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Sur les traces du père

Questions à l’officier tué en Algérie

samedi 20 décembre 2014, par Jean Claude ESCAFFIT

Il n’est de devoir de mémoire sans devoir de vérité. C’est ce qui a guidé l’auteur dans ce récit émouvant. Ancien journaliste à La Croix, puis à La Vie, Jean-Claude Escaffit revisite de façon vivante toute la guerre d’Algérie, à partir d’une histoire singulière. Il est parti sur les traces de son père, tué en Petite Kabylie. Un demi-siècle après !


Pourquoi de l’enfance à la retraite, ai-je traversé les strates du temps, sans chercher à en savoir davantage sur ton rôle d’officier dans cette guerre ? Etais-je prêt à prendre le risque de faire vaciller ton piédestal de héros familial ?

L’auteur a fouillé les archives, a recueilli de nombreux témoignages, des deux côtés, a fait le voyage en famille dans une zone contrôlée aujourd’hui par les djihadistes. Et par un incroyable hasard a rencontré l’un des meurtriers du capitaine Escaffit, chef de poste SAS, dont la mort lui avait été annoncée. Quand il a entrepris ce récit, l’auteur ne savait pas ce qu’il allait trouver au bout du chemin. Un chemin bordé de larmes, de révélations bouleversantes, mais balisé par une étonnante chaîne algérienne de solidarité.

Yasmina Khadra écrtit dans sa préface : "J’aime le livre de Jean-Claude Escaffit pour son message fraternel, je l’aime pour sa sobriété, sa sérénité, sa stupéfiante simplicité de prouver que les ennemis d’hier ne sont pas forcément ceux d’aujourd’hui."

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Sur les traces du père
Questions à l’officier tué en Algérie par Jean Claude Ecaffit

Les orphelins des guerres forment une cohorte immense d’enfants qui deviendront des hommes et de femmes meurtris à vie. Qu’ils fassent partie du camp du vainqueur ou de celui du vaincu ne changera rien à leur situation : personne ne sera en mesure de leur rendre le père, ou la mère brutalement disparu. Cette blessure même cicatrisée hantera toujours l’inconscient et accompagnera l’adulte au cours de sa vie.

Les douleurs enfouies transforment parfois les êtres qui, après les avoir apprivoisées, peuvent les transcender et s’en servir pour rayonner une lumière chaude qui illumine le monde.

Alors que Jean-Claude a seulement 9 ans, l’âge de toutes les insouciances, son destin et celui de sa famille basculent en 1959. Son père alors commandant de Compagnie et Chef de SAS à El Draden est victime d’un attentat en Petite Kabylie.

Les circonstances du drame sont mal connues. Les courriers sans âme de l’administration, les formules creuses et les rubans vont rappeler à la famille le sacrifice de l’absent. La mère restera debout, digne, proche de ses garçons qu’elle fera grandir sous le regard du père qui restera le guide moral et spirituel de la famille.

Avec de telles références, Jean Claude tout en exerçant son métier de journaliste va s’intéresser à tout ce qui touche l’Algérie qui lui rappelle la vie de son père.

C’est après le décès de sa mère en 2009, à l’heure de la retraite, époque où il faut réorienter le cours de sa vie, que grandit le questionnement sur les circonstances de la mort de son père.

Ce besoin a pour toile de fond l’évolution des mentalités en France comme en Algérie : des deux côté de la Méditerranée, la présentation de l’histoire et le devoir de mémoire, à en croire certains esprits amers et influents, passeraient, par le rappel des violences subies et l’oubli des violences exercées.

C’est dans ce contexte que Jean-Claude rejoint une centaine d’hommes et de femmes ayant l’Algérie chevillée au cœur, désireux de renouer le fil du dialogue. Un voyage organisé en 2012 par La Vie. Pascale Comte de Toulouse en a fait un compte rendu émouvant dans son article « Retours en Algérie » voir http://www.miages-djebels.org/spip....

Touché au cœur par le contact accueillant et chaleureux de la population avec laquelle il se sent en communion, Jean Claude ressent le besoin impérieux de mieux situer l’action de son père dans son décor.

Il lance des appels à témoins et retourne en Algérie à plusieurs reprises.

Par ces chemins de traverse dans le temps et dans l’espace, sa famille, en mai 2014, va découvrir la Kabylie, l’amitié et le courage des locaux face au danger islamiste, et la vraie nature du père. Un officier à visage humain, proche de la population ce qui devait lui coûter la vie et entraîner par contrecoup des représailles.

