Un soir d’automne de 2005, j’ai rencontré Jean Claude et Edith Depoutot alors qu’avec Claude, je séjournais en Bourgogne. Le hasard a voulu que nous parlions Algérie et que par la suite nous échangions nos manuscrits.
Voici un témoignage d’une authenticité indiscutable qui révèle la manière d’être d’un jeune lucide et épris d’humanité à un moment où la violence avait été érigée en système pour orienter l’avenir du pays.
Merci Jean Claude d’avoir autorisé la reproduction de ce témoignage sur le site de Miages-djebels où il recoupe celui de Ginette THEVENIN-COPIN.
Toubiba au pays des Aït Waghils. Diaporama Toubiba au pays des Aït Waghils. Diaporama.
TOUBIBA ou Les E.M.S.I. au service de la population musulmane ( Extrait 1ère partie)TOUBIBA ou Les E.M.S.I. au service de la population musulmane ( Extrait 1ère partie)
TOUBIBA ou Les E.M.S.I. au service de la population musulmane ( Extrait 2ème partie) TOUBIBA ou Les E.M.S.I. au service de la population musulmane ( Extrait 2ème partie)
Nul doute que les habitants d’une région proche de l’Akfadou seront intéressés par ces pages qui font revivre un quotidien fait de contradictions où le meilleur côtoie le pire.
Pour lire le livre au format pdf cliquer sur l’image qui présente l’infirmerie d’El Flaye.
- La guerre d’Algérie d’un médecin appelé du contingent . Octobre 1958 - juillet 1960.
- Jean Claude qui est médecin, effectue son service militaire en Algérie, dans le Service de la Santé. Après avoir séjourné à la frontière tunisienne à Aïn Seynour, il passe l’essentiel de son service dans la région d’ d’El Flaye, où indépendamment des soins aux militaires, il soigne la population civile des environs.
Voici un extrait
Lettre du 6 février 59 : Maintenant je sais où je vais : Sidi Aïch, sur la voie ferrée Alger-Bougie [1], 2779 habitants d’après le bottin !, 90 mètres d’altitude,… Demain j’irai jusqu’à Sétif me présenter au directeur du Service de Santé de l’Ouest-Constantinois, comme il est de tradition quand on arrive dans une nouvelle zone militaire. Comme il n’y a qu’un seul train dans la journée, à moins d’attraper un convoi militaire, je n’arriverai qu’après-demain. … Je suis allé à la direction du Service de Santé et j’ai vu le directeur auquel j’ai exposé mes problèmes : il m’a écouté fort gentiment, contrairement à ce que m’avaient dit les camarades qui le connaissaient, mais il n’a rien voulu me promettre : « mariez-vous et on verra après ». Ma logique civile n’est pas celle de l’armée et j’ai eu bien du mal à me retenir de lui dire que c’est plutôt l’inverse, il faut voir avant ! … On verra ! ce qui, dans ce sale pays, en langage militaire, risque bien de signifier : on attendra ! … J’ai été voir le pasteur avec qui j’ai parlé de Curtel. …Nous avons aussi discuté du « problème algérien ». Pour lui, c’est essentiellement un problème d’encadrement, et il s’attriste de n’avoir jamais rencontré d’écho quand il suppliait les jeunes chrétiens métropolitains de venir constituer les véritables cadres du pays . Ses idées reposent sur une solide conviction et une même bonne volonté. Mais le problème de la légitimité de notre présence ici et du désir d’indépendance des musulmans, ne semble même pas l’effleurer. …
Lettre du 7 février 59 : Je suis arrivé à Sétif peu avant le déjeuner, et j’ai tout de suite été reçu par mon nouveau médecin-colonel qui a l’air d’être un type intelligent et efficace. Il ne m’a guère donné de détails sur le pays où je vais, qu’il m’a dit ne pas connaître. Je vais me retrouver dans un bataillon opérationnel, mais cette fois-ci comme médecin-chef avec les avantages et les inconvénients de cette situation. … J’espère que cela marchera …au pas de chasseur ! Cette après-midi, je suis allé me promener à Sétif qui est la ville la plus arabe que j’ai vue jusqu’à maintenant. …Ici, les magasins, les vitrines, sont conçues pour la clientèle arabe et ont un cachet spécial, mais pas bien beau. Il faut dire que les beaux spectacles, en dehors des beautés de la nature, sont rares en Algérie. …
AVEC LE 28ème BATAILLON DE CHASSEURS ALPINS DANS LA VALLEE DE LA SOUMMAM (KABYLIE)
