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Au nom des sergents Brahim…

samedi 1er mars 2014, par Claude GRANDJACQUES

L’année 2014 est marquée par l’organisation de programmes commémorant la déclaration de la guerre 14-18, qui marquera durablement la France et le monde par son ampleur et son désastre humain sans précédant dans l’histoire.


Logo de l’article : Une infirmière donnant à boire à un Turco [tirailleur algérien] blessé : [photographie de presse] / [Agence Rol] –1914

http://milguerres.unblog.fr/quelque...

« La guerre ! Trop de millions d’hommes encore vivants, l’ont vécue et banalisée pour que j’aie rien à ajouter à la foisonnante littérature qu’elle a inspirée, écrivait Augustin Ibazizenen en 1979 dans son livre [1]. Il reste que, au milieu des conditions générales sensiblement identiques, chacun a conscience d’avoir fait « sa » guerre. Je suis parti dans les mêmes dispositions qu’un conscrit de l’Ile-de-France ou de Touraine ; nous portions en commun les fruits de l’enseignement cocardier des maîtres de notre enfance et nous subissions la contagion psychologique du moment. Mais je l’ai faite aussi en jeune Berbère soucieux de s’insérer, fût-ce à une échelle infinitésimale, dans une histoire de France dont certaines grandeurs l’avaient enthousiasmé et conquis. En cas de victoire, il en prendrait sa part, fût-elle du poids d’un grain de poussière ! ….

Il semble que le témoignage ci-dessous ait eu pour cadre le 6e Régiment de Marche des Tirailleurs Algériens dont le parcours de guerre a été restitué de façon remarquable par Eric de Fleurian. Voir http://combattant.14-18.pagesperso-....

Pour lire directement le document, cliquer sur l’écusson du régiment

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Parcours de guerre du 6e RTA
réalisé par Eric de Fleurian

Ci-dessous au format pdf, une présentation des RTA réalisée par l’ECPAD. Pour ouvrir le document cliquer sur la vignette.

PDF - 517.7 ko
Les Algériens et la première guerre mondiale
dans les collections de l’ECPAD

Toutefois, puisque j’essaye de faire ici un sobre bilan de ma traversée de la guerre et de définir l’empreinte dont elle a marqué le jeune Berbère que je fus, je ne puis me dispenser d’évoquer un souvenir qui, apparemment, ne me concerne pas personnellement : l’exploit et les derniers instants du sergent Brahim. Ce souvenir s’est en quelque sorte intégré à ma substance aussi profondément que ceux qui me sont propres…Le voici à grands traits :

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L’auteur du témoignage, Iba Zizen ( au milieu)
à la veille de passer aspirant et de partir pour le front

C’était le 19 octobre 1918, devant les trois villages d’Origny, Mont-Origny et Origny-Sainte-Benoîte, accolés sur une petite échine de terre dominant un bras de l’Oise naissante. De très bonne heure - 5 h 30 - ma compagnie de tirailleurs avait attaqué de front Mont-Origny au-delà de la rivière. Nous avions pénétré de force à l’intérieur du village et fait des prisonniers. Mais l’aile gauche de notre bataillon n’ayant pu, comme prévu, déborder la position sur notre flanc, ce qui nous eut permis de nous emparer de tout le village, nous avons dû nous replier sur notre tranchée de départ. L’assaut avait été meurtrier ; nous avions déjà essaimé beaucoup de morts aux abords des maisons et du cours d’eau ; sur celui-ci, un ponceau dont le tablier cassé en deux, nous avait imposé au passage, précautions et acrobaties...

Alors que nous nous retirions du village, les Allemands, qui s’étaient repris, nous suivaient de maison en maison, dissimulés tandis que nous étions à découvert. J’avais finalement fait revenir le restant de ma section par petits bonds jusqu’à son point de départ : le sergent Brahim fut le dernier à décrocher ! il s’était certainement rendu compte du danger qu’il y avait à laisser les Allemands passer le pont à leur tour et à venir vers nous en force avant que nous ayions regagné nos positions. Et au lieu de nous rejoindre, je le vis s’arc-bouter au profil de l’un des parapets, encore intact, son fusil pointé tantôt à droite, tantôt à gauche. Il défendait ainsi tout seul l’accès du pont pour nous éviter une contre-attaque.

Brahim était sec et mince, et il devait s’imaginer que l’épaisseur de maçonnerie lui offrait un angle mort du côté allemand. J’en jugeai autrement vu du rebord de notre tranchée et je lui enjoignis à haute voix de nous rejoindre en rampant. Il me répondit dans son français approximatif : « Bardon, mon aspirant, j’y reste ici, peut-être y vont venir ! » Et il continuait de tirailler, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, probablement sur des silhouettes d’Allemands postés derrière des fenêtres ou des meurtrières ; il s’accrochait à ce ponceau et tirait comme s’il défendait sa pauvre maison de la campagne de Périgotville, dans le Constantinois !,..

Il fut bientôt la cible de feux croisés, dirigés de part et d’autre du parapet. Si plaqué que fut son corps contre la murette, des balles l’ont atteint une première fois ; je l’entendis gémir : « J’y souis blessé, j’y tire quand même ! »

Nous étions isolés du reste de ma 18e compagnie. Or, à moins de sacrifier plusieurs soldats, sans certitude de succès, sur un découvert balayé par les mitrailleuses ennemies, je ne pouvais que crier, le cœur battant et la voix éraillée : « Laisse ton fusil, cache-toi mieux et fais le mort jusqu’à la nuit »

Je répétai en arabe : Khébi rouh’ek. Ce fut en vain. Déjà blessé il ne pouvait sans doute plus se dissimuler davantage, et les Allemands acharnés ont dû trouver un angle de tir, même restreint, pour l’atteindre. Cela crépitait de partout et les balles arrachaient des éclats de brique ou de pierre autour de lui ; il focalisait sur lui tout l’acharnement de l’ennemi.

