Miages-Djebels

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Dossier 2012 sur les accords signés à Evian le 18 mars 1962.

dimanche 18 mars 2012, par Claude GRANDJACQUES

C’était il y a cinquante ans, après d’âpres discussions était signé le 18 mars 1962, un document censé mettre fin à une guerre civile tragique ensanglantant la France et l’Algérie.

Si ce document marque la fin programmée de la présence de la France en Algérie, il n’arrête pas pour autant le sang de couler tant ce conflit a été destructeur et fait perdre la raison à des hommes ayant pourtant pour les uns une haute idée de la valeur civilisatrice de leur mission et pour les autres un besoin légitime de reconnaissance dans la vie économique et démocratique.


Pour lire le contenu des accords Les accords d’Ëvian du 18 mars 1962 http://www.harki.net/article.php?id=27

- Lire l’article Note du général de Gaulle pour M. Pompidou et M de Leusse (18 février 1961).

Pour avoir une idée de l’état de chaos qui a précédé et suivi la signature des accords d’Ëvian, lire le chapitre 7 du livre « Des Miages aux djebels », la fin de la guerre d’Algérie . Évocation historique 1962. Ouvrir le fichier pdf en cliquant sur l’icône ci-dessous.

PDF - 132.7 ko
Des Miages aux djebels. Notre guerre d’Algérie.
Alain, André, Bernard et Claude. 1956-1962.

- Lire également L’après 19 mars 1962 d’un maréchal des logis en Grande Kabylie.

- Lire aussi Pourquoi nous refusons la date du 19 mars 1962

- L’odyssée de la Harka 8 ! http://www.secoursdefrance.com/cont...


A cinquante ans de distance, les souffrances d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée sont toujours vivaces et sont exacerbées par les certitudes des intégristes dogmatiques. Il en existe en France et en Algérie.

Comme il me paraît indispensable de dépasser sa propre souffrance et de s’ouvrir enfin à celle de l’autre, je propose à l’internaute des pistes de réflexion à partir de différents témoignages.

Voici ce que j’écrivais dans l’introduction du livre « Des Miages aux djebels »

« Depuis mon voyage récent en Kabylie, mon regard vers les Dômes de Miages a changé : les arêtes des Covagnets me rappellent en permanence celles des Beni Zikki.

J’y devine parfois, émergeant des nuages, l’âme des soldats morts en Algérie.

Ils ne portent plus d’uniforme.

Je ne distingue ni leur appartenance ni leur forme.

Qu’importe leur camp ! C’étaient des hommes.

Ils avaient vingt ans.

Ils obéissaient à leur gouvernement établi l’un, permanent à Paris, l’autre, provisoire, en Tunisie.

Leur combat était sans gloire, mais leur cause chargée d’espoir.

Les uns se battaient pour une Algérie qu’il fallait garder avec la France, les autres pour une vraie démocratie et l’indépendance.

Ils ont tous été trahis.

La France, s’abritant derrière des accords et la voix des urnes, abandonna une partie des siens : des milliers d’Européens et des dizaines de milliers de soldats-harkis seront massacrés.

Le nouvel État, l’Algérie, aura pour longtemps le visage du totalitarisme sous la férule d’un parti hégémonique étouffant dans l’oeuf la démocratie tant espérée.

Pour donner un visage aux âmes des nôtres tombés en Algérie, j’ai rédigé « Des Miages aux djebels ». En tournant les pages, non seulement vous vous familiariserez avec cette époque et les événements d’alors, mais vous découvrirez comment, à l’instar de centaines de milliers d’appelés, se sont comportés, pendant cette guerre fratricide, des jeunes ayant grandi à l’ombre des Dômes de Miage »…


Voici avant dernières pages du livre ( page 314 à 319) qui précèdent le CR de mon voyage à Bouzeguène en 2004 :

Entretien avec Philppe Pirel ..
- « CL. On ne refait pas les évènements qui ont accompagné ce divorce sanglant. L’O.A.S., fruit du désespoir et conséquence du terrorisme, a compliqué le schéma. Il n’est pas évident que le F.L.N. ait souhaité le maintien de la présence des Européens. Il portait en lui, de façon congénitale, les gènes de la violence.

