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Passeur de religion

jeudi 10 décembre 2015, par Jacques de SAINT VICTOR

ANDRÉ VAUCHEZ Le grand spécialiste de la spiritualité au Moyen Âge publie une biographie de Catherine de Sienne. Rencontre

Article de Jacques de SAINT VICTOR, publié dans le Figaro du jeudi 10 décembre dans les pages en marge littéraire.


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André Vauchez trouve aujourd’hui des échos à certaines expressions médiévales de folie meurtrière liées à la religion.

QU’EST-CE QUE la religion ? En ces temps troublés, où d’ aucuns affirment que nous assistons à un retour du religieux, tandis que d’autres contestent cette hypothèse et parlent d’un simple recours au religieux, la question est de plus en plus aiguë. Elle s’est récemment invitée de la façon la plus effroyable avec les attentats du 13 novembre. Ont-ils quelque chose à voir avec l’islam ? Chacun y est allé de son interprétation. Le philosophe allemand Jûrgen Habermas, spécialiste de l’agir communicationnel, nous assurait doctement dans Le Monde que le « fondamentalisme djihadiste » avait certes recours « dans ses manières de s’exprimer » à tout un code religieux, mais qu’en réalité il n’avait rien à voir avec la religion. Si chacun décide à sa guise de ce qu’est la « vraie » religion, rejetant comme « non religieux » ce qui ne lui convient pas, il va devenir de plus en plus difficile de s’y retrouver [1]. Alors, qui mieux qu’un des meilleurs historiens de la religion à l’époque médiévale - ces « siècles religieux » par excellence - pour tenter de nous éclairer dans cette forêt obscure ?

André Vauchez, qui vient de publier une belle biographie de Catherine de Sienne, est une personnalité discrète, comme le sont souvent les grands savants. Membre de l’Institut et de l’Académie des Lynx (Rome), ce chrétien très ouvert, « laïc » au sens de 1905 mais « pas laïciste », est un universitaire de haut vol, professeur émérite d’histoire du Moyen Âge à Paris-X Nanterre et ancien directeur de l’École française de Rome, où il a fréquenté Paul VI et Jean-Paul II. Les travaux de ce médiéviste de réputation internationale ont tous porté sur la religion au Moyen Âge ; il a en particulier dirigé avec trois autres collègues la monumentale Histoire du christianisme (Desclée) en quatorze volumes de plus de mille pages chacun. Il a reçu en 2013 le prestigieux prix Balzan pour son œuvre, un prix italo-suisse doté de 750000 francs suisses qui lui a permis de consacrer la moitié de la somme pour créer une Fondation pour le développement de l’histoire religieuse du Moyen Âge, afin de soutenir certains jeunes chercheurs dans ce domaine. « Quand j’ai commencé ma thèse, dans la France des premières années de la Ve République, l’histoire religieuse était totalement méprisée. On avait une mauvaise appréhension de ces questions. Il était proscrit par exemple de parler de ses convictions. Les maîtres de l’Université regardaient cela avec hauteur ; l’histoire religieuse n’était pas, pour eux, de l’histoire digne de ce nom. On s’intéressait au mieux aux hérésies. » Bref, cet élève de Michel Mollat et d’Henri -Irénée Marrou, ami de Jacques Le Goff, a trouvé sa voie en allant étudier en Italie où il obtint une bourse à l’École française de Rome qu’il dirigera par la suite. « Ce séjour à Rome a été pour moi un moment de richesses extraordinaires, un révélateur. »

Lui qui sortait du cadre étroit et bien formaté des grandes écoles à la française (il a fait Normale Sup) se trouve plongé dans la formidable richesse intellectuelle de l’université italienne de l’époque. « Quand je suis arrivé en Italie, j’ai eu l’impression d’arriver dans un monde savant beaucoup plus ouvert qu’à Paris : j’ai découvert ce que sont de vrais intellectuels, de vrais savants. » Comme en Allemagne, l’université italienne était très érudite et t les intellectuels à la française, plus pamphlétaires, y étaient regardés avec quelque condescendance. Fort de ce bagage italien, André Vauchez se plonge dans les procès de canonisation, laissés aux archives vaticanes, pour soutenir une thèse reconnue sur la Sainteté au Moyen Âge. « On ne s’y était jamais intéressé d’un point de vue purement historique en France. » En revenant à Paris, il devient le fer de lance d’une génération qui, après Gabriel Le Bras et Jean Delumeau, a contribué à sortir l’histoire religieuse de son carcan des facultés catholiques.

C’est aujourd’hui le meilleur spécialiste en France de la spiritualité au Moyen Âge, en ces siècles où la religion jouait le rôle « d’idéologie sociale ». La question centrale était celle du Salut. La civilisation médiévale reposait, comme le résumait Alphonse Dupront, sur des « sociétés de religion ». Aussi la question brûle-t-elle les lèvres. Ces récents attentats des « fous de Dieu », comme celui du Bataclan, sont-ils, pour lui qui connaît si bien ces « sociétés de religion », liés ou non à cette dernière ?

