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Monsieur le Président et cher camarade.
Comme tous ceux qui ont été mobilisés il y a plus de cinquante ans, pour défendre la présence de la France en Algérie, j’ai été profondément marqué par cette période et il n’y a pas encore si longtemps, j’aurais souscrit au contenu de votre éditorial.
Dans la Voix du combattant numéro 1797, sous le titre, « Le 14 juillet, encore une fête nationale ? » vous reprochez au pouvoir politique d’avoir invité « une participation internationalisée des anciennes colonies françaises » comportant une délégation algérienne. La présence de cette délégation « ne pouvait être, à juste titre, qu’inopportune et même provocatrice ».
Comme le sujet est fondamental, et qu’aujourd’hui il est grand temps de construire avec l’Algérie qui a fait un pas en avant en acceptant, malgré l’opposition des anciens moudjahidin, l’invitation de la France à la cérémonie du 14 juillet, vous me permettrez en toute camaraderie et amitié, de vous dire que notre Président a fait un geste dans la bonne direction et que votre analyse repose sur un mythe dépassé, qui de nos jours se révèle être une imposture, celui des « bienfaits » de la colonisation en particulier en Algérie.
Il est en effet temps pour notre génération de s’interroger sur les conditions de la conquête, sur la justification de la colonisation, c’est-à-dire le peuplement par des Français et des étrangers, d’une région au vaste territoire alors qu’y vivait une importante population autochtone que nous avons chassée de ses terres dans des conditions que tous les pays civilisés dénonceraient actuellement et qui peuvent expliquer la cause des faits imprescriptibles auxquels vous faites allusion.
Comme tous ceux qui ont servi en Algérie, au cours de mes pérégrinations j’ai pu constater par moi-même, l’écart criant de développement économique entre les villes à dominante européenne et le bled à dominante algérienne gangrené par la paupérisation alors que le territoire était considéré comme français depuis 1848.
Face à une France conditionnée par le parti colonial [1] ou le lobby algérois [2], faisant fi des valeurs de la République et incapable de mettre en place l’assimilation ou l’intégration, les combattants pour l’indépendance avaient-ils un autre choix que celui d’utiliser à leur tour une version « modernisée » de l’arme de la conquête ?
Les certitudes moyenâgeuses de la France ont fait dégénérer une insurrection limitée au départ en une guerre civile franco-française de longue durée au bilan humain désastreux. Le prix de l’indépendance avec son nouveau drapeau sera supporté par les militaires français, ceux que la France avait fait venir et avaient contribué, il est vrai, à mettre en valeur le pays, mais surtout, il ne faut pas l’oublier, par les Algériens eux-mêmes.
Si les anciens combattants que nous sommes, ont le devoir bien entendu d’honorer et de défendre la mémoire de nos camarades morts en Algérie et de certains faits au caractère imprescriptible, ils ont également l’obligation de contribuer à la vérité en mettant en perspective, l’arbre des causes [3] qui a conduit à cette tragédie. Une telle démarche ne peut que contribuer à « l’apaisement entre deux États souverains ».
La célébration du 14 juillet du centenaire telle que l’a voulue le président de la République représente un symbole fort de reconnaissance et de respect non seulement à l’endroit de l’État algérien, mais encore de tous les états qui ont gagné leur indépendance. Il était temps de rendre un hommage commun dans la dignité et le recueillement, aux sacrifices de nos poilus et de tous les soldats venus de nos anciennes colonies. C’est ce qu’a rappelé notre Président en affirmant que ces derniers y compris et surtout nos frères algériens « ont noué entre la France et l’Afrique un lien de sang » que rien ne pourra effacer.
La célébration du 14 juillet, jour symbole de l’abolition des ordres, en présence notamment d’une délégation algérienne, constitue à n’en pas douter un jour qui « désembastille » les mythes du passé et à ce titre fera date. Une boussole qui marque la bonne direction, celle des valeurs fondamentales de la République : la liberté, l’égalité et la fraternité.
Elle inspirait déjà tous les combattants des djebels, ceux d’une Algérie avec la France et ceux d’une Algérie sans la France. Ils ont été tous trompés. Cinquante ans plus tard, il serait temps par la Voix du combattant d’expliquer le passé et de trouver un chemin qui, par le cœur, conduit vers ce pays passionnément aimé.
Veuillez croire, Monsieur le Président et cher camarade, à mes sentiments amicaux.
Claude GRANDJACQUES
Officier en Algérie octobre 1957 à janvier 1959 et de Mars 1960 à janvier 1962
Adhérent UDC-AFN et autres conflits de la Haute-Savoie
Animateur du site Miages-djébels
"Comment ne pas saluer les 430 000 soldats venant de toutes les colonies, de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est et qui ont pris part à une guerre qui aurait pu ne pas être la leur. Ils y ont participé pour la France, et cet engagement fut ensuite au coeur de leur légitime exigence d’émancipation et d’indépendance. La France a souscrit une dette d’honneur à l’égard de leurs descendants qu’ils soient en Afrique, en Asie ou qu’ils soient aujourd’hui citoyens français." Extrait du discours du Président de la République. Pour lire le dossier de presse du 14 juillet 2014, cliquer sur la vignette ci-dessous