De Gaulle qui était pressé de tourner la page, a donné rapidement les clés de l’Algérie, pour se consacrer à d’autres tâches. Il n’a pas (ou peut-être pas pu) exigé de garanties sauf celles de pouvoir faire éclater sa bombe atomique à Reggane dans le Sahara, de pouvoir continuer à lancer nos fusées depuis Hamaguir, près de Colomb-Béchar, et de conserver la base navale de Mers El-Kébir, pendant le temps de rentabiliser les investissements.

Mais on ne peut vivre de regrets. Par contre, la France aurait dû s’occuper du sort des Pieds-noirs et des Harkis, car ce qui est arrivé était prévisible. De Gaulle a fait comme s’il n’y avait pas de problèmes. De son piédestal, il n’a pas voulu faire preuve de compassion. Il a fait comme si les accords d’Évian étaient appliqués alors qu’ils n’ont été que chiffon de papier et que la sécurité des personnes a été violée. En l’occurrence, nous avions la maîtrise du terrain, des accords signés en bonne et due forme. Sur ordre, les Harkis, Moghaznis qui avaient valeureusement combattu à nos côtés, ont été désarmés et abandonnés. Jamais, aucune armée au monde n’a reçu un tel ordre.

- PH. Tu as des informations à ce sujet ?
- CL. À l’époque, je n’ai pas eu beaucoup d’informations. Je ne les ai peut-être pas cherchées. Il faut dire que je ne voulais plus entendre parler de rien. Il semble cependant qu’il y ait eu une véritable conspiration du silence sur le sujet. Devant cette ignominie, bien des anciens d’A.F.N. se refusent à associer la date du 19 mars comme étant celle de la fin de la guerre d’Algérie. En effet, après cette date, non seulement 300 des nôtres trouveront la mort, mais surtout, la guerre civile a continué, plus sanglante que par les années passées. L’O.A.S. a sévi dans des villes comme Alger et Oran jusqu’en juin, tandis que le F.L.N. ou certains éléments de la population musulmane s’en prennent aux Européens : le massacre et l’enlèvement d’Européens ont commencé en avril en particulier à Oran, et se poursuivront en juillet.

Pour les Harkis et les Moghaznis, c’est pire encore. Eux et leurs familles sont massacrés en masse par dizaines de milliers. Les massacres des supplétifs ont commencé dès le 6 mars 1962 dans une S.A.S. comme celle de Boualem près de Géryville où j’ai effectué des opérations en 1958.

La France n’avait rien préparé pour faire face à l’exode massif des Pieds-noirs et des Harkis. Leur accueil a eu lieu dans des conditions invraisemblables d’improvisation, dans une France satisfaite de voir ses soldats revenir chez elle et ne mesurant pas les conséquences de son vote d’avril.

Les Pieds-noirs, grâce à leur énergie et leur courage, tant bien que mal ont réussi à s’intégrer dans cette France que la plupart ne connaissaient pas. Pour les Harkis, cela a été plus difficile, car ils ont été souvent parqués dans des centres d’hébergement au lieu d’être disséminés un peu partout, ce qui leur aurait permis, grâce aux contacts avec la population, de s’intégrer progressivement.

- PH. Je commence à comprendre pourquoi certains cherchent à créer un écran de fumée par des contrevérités concernant l’action de l’armée française. Mettre en exergue les excès de notre armée permet d’occulter ou de cacher ses propres crimes. Cette vérité-là ne pourra pas être cachée indéfiniment. À propos, parles-tu de la torture dans ton livre ?
- CL. J’ai tenté de restituer les aspects de la guerre que j’ai vécue. Je n’ai pas évoqué la boue et la fange, aspects de la guerre que j’ai peu connus, auxquels cependant j’ai fait allusion. Cet aspect fait partie malheureusement de toute guerre.

