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Monseigneur Luc Ravel : « La cohésion est une arme pour contrer l’idéologie »

samedi 28 novembre 2015, par Marie-Laetitia BONAVITA

ENTRETIEN L’auteur, évêque aux armées, estime que notre pays est clairement en guerre, contre une idéologie religieuse qui méprise la dignité de l’homme. Chacun étant susceptible d’être une cible, il plaide pour un pacte de convivialité ou de citoyenneté qui prendrait des formes très concrètes.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-LAETITIA BONAVITA

Article paru dans la rubrique DEBATS du Figaro du vendredi 27 novembre 2015


LE FIGARO. - La France rend hommage aujourd’hui aux morts du 13 novembre...

Mgr Luc RAVEL. - La France est clairement en état de guerre. D’une certaine façon depuis le 11 septembre 2001, avec les attentats du World Trade Center. Les organisations islamistes se sont succédé jusqu’à Daech. Mais cette guerre se déroulait loin de notre sol. Les attentats de Mohamed Merah en mars 2012, ceux des 7 et 9 janvier dernier, enfin ces actes de guerre du 13 novembre ont fait prendre conscience à nos concitoyens de cet état de guerre. Je parle de guerre parce que je tire la conséquence de ce que la nation tout entière est visée et non pas une catégorie particulière de personnes. La guerre est une attaque contre la nation en tant que telle. Cette guerre - menée sous la forme particulière du terrorisme -ne se limite pas à la France ou à l’Occident. C’est un cancer qui touche l’Afghanistan, la Syrie, l’Irak, le Nigeria, le Mali... Elle a d’ailleurs fait plus de morts chez les musulmans que chez les chrétiens.

Qui est notre ennemi ?

Notre adversaire est une idéologie religieuse aux multiples avatars. Par idéologie, j’entends un ensemble d’idées fixes, construit au mépris du bon sens et de l’amour, mais avec une sorte de « logique interne » effrayante. À la différence des idéologies athées qui ont traversé le XXe siècle, tels le communisme et le fascisme, celle-ci prend une tournure religieuse.

Comme toute idéologie, elle méprise l’homme. Et en récupérant le religieux, elle caricature Dieu. De partout, des personnes « évidées », en manque de sens, se retrouvent intérieurement « reconfigurées » par cette idéologie. Elle agit comme un virus dans un ordinateur qui pollue et détruit de façon souterraine les données et les logiciels. Et nous diagnostiquons sa puissance en constatant qu’elle déforme des personnes qui ne sont pas de tradition musulmane. Comprendre sa forme et mesurer sa virulence doit faire partie de notre stratégie de guerre. Et, pour cela, il faut s’appuyer sur des hommes vraiment religieux.

Quelle est cette idéologie qui prône le martyre ?

Cette idéologie religieuse me semble rejoindre les religions les plus primitives, construites sur des sacrifices humains, essentiellement ceux des ennemis, mais également de soi-même ou des fils aînés. Après vingt siècles de judéo-christianisme, nous sommes stupéfaits de retourner à des formes aussi régressives. Ces terroristes ne sont pas des martyrs : le martyr donne sa vie, mais n’arrache pas celle des autres. Pour tenir droit dans l’orage, l’homme a besoin d’autre chose que d’une course à la consommation, aux réussites techniques... Une forme de transcendance, un sens de Dieu

Comment se battre contre des gens qui ne craignent pas la mort ?

D’abord en recourant à nos forces armées, mandatées par la nation : militaires, policiers, services de renseignements... Ensuite en adoptant individuellement un nouveau comportement. Aujourd’hui, puisqu’il est susceptible d’être une cible, chacun doit porter davantage d’attention à l’autre en nouant, au nom de la société civile, un pacte de convivialité ou de citoyenneté. Ce pacte commencerait par son voisin puis s’élargirait par des engagements auprès d’une association, etc. Il prendrait des formes très concrètes, comme l’obligation de passer un brevet de secourisme, le suivi régulier d’une personne en condition de solitude (7 à 9 millions en France) et bien d’autres choses. Nous avons en France suffisamment de forces sociales, éducatives, sanitaires, religieuses, intellectuelles à mobiliser pour trouver des contenus très concrets à ce pacte, au plus grand bénéfice de la cohésion nationale.

Reconnaissons qu’une forte solidarité a existé lors du 13 novembre...

Il nous faut désormais organiser et pérenniser cette énergie spontanée par ce pacte de convivialité. Je crois aux actes plus qu’aux paroles. Pour les chrétiens, Dieu s’est fait homme, il s’incarne dans une réalité concrète pour rejoindre les hommes tels qu’ils sont et non pas tels qu’on les rêve. Des hommes mélangés de grandeurs sublimes et de bassesses repoussantes.

Ce que nous nommons le Royaume, c’est cette rencontre du sens éternel avec cette matière charnelle. Pour tout cela, « voisin » me paraît plus concret que « prochain », parfois un peu désincarné. La société, comme l’eau, prend plusieurs formes tout en restant elle-même. L’eau existe à l’état liquide, solide et gazeux. Aujourd’hui, l’eau, c’est-à-dire la société, en raison de conditions extérieures inouïes, devient glace. Cela peut être une bonne nouvelle car, au fond, une structure cristalline est plus belle. Comme chaque molécule se réorganise avec les autres, chaque citoyen doit se réorganiser avec son voisin, non pas pour montrer un visage fermé, mais pour montrer une vie ouverte et offerte. La cohésion est une arme pour contrer l’idéologie.

Que dire aux jeunes ?

Les jeunes vont apprendre à vivre pleinement sous le ciel noir de l’inquiétude et de la guerre. À l’image des nations qui vivent ainsi depuis longtemps, à l’instar de nos anciens qui ont connu les guerres mondiales. Reconnaissons que la course à la consommation, aux réussites techniques aux points de croissance ne suffira pas à affronter la tempête de la guerre. Pour tenir droit dans l’orage, l’homme a besoin d’autre chose, une forme de transcendance, un sens de Dieu.

Comment éviter de tomber dans le soupçon vis-à-vis des musulmans ?

Le soupçon est comme la peur, difficilement maîtrisable dans son apparition. Chacun peut le constater en lui-même. Le vrai défi du non-musulman est de tenir captive cette défiance, ce qui est pratiquement impossible sans contacts personnels avec des musulmans. Le monde musulman, dans toute sa complexité, doit, pour sa part, relever aussi un défi intérieur. Il doit identifier et dénoncer de façon claire et unanime les interprétations de sa doctrine qui sont incompatibles avec l’incomparable dignité de la personne humaine.

Que pensez-vous de l’appel de l’Association des maires de France à retirer les crèches dans les mairies ?

Derrière la volonté de tenir la laïcité, à laquelle je crois, il y a le risque de repousser une fois de plus les religions, et en particulier chrétienne, hors de l’espace public. Est-ce le message à passer au moment où, comme nous venons de le vivre, les forces terribles du terrorisme djihadiste surgissent dans la sphère publique ? Cet appel me semble figé sur une conception partiale d’une laïcité obsolète et mal venue. Les forces spirituelles seraient-elles donc incapables d’irriguer positivement la société ?


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