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Rencontres en montagne. Voyage à Bouzeguène octobre 2007

jeudi 28 février 2008, par Claude GRANDJACQUES

Entre montagnards, le courant passe.


Rencontres en montagnes. Voyage à Bouzeguène octobre 2007.

« Si tu côtoies une communauté plus de 40 jours tu deviendras l’un d’eux ! » m’a confié mon jeune hôte d’Aït Salah lors de mon séjour à Bouzeguène en octobre 2 007.

Pendant cette semaine passée avec mes amis de rencontre, ceux-ci se sont bien gardés de me détromper. J’ai eu le sentiment de retrouver un pays qui, certes, avait bien changé, mais avec lequel je me sentais en harmonie. A cette occasion, j’ai pu vérifier, par moi-même la justesse de l’exergue du livre de Frédéric Musso sur Albert Camus « On ne se meut pas sous les mêmes conjonctions d’astres, on ne respire pas le même air, on ne contemple pas les mêmes paysages sans que l’indissoluble se noue entre les êtres ».

J’ai demandé à Ferouane, journaliste imaginaire, de m’aider à présenter l’essentiel de ce voyage après l’avoir dépouillé des scories et de la gangue du passé et du fatras des sentiments qui peuvent étouffer des réflexions d’avenir et interdire l’accès à l’essentiel : le cœur de l’homme.

Ferouane : Quel sentiment profond t’animait et justifiait à tes yeux ton voyage dans cette région que tu as aimée ? Nous vivons en effet une situation inédite dont j’ai pris conscience : il y a bien eu séparation de corps du couple France-Algérie, mais une partie des enfants d’Algérie, en particulier ceux originaires de la Grande Kabylie, vivent en France à Marseille, Paris ou ailleurs. Ils se réclament des deux parents et doivent avoir un problème d’identité. En effet, dernièrement, j’ai constaté grâce à Internet que les jeunes

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Carrefour orient occident.

Bouseguenois scolarisés en France (c’est valable pour les autres villages de Kabylie) bien souvent ne savent même plus parler leur langue maternelle, le tamazight. Leurs grands-mères restées sur place sont amenées à apprendre le français pour communiquer pendant les vacances avec leurs petits-enfants lors de leur retour au pays. Dans un tel contexte, je crois fondamental de continuer à entretenir des liens avec une région qui composait notre ancienne famille. Les contacts ne peuvent que faciliter la compréhension. Et il doit y avoir moyen d’être utile. C’est pourquoi je voulais sans doute vérifier par moi-même si la séparation de corps qui avait eu lieu dans des conditions dramatiques avait entraîné vraiment la séparation des cœurs !...

Ferouane : n’avais-tu pas également une autre idée dans la tête en partant ? A 50 ans de distance, demeurent des rancoeurs entretenues par certains pour faire diversion. Le traité d’amitié au sommet de l’Etat n’a pas été signé. Pourtant, il conviendrait de tourner la page : les Français ont besoin dans un premier temps de se réconcilier avec eux-mêmes, les Algériens ont la même démarche à effectuer chez eux.

Pour renouer le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, il faut établir des contacts et mieux se connaître. Bien des choses ont changé en 50 ans. Il ne faut pas vivre en entretenant des clichés. Il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Il y a toujours eu des hommes de bonne volonté même sous l’uniforme quelque soit l’étendard. Il convient de regarder le passé avec lucidité pour bâtir un avenir de compréhension et de solidarité. Si nous réussissons à initier une telle démarche, elle aura valeur d’exemple et de symbole. Les regards sur cette période peuvent changer. Les à priori devraient disparaître. En outre, à partir de nos expériences professionnelles, les anciens combattants peuvent sans doute, malgré ou à cause de leur âge, servir encore utilement la cause du rapprochement et des échanges.

Ferouane : ton action passée à Bouzeguène peut-elle te faciliter les choses ? Je suis arrivé à Bouzeguène à un moment où les dés de l’avenir tournaient déjà vers l’indépendance du pays. Mon action sur place a été essentiellement humanitaire et non politique. Mon rôle était simple : servir. Comme beaucoup, je pense l’avoir fait avec cœur et une certaine efficacité. De plus comme j’ai dû quitter précipitamment les lieux, je n’ai pas connu le déchirement lié à notre départ. Pendant mon séjour d’octobre, j’ai recueilli des informations sur la fin tragique de certains qui s’étaient engagés à nos côtés. Est-ce une raison pour ne pas renouer ?

Le livre que j’ai écrit restitue une page de l’histoire locale à Bouzeguène où indépendamment de l’action de la SAS, des militaires ont soigné et enseigné avec cœur et compétence. D’anciens élèves ont renoué avec plaisir avec leurs maîtres d’alors. La France est regardée là-bas souvent avec un regard de sympathie qui tranche avec le regard de détestation de soi dont font preuve bien des Français envers notre propre pays.

