L’assimilation, qui est d’abord une affaire de cœur, a été rendue hideuse par ceux qui s’y opposaient. Comment ? Pourquoi ? Et avec quelles conséquences ? L’une de nos plus brillantes analystes de l’immigration et de l’intégration expose le problème. Sans mâcher ses mots.
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MÉRITENS
Y-a-t-il jamais eu, du point de vue historique, une véritable politique française en matière d’immigration ?
Malika Sorel-Sutter - En tout premier lieu, il convient de rappeler que, contrairement à ce qui a été colporté, la France, comme l’ont mis en exergue les travaux, entre autres, de l’historienne Marie-Claude Blanc-Chaléard, n’est devenue terre d’accueil pour migrants que très récemment dans son histoire, puisque le phénomène démarre avec l’exode de paysans italiens qui fuient leur pays dans la période 1860-1870. Si l’on entend par politique d’immigration une planification qui tient compte de l’ensemble des variables de l’équation immigration, alors non, il n’y a jamais eu de véritable politique d’immigration. Pour ce faire, il eût fallu prendre en considération la capacité d’intégration culturelle des migrants, la capacité d’assimilation de la société française, ainsi que la réalité du marché de l’emploi. Aujourd’hui encore, malgré toutes les informations dont disposent les élites dirigeantes sur ces trois volets, et en dépit des nombreux voyants qui ont viré au rouge, c’est la fuite en avant qui tient lieu de politique d’immigration. Après moi le déluge pourrait être l’intitulé de la pièce dont les acteurs se recrutent aussi bien dans le monde politique que dans celui des médias, des intellectuels, du spectacle, sans oublier celui de l’économie et de la finance, pour laquelle tout obstacle à la libre circulation des biens et des personnes doit être abattu, car il empêche la maximisation des profits.
On continue à vanter la réussite de l’intégration des populations européennes, mais était-ce totalement vrai ?
On vit dans un fantasme absolu. Là aussi, ce point a été étudié. Je rappellerai les travaux de l’historien Daniel Lefeuvre, qui s’appuyait sur l’étude conduite par Pierre Milza concernant le flux transalpin de 1870-1930. Malgré leur très grande proximité culturelle avec les Français, seul un Italien sur trois a réussi à s’intégrer. Laisser croire que les immigrés extra-européens peuvent faire mieux est irresponsable, aussi bien vis-à-vis de la société française que des immigrés eux-mêmes, car ce mensonge est à la source d’un profond malentendu et a de graves conséquences.
Que doit être une intégration réussie ?
L’intégration consiste à s’approprier les principes et valeurs qui composent l’identité du peuple d’accueil, puis à les transmettre à ses descendants. La réussite du processus d’intégration aboutit à l’assimilation, qui se joue sur le registre affectif et moral. C’est un choix personnel. On intègre des individus, pas des peuples. C’est ce que le général de Gaulle avait compris, et c’est la raison majeure pour laquelle il avait décidé de décoloniser l’Algérie. Il suffit de relire ses propos consignés par Alain Peyrefitte. Comme je l’avais longuement développé devant la mission parlementaire sur la nationalité en février 2011, le fait d’avoir vidé l’intégration de son contenu est source de grands errements, lesquels perdurent malheureusement à ce jour comme en témoigne aussi bien le rapport « La grande nation pour une société inclusive » (février 2013) que le rapport en cinq volets sur la refondation de la politique d’intégration, rendus publics sur le site internet de Matignon en novembre 2013, et qui avaient déclenché, ajuste titre, une véritable bronca.