Lettre du 9 février 59 : Mon voyage s’est terminé hier soir. Cette dernière partie Sétif-Sidi Aïch a été la plus intéressante. Le train a traversé de grandes étendues planes, d’où sortaient par endroits, de terre, des espèces de pitons, brusquement, sans ordre, comme des champignons sur une prairie. Beaucoup de champs étaient inondés, et j’ai vu des cigognes à faire pleurer d’envie tous les Alsaciens du monde. Quelle différence avec mon voyage d’aller, où la terre, mal remise de l’été, était encore rousse et sèche. … Après l’embranchement de la ligne Alger-Bougie, nous sommes entrés dans mon nouveau domaine, pays qui ressemble énormément à la vallée de la Durance, riche et rieur, où la rivière s’appelle la Soummam, pays qui sent bon comme la Provence, avec des forêts d’oliviers, des jardins en escaliers, des villages coquets couverts de tuiles, des enfants bien habillés, des orangers. Je suis arrivé à 4 heures de l’après-midi. … J’ai vu fort peu d’officiers jusqu’au dîner : un pâle collègue qui m’a semblé assez constipé et m’a dit de ne pas faire trop attention, que le commandant était ivre à partir de 4 heures de l’après-midi ! Et on m’a fait la blague classique au dîner, trop classique pour que je m’y laisse tout à fait prendre, mais trop bien jouée pour que je n’éprouve pas par moment l’angoisse de l’incertitude : les officiers avaient échangé leurs galons ! Un capitaine jouait le rôle du commandant ivre, qui, lui, était déguisé en administrateur sourd, avec conversation adéquate. Un faux commandant-adjoint s’arrangeait pour me dire tout doucement qu’il en avait assez et que, si je pouvais un jour faire un certificat pour débarrasser la compagnie du commandant, ce serait le plus bel acte de ma vie ! Il y avait jusqu’à un sous-lieutenant déguisé en serveur, qui accumulait gaffe sur gaffe, à commencer par me renverser la soupière sur la manche. Au dessert, j’ai dû remettre à chacun ses vrais galons qui avaient été déposés dans une soupière ! Je m’en suis, paraît-il, bien sorti. Je suis bien rentré dans le jeu (d’autant mieux que je n’en n’étais pas absolument sûr !). J’ai donné d’abord les galons du commandant à un vieux lieutenant-major, dont du coup, je me suis fait un ami pour toujours ! Puis au vrai, la seconde fois, ce qui a satisfait au plus haut point la société. J’ai passé pour un joyeux camarade et j’espère n’avoir pas trop raté mon arrivée au bataillon, ce qui était assez important. Le bataillon est donc installé dans la vallée qui sépare la grande et la petite Kabylie : installation remarquable dans des immeubles à étages, tout-neufs, à petits appartements modernes. Je loge dans un living-room avec le confrère que je remplace et qui a dix jours pour me passer les consignes.… Du point de vue militaire, le bataillon est un bataillon d’implantation, donc je ne ferai plus que rarement des opérations. Nous avons quatre compagnies qui tiennent quatre postes dans les villages de la région. Mon risque personnel est aussi minime qu’à Aïn Sénour : plutôt moins si je ne fais pas d’opérations. Par contre notre situation politico-psychologique est lamentable. La région de Souk-Ahras était caractérisée par la misère. Ici, la Kabylie est un pays beaucoup plus riche, mais la population est absolument, et unanimement contre nous. Pas de fraternisation ; nous sommes les occupants, respectés parce que les plus forts, et c’est tout ! L’administration FLN est en place, et fonctionne parfaitement. C’est tout juste si nous ne pactisons pas avec elle !… La situation médicale est abominable : l’administration française au-dessous de tout. Je suis allé prendre le thé à la sous-préfecture : des gens charmants du point de vue individuel, chez qui je trouverais le tennis et le couvert (« panem et circences ! » Le médecin cela se soigne ! ), mais des gens qui professionnellement, sont dépassés par les événements. Par la mentalité, ce n’est même plus le XIXème siècle, à peine le XVIIème ! Les Européens du coin, médecins civils en tête, compensent les risques considérables de leur présence ici par des procédés professionnels qui relèvent purement et simplement de la loi du seigneur et de la piraterie ! Le but est de faire fortune le plus vite possible. L’homme est remplacé par l’aventurier. Il n’y a pas d’autre rapport que le rapport de force Si un dixième des histoires que l’on m’a racontées est vrai -et j’ai peur que cette proportion de vérité soit plus élevée- c’est épouvantable ! Enfin, ne portons pas tout le péché et l’horreur du monde ! Donc aujourd’hui, je me suis un peu familiarisé avec les gens et le pays. J’ai essayé de vous faire part, d’une façon décousue, de mes premières impressions. J’allais oublier : mon nouveau commandant de bataillon est un type remarquable. Demain, j’irai jusqu’à Bougie avec le convoi.…
