 85 % de la population. A leurs élites, elle avait offert au surplus d’accéder, par l’école, aux Lumières. Ils y apprirent d’elles que tous les hommes avaient vocation à participer aux affaires publiques, que rien ne justifiait, entre eux, une inégalité de traitement : la leçon était cruelle. Les bienfaits qu’apporta dès lors la France aux autochtones par la diffusion de la médecine et de l’hygiène, le développement de l’agriculture, la construction de routes (80 000 km), de voies ferrées (4 350 km), d’hôpitaux (150), de ports de commerce (14), favorisèrent leur expansion démographique sans désarmer leurs frustrations.

      Seule parmi nos colonies à avoir fait l’objet d’une émigration européenne, l’Algérie se distinguait des autres territoires conquis outre-mer. La République proclamait que l’Algérie, c’était la France, comme en témoignait sa départementalisation. Or elle était habitée par une population à l’immense majorité de laquelle il lui était impossible de donner la citoyenneté française, sauf à s’exposer à subir son influence, bientôt sa domination. Jamais elle ne parvint à surmonter cette contradiction.

      Ne lui restait d’autre atout que la force. Dans le monde multipolaire du XXe siècle, qui l’avait vue contrainte en 1914-1918 de défendre avec peine son propre sol, connaître en 1940 l’invasion et la défaite, et alors que se levait, partout, le vent de la décolonisation, attisé par les nouvelles grandes puissances - les Etats-Unis et l’URSS -, la France ne put assurer sa suprématie qu’au prix d’un effort démesuré, harassant.

      L’histoire de l’Algérie française ne correspond guère à la caricature qui est faite aujourd’hui de tout ce qui touche à la colonisation.

      L’histoire de l’Algérie française ne correspond guère à la caricature qui est faite aujourd’hui de tout ce qui touche à la colonisation. Elle ne fut pas cette terre d’iniquité dont les colons français auraient pillé les fabuleuses richesses pour exploiter sans retenue les indigènes. La guerre de conquête y avait certes été cruelle (sans doute près de 300 000 morts). La paix française et l’éradication de la peste, du typhus et de la variole n’en firent pas moins passer la population musulmane de 3 à 12 millions de personnes (1830-1962).

      La grande masse des « pieds-noirs » était constituée d’artisans, d’ouvriers, d’employés, de fonctionnaires, dont le revenu moyen était inférieur de 20 % à celui de la métropole quand celui des fellahs, analogue à celui des ouvriers agricoles en Italie et en Espagne, était cinq fois supérieur à celui des paysans égyptiens. En 1954, sur quelque 1,2 million d’Européens, 19 000 seulement possédaient des terres, 120 disposaient de propriétés de plus de 100 ha. 60 % des surfaces cultivables (il est vrai les moins fertiles) appartenaient à des musulmans. Celles des Européens avaient été défrichées de leurs mains. Les 372 000 ha du vignoble algérien y avaient été plantés par leurs soins. Confisquées pour cause d’inculture ou achetées à bas prix au profit de la colonisation (2,8 millions d’ha sur 7,1 millions de terres agricoles), elles étaient, avant la conquête, souvent laissées à l’abandon, les plaines étant livrées à des pillards qui contraignaient les paysans à se réfugier dans les montagnes. Confrontée à la montée du nationalisme, la France fournit avec le plan de Constantine, en 1958, un ultime et formidable effort d’équipement, d’industrialisation et de scolarisation pour s’attirer le soutien de la population par l’ampleur des réalisations qu’elle mettait en œuvre pour elle.

      L’entreprise ne s’en solda pas moins par un échec sanglant. Il nous apprend qu’il est vain, pour une démocratie, de prétendre poursuivre un rêve d’empire. Une telle ambition suppose l’acceptation d’une inégalité de conditions contraire à ses principes, ou la capacité de remplacer la population, par extinction des autochtones et afflux intensif de l’immigration.

      La colonisation appartient, pour nous, à l’histoire. Celle de l’Algérie n’en est pas moins riche d’enseignements.

      Le constat pesa lourd, sans doute, dans le retournement du général De Gaulle en 1959, sa trahison des espérances entretenues quand son nom était devenu un signe de ralliement pour ceux qui entendaient maintenir l’Algérie dans la France, et qui avaient joué un rôle décisif dans le « coup d’Etat de velours » qui lui avait permis de prendre le pouvoir l’année précédente (opération « Résurrection »). Il éclaire sa hâte de se « dégager » à tout prix du bourbier algérien, fût-ce en livrant en 1962 le pays, nanti d’un Sahara sur lequel il n’avait aucun droit historique, à une nomenklatura hostile, plutôt que de prendre le temps de passer les commandes à l’élite des musulmans ralliés à la France, après avoir engagé pourtant l’armée française, au prix de lourds sacrifices, à mettre hors de combat ses ennemis sur le terrain. Le paradoxe est que cet abandon se traduisit, en peu d’années, par le transfert des mêmes difficultés en métropole, du fait de l’afflux immédiat de l’immigration que suscitèrent les désordres liés aux échecs de l’Algérie indépendante et, plus généralement, la ruine des pays nés de la décolonisation.

      La colonisation appartient, pour nous, à l’histoire. Celle de l’Algérie n’en est pas moins riche d’enseignements. Soucieuse, à ses commencements, de sortir de la contradiction qui minait sa volonté de puissance, la IIIe République avait cru, un temps, pouvoir y échapper par l’assimilation. Elle reprit à son compte, en 1870, les dispositions du sénatus-consulte par quoi le Second Empire avait généreusement proposé aux musulmans d’Algérie d’accéder à la plénitude de la citoyenneté française. Elle n’y mit, comme lui, que la condition qu’ils renoncent à leur droit personnel - à l’application de la loi musulmane, la charia - pour se soumettre au Code civil. Dans leur immense majorité, ils s’y refusèrent, tenant un tel renoncement pour une apostasie et une trahison. Dans le même temps, l’assimilation des Italiens, des Espagnols, des Maltais de culture chrétienne qui formaient à la fin du XIXe siècle plus du tiers de la population européenne, comme celle des Juifs, naturalisés en bloc en 1870, se fit sans heurts majeurs (malgré d’ultimes manifestations d’antijudaïsme) en quelques décennies. Le précédent rend imprudente l’opinion selon laquelle l’islam ne serait en rien un obstacle à l’intégration des populations étrangères à la nation française.

      Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a estimé le 4 juillet dernier le nombre d’Algériens vivant en France à 6 millions (interview à France 24). C’est le double de ce qu’ils étaient en 1830 sur le territoire algérien. Une estimation plus modérée du Pew Research Center, un think tank américain, parvient à un chiffre analogue pour l’ensemble des musulmans présents sur notre sol. En donnant son indépendance à l’Algérie dans les pires conditions, De Gaulle avait, confia-t-il à Alain Peyrefitte, voulu éviter que son village s’appelle un jour Colombey-les-Deux-Mosquées. Il y a aujourd’hui deux mosquées à proximité immédiate de Colombey-les-Deux-Eglises : à Bar-sur-Aube et à Chaumont.

      Figaro « Ce qu’était l’Algérie française », 132 pages, 8,90€, disponible en kiosque et sur le Figaro Store.


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