« J’étais revenu en Algérie, écrit Jean-Claude, avec le secret désir d’entamer une démarche de réconciliation. En tentant de mieux comprendre ceux que tu avais combattus, ceux qui avaient eu raison de toi, Papa. En essayant peut-être aussi de leur faire entrevoir ce qui t’avait animé en vérité. Ce n’est pas encore totalement réalisé. Peut-être un peu prématuré ? Mais c’est un projet qui n’a rien perdu de son actualité. Non pour ressasser le passé, mais pour regarder ensemble l’avenir avec les générations qui vont nous succéder. Sans conteste, tes enfants et petits-enfants ont déjà fait germer des graines de fraternité. Depuis quelques années déjà. Et de cela, je suis sûr que tu es fier. ».

Ces graines sans nul doute germeront comme le souhaite Myriam la fille de Jean-Claude, maman de Timon dont le père est kabyle. Elle écrivait dans son SMS envoyé au cours du dernier voyage :

« On pense très fort à vous et on partage votre émotion. Que cette terre de Kabylie meurtrie par les bombes du passé soit aujourd’hui source de réconciliation, d’amour et de paix pour notre famille et notre descendance. »

Sans nul doute, un témoignage sobre et pudique, aux réflexions profondes, empreint de chaleur et d’humanité, en mémoire du père.

Un témoignage « juste pour parler à l’autre. Un acte libérateur, pour permettre à la douleur de se dissoudre de part et d’autre. Et peut-être de se quitter apaisés ? »

Merci Jean-Claude

Claude GRANDJACQUES


PRÉFACE

La guerre est une monstruosité dont l’excuse consisterait à instruire les peuples. Mais quel enseignement prodiguer à celui qui refuse de retenir la leçon ? L’histoire de l’humanité est le récit de notre inaptitude à assimiler ce que les mufleries de l’existence nous infligent à travers les âges. À croire que chaque génération réclame sa part de la tragédie, que l’horreur, l’atrocité, le malheur, enfin tous les ingrédients de la guerre sont vite rangés au fin fond des oubliettes, que la mémoire ne saurait se construire sans les overdoses de la souffrance et des traumatismes.

Depuis la nuit des temps, c’est toujours la nuit ; l’aube rédemptrice semble ignorer jusqu’à notre martyre. Pourtant, qu’est-ce que la guerre sinon le drame des survivants ? On croit qu’elle fauche les âmes sur les champs de bataille ; en réalité, elle étend essentiellement son mal jusque dans le « salut » des rescapés. Les morts reposent et se reposent, une bière ou un voile sur la figure ; les vivants ne reposent et ne se reposent nulle part ; pour certains, le legs des disparus est une fracture ouverte qui ne se cicatrise pas.

J’ai eu la chance malheureuse - eh oui, ça existe - de rejoindre l’École des Cadets à l’âge de neuf ans. Cette institution militaire algérienne a été créée en 1963 pour recueillir les orphelins de la guerre 1954-1962. La nuit, j’entendais dans la chambrée que je partageais avec mes camarades retentir des cris d’épouvante. Certains pleuraient un père exécuté sous leurs yeux, d’autres étaient traqués par les fantômes d’un douar réduit en cendre par les tirs de mortiers et les raids aériens. C’était tellement horrible que je priais pour que l’aube se lève vite et que la nuit ne revienne jamais.

Plus tard, ces gamins sont devenus des soldats et beaucoup d’entre eux sont morts, assassinés par les islamistes durant la décennie noire qui faillit dépeupler l’Algérie dans les années 1990.

Aujourd’hui, il m’arrive de penser à leurs veuves et à leurs orphelins et je ne trouve aucune légitimité à leur drame.

En m’aventurant dans le livre de Jean-Claude Escaffit, je redoutais de renouer avec cette nuit hurleuse qui me tenait en éveil à l’École des Cadets. Les drames que j’ai vécus dans ma chair et dans mon esprit ne m’ont-ils pas suffi ? Pourquoi donc remuer l’insoutenable ? Pour comprendre ? Et puis après ? Comprendre la douleur, à défaut de l’amoindrir, pourrait la raviver davantage.

