Pour l’honneur de Paul et de sa famille, je fais la synthèse de ce que j’ai appris.
Tout a commencé avec l’embuscade du 30 août 1957. Voir page 198 « Des Miages aux djebels ».
" Le 30 août 1957, entre Bouzeguene et Haoura, un convoi de la 4e compagnie subira une embuscade et les pertes seront de loin les plus sévères en personnel et armement jamais consenties par le 27e B.C.A. lors d’un même combat durant ses sept années de présence en Algérie (5 tués - 11 blessés – I disparu - 9 armes perdues, dont 1 fusil-mitrailleur - 2 postes radio)….. Au début de la matinée, des éléments de la 1ère compagnie ouvrent le feu, à grande distance, sur un groupe qui se réfugie dans la forêt. Une patrouille récupère des vêtements et un fusil de chasse. Pendant ce temps, un convoi de ravitaillement se fait accrocher par une bande d’une centaine de rebelles, en gros une katiba, sur la piste reliant Bouzeguene à Haoura, entre le lieu-dit : “ Carrefour des Généraux “ et le village d’Aït Ferrach. Vingt-neuf gradés et chasseurs constituent le personnel de ce convoi sous les ordres d’un sergent-chef.
Le dispositif rebelle est échelonné sur 200 mètres environ, de chaque côté de la piste, sur un terrain accidenté, favorable à une embuscade contre un convoi. Dès le début de l’engagement, à la manière des Viets sur la RC4, les fellagas, armés en majorité d’armes de guerre, passent à l’assaut de la rame, appuyés par une forte base de feu constituée d’armes automatiques et de lance-grenades, installée sur les rochers escarpés bordant la piste au nord.
Immédiatement, le commandement de l’opération juge de la gravité de la situation et demande l’intervention de l’aviation. Rameuté, le poste de Bouzeguene pousse des éléments sur les lieux du combat et de son côté, la C.C.A.S. met sur pied deux sections qui foncent sur les lieux. La 3e compagnie récupère en hâte ses deux sections qui rentraient de bouclage et les dirige sur Bouzeguene où se rend également le chef de corps alerté sur le terrain de la précédente opération.
Le combat est acharné. Submergés, les éléments du convoi se replient sur le poste d’Haoura à l’exception de l’équipage du half-track qui, malgré un incident de tir sur la 12,7 interdit aux rebelles, par les feux de ses armes individuelles, l’approche du véhicule. Les premiers renforts de Bouzeguene mettent en fuite les rebelles en se lançant dans le combat. La grande confusion régnant sur les lieux interdit un tir d’artillerie demandé par le chef de corps. Quant à l’absence de liaisons radiophoniques, elle est la conséquence directe de la mort du sergent-chef, ce qui a désorganisé la défense. La tactique des rebelles est simple : le chef ou celui qui porte des galons, et les antennes. L’arrivée des renforts permet de récupérer les corps du sergent-chef et de deux autres chasseurs.
Neuf blessés ont rejoint par leurs propres moyens le poste d’Haoura où ils sont évacués par hélicoptère sur Tizi-Ouzou. Mais fait plus grave, l’appel nominatif des membres du convoi fait ressortir la disparition d’un caporal-chef. Est-il mort, blessé ou prisonnier ?
Des patrouilles sont envoyées dans toutes les directions pour essayer de le retrouver en cherchant le contact avec les rebelles. A la tombée de la nuit, les recherches sont suspendues. Le bilan est lourd ; comme le rappelle le commandant des Chasseurs, ce sera le plus lourd de la campagne. Le lendemain, une fouille minutieuse est encore effectuée afin de retrouver le caporal-chef disparu. La recherche de renseignements dans les villages des alentours ne donne rien. À croire qu’il n’y a pas eu de combat ! Rien ne permet de localiser le refuge de la katiba. La rage au coeur les chasseurs cessent les recherches." Roger Henria, "Les chasseurs de l’Akfadou".
Tout récemment, par un nouveau camarade, à l’époque sergent au 27, en poste à Haoura, présent dans le convoi lors de l’embuscade, j’ai eu en main un extrait du journal de marche de la compagnie. je le reproduis dans sa sobriété :
« Vendredi 30 août 1957 Nuit du 29 au 30. Calme. Patrouille de 0 à 2 heures au village d’Ibouisfène..
Liaison Iffigha-Tizi-Ouzou pour visite médicale des libérables. Embuscade en NY66 A83 sur convoi en mouvement sur 9QQ5 à 17 heures.
