VOICI un livre qui n’est pas une hagiographie de De Gaulle. Il est vrai que l’auteur, Matthew Connelly, est américain et que ses compatriotes n’ont pas toujours ménagé le Général. Mais il est avant tout historien, il enseigne cette discipline à Columbia Univer-sity, et, à lire cet ouvrage nourri d’un impressionnant travail d’archives américaines, algériennes et françaises, on n’en doute pas.
- De Gaulle en 1958, lors du discours de Constantine.
Pourquoi le FLN, archivaincu militairement, en particulier grâce à l’action du général Challe qui avait réduit l’ALN à néant, a-t-il fini par imposer à de Gaulle ses desiderata à travers les accords d’Évian ? C’est la question à laquelle Connelly tente de répondre. Pour lui qui a étudié la guerre d’Algérie sous l’angle de l’opinion internationale, il ne fait pas de doute que la cause de l’Algérie française, à laquelle le Général avait souscrit (« Moi vivant, le drapeau du FLN ne flottera jamais sur Alger »), était devenue indéfendable, notamment auprès du tiers-monde où il voulait que la France continue de jouer un rôle, mais aussi des États-Unis, qui exerçaient leur pression. La France ne pouvait plus justifier le fait que des millions d’Arabes fussent réduits au rang de citoyens mineurs dans leur pays.
Ne restait comme solution crédible que l’égalité des droits, la fameuse « intégration » dont les Européens ne voulaient pas, ou l’émancipation pure et simple. Celle-ci fut le choix de De Gaulle, qui eut le génie de « faire croire que l’indépendance algérienne était le fruit de sa magnanimité », écrit Connelly. La réalité est bien plus équivoque. En fait, selon l’auteur, dès le discours de Brazzaville, le Général doutait de l’Algérie française. « Dès 44, de GauHe était convaincu qu’une totale intégration était illusoire (...) Mais il ne s’y opposait pas à cause d’idées libérales d’égalité et de fraternité. Comme il le disait à Peyrefitte en 59 : nous avons fondé notre colonisation sur le principe de l’assimilation. On a prétendu faire des nègres de bons Français. On leur a fait réciter "Nos ancêtres les gaulois" ; ce n’était pas très malin. Voilà pourquoi la décolonisation est tellement plus difficile que pour les Anglais. »
Une décolonisation tragique
« Difficile » est un euphémisme. C’est « tragique » qu’il eût fallu dire. De Gaulle souhaitait que l’Algérie devienne algérienne pour que la France soit préservée d’une immigration musulmane massive, affirme Connelly. C’est même pourquoi Louis Joxe empêcha les harkis de venir dans le pays qu’ils avaient servi après les accords d’Évian. « En mai 62, l’armée força la main à Joxe en organisant la fuite des harkis sous son commandement. H réagit en ordonnant de démasquer et punir les officiers. Ainsi, sur les 30 000 Algériens qui avaient combattu pour la France, un sur dix seulement trouva refuge en métropole en novembre 62. »
On sait ce qu’il advint des autres : beaucoup furent massacrés. Cette turpitude d’État n’empêcha pas, plus tard, le régime gaulliste d’accepter, sous la pression d’Alger, les premières vagues migratoires. Une autre histoire commençait, dont nous ne sommes pas sortis.
Article de PAUL FRANÇOIS PAOLI, paru dans le Figaro du jeudi 5 mai 2011 dans la rubrique Littérature histoire. Essais.
Quatrième de couverture du livre
Comment le FLN a-t-il fait, alors que ses troupes étaient écrasées par l’armée française, pour amener de Gaulle et le gouvernement de la France à accepter l’indépendance ? La réponse se trouve bien au-delà des frontières de l’Algérie, car c’est sur la scène internationale que les nationalistes ont livré leurs combats les plus décisifs.
Leurs meilleures armes furent psychologiques et médiatiques. Rapports sur les droits de l’homme, conférences de presse, congrès de la jeunesse, etc., furent utilisés pour alerter l’opinion mondiale et invoquer les lois internationales dans un contexte qui était également celui de la guerre froide. Soutenus par des pays aussi divers que l’Arabie Saoudite et la Chine communiste, les Algériens finirent par rallier une majorité contre la France aux Nations unies.
- L’arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre.
- de Matthew Conelly traduit de l’anglais (Etats Unis) par Françoise Bouillot.
Ainsi vinrent-ils à bout d’un président et d’un gouvernement désormais obsédés par l’impact de la guerre sur la réputation de leur pays à l’étranger. Un exemple pionnier qui allait inspirer l’OLP d’Arafat, ou encore l’ANC de Mandela...
L’arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie
Matthew Connelly Traduit de l’Anglais (Etats-Unis) par Françoise Bouillot Genre : Histoire Collection : Histoire Payot Grand format | 512 pages. | Paru le : 23-03-2011 | Prix : 30.00 €
GENCOD : 9782228906241 | I.S.B.N. : 2-228-90624-7 Editions : Payot
Matthew Connelly Matthew Connelly est professeur d’histoire à Columbia University. Il est considéré comme l’un des historiens les plus doués de sa génération. Son livre a déjà reçu cinq prix depuis sa parution.