L’assimilation est principalement une affaire de cœur ; pour preuve, les drapeaux que de nombreux jeunes issus de l’immigration brandissent chaque fois qu’une occasion se présente. Le pays de leurs parents ne leur a rien donné ; il est même la cause de l’exode de leurs ascendants, et c’est néanmoins pour lui que bat leur cœur. La France leur a donné tout ce qu’ils possèdent sur le plan matériel, mais elle ne reçoit que très rarement de démonstrations de reconnaissance. Les Français, et plus largement les citoyens des démocraties, qui sont devenus - exactement comme l’avait prédit Alexis de Tocqueville - individualistes et matérialistes, prêtent aux autres peuples leurs propres inclinations et s’entêtent à attribuer l’échec de l’intégration à la dimension économique. Or il n’en est rien. Autre illustration de l’échec du processus d’intégration : l’importation croissante sur le sol français des conflits internationaux. En septembre 2008, auditionnée par la commission Simone Veil sur la Constitution, j’avais insisté sur le fait que la propension de nos élites à emprisonner les enfants de l’immigration dans la case « diversité » renforcerait l’importation des conflits qui engagent leurs peuples d’origine et finirait par peser sur la politique intérieure de la France. Témoin la violence des événements survenus à Sarcelles au cours du dernier week-end.
Notre modèle d’assimilation est-il mort ? Et si oui, pourquoi ?
Il y aura toujours ça et là des individus qui s’assimileront, mais c’en est fini pour le plus grand nombre. L’importance des flux migratoires - augmentés d’un fort taux de natalité et de mariages mixtes qui sont pour nombre d’entre eux, comme l’a mis en évidence la démographe Michèle Tribalat, l’union de deux personnes partageant la même culture dont l’une possède des papiers d’identité français et l’autre pas - a conduit à la reconstitution des communautés d’origine. Les migrants se retrouvent sous la pression de leur groupe culturel, qui ignore la liberté individuelle. La société française étant plus tolérante, ils n’ont d’autre choix que de la considérer comme variable d’ajustement.
En 1981, Georges Marchais demandait l’arrêt de l’immigration. En 1990, Michel Rocard évoquait l’hypothèque qui pesait sur les chances d’intégration des étrangers installés. Ils n’ont pas été écoutés. L’assimilation a été rendue hideuse par ceux qui ont dépeint les Français comme des racistes prompts à discriminer. En dressant chemin faisant les enfants de l’immigration contre les Français, cette idéologie a compromis la construction de liens de fraternité, en l’absence desquels les nuages sombres s’amoncellent au-dessus de la France. Ajoutez à cela l’instauration de politiques publiques préférentielles fondées sur l’appartenance à la « diversité » - même si elles sont travesties sous d’autres critères -, et le tour est joué : l’assimilation ne possède plus guère d’attrait, d’autant que l’État ne respecte pas la corrélation qui devrait exister entre octroi des papiers d’identité français et assimilation. La perspective d’obtention de ces papiers, qui sont autant de titres de propriété sur la terre, constituait pourtant la plus puissante des motivations à l’assimilation.
Quel est à cet égard le degré de conscience des peuples face à leurs élites ?
Partout les peuples européens cherchent une parade, d’où les résultats que l’on sait aux récentes élections européennes. Le temps est révolu où les élites ne possédaient pas suffisamment d’informations sur le sujet. Nous sommes otages d’une situation créée par la globalisation, où s’est formée une concordance inattendue d’intérêts. L’Union européenne a changé de cap par rapport à son projet d’origine. Elle est devenue ultralibérale et favorable à l’immigration de masse. Les peuples et leurs nations sont vus comme des obstacles. C’est sous cet angle qu’il convient d’analyser la création de métropoles ou de grandes Régions qui affaibliront les États en les amputant de leurs prérogatives. Les élites nationales sont devenues, pour beaucoup, mondialisées ; leurs intérêts ne coïncident plus nécessairement avec les intérêts nationaux, d’où leur coopération à ce mouvement insensé qui menace le noble projet d’Union européenne, destiné à doter notre espace des attributs de puissance et d’influence indispensables dans la mondialisation.
Revenons plus particulièrement à la France. Que faut-il penser du slogan « France, terre d’immigration et de métissage » ? Notre époque épouse de plus en plus les traits de la société décrite dans 1984 par George Orwell. Je renvoie à la lecture édifiante des rapports sur l’intégration que j’ai déjà mentionnés. En résumé, pour que l’Autre devienne un Français, il faut que le peuple français s’efface, rompe avec son identité. Rien n’est laissé au hasard ; même la langue française se voit contester son piédestal. À l’heure où je vous parle, contrairement aux signaux envoyés, ces rapports n’ont pas été enterrés. Il faut s’attendre à ce qu’ils ressurgissent grimés, et sous d’autres formes. Le retour sur le devant de la scène, le 14 juillet dernier, de l’octroi du droit de vote aux étrangers annonce la couleur.