La réponse est sans ambages. « Avant les guerres de Religion qui introduisent au XVIe siècle en Europe la question de la tolérance, nos ancêtres raisonnaient de la même façon que le fondamentalisme islamique.  » II ne fait donc aucun doute que ces expressions de folie meurtrière se rattachent bien à la religion. « J’ai (’impression de revoir tant de ces expressions de fanatisme religieux que je rencontre si souvent au Moyen Âge. » André Vauchez de citer par exemple Robert le Bougre et sa bande de fanatiques brûlant sans réserve les mécréants au milieu du XIIIe siècle. Ils n’ont pas grand-chose à envier aux dérangés du Bataclan. « À une nuance près, précise André Vauchez. Le message du christianisme est un message d’amour qui s’est imposé, non par la Loi, mais par les Évangiles. » C’est la raison pour laquelle ce message originel a toujours agi comme un garde-fou pour freiner les ardeurs des autorités religieuses.

Face à un pape comme Grégoire IX, obsédé par l’hérésie, d’autres ont pu modérer le bras des Inquisiteurs. Dans ce contexte, « les mystiques comme Catherine de Sienne sont intéressants. Sainte Catherine va jusqu’à écrire que "Dieu est amoureux des hommes". » C’est au nom de ce message d’amour que l’Église sera conduite, avec Jean-Paul II, en 2004, à faire son mea-culpa pour les crimes de l’Inquisition. Quelle autorité islamique serait susceptible de le faire ? Ce message d’amour existe dans l’islam, notamment soufiste, mais, précise André Vauchez, « il n’est pas développé comme dans le christianisme ». Si le rapport entre religion et violence n’est donc pas résolu de la même façon dans l’islam et dans le christianisme, c’est aussi en raison de l’histoire. L’islam s’est imposé par la conquête à partir du VIIe siècle ; le christianisme a gagné les esprits, par le martyr, avant d’être reconnu par les autorités. « Quand Constantin se convertit, les âmes étaient déjà prêtes. C’est la raison pour laquelle il a pris la tête du mouvement. »

De la même façon, le christianisme est beaucoup plus lié à l’interprétation que l’islam. « Il y a quatre Évangiles et il n’y a qu’un seul Coran », en outre incréé. On pourrait multiplier les différences qui alertent sur une erreur diffuse : penser de façon identique les religions.


BIO EXPRESS André VAUCHEZ

- 1938 Naît à Thionville, le 24 juillet.
- 1963-1965, Étudie à l’École normale supérieure et à l’École française de Rome.
- 1981 Publie La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge (1198-1431). -1995-2003 Directeur de l’École française de Rome.
- 1998 Élu à l’Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres).
- 2009 Publie François d’Assise (Fayard).
- 2013 Reçoit le prix Balzan,


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CATHERINE DE SIENNE. VIE ET PASSIONS

CATHERINE DE SIENNE. VIE ET PASSIONS D’André Vauchez, Cerf, 253 p., 24 €.

Catherine de Sienne (1347-1380) compte parmi les saintes mais aussi les Docteurs de l’Église. L’histoire retient qu’elle fut, au coeur de l’Europe médiévale, une femme pleine d’audace, tout à la fois mystique et engagée, ayant consumé son existence à intervenir dans les crises religieuses et politiques.

C’est le portrait de cette passionnée que dresse ici André Vauchez.

C’est en chair et en os qu’il nous restitue son itinéraire à travers l’épidémie de peste noire, la guerre de Cent Ans, les luttes fratricides de l’Italie, l’exil des papes de Rome à Avignon. C’est telle qu’en elle-même qu’il nous fait revivre cette pénitente dominicaine qui devint la correspondante, la confidente et la critique des puissants, princes, rois, évêques ou pontifes.

Il fallait le savoir, le talent et la sensibilité de cet éminent médiéviste pour nous faire entrer dans la vérité existentielle, au-delà des multiples visages qu’on a pu lui prêter à travers les âges, d’une femme hors du commun et pour nous faire ressaisir toute l’actualité de sa personne et de son message.

La première biographie historique et spirituelle de Catherine de Sienne, ouverte à tous.

Historien, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, ancien directeur de l’École française de Rome, médiéviste de réputation internationale, André Vauchez est l’auteur de nombreux ouvrages majeurs dont, au Cerf, Les laïcs au Moyen Âge et le Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge.

Notes

[1] Sur la question de la religion, on lira le remarquable essai de Christian Godin, Le Soupir de la créature accablée. La religion aujourd’hui, éd. Mimesis, 248p., 22 €.


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