À ceux que mon séjour sur place à Bouzeguène étonnait, j’ai eu l’occasion de faire comprendre que depuis mon arrivée au bordj en 1960, j’ai toujours aimé cette région et ses habitants : mon action a été en harmonie avec mes sentiments malgré le contexte difficile du moment. À l’heure actuelle, je m’emploie à récupérer des photos de la Grande Kabylie pour restituer la vue des villages d’alors ou des tranches de vie. Le retour est émouvant. J’estime que ces photos font partie du patrimoine de la Grande Kabylie

Ferouane : Quels ont été les temps forts de ton séjour ? Pour mieux se connaître, rien de tel que de loger chez l’habitant, que de se déplacer avec les transports en commun. J’ai été hébergé chez une famille kabyle. J’ai eu tout loisir d’apprécier leur façon d’être à la fois simple et confiante malgré les difficultés que représente la vie de tous les jours. L’amitié de mon hôte, de mon GO ou des nouveaux amis, a toujours été au rendez-vous. L’hospitalité kabyle n’est pas un vain mot. Dans les faits je n’ai jamais été seul.

Au cours de mon séjour, rencontre émouvante avec l’un des fils de Tahar avec qui j’avais noué des relations étroites en 1960-1961. Il m’a conduit à l’ancienne fontaine du village, améliorée par la construction d’un réservoir que nous avions inauguré en juin 1961. La fontaine a été « reloockée » plus tard. Elle porte maintenant le nom du notable le plus illustre du village : le Colonel Mohand Ou El Hadj. Contact avec des anciens du village de Bouzeguène où certains se rappellent parfaitement de Jean Louis Sahut, l’instituteur qui est resté après l’indépendance.

À Sahel, l’école construite par le sous-lieutenant Pirel a été agrandie depuis : son toit est à double pente. Certains anciens se souvenaient du lieutenant Grandjacques.

Rencontre avec l’actuel imam d’Aït Ikhlef qui a occupé des fonctions électives dans la commune il y a des années. Il est entouré par un groupe informel d’hommes du village

Là, comme ailleurs, la conversation se déroule de façon simple, amicale, naturelle et dépourvue de toute hypocrisie.

Tout le monde est d’accord sur la nécessité d’aborder l’avenir avec un autre regard. Nous sommes entre montagnards : l’air pur des montagnes doit nous aider à prendre de l’altitude et à nous rapprocher.

Ferouane : As-tu rencontré des anciens de l’ALN ? Après en avoir rencontré un en 2004, j’en ai rencontré deux autres. Ils sont partants sans réserve pour une démarche de rapprochement constructive qui leur tient également à cœur. J’ai même eu l’occasion de rencontrer un ancien officier de l’ALN, cadre de haut niveau du FLN avec qui la discussion a été plus délicate. Nous avions sans doute chacun des préjugés à surmonter. L’ambiance de notre discussion n’a pas permis d’avancer de façon significative. Il serait souhaitable sans doute que nous échangions à nouveau de façon plus détendue. Mon interlocuteur a eu des difficultés à comprendre qu’un jeune de 24 ans, il y a 50 ans, puisse rempiler pour servir la population kabyle.

Ferouane : As-tu circulé dans tous les villages ? J’ai visité un certain nombre de villages et me suis promené avec émotion dans les Beni Zikki, en 1960 zone interdite. Cette région magnifique très montagneuse est desservie maintenant par une route goudronnée. J’ai eu l’occasion d’y rencontrer des jeunes à qui j’ai pu présenter des photos de l’époque. Ils ont pu constater que je connaissais la plupart des villages et que mon cœur était resté en Kabylie.

J’ai eu tout loisir d’admirer la commune de Bouzeguène depuis le village de Barkisse et de découvrir le nouveau village de Mansorah.

En descendant vers Haoura, mon ami assurant le transport m’a fait admirer un relief naturel formé par dame nature : un lion surveille la vallée sous la voûte de la cavité. Il est parfaitement visible.

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le lion qui surveille la vallée.

Je le vois distinctement pour la première fois. Lors de mon précédent voyage : j’avais essayé de le deviner, mais l’éclairage ne s’y prêtait pas.

Dans un des villages, j’ai eu l’occasion de faire un exposé informel et de lire un des passages de mon livre : « ….Les anciens que nous sommes….avant de s’endormir, voudraient tant voir souffler et respirer le vent de l’amitié qui caresserait les Miages et les djebels et nos deux pays enfin réconciliés….. » Et de préciser que nos ennemis d’hier rencontrés récemment, devenus aujourd’hui mes amis, sont dans le même état d’esprit que moi.