Lettre du mardi 10 février 59 : Je prends peu à peu contact avec « mon » infirmerie, « mes » malades et « ma » paperasserie. La situation médicale du pays est lamentable. Il y avait avant les « événements » trois médecins qui ne suffisaient pas à la tâche. Deux sont au maquis. Il n’en reste qu’un, qui actuellement est parti pour un temps indéterminé. Il met de temps en temps la clé sous la porte et il s’en va. Il aurait eu des histoires horribles avec le bataillon, dont il résulte qu’il n’y avait aucune collaboration possible. Tout le travail reposait sur mon prédécesseur militaire du contingent. Personnellement, j’ai décidé de faire l’assistance médicale gratuite pour les pauvres seulement, et de ne soigner les fonctionnaires et les gens aisés que moyennant honnête rétribution … Il n’y a aucune raison que je soigne gratuitement des gens qui peuvent payer ! Il y avait aussi deux pharmacies. Une a été emportée par une crue de la Soummam l’an dernier, qui avait aussi réussi ce que les fellaghas n’avaient jamais pu faire -et pourtant, ils avaient essayé plusieurs fois- : détruire le viaduc. L’autre pharmacie est aussi fermée. Heureusement, j’ai les médicaments de l’AMG. Ce matin, je suis allé à Bougie avec mon collègue, qui est excessivement chic avec moi. Le voyage a été splendide : un ciel extraordinaire, une mer de nuages et par endroit de la brume par couches, recouvraient la vallée qui allait s’élargissant vers la Méditerranée. Le soleil qui se jouait de cette atmosphère curieuse, donnait des effets de lumière à vous faire regretter de ne pas être peintre ou poète. Les mimosas sont en fleurs et les champs couverts d’une mer de pensées sauvages jaunes et de pâquerettes blanches, au point de n’être plus que des taches de couleurs. La baie de Bougie est une merveille ! … J’ai fait connaissance là-bas avec un médecin-commandant, qui est, jusqu’à maintenant, de tous les militaires que je connaisse, le type qui a les idées les plus justes sur la guerre d’Algérie et sur le FLN. Demain, je commencerai sans doute la tournée des postes, dans la mesure où il y aura des convois.…
Lettre du 11 février 59 : Aujourd’hui, j’ai commencé de m’installer. Petit à petit, je prends la place de mon confrère.… Ce soir je me sens légèrement fatigué ! Il faut dire qu’au dîner, j’ai assisté à une conversation qui m’a mis les nerfs en « boules ». Ces messieurs se sont lancés sur le thème de la pacification qu’ils ne voient qu’en terme de force à la hongroise. [2] De Gaulle les déçoit parce qu’il n’est pas allé dans ce sens ! Il faut dire que j’ai fait des progrès puisque j’ai eu la sagesse de me taire ; mais je n’ai pas encore celle d’entendre sereinement ces inepties, sans que cela ne me touche ! Si les militaires du FLN sont aussi stupides, nos enfants feront encore la guerre en Algérie ! [3]
Lettre du 12 février 59 : J’ai échangé mon calot contre la tarte « Chasseur » et je me trouve plus joli comme cela. Un vieux fond de coquetterie sûrement mal placé ! … J’essaye de me familiariser avec la mentalité Chasseur. Il est encore trop tôt pour établir des comparaisons avec mon ancien bataillon…. Les Chasseurs sont des gens à traditions. Il y a 31 bataillons de Chasseurs qui ont chacun un refrain. Tous les jours aux repas, le popotier, avant de lire le menu, chante le refrain du bataillon qui porte le numéro du jour. Après la lecture du menu il ajoute : « Bon appétit Mesdames (quand il y en a au moins une, ici c’est l’Assistante Sociale), bon appétit mon Commandant, bon appétit Messieurs, et par le Duc d’Orléans, notre père… » Tout le monde répond en chœur « Vivent les Chasseurs ! » La couleur rouge est proscrite : on dit bleu-cerise. Seuls