Affirmer le contraire, c’est faire preuve de mauvaise foi ou d’angélisme. Tout homme naît avec un fond de brutalité et de violence qui peut se réveiller dans des circonstances tragiques particulières. Dans notre cas, nos adversaires ont choisi la terreur et la violence comme arme de combat. Quant à l’emploi des contre-feux, pour circonscrire l’incendie, je ne veux ni approuver ni condamner. La guerre est elle-même condamnable, une fois déclenchée, les lois sont bafouées. Dans tous les cas, la victime innocente souffre.

Le cas tragique du 11 septembre 2001 n’est pas une hypothèse d’école. Y a-t-il d’autres méthodes ? Nos démocraties ne sont pas préparées et armées moralement face à un ennemi fanatique et psychopathe. Il faut bien se donner les moyens d’éviter et d’éliminer le terrorisme qui est terriblement d’actualité.

- PH. Pour quelle raison as-tu pris la plume ? s’étonne mon ancien adjoint.
- CL. J’ai beaucoup hésité à étaler dans un livre, à la fois mes sentiments d’alors, et surtout à faire connaître la souffrance de notre famille en publiant les courriers d’Alain. Nous avons été élevés à faire preuve d’une certaine retenue pour tout ce qui nous concerne.

Mais à la réflexion, j’ai tendance à penser que ce que nous avons vécu appartient modestement au patrimoine de l’histoire. Si nous ne mettons pas par écrit nos états d’âme, nos espoirs, nos peurs, nos souffrances, personne ne le fera à notre place. En s’adressant au coeur, les nouvelles générations comprendront peut-être mieux ce qu’ont vécu deux millions d’appelés.

- PH. As-tu voulu faire oeuvre d’historien en écrivant ?
- CL. Certainement pas. Je n’ai pas les qualités et la formation d’un historien. J’ai voulu être un témoin qui apporte sa pierre à l’édifice de la mémoire. J’ai essayé d’être le plus factuel possible. J’ai tenté de comprendre notre époque tragique, les événements qui l’ont marquée. J’espère avoir fourni aux lecteurs des clés qui l’inciteront peut-être à ouvrir d’autres livres plus étoffés sur le sujet.

- PH. Quelle ligne de conduite t’es-tu fixée ?
- CL. D’être vrai et sincère, car rien ne peut être bâti sur le mensonge. C’est le but que je me suis assigné avec notre témoignage.

- PH. Parce que tu crois détenir la vérité ? me fait remarquer mon ami.
- CL. Non, je suis conscient de ne présenter qu’un point de vue, celui d’un appelé du contingent assez naïf pour avoir repris du service et qui s’est senti floué pour avoir cru que la France pouvait bâtir une relation amicale nouvelle avec nos frères d’Algérie que j’ai aimés. Ce n’est pas grave en ce qui me concerne, face aux sacrifices bien plus lourds consentis par d’autres. Comme bon nombre d’appelés, du reste, je préfère passer pour un naïf que pour un salaud. Puis, me penchant vers Philippe, en baissant un peu la voix, la gorge un peu nouée :

- CL. Philippe, lui dis-je, avant de nous quitter, car il est tard pour toi si tu veux regagner Valloire cette nuit, je vais te faire une dernière confidence. Lors des préparatifs de la cérémonie d’inhumation d’Alain, j’avais pensé à faire inscrire en exergue sur les faire-part, cette phrase qui actuellement peut paraître complètement inadéquate et inappropriée : “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis” (Jean 15, 13).

- PH. À quoi pensais-tu, me demande Philippe, en ayant cette idée qui effectivement me surprend ?
- CL. En juillet 1960, sous le coup de l’émotion sans doute, et dans ma candeur, j’en étais resté au rôle protecteur de l’armée contre les bandes F.L.N. qui terrorisaient la population.