Jean-Claude Escaffit pense que le devoir de mémoire est, par essence, un devoir de vérité. Pourtant, la vérité est connue : le 3 octobre 1959, vers 8h30, dans le secteur de Djidjelli (un territoire de rêves squatté par les esprits frappeurs depuis des siècles), un officier de la SAS tombait dans une embuscade. En même temps, à des années-lumière de ces lieux ensanglantés, un petit enfant n’ira plus courir se jeter dans le bras de l’être qu’il chérit le plus au monde. Le sort venait de trancher. Le farceur au rire gros comme une liesse, le résistant qui avait survécu aux camps nazis, le soldat qui avait parcouru l’Indochine à travers mille accrochages ne reviendra plus surprendre son garçon dans la cour de la maison. Lorsque la poussière des mitrailles était retombée sur la route piégée, lorsque le silence avait drapé le corps de l’officier comme un linceul, une évidence s’était imposée ; plus rien ne sera comme avant pour l’enfant Jean-Claude. Et dans cette maison soudain plongée dans les angoisses de l’absence, les souvenirs du père vont supplanter l’ensemble des attentes. Les recoins, les tiroirs, les murs sont pleins d’une présence aussi cuisante que l’obsession. Une présence insaisissable, pesante, insurmontable. On a beau se réfugier dans les vieilles photos débordantes de tendresse, lire et relire les lettres d’autrefois ; on a beau appeler de tous ses vœux cette voix qui faisait frémir l’âme de l’enfant, peine perdue.

Jean-Claude Escaffit grandira mutilé, hanté par l’arbitraire du coup du sort. La vérité ne lui suffit pas ; il lui faut des explications : comment a vécu, est mort ce père bien-aimé ? Dans un attentat, lui répond-on. C’est pourtant clair. Pour Jean-Claude, la clarté est ailleurs, mais il ignore où la situer. Aussi saute-t-il dans un avion pour aller interroger l’Algérie entière, chaque pierre sur son chemin, chaque rencontre que le hasard met sur sa route.

Son livre n’est pas une enquête, mais la quête d’un apaisement.

Sur la terre qui lui a ravi son père, tandis qu’il convoque le témoignage, il va découvrir en famille la fraternité d’un peuple, sa solidarité, son hospitalité, son intarissable sympathie. Et le livre, censé juger l’Histoire, se transforme en une passerelle, en une chair nouvelle pour panser cette plaie ouverte depuis plus d’un demi-siècle. Jean-Claude n’en veut à personne. Il veut juste savoir ce qu’il savait déjà, comme si la version initiale était trop dérangeante et qu’il fallait lui trouver un autre angle, une autre approche pour espérer surprendre un détail, aussi infime soit-il, susceptible de l’aider à pardonner et à faire son deuil une fois pour toutes. Mais Jean-Claude est reçu par des Algériens qui ont souffert autant que lui, parfois beaucoup plus, des Algériens qui portent encore dans leur chair les sévices du passé sauf qu’ils ont appris à regarder les lendemains avec des yeux épurés. Ils seront à ses côtés pour l’accompagner d’une mechta à l’autre, d’un péril à l’autre, d’une interrogation à l’autre afin qu’il sache qu’il y a toujours la vie en face, et que là où les armes ont chahuté les rêves, la main fraternelle est capable de reconstruire ce qui a été détruit.

Sans trahir les tenants ni les aboutissants du livre de Jean-Claude Escaffit, je voudrais juste rappeler que la guerre est certainement le plus grand mensonge que l’homme ait inventé, qu’aucune Cause ne vaut qu’une vie lui soit sacrifiée. Car, une fois les stèles érigées et les tombes fleuries, aucune gloire ne saurait nous réconcilier avec l’absence des disparus.

Le père est mort dans le secteur de Djidjelli, tué par des Algériens de Kabylie.

Deux générations plus tard, la fille de Jean-Claude Escaffit épouse un Français d’origine kabyle. N’est-ce pas là la preuve que les hommes sont en mesure de renvoyer l’Histoire à cette vérité implacable : la guerre, avec ses hymnes, ses bravoures, ses lauriers, ses héros et ses légendes, ses monuments et ses chantres n’est qu’un vulgaire accident de parcours, une navrante faillite du bon sens, une misère rébarbative qui ne saurait se substituer au destin des hommes.

Yasmina KHADRA

Jean Claude Escaffit a été journaliste à La Croix et à La Vie et a travaillé pour différentes chaines de télévision.

http://jcescaffit.com/

Pour voir les photos de la SAS d’El Draden

http://jcescaffit.com/photos-algerie/

http://www.la-croix.com/Culture/Liv...

http://www.ladepeche.fr/article/201...

Livre publié aux

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