sont rouges le sang, le rouge du drapeau, le ruban de la légion d’honneur, et les lèvres de la bien-aimée ! L’oublier, oblige à offrir une tournée générale. De même, les autres soldats ne sont pas habillés en kaki mais en moutarde ! Il y a, paraît-il, bien d’autres traditions que le commandant a promis de m’apprendre. Pour le moment, je me bats avec l’inventaire des brancards montés sur skis, et autres choses tout aussi inutiles, qu’un bataillon de chasseurs alpins traîne avec lui quand bien même il serait convié à faire la guerre sous les tropiques ! La médecine que je fais ici, est nettement plus intéressante qu’à Aïn Seynour. J’opère des abcès et fais parfois des ponctions qui ailleurs, relèveraient de la médecine hospitalière. Mais comme il n’y a que peu de liaisons [4] (2 ou 3 fois par semaines), je suis obligé de prendre davantage de risques. D’ici une huitaine de jours, le bataillon partirait de Sidi Aïch et irait s’installer dans un hameau, sur le sommet de la montagne, à 4 kilomètres d’ici. Le coin est encore plus joli. Comme il y a moins d’habitants, j’aurai moins de travail [5], mais alors, finis les petits bénéfices que je comptais faire avec les Européens du pays. Là-haut, il n’y en a pas !…
Lettre du 13 février 59 : Il est 1 heure du matin. Nous terminions un petit bridge des familles avec le commandant et l’aumônier, quand on a appris qu’une section d’un de nos postes de la montagne était attaquée dans un mauvais coin. Je suis resté avec le commandant et les radios [6] à l’écoute, mais, heureusement, il semble que les fellaghas soient repartis et qu’il n’y ait pas de blessés...
Lettre du 14 février 59 : Voici une première semaine terminée dans ce nouveau pays. C’est bien différent d’Aïn Seynour. L’atmosphère du bataillon est beaucoup plus sympathique, du fait de la personnalité beaucoup plus attrayante du commandant. À AÏn Seynour, les problèmes qu’avait à résoudre le bataillon étaient avant tout : empêcher le franchissement du barrage. À propos, je ne sais si vous avez lu dans les journaux que les fells ont attendu mon départ pour essayer de le passer ! Ici, il s’agit avant tout de « pacification ». Et c’est horrible ! Il y a deux clans : le clan civil, autour du sous-préfet, et le clan militaire. Tous deux ne peuvent pas se voir. Entre les deux, comme sinistre trait d’union : la police, chargée d’obtenir le renseignement, qui travaille avec notre O.R. (Officier de Renseignement) et avec les policiers en civil de la sous-préfecture. Une seule méthode chez tous, armée et civils : montrer que nous sommes les plus forts. C’est tout ce que le musulman peut comprendre ! Voilà le catéchisme élémentaire ! C’est la loi de la force ! Et c’est vrai que nous sommes les plus forts ; ce qui, du reste, n’intimide pas la rébellion, preuve qu’il y a autre chose et que ce raisonnement est insuffisant ! L’armée tient les points stratégiques et impose sa domination à la population par la terreur (comme le FLN, bien que ce soit moins visible), et par le ravitaillement. Les Kabyles ne peuvent circuler qu’avec des laissez-passer. Ils sont ainsi « protégés » par l’armée qui les cloître dans les villages. Ils doivent se ravitailler dans les SAS. Quand « ça ne va pas », on diminue les vivres jusqu’au ralliement. Contre cela, le FLN ne peut rien ; bien au contraire, il ajoute à la difficulté générale de ravitaillement. Il ne peut nous déloger des postes et des villages fortifiés. Il est maître de la campagne, tend des embuscades, mais son influence s’arrêtera toujours sur l’impossibilité où il se trouve de nourrir les gens qui vivent avec lui, donc de conquérir tout à fait une population sympathisante. Si le problème n’est pas résolu du dehors, il n’y a aucune solution possible sur place. Du reste, ni les fellaghas d’Algérie, ni les militaires, ne conçoivent d’autre solution que la force (De Gaulle passe pour un mou !). Et comme il ne s’agit pas du même genre de force dans chaque camp, il n’y a pas heurts, mais émoussement des positions et nos enfants pourront continuer tranquillement cette « douce » guerre ! Hier, j’ai eu à traiter un petit prisonnier de 16 ans, qui venait de passer deux jours de cellule sans feu, et sans