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L’homme du Treize Mai à Saïda.

lundi 13 juillet 2009, par Armand Bénésis de Rotrou


Extrait du livre : « Commando Georges » et l’Algérie d’après. Légion étrangère-Harkis- O.A.S. par le Lieutenant-colonel (e.r ) Armand BENESIS de ROTROU.


C’est dans ce contexte que, le 27 août 1959, le général De Gaulle se laisse présenter un secteur qui, en huit mois, est devenu un modèle de pacification après avoir été l’un des plus rebelles d’Algérie ; le Président a tout lieu d’être satisfait, Bigeard et les siens ayant, en son nom, tenu les engagements pris solennellement par lui un an plus tôt : le Secteur est pacifié, les populations européenne et autochtone qui vivent en paix lui réservent, en liesse, un accueil chaleureux, les autorités de tout bord sont satisfaites et les troupes ont une présentation impeccable, les appelés défilant en colonnes par six, la tête haute et en chantant.

Le Général fait connaissance avec le commando musulman, un exemple de paix des braves : sous la tente autour de plateaux servis de thé à la menthe, il écoute les anciens fellouzes lui prêcher leur doctrine de la pacification ; il écoute aussi, dans la salle opérations-renseignement, Bigeard et sa vieille garde.

Et pourtant. Au cours de sa visite, le général De Gaulle déçoit : Bigeard écrira[1] que le Président « écoute distraitement », s’attache à des banalités comme les feux de forêt qui lui vaudront une remontrance avec l’apostrophe de « mon jeune ami » ; il conclut[2] : « De Gaulle s’en va, je me demande ce qu’il est venu faire. Il n’a rien dit, ne m’a pas encouragé, que pense-t-il ? Que veut-il ? Je n’en sais rien ».

Bigeard ne sera pas le seul à être déçu, le président de la République, tout au long de son voyage, observant la même attitude ; dans l’Algérois, au 22e bataillon de chasseurs alpins (B.C.A.), le capitaine Roger Gaston (futur chef de maquis de l’organisation armée secrète [O.A.S.*]) témoigne de sa propre expérience [3] :

« Fin août [1959], le Président de la République passa, je ne sus jamais trop pourquoi, de popote en popote. Car il ne voulut rien entendre comme il ne voulut rien dire. Je fus invité à sa table, lors de son passage à Tizi-Ouzou, par le Général Faure [Jacques, commandant la zone de l’Est algérois (Z.E.A.)]. Je compris, au cours de la conversation, par la façon brutale, même grossière avec laquelle il interrompit le plaidoyer pour l’Algérie française du Général Faure, qu’il avait une arrière-pensée inavouable encore. Ma qualité d’ancien délégué à la propagande du R.P.F. [Rassemblement du peuple français, mouvement politique présidé par le général De Gaulle de 1947 à 1953] dans les Basses-Alpes (Alpes-Maritimes), m’aida beaucoup dans l’interprétation de cette attitude. Ce ne furent pas les professions de foi de Mr Delouvrier (délégué général du Gouvernement en Algérie), après que le général se fût retiré pour la nuit, qui me firent oublier la mine grave, le regard triste des Généraux Challe, Massu, Faure, entre autres. »

Au commando musulman, les hommes se disent déçus, le Général les ayant écoutés en silence, sans leur prodiguer les félicitations et les encouragements auxquels ils s’attendaient et sans avoir proclamé sa foi en l’Algérie française et en leur combat contre l’ennemi F.L.N.

Rapport écrit du colonel Bigeard au président de la République

Afin de fournir un complément d’informations aux enseignements que le président de la République a tirés de sa visite, Bigeard lui remet un dossier dans lequel il a placé un rapport. Bigeard a une longue expérience de la guerre contre-révolutionnaire : ayant longuement réfléchi sur les causes et les effets des guerres révolutionnaires coloniales, il a consigné dans ce rapport le résultat de ses expériences et de ses réflexions. Ne négligeant ni les aspects politiques ni les aspects humains et sociaux de ces conflits, donnant une vision exacte des tenants et des aboutissants du problème algérien, ce document dégage une doctrine et a valeur de manuel de contre-guérilla.

Rapport écrit du colonel Bigeard au président de la République

« Sur le plan militaire : [suit un exposé sur la situation militaire en Algérie au cours des cinq dernières années : lutte contre-révolutionnaire, pacification, problèmes de personnel].

« [D’où une évidence qui s’impose :] Pourquoi également ne pas faire un appel plus large à la jeunesse algérienne musulmane ? A Saïda a été créé un commando* musulman à 100 %, commandé par un aspirant à titre fictif (ancien rebelle) et cinq adjudants à titre fictif (anciens rebelles). Cette unité est actuellement et de loin la meilleure du Secteur. […]

« La rébellion nous a montré que d’anciens sergents de l’Armée française étaient devenus commandants de zones*. Pourquoi alors s’en tenir à une politique périmée et ne pas aller de l’avant avec la promotion rapide des cadres qui en ont l’étoffe ? […]

« Sur le plan politique et administratif : Jamais ne doit être perdu de vue le fait que l’ennemi est le F.L.N. révolutionnaire et que cet ennemi vise la domination de la population par des méthodes marxistes. La destruction des bandes et de l’O.P.A. par notre armée est une condition formelle du succès, mais notre objectif final, c’est la conquête d’une population contaminée par l’action rebelle et dont il serait vain de nier les tendances à l’émancipation. […]

« Cette notion se traduit par des besoins considérables en personnel qualifié. Il semble hors de question que la métropole puisse fournir dans l’immédiat les cadres nécessaires. La seule solution consiste donc à faire appel aux ressources de la masse musulmane par la promotion des élites naturelles en précisant qu’il ne s’agit pas des pseudo-élites semi-intellectuelles aigries contre notre tutelle.