- PH. Et maintenant, en fonction de ce que tu sais, que penserais-tu écrire ?
- CL. J’aurais tendance à faire écrire l’épitaphe rédigée par Kipling Rudyart pour la tombe de son fils John, lieutenant, tombé à Lens en 1915. Son père fit graver « Si quelqu’un vous demande pourquoi nous sommes morts, dites-lui que c’est parce que nos pères nous ont menti. »

En pensant à cette phrase, j’y associerai avec sincérité les morts des deux camps, car les Moudjahidin, eux aussi, ont été victimes du mensonge : en combattant le colonialisme, ils pensaient, pour la plupart, trouver la liberté, la démocratie. Ils ne se seraient jamais battus pour une démocratie confisquée, pour une nomenklatura s’appropriant l’essentiel de la richesse, tandis que le reste du peuple croupit dans la misère.

Cette misère, à son tour, a nourri l’obscurantisme, terreau de l’intégrisme islamique qui, lui, sème la terreur, non pas au nom d’une révolution, mais, ce qui est plus dangereux, au nom de Dieu. La deuxième guerre d’Algérie a été aussi terrible, sinon plus que la première. L’histoire est un perpétuel recommencement.

Dans notre guerre, ce sont surtout les soldats des deux camps qui ont été sincères : ils n’ont pas triché. Ils ont obéi et ont fini par croire qu’ils combattaient pour une cause juste. Souvent, ils sont morts d’avoir cru à un rêve impossible, devenu cauchemar, celui de la fraternité.

Cinquante ans après la Toussaint sanglante, les signes avant-coureurs d’une aube nouvelle semblent se profiler. Une Algérie amie, lucide et dépassionnée, fondée sur le respect de l’autre, mettant à profit les solides relations d’estime mutuelle qui se sont forgées par le passé, devrait bien être maintenant à notre portée.

Avant de quitter la scène, ceux qui ont crapahuté dans les djebels, souffert dans leur corps et surtout dans leur coeur, demandent aux spectateurs d’aujourd’hui que leur rêve d’alors devienne rapidement une réalité.

Il appartient aux jeunes générations de bâtir cette relation apaisée. Il faut, pour cela, leur en donner les moyens, avec une présentation historique plus objective de ce qu’a été ce conflit où le rôle des protagonistes ne doit pas être caricaturé. C’est pourquoi nous avons tenu à témoigner.

Les anciens que nous sommes, sont prêts à les aider, mais leurs forces commencent à vaciller. Avant de s’endormir, ils voudraient tant voir souffler et respirer le vent de l’amitié qui caresserait les Miages et les djebels et nos deux pays enfin réconciliés.

Alain, Bertand de Longueau, Willy Klocke, Wannen Tiemann, Philippe Le Pivain, Melandene, François Chavoutier, Louis Ferriol, François d’Orléans, Raymond Poisson, .... et toutes les victimes de ce conflit, avant de nous accueillir, dormiraient enfin dans la sérénité......

Les Bernard. Octobre 2004


Comme il faudra bien un jour, penser ensevelir en commun le chagrin et la douleur éprouvées par les familles et désirer sincèrement honorer ensemble toutes les victimes de la violence des hommes, j’invite le lecteur à lire
- Devenons les messagers de l’Akfadou

Nos enfants et petits-enfants pourront alors se parler et bâtir un monde meilleur dans l’amitié et le respect de l’autre.

Comme je suis persuadé que si enfin sincèrement les protagonistes de cette guerre cruelle veulent sincèrement tourner la page, il faudra bien qu’un jour ensemble en France et en Algérie, la main dans la main nous honorions toutes les victimes de ce conflit sans chercher à mesurer de quel côté la cruauté l’a emporté.

Supprimons les murs de l’incompréhension et au nom du sang versé bâtissons le pont de la fraternité. C’est ce qu’attendent de nous les jeunes générations qui aspirent à l’amitié entre le peuple de France et le peuple d’Algérie.


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