Observez-vous un retour du religieux en France ? Comment analysez-vous la situation actuelle ?
Il n’y a pas vraiment de retour du religieux chez les Français, qui se sont sécularisés après des siècles d’affrontements fratricides et de souffrances. Il y a, du fait des flux migratoires en provenance de sociétés non sécularisées, où la religion est un principe d’organisation, une énorme difficulté à apprendre à vivre dans le respect des normes collectives propres à la société française. Une fois encore, ce sont les dirigeants politiques, y compris des élus locaux, qui se sont mis à violer le principe de séparation des Eglises et de l’Etat pour adapter la France aux nouveaux entrants, parfois sans même que ces derniers ne le demandent. Tout refus d’accommodement est désormais assimilé à une discrimination et fait naître des tensions. Il suffisait pourtant que nos politiques veillent au respect de la laïcité tout en rappelant qu’elle existait bien avant l’arrivée de ces flux. La laïcité ne constitue, en aucun cas, une quelconque discrimination. Le refus de la respecter est de plus en plus mal vécu par les Français, qui y sont viscéralement attachés car elle est devenue un marqueur de leur identité ; et pour cause, puisqu’elle sous-tend des principes tels que la liberté individuelle, l’égalité homme-femme, la liberté de conscience. Pour contenir la propagation de la religion comme outil politique qui régit la Cité, il est essentiel que le législateur vienne préciser un ensemble de règles de cohabitation qui étaient jusqu’alors tacites entre les Français, car ils partageaient la même histoire politique et culturelle.
Les autorités religieuses chrétiennes sont-elles lucides à cet égard ? Pas vraiment. Je suis d’ailleurs choquée par l’injustice que le pape commet lorsqu’il culpabilise les Européens en les accusant d’égoïsme et en leur demandant d’accueillir davantage de pauvres, oubliant que les Européens ont beaucoup fait. Il se focalise sur la souffrance des corps et néglige la souffrance morale de ceux qui fuient leur patrie. Il oublie que les migrants sont aussi pourvus d’une spiritualité, que l’épreuve de l’exil les poussera à reconstituer leur communauté spirituelle sitôt qu’ils se trouveront en nombre suffisant sur la terre d’exil. La compassion du pape participe malheureusement à desservir la paix sur le long terme.
Comment voyez-vous l’avenir et quel est votre message ?
Les Français ont préféré sacrifier l’avenir au présent. Ils n’ont eu de cesse de fuir les tensions et l’adversité, remettant le plus souvent les clés de leur destin entre les mains des politiques qui leur souriaient le plus. Ils ont privilégié la sympathie de façade à des qualités telles que le courage politique et la capacité à se projeter et à anticiper, dispositions indissociables d’une véritable aptitude au commandement. Chacun sent bien à présent que la situation peut à tout moment échapper à tout contrôle. La citoyenneté est un exercice quotidien qui doit commencer par une vigilance accrue quant au respect des principes républicains, qui ne sont que la traduction du pacte moral qui lie les Français entre eux. Il faut tisser de nouveaux liens de solidarité pour sortir de l’individualisme et renouer avec la conscience d’appartenir au même corps politique, bien au-delà de clivages partisans mortifères. La jeunesse est l’avenir de tout pays. Face à l’indifférence grandissante de nos « élites » pour une grande partie de notre jeunesse, considérée comme non-prioritaire, il est vital, afin de lui redonner foi en l’avenir, de restaurer la méritocratie républicaine à tous les étages de la société. Classe politique comprise.
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MÉRITENS
Ndlr Miages-djebels, en complément à l’article du Figaro, comme le débat sur l’assimilation ne date pas d’aujourd’hui,
lire le le mémoire de fin d’études de Julien Fromage L’Algérie vivra-t-elle ? ou le projet Blum-Violette au temps du Front populaire. http://doc.sciencespo-lyon.fr/Resso...
lire également le projet de texte de loi Blum-Violette, en cliquant sur l’a photo de Maurice Violette ci dessous