doute à jeun. J’ai immédiatement téléphoné à l’O.R. et, je lui ai dépeint un tableau des plus alarmistes de l’état du petit gars. Cela lui a immédiatement valu un adoucissement de régime ! Je me suis étendu complaisamment aussi sur les gros dangers qu’il y avait à traiter sans ménagement des organismes jeunes : les risques de mort subite, de folie, et comme la devise générale est : « pas d’histoire ! », je peux espérer que les prisonniers de Sidi Aïch seront traités avec plus de ménagement ! Cette façon de procéder me semble donner de meilleurs résultats que la grande protestation inefficace, puisque, même ceux qui pratiquent des méthodes douteuses, quand ça chatouille désagréablement leur conscience ou leur « sens chrétien » (c’est le cas de l’O.R.) se rassurent en vertu de l’axiome du primat de la force et de l’intérêt de la patrie ! Du fait de ces problèmes de pacification, que j’ai bien mal soulevés devant vous, il résulte que je ne sais trop si je préfère mon nouveau poste. Demain et après-demain, passation des dernières consignes ; puis je serai tout seul à l’infirmerie. Depuis avant-hier, est affiché à la porte de l’infirmerie un petit tableau : « l’Assistance Médicale Gratuite est réservée strictement aux seuls nécessiteux ». Moyennant quoi, j’ai déjà gagné 2500 Frs [7] ! Je ne pense pas avoir le temps de beaucoup m’enrichir de cette façon, mais, comme on dit à l’armée, « ça améliore l’ordinaire ! » Cette après-midi, j’ai joué au tennis avec le sous-préfet, et bien qu’il me semble que je sois plus fort que lui, j’ai perdu. Je me console en me disant que c’est plus diplomatique, mais je ne l’ai pas fait exprès ! Demain soir, je suis invité avec mon presque ex-confrère, chez lui, pour manger des tripes (pouah !) c’est une spécialité de madame. Heureusement, je me suis renseigné, il y aura autre chose ! …
Lettre du 16 février 59 : … Hier, je ne vous ai pas écrit. C’était dimanche et la lettre ne serait pas partie, et même sans cela, j’aurais été incapable de le faire. J’ai eu une espèce de brève indigestion, sans aucune gravité, mais qui m’a gâché ma soirée à la sous-préfecture [8] ! Sans ce petit désagrément, il y aurait eu pour moi généreuse source d’amusement : les tripes n’avaient pas voulu cuire ! La sous-préfète était dans tous ses états… Autrement, mon dimanche fut absolument sans intérêt. Je m’étais proposé d’aller à la messe, mais à 9 heures du matin, je n’étais encore qu’un hérétique endormi ! Ce matin, nous avons eu au bataillon, la visite de l’aumônier protestant. Il était auparavant pasteur à Casablanca. Actuellement, en plus de l’aumônerie, il s’occupe de la paroisse de Bougie. Par la même occasion, j’ai fait connaissance des deux autres protestants du bataillon. Nous avons passablement bavardé, puis l’entretien s’est terminé par un petit culte. Nous sommes tous invités à Bougie chez l’aumônier. Ce sera pour plus tard, si je me trouve du goût pour la baignade ! … A part ça, je fais la consultation et l’Assistante Médicale Gratuite. Mon infirmerie est l’ancien vestiaire du terrain de sport de la ville. Il y a, devant, une espèce de petite cour qui est réellement une véritable cour des miracles. Quel horrible spectacle que ces espèces de mendiants déguenillés, ces aveugles, ces femmes accroupies sur le sol allaitant des enfants rachitiques et coquelucheux, tout le monde attendant les secours de la médecine et mendiant des piqûres et de la nourriture. J’essaye de les soigner le mieux possible, mais une immense pitié se mêle toujours en moi, un dégoût profond et un écœurement non moins sincère contre cette misère, et extrapolant bien facilement sans doute, contre tous les imbéciles qui veulent ou sont les complices des guerres et de leurs misères. Le bataillon est en émoi aujourd’hui. Le curé d’Akbou, village voisin, a été emmené par les fellaghas. Le commandant, profondément outragé dans ses sentiments de bon catholique, a passé la nuit dans la nature avec deux compagnies pour le retrouver, mais sans succès.…
En complément de son témoignage, voici quelques photos de Jean Claude qui du reste illustrent le récit de Ginette Thévenin-Coppin. (Voir http://www.miages-djebels.org/spip..... TOUBIBA page 102.