Tués : Sergent Delubac, sergent Chaîne, Chasseurs Bartin, Sartoretti, Larue.
Blessés : Sergent/Chef Bolh, Sergent Coupat, C/C Guillemin, Chasseurs Schaub, Borrel, Gaillard, Duc, Bramard, Petit, Pacallier, Ebelin et Crozier.
Disparu C/C Bohomme.
Attaque effectuée par 60 à 100 HLL en tenue kaki et béret kaki modèle SAS avec appui mortier et armes automatiques. Assaut final. Survivants dégagés par arrivée secours 9QQ4. Totalité des blessés évacués. Repli HLL par l’Ouest et le Sud.
Armement perdu : 1 FM.. 3 PM MAT 49. 2 PA p mm. 1 Carabine US. 1 FSA Garant ».
Selon les indications du site Mémoire des hommes de la Défense : Nom BONHOMME Paul Emile, né le 17-05-1935. Décès le 30-08-1957. Pays décès Algérie.
Le frère de Paul, Roger s’est manifesté auprès du Cercle algérianiste. Témoignage figurant dans le petit recueil « Français d’Algérie disparus 1954-1963 ». Il témoigne en ces termes :
"Je vous transmets le dossier de mon frère Paul Bonhomme, disparu le 28 août 1957. Caporal-chef au 27e Bataillon de Chasseurs alpins, près d’Azazga en Kabylie.
« Le 28 août 1957, aux environs d’Azazga. (Petite erreur de date, il s’agit du 30 août).
En revenant de passer sa visite médicale de libération, l’escorte est tombée dans une embuscade, et mon frère fut fait prisonnier par les rebelles. Il écrivit sous leur dictée une lettre à mon père, nous faisant savoir qu’il était prisonnier, ce qui nous redonnait espoir. C’est peut-être à la suite de cette lettre qu’un mandat d’arrêt a été délivré par la France, le considérant comme déserteur.
Après plusieurs interventions de notre part, ni l’État français, ni la Croix Rouge Internationale ne nous ont été utiles. Mon père est mort de chagrin et nous n’avons jamais récupéré les affaires personnelles de mon frère.
Il aura fallu quarante-cinq ans pour, qu’enfin, après l’intervention de l’U.M.A.C. de la Londe-les-Maures du Var et de l’Union Fédérale, nous recevions en date du 14 juin 2002, la notification que mon frère était mort pour la France, par décision du 10 décembre 1964 n° 788 MA/PC.7/EC. Voici le triste déroulement des faits concernant la disparition d’un être aimé, déshonoré et oublié par les autorités.
Lettre écrite par le disparu à son père (sous la dictée des rebelles du F.L.N.).
"Cher Papa, Il vous sera surprenant de lire une lettre que je vous écris du maquis... Ne vous inquiétez pas, je suis sain et sauf d’abord.
- Paul Bonhomme 22 ans.
Je voudrais bien vous raconter, comme je devine vos désirs et vos pensées, comment s’est passée ma mésaventure... De retour d’une opération, notre section fut attaquée en cours de route, précisément avant d’arriver au camp, par un fort contingent de l’Armée de Libération Algérienne (A. L. N.). Les premières rafales d’armes automatiques (ils disposent de plus de trois F.M. et de plusieurs armes semi-automatiques) furent très meurtrières. La puissance de feu dont ils disposaient avait interdit toute riposte de notre part. Plusieurs soldats furent atteints. Certains moururent sur le coup, d’autres furent grièvement blessés.
Les survivants fuyaient sans pouvoir opposer la moindre résistance. Tapi à l’intérieur de mon camion, j’assistais à la fusillade, impuissant, interdit. Soudain, les hommes de l’Armée Algérienne firent assaut et dans un laps de temps très court, je me retrouvais prisonnier. Les maquisards m’intiment l’ordre de les suivre. J’étais étonné parce que je pensais être abattu sur le champ. Nos officiers nous l’avaient maintes fois affirmé. Eh bien, c’est faux... Je ne fus pas abattu. Au contraire, les hommes de l’Armée algérienne m’invitèrent dans un français correct à les accompagner pour être présenté à leur chef. . . »
Au cours de mon voyage à Bouzeguène, j’ai rencontré un ancien sergent de l’ALN qui a combattu l’armée française pendant 6 ans. Il a participé à l’embuscade et m’a confirmé que Paul Bonhomme avait bien été fait prisonnier. Il a été convoyé vers Tunis. Il n’a pas su me dire s’il était bien arrivé.