Ferouane : Si tu devais établir un bilan de ce voyage !... J’ai constaté que les jeunes souvent ont soif d’informations sur leur passé. Nous avons tout à gagner à échanger et à mieux nous connaître. Le jour où les échanges deviendront plus nombreux, les regards des uns et des autres seront débarrassés de préjugés. Malgré les drames du passé, la compréhension et l’estime finiront par l’emporter.

Avec mes amis d’une semaine, tout a paru simple et limpide. Nous avons réfléchi ensemble à l’avenir. Des pistes se dessinent pour faire jouer la solidarité entre montagnards. Rencontres pour mieux se connaître et essayer de construire en commun. Développement culturel par l’envoi de livres. Echanges d’expériences pour affiner l’étude de fonctionnement des chambres d’hôtes.

En effet, la région possède un parc immobilier extraordinaire comme il n’en existe pas en France. Ces maisons, souvent inoccupées, une grande partie de l’année, constituent un réservoir de possibilités d’accueil dont il devrait être possible de tirer parti. Il y a peu d’aménagements à réaliser pour recevoir des hôtes payants. Le pays présente un attrait touristique réel. Il convient seulement de définir et de lancer le produit touristique.

Ferouane : Peux-tu nous dire ce que tu penses de la région ? La Kabylie est une région montagneuse séduisante et atypique. Pour en avoir une idée, il faut se rendre au belvédère balcon du village de Barkisse. Ce village est accroché à l’éperon rocheux de la Main de la Fatma, sentinelle avancée des pentes du Tizi Guidminenn.

Le village de Barkisse. De ce nid d’aigle, la vue bute à l’ouest sur les pentes de la montagne où est niché le village de Bou-Khiare, puis dévale les gorges de l’oued Sahel en contrebas, avant de se reposer sur les flancs riants des djebels Tizi NBerber et de l’Azrou El Messabah.

Cette loge de théâtre à la vue panoramique plongeante mériterait de recevoir une table d’orientation localisant une grande partie des villages de la commune de Bouzeguène et des Beni Zikki. Ceux-ci en grappes fertiles greffées à des pieds de vigne noueux, sont accrochés aux montagnes tentaculaires épaulant le Djurdjura.

Depuis cette arête escarpée, la vue dégage une impression de sérénité tranquille. La nature aride et sauvage se montre dans sa généreuse beauté dépouillée. L’écoulement des saisons ne semble pas avoir de prises sur les lieux. L’air ambiant respire le parfum de la paix et de la quiétude. De ce nid d’aigle, il est facile de comprendre pourquoi cette région tout en douceur a transformé le rapport des hommes au temps et pourquoi ses habitants sont viscéralement attachés à leur terre qui les a façonnés. Les Kabyles en effet, sont des montagnards au naturel hospitalier, accueillant et tolérant. Ils ont su conserver leur mode de vie marqué essentiellement par la solidarité, des traditions ancestrales et démocratiques, une langue millénaire qui renforcent leur fierté identitaire .

Situé à la partie orientale du Djurdjura, le promontoire de Barkisse, permet d’admirer la roue du paon creusée par l’oued Sahel naissant. Tout y est séduction. Cet amphithéâtre naturel constitue le cœur de la Kabylie. Pour le voir battre, il convient d’admirer la beauté des villages disséminés sur les flancs offerts des djebels mamelons des Tizi NBerber et de l’Azrou Messabah.

À la beauté des paysages, s’ajoute, en pénétrant dans les villages, la découverte de la Kabylie côté cœur. Ce trésor que constitue l’amitié est offert partout : vous pouvez vous servir et vous enrichir sans appauvrir. Les contacts avec la population constituent une cure qui guérit de bien des blessures.

Puisse cette photo d’un des blockhaus du bordj être un heureux présage : les colombes, symbole de pureté, de simplicité, de paix, d’harmonie, d’espoir et de bonheur retrouvé, s’envolent vers l’avenir.

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Puisse être un symbole !...

Selon l’Encyclopédie Wikipédia, Bouzeguène compte environ 35 000 habitants. Une partie de cette population a immigré en France. La commune est composée de 24 villages qui sont : Ait Said, Ait Sidi Amar, Ait Ikhlef, Ait El Karn, Ait Ferrache, Ait Azouane, Ait Semlal, Ait Salah, Ait Iken, Ahrik, Bouzeguène ville (Wizgan ville), Bouzeguène village (Wizgan village), Houra, Ibouyissfen, Ighil Tizi Boa, Ihitoussen (ait sidi hend ouali), Ibekaren, Ikoussa, Sahel, Takoucht, Taourirt, Tizouine, Tazrout.

La commune montagneuse des Beni Zikki comprend les 8 villages suivants : Aagouni-filkkane, Taourirt, Iguer-Amrane, Amoukreze, Barkisse, Iguer-Mahdi, Bou-khiare, Manssorah.


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