« Bien sûr, il faudra du temps pour déceler et former ces cadres, mais il faut voir concret : il n’y a pas besoin d’un diplômé pour apprendre aux enfants à lire, écrire et compter, l’expérience de nos moniteurs militaires le prouve.

« Progressivement, nous arriverons à donner à l’Algérie une structure adaptée à ses besoins, tout en associant les Algériens à leur propre direction. Des esprits inquiets diront que c’est ouvrir la voie à l’émancipation puis à l’indépendance. L’heure est venue de choisir si l’on préfère une Algérie nouvelle dans un contexte français ou si l’on veut risquer de tout perdre.

« Sur le plan économique et social : Il serait vain de prétendre résoudre le problème algérien sans tenir compte des facteurs économiques et sociaux. Le plan* de Constantine doit amorcer une évolution sans précédent dans ce domaine, mais c’est une évolution à très longue échéance et dont les conséquences ne peuvent se faire sentir dans l’immédiat sur le niveau de la population. […]

« Dans ces conditions, il semble que, parallèlement aux objectifs du plan de Constantine, il soit nécessaire d’envisager plus modestement le développement de l’économie locale, sous ses formes rurales et artisanales, au fur et à mesure des progrès de la pacification. […]

« Il faut peut-être créer temporairement des postes de travail effectif, par le lancement de chantiers d’intérêt général. Dans tous les cas, on est ramené à une question de crédits, car on ne relance pas une économie, même primaire, en partant de zéro.

« Le plan social est lié étroitement au plan économique : pas de promotion sociale sans élévation du niveau de vie. Le passage du stade de la vie tribale traditionnelle au stade de la vie municipale moderne ne peut se faire que dans une ambiance économique saine, dans laquelle tout individu est assuré de pouvoir satisfaire les exigences élémentaires de la vie journalière par le fruit de son activité personnelle. […]

« Traiter avec le F.L.N. est impossible. Ses cadres sont en majorité des criminels. Ce serait en outre une nouvelle victoire du communisme sur le monde libre. Ce serait la porte ouverte aux wilayas de France. N’oublions pas non plus tous ces musulmans qui ont osé jouer français.

« La paix des braves. Inviter le rebelle à cesser le combat et à venir construire avec nous une Algérie nouvelle ? […]

« Je crois honnêtement, en défenseur conscient du monde libre, que nous sommes obligés de gagner militairement, vite et sans restriction. Pour y arriver, il faut mettre en place en Algérie des hommes de valeur avec des responsabilités bien définies. […]

« Certes, la victoire militaire totale n’est qu’un des facteurs de la solution mais, sans elle, le reste n’est que leurre. Parallèlement, nous mènerons la conquête des cœurs de cette population musulmane à laquelle nous nous sommes attachés, […]

« Il faut lui faire prendre sa part de responsabilités, l’associer à notre œuvre, promouvoir ses élites, améliorer son niveau de vie matériel et culturel. La tâche est immense, mais il n’est pas trop tard pour arriver au but. La guerre d’Indochine fut qualifiée de guerre non orthodoxe, de laquelle peu d’enseignements pouvaient être dégagés. C’était une guerre spéciale, surtout pour ceux qui y avaient pris part…

« Depuis, la guerre algérienne a surgi. La guerre spéciale, non orthodoxe, dure depuis quinze ans. Aussi, nous est-il venu à l’idée que la guerre subversive pouvait bien être à son tour considérée comme classique et qu’il fallait, face à un adversaire disposant de pouvoirs absolus et animé d’une volonté unique que nulle morale n’entrave, opposer un front continu, une unité de commandement réelle, une communion de pensées et une union sans faille des efforts de toute la nation. […] »

Extrait du livre : « Commando Georges » et l’Algérie d’après. Légion étrangère-Harkis- O.A.S. par le Lieutenant-colonel (e.r ) Armand BENESIS de ROTROU. Page 100 et suivante. Publication Dualpha éditions. BP 58 77522 COULOMMIERS CEDEX.

Tel 01 42 17 00 48 Fax 01 42 17 01 21

Courriel : infos@dualpha.com


[1] Marcel Bigeard, Pour une parcelle de gloire, op. cit., pages 383 et 384.

[2] Marcel Bigeard, Pour une parcelle de gloire, op. cit., page 385.

[3] Roger Gaston, Je choisis le maquis, Nice, Collection « Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux », Archives départementales des Alpes-Maritimes, 1995, page 11.


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