Je le vis finalement se recroqueviller, le fusil en travers de la poitrine, puis se roidir avec un dernier cri, après sans doute plusieurs blessures... Ce râle ultime, poussé devant notre fureur et notre impuissance à lui porter secours, ne sortira jamais de ma mémoire pas plus que l’exemple de ce camarade qui nous donnait, témérairement peut-être, une formidable leçon de courage et de mépris de la mort. Ce n’étaient pas ceux d’un mercenaire payé pour un tel risque et un tel sacrifice, mais le dernier souffle d’un héros authentiquement français, qui venait de payer de son sang et de sa vie une poignée de terre de Picardie…

Le lendemain de son sacrifice, nous nous installions au cœur du village de Mont-d’Origny près de l’église. Cette conquête, importante du point de vue stratégique, hâta sans doute l’heure de la victoire, car elle ne précéda que de quelques jours l’armistice du 11 novembre près de Guise dont nous étions proches.

Nos attaques avaient coûté à ma section vingt-deux morts et dix blessés ; je n’en revins sauf qu’avec un sergent, un caporal et deux soldats...

Ce que j’ai éprouvé à mon niveau, l’immense armée de mes compatriotes algériens qui ont combattu le ressentaient chacun à son niveau, lucidement ou confusément. Tous se sentaient concernés et nullement étrangers à la guerre et au destin de la nation menacée, mais tous attendaient également des événements que les choses ne soient plus après, pour eux, ce qu’elles étaient auparavant.

D’où tant d’actes de vaillance, à l’exemple de celui du sergent Brahim, que les soldats algériens courageux par nature ont inscrit sur la colonne des créances du livre de la Grande Guerre et des suivantes… »


Aujourd’hui, au nom des sergents Brahim de toutes nos guerres ( Crimée 1854-1856, 1870, 14-18, 39-45, Indochine, Algérie), au nom d’un passé commun fait de sang, de larmes, mais également d’élan de fraternité et de cœur, pour transcender les affrontements et les drames qui ont marqué la marche de l’Algérie vers l’indépendance, l’association Miages-djebels lance une opération culturelle de solidarité « La passerelle de l’espérance », au profit des handicapés de l’est Djurdjura en Grande Kabylie.

Il s’agit d’offrir contre la modeste somme de 10 € le « DVD bonus en faveur des handicapés », un support numérique au contenu d’une richesse exceptionnelle : Outre une vingtaine de livres et de nombreux témoignages en provenance surtout d’anciens d’AFN, un fonds photographique extraordinaire (plus de 1200 photos réparties dans 9 albums commentés et présentés de façon magnifique).

Cet ouvrage collectif a été réalisé en partenariat entre Bouzeguène Europe [2] et Miages-djebels, pour aider financièrement l’AHLA (Association des Handicapés et Leurs Amis de la Daïra de Bouzeguène) Grande Kabylie. Saïd, son Président, après avoir créé un centre médico-psychologique aux places limitées, veut lancer d’autres projets. [3]

Le concepteur du DVD dont le frère cadet, sergent chez les Chasseurs alpins, est mort pour la France en Grande Kabylie, a été chef d’une section opérationnelle de Légionnaires puis chef de SAS [4] pendant la guerre d’Algérie et anime, depuis quelques années le site de l’association « Miages-djebels » orienté vers le rapprochement entre la France et l’Algérie.

Pour prendre connaissance du contenu du DVD, cliquer sur la photo ci-dessous, vous découvrirez un sommaire détaillé qui vous étonnera

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Présentation du DVD
Sommaire général

En mémoire des sergents Brahim, envoyer le coupon accompagné d’un chèque à l’ordre de Miages-djebels à :

- Association Miages-djebels
- 484 chemin du Poirier
- 74 170 St GERVAIS les Bains

Tél port 06 22 69 33 01 Email : mia.dje@wanadoo.fr


NOM……………………………………….Prénom……………………………. Adresse Lieu dit ou Rue………………………………………………………. ………………………………………………………………………… Code Postal………………Ville………………………………………….Tel ………………

Participe à la passerelle de l’espérance et commande le DVD : 10 €.

Notes

[1] « Le pont de Bereq’Mouc ou le bon de mille ans » édité par La table ronde, en avril 1979. L’extrait est tiré du chapitre Sous le casque de guerre. L’auteur, avocat, homme politique et écrivain français, né le 17 mai 1897 au village d’Ait Laarba (commune de Beni Yenni), est mort à Paris le 10 novembre 1980. Il est issu d’une famille d’instituteurs de la tribu kabyle des Aït-Yenni. Lors de la Première Guerre mondiale, il s’engage en 1917 et sert comme aspirant dans un régiment de tirailleurs algériens. Il est cité et décoré de la Croix de Guerre. A l’issue de la guerre, il obtiendra la nationalité française, fera des études de droit et exercera comme avocat à Alger, puis à Tizi Ouzou. Il terminera sa carrière au Conseil d’État.

[2] Son but : rassembler la diaspora de Bouzeguene dans toute l’Europe afin de renforcer les échanges et mettre en place des projets avec la ville de Bouzeguene, en partenariat avec des associations locales.

[3] Une école pilote destinée à accueillir les enfants en situation de handicap dans le cadre scolaire ordinaire à Bouzeguène-village et un nouvel ESAT plus adapté aux besoins. (Établissement et service d’aide par le travail). Ancienne appellation CAT (Centre d’Aide par le Travail).

[4] Section Administrative Spécialisée, institution créée en 1955 chargée du contact avec la population du bled et de son administration.


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