À propos des premières photos.
L’initiative de cette fête des enfants revient à Ginette. Elle l’avait concoctée avec les instituteurs à l’occasion du 14 juillet 1958.
L’idée lui en était venue après qu’une délégation de journalistes de la région de Troyes ait collecté auprès des usines textiles de la région 200 maillots de corps destinés aux enfants. Ceux-ci lors d’une enquête sur le terrain, avaient pris conscience du dénuement de la région.
Que faire de ces maillots ?
« Je me souviens alors de mes séjours dans les différents postes et de mes conversations avec les militaires instituteurs, écrit Ginette. Nous imaginions la possibilité de réunir tous les enfants dans un stade pour une grande fête de la jeunesse sur le thème du sport. Cette idée commence à germer dans mes pensées. Elle se développe et prend corps. Je décide d’approfondir le sujet avec les instituteurs au cours de nos prochaines rencontres. Mon projet, enthousiasme tout le monde : il ne reste plus qu’à le mettre en forme et à exécution. Ce n’est pas une mince affaire : toute initiative d’envergure demande énormément de travail et de don de soi. »
Ginette contacte la sous-préfecture et obtient les fonds nécessaires pour acheter le tissu indispensable à la confection de 200 shorts qu’elle fait confectionner aux femmes fréquentant l’ouvroir.
Même si de nos jours d’aucuns ne manqueront pas d’invoquer l’action psychologique sous-tendue par une telle démonstration, force est de constater que cette manifestation a réclamé non seulement beaucoup d’énergies, mais surtout beaucoup d’abnégation et de cœur pour fédérer les adultes des deux communautés autour d’un projet novateur.
Une fête extraordinaire de la jeunesse, garçons et filles, dont la richesse et les talents éclatent au grand jour.
En outre un bel exemple de fraternisation dans le contexte du moment (juillet 1958).
Diaporama
Photo 01
Jean Claude avec des enfants du village d’El Felaye devant l’ancienne fontaine.
Photo 02 :
Les enfants des écoles d’El Felaye en habit de fête montant vers la place du village pour participer à la revue du 14 juillet.
Sous la bannière « Les chamois d’El Felaye » et la direction d’un chef de section affecté à temps partiel à l’école,
Photo 5 L’arrivée sur la place lors de la revue.
Photo 4 Femmes et enfants arrivant à l’infirmerie. En contrebas une boucle de la Soumamm qui a rongé ses berges lors d’inondations.
Photo 6 le PC du bataillon qui surplombe le village
Photo 7 La vallée de la Soumamm en aval de Sidi Aïch. La voie ferrée Bougie-Alger et la tranchée pour le pipe-line en construction. Transport du gaz saharien à Bougie.
Photo 08 Devant l’infirmerie d’El Felaye
Photo 09 maison primitive d’El Felaye
Photo 10 Aperçu des Gorges de Kerrata.
La magie d’Internet aidant, j’ai eu le contact dernièrement avec un ancien du 28e BCA en poste dans le secteur de Sidi Aïch, d’El Flaye puis à Aït Daoud. Celui-ci se rappelle parfaitement de celle que les militaires appelaient affectueusement « Pitchounette » Voir http://www.miages-djebels.org/spip.... Il m’a spontanément transmis quelques photos que je diffuse sur le site en complément à celles du Docteur Jean Claude Depoutot. St Gervais le 20 